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Date : 20140401


Dossier :

IMM-11408-12

 

Référence : 2014 CF 312

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2014

En présence de Madame la juge Gleason

 

ENTRE :

JOSE DE JESUS AVILES JAIMES, ERIKA GONZALES PEREZ

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui prétendent s’être enfuis de ce pays par crainte de mauvais traitements de la part d’un gang criminel, La Familia Michoacána. Dans une décision datée du 2 octobre 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a rejeté leur demande. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision de la SPR. Même s’ils ont soulevé plusieurs arguments dans leurs observations écrites, à l’audience, l’avocat des demandeurs a fait savoir que ceux-ci n’en feraient valoir que deux, nommément que la Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son analyse de la possibilité pour les demandeurs de se prévaloir de la protection de l’État et dans son analyse des demandes d’asile aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[2]               Pour les motifs énoncés ci‑après, j’ai conclu que la présente demande devrait être rejetée étant donné que l’analyse effectuée par la Commission aux termes de l’article 97 est raisonnable.

 

La décision de la SPR

[3]               L’avocat du défendeur a souligné, judicieusement à mon avis, que les motifs de la Commission ne sont pas un modèle de clarté. Cependant, il ne s’agit pas d’un élément déterminant étant donné qu’il est fermement établi que les motifs d’un tribunal n’ont pas à être parfaits et sont suffisants s’ils permettent aux parties et au tribunal de révision de comprendre les motifs de la décision (voir p. ex. NLNU c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16; Lebon c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 132, au paragraphe 18; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c El Attar, 2013 CF 1012, au paragraphe 11; Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490, au paragraphe 12). Les motifs énoncés en l’espèce peuvent être compris.

 

[4]               En ce qui concerne l’analyse effectuée aux termes de l’article 97, la SPR a fondé sa décision sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[5]               À cet égard, le demandeur principal, Monsieur Aviles Jaimes, exploitait un magasin d’alcools et des entreprises de location d’accessoires pour fêtes au Mexique. Il a soutenu que La Familia a volé trois de ses véhicules automobiles et que pendant l’un de ces vols, son portefeuille, ses clés et le sac à main de la co‑demanderesse ont aussi été subtilisés. De plus, il soutient que des membres de La Familia ont cambriolé à main armée son magasin d’alcools, l’ont pris en otage avec un client et ont exigé de l’argent. Le demandeur principal déclare qu’il a versé 25 000 pesos à ses agresseurs pour obtenir sa libération et celle de l’autre otage. Il prétend aussi que lui et d’autres entrepreneurs de sa région ont fait l’objet de demandes d’extorsion croissantes, qu’il a reçu des menaces de membres de La Familia et que ceux‑ci suivaient la co‑demanderesse quand elle rentrait à la maison après son travail. Les deux demandeurs ont obtenu des visas pour venir au Canada en septembre 2010, mais n’ont quitté le Mexique qu’en février 2011, soit peu après l’assassinat d’un autre entrepreneur dans leur communauté par La Familia.

 

[6]               La SPR n’a pas cru que les demandeurs avaient été victimes des menaces et de l’extorsion alléguées et a plutôt conclu que les seuls incidents s’étant réellement produits étaient le vol de trois des véhicules du demandeur principal. La Commission a fondé sa conclusion défavorable relative à la crédibilité sur plusieurs facteurs, notamment :

         l’incapacité du demandeur principal de se souvenir