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Date : 20140320


Dossier :

T-1476-12

 

Référence : 2014 CF 270

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2014

En présence de madame la juge Gagné

 

ENTRE :

ALAIN THÉRIAULT

 

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Aperçu

[1]               Le demandeur, Alain Thériault, en appelle de la décision d’un délégué du Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le Ministre), par laquelle ce dernier a conclu qu’il avait commis l’infraction prévue à l’article 12 (1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, ch 17 (la Loi), pour avoir fait défaut de déclarer la somme de 16 210.50 $ CDN qu’il avait en sa possession alors qu’il s’apprêtait à monter à bord d’un vol en direction de la République Dominicaine.

 

[2]               Le demandeur plaide qu’une partie de cette somme appartenait à ses deux compagnons de voyage, soit son fils et un ami de son fils, qu’il a déclaré approximativement la somme en sa possession lorsqu’il a été intercepté et qu’il croyait de bonne foi avoir déjà passé les douanes à ce moment. Il ajoute que de toute façon, puisqu’il n’était pas encore à bord du moyen de transport  lorsqu’il a été intercepté, il ne se qualifiait pas de déclarant au sens de l’article 12(3)a) de la Loi.

 

[3]               Pour les raisons énoncées aux présentes, je suis d’avis que l’action du demandeur devrait être rejetée.

 

Le contexte factuel

[4]               Puisque l’article 30 de la Loi prévoit qu’un appel de la décision du Ministre se loge par voie d’action, les parties ont présenté une preuve devant la Cour. En demande, le demandeur, son fils James Thériault et l’ami de ce dernier, André Bruneau, ont témoigné. Le défendeur n’a fait entendre qu’un seul témoin, soit Jesse Au, agent des Services frontaliers qui a intercepté le demandeur.

 

[5]               La preuve révèle que le 10 mars 2011, le demandeur, James Thériault et André Bruneau se rendent à l’aéroport Pierre-Eliott Trudeau pour un voyage en République Dominicaine.  Ils auraient alors respectivement en leur possession les sommes de 8 000$ CDN, 4 000$ CDN et 4 000$ CDN. Ils passent à l’enregistrement des bagages et seul le demandeur conserve un bagage à main, soit une valise dans laquelle il transporte des documents. Ils se rendent ensuite à la barrière de sécurité où ils sont tous soumis au scanner corporel à rayons X. Ils sortent leur argent de leurs poches et le tiennent en mains au moment de prendre position dans le scanner.

 

[6]               Ils se rendent finalement à la barrière d’embarquement pour attendre le départ de leur vol. Le demandeur met alors son argent dans sa valise et ses deux compagnons lui demandent d’y mettre également leur argent et autres effets personnels. Alors que Monsieur Bruneau affirme avoir remis son passeport au demandeur en même temps que son argent, le demandeur et son fils affirment plutôt qu’ils l’ont fait immédiatement après avoir passé le comptoir de la compagnie aérienne.

 

[7]               Le demandeur et ses compagnons de voyage affirment qu’au moment où ils ont emprunté la passerelle menant à l’avion, Monsieur Bruneau a été intercepté par l’agent des Services frontaliers qui lui a demandé de voir son passeport. Puisque celui-ci se trouvait dans la valise du demandeur, il a dû l’ouvrir pour le lui rendre et c’est à ce moment qu’on lui a demandé s’il avait de l’argent comptant sur lui. Il aurait répondu qu’il avait effectivement sur lui son argent et celui de ses compagnons de voyage, somme qui excédait 10 000$ CDN.

 

[8]               Monsieur Au, pour sa part, témoigne qu’il fait partie d’une équipe d’intervention mobile de l’agence des Services frontaliers et qu’il est notamment responsable de la vérification des devises à l’exportation. En date du 10 février 2011, il était positionné à la jonction du corridor et de la passerelle menant au départ d’un vol en direction de Santo Domingo en République Dominicaine, pour un contrôle de routine en compagnie de deux collègues. Il explique que cette destination est considérée à risque pour l’exportation de devises puisqu’il s’agit d’un transit pour la drogue.  Il explique qu’il intercepte alors le demandeur, croyant qu’il voyageait seul. Selon son expérience, les personnes qui exportent des devises voyagent normalement seules. Il apprend alors que le demandeur ne voyage pas seul et il demande aux trois s’ils transportent de l’argent comptant. Le demandeur répond 5 000$ US et les deux autres répondent 4 000$ US chaque. Il décide alors de faire une vérification des devises et demande aux trois individus de le suivre sur la mezzanine qui se trouvait à l’étage. Sur la mezzanine, il demande au demandeur de sortir les devises de sa valise. Le demandeur sort d’abord 13 liasses de billets de 20$ (d’une valeur de 1 000$ la liasse) en devises américaines et 1 290$ CDN de son portefeuille. Une fouille subséquente a permis de trouver une autre liasse de 20$ et une liasse de 100$ pour une valeur de 1 000$ US chaque.

 

[9]               Après avoir fait les vérifications d’usage et puisqu’il n’avait aucun motif de croire que l’argent était le produit de la criminalité ou qu’il devait servir à des activités terroristes, Monsieur Au a remis l’argent au demandeur. Cependant, puisque le demandeur était en possession d’une somme de plus de 10 000$ CDN, qu’il a fait défaut de déclarer,  Monsieur Au a décidé de faire une saisie de niveau 1 : une saisie par laquelle il impose une pénalité de 250$ CDN, soit la plus petite pénalité prévue par la règlementation. La documentation pertinente a été remplie et le demandeur et ses compagnons de voyage ont été en mesure de prendre leur vol.

 

[10]           Conformément à l’article 25 de la Loi, le demandeur a présenté une demande de révision de la saisie au Ministre. Cette demande a été rejetée principalement au motif que puisque les devises se trouvaient en la possession du demandeur au moment de la vérification, elles auraient dû être déclarées.

 

Question en litige

[11]           La seule question que pose le présent appel est celle qui a été soumise au Ministre, à savoir :

(i)                 Le demandeur a-t-il commis l’infraction prévue à l’article 12 de la Loi ?

 

[12]           Le demandeur ne peut, lors d’un appel en vertu de l’article 30 de la Loi, contester une décision du Ministre d’ordonner la confiscation de la pénalité imposée au demandeur pour sa contravention de l’article 12(1) de la Loi (Dokaj c Canada (Ministre du Revenu National), 2005 CF 1437 [Dokaj]).

 

[13]           Comme il s’agit d’un procès de novo devant la Cour, je n’ai pas à analyser le dossier dont disposait le Ministre, mais je dois plutôt apprécier la preuve présentée et déterminer si elle confirme que le demandeur a omis de déclarer un mouvement transfrontalier de devises (Zeid c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2008 CF 539).

 

Analyse

[14]           Tel qu’énoncé à son article 3, la Loi vise essentiellement à détecter et à décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational. Pour ce faire, elle établit notamment un régime de déclaration obligatoire des mouvements transfrontaliers d’espèces.

 

[15]           Ce régime de déclaration obligatoire est prévu à l’article 12 de la Loi, dont les extraits pertinents au présent dossier se lisent comme suit :

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l'agent, conformément aux règlements, l'importation ou l'exportation des espèces ou effets d'une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

[…]

[…]

 

(3) Le déclarant est, selon le cas:

 

 

a) la personne ayant en sa possession effective ou parmi ses bagages les espèces ou effets se trouvant à bord du moyen de transport par lequel elle arrive au Canada ou quitte le pays ou la personne qui, dans les circonstances réglementaires, est responsable du moyen de transport;

 

 

[…]

 

(3) Currency or monetary instruments shall be reported under subsection (1)

 

(a) in the case of currency or monetary instruments in the actual possession of a person arriving in or departing from Canada, or that form part of their baggage if they and their baggage are being carried on board the same conveyance, by that person or, in prescribed circumstances, by the person in charge of the conveyance;

 

[…] 

(4) Une fois la déclaration faite, la personne qui entre au Canada ou quitte le pays avec les espèces ou effets doit :

 

 

 

a) répondre véridiquement aux questions que lui pose l’agent à l’égard des renseignements à déclarer en application du paragraphe (1);

 

b) à la demande de l’agent, lui présenter les espèces ou effets qu’elle transporte, décharger les moyens de transport et en ouvrir les parties et ouvrir ou défaire les colis et autres contenants que l’agent veut examiner.

(4) If a report is made in respect of currency or monetary instruments, the person arriving in or departing from Canada with the currency or monetary instruments shall

 

(a) answer truthfully any questions that the officer asks with respect to the information required to be contained in the report; and

 

(b) on request of an officer, present the currency or monetary instruments that they are carrying or transporting, unload any conveyance or part of a conveyance or baggage and open or unpack any package or container that the officer wishes to examine.

 

(5) L’agent fait parvenir au Centre les déclarations recueillies en application du paragraphe (1).

(5) Officers shall send the reports they receive under subsection (1) to the Centre.

 

[16]           Le montant réglementaire dont parle le paragraphe 12(1) de la Loi est établi à 10 000$ CDN  selon l’article 2 du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412 [Règlement].

 

[17]           C’est à l’article 18 de la Loi que l’on retrouve les pouvoirs de l’agent des Services transfrontaliers qui intercepte un voyageur en possession d’espèces excédant 10 000$ CDN. S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention à l’article 12, il peut saisir les devises. Par ailleurs, si après vérifications il n’a aucun motif raisonnable de croire qu’il s’agit du produit de la criminalité, il restitue les espèces sur paiement de la pénalité règlementaire qui varie entre 250$ à 5 000$ CDN (article 18 du Règlement).        

 

 

[18]           Outre le fait qu’il prétende qu’une partie de la somme saisie en sa possession ne lui appartenait pas, question dont je traiterai plus loin, le demandeur prend une position quelque peu surprenante devant la Cour:  Il plaide qu’il croyait de bonne foi avoir passé les douanes canadiennes au moment où lui et ses compagnons ont été soumis au scanner corporel. En fait, il aurait confondu les douanes et la sécurité. À ce moment précis, il n’avait pas plus de 10 000$ CDN en sa possession et n’avait aucune obligation de déclarer. Du même souffle, il prétend qu’au moment où il a été intercepté, il n’était pas à bord d’un moyen de transport de sorte qu’il n’entrait pas dans la définition du déclarant prévue au paragraphe 12 (3) de la Loi.

 

[19]            Le demandeur tente ainsi de faire certaines distinctions que la Loi ne fait pas. Au départ du Canada, un passager n’a pas à passer automatiquement au comptoir douanier, comme il doit le faire à son arrivée. Il a néanmoins une obligation de déclarer toute exportation d’espèces d’une valeur de plus de 10 000$ CDN. Comme l’explique Monsieur Au, il doit localiser le comptoir de l’agence des Services frontaliers et s’y présenter de son propre chef pour remplir le formulaire de déclaration (voir également l’article 11 du Règlement).  Par ailleurs, la preuve est claire et non équivoque quant au fait qu’au moment où il a été intercepté, le demandeur s’apprêtait à quitter l’aérogare et à entrer dans l’avion. Il avait également l’intention de transporter toute la somme jusqu’à destination. L’argument du demandeur, quant au moment où il a été intercepté, ne lui est donc d’aucune aide. 

 

[20]           Dans l’ensemble, les témoignages du demandeur et de ses compagnons de voyage comportent certaines contradictions et soulèvent certains questionnements. D’abord, le demandeur explique que le voyage a pour but de se rapprocher de son fils qui est, à l’époque, un jeune homme de 18 ans qui vient de terminer son CEGEP. Monsieur Bruneau, qui est dépressif à l’époque, a décidé de les accompagner pour s’offrir des vacances. Monsieur Bruneau pour sa part explique qu’il va en République Dominicaine pour aider le demandeur à faire des travaux de construction dans l’hôtel dont il est propriétaire. Quant à la raison pour laquelle ils ont besoin d’autant d’argent pour un voyage pour lequel l’avion est visiblement payé et le logement est assuré, le demandeur affirme que cet argent devait payer leur logement, la nourriture et d’éventuelles urgences médicales, alors que James Thériault et André Bruneau expliquent qu’ils ont l’intention de visiter le casino qui se trouve près de l’hôtel du demandeur. Sans compter que les témoignages de messieurs James Thériault et André Bruneau étaient plutôt vagues et hésitants, il semble curieux qu’un jeune homme de 18 ans qui termine son CEGEP dispose d’une somme de 4 000$ US comptant pour ses dépenses personnelles lors d’une vacance d’une semaine avec son père. Ceci, combiné au fait que toutes les liasses de billets retrouvées dans la valise du demandeur étaient identiques et retenues de la même façon par deux élastiques, est de nature à soulever un certain doute sur leur version des faits.

 

[21]           Quoi qu’il en soit, il est clairement prévu au paragraphe 12(3) de la Loi que la personne qui a l’obligation de déclarer est celle qui a les espèces ou effets en sa possession effective au moment de quitter le Canada.  Le demandeur avait la possession effective de l’argent au moment de quitter le Canada et il avait l’intention de le conserver en sa possession jusqu’à destination. L’utilisation de l’expression « possession effective » au paragraphe 12(3) de la Loi ne permet pas de retenir l’argument du demandeur fondé sur l’article 921 du Code civil du Québec, à l’effet que la possession, aux fins de l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, puisse être l’exercice, par l’intermédiaire d’une autre personne qui détient le bien, d’un droit réel dont on se veut titulaire.

 

[22]           S’il fallait retenir la position du demandeur, la position des agents des Services frontaliers appelés à appliquer la Loi serait pour le moins difficile. Par définition, la preuve de la propriété d’argent comptant est difficile, voire impossible à établir. C’est pourquoi une application stricte de la Loi permet de tenir compte des considérations d’ordre public sous-jacentes et est seule susceptible d’assurer l’atteinte des objectifs qu’elle poursuit.

 

Conclusion

[23]           Pour l’ensemble de ces motifs, l’appel du demandeur sera rejeté avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’appel du demandeur Alain Thériault est rejeté;

2.      Les dépens sont accordés en faveur du défendeur.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1476-12

 

INTITULÉ :

ALAIN THÉRIAULT c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 25 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 mars 2014

COMPARUTIONS :

Me Philippe Antoine Couture-Ménard

 

pour le demandeur

 

 

Me Jacques Mimar

 

pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Philippe Antoine Couture-Ménard

Montréal (Québec)

 

 

pour le demandeur

 

 

Me Jacques Mimar

Montréal (Québec)

 

 

pour le défendeur

 

 

 

 

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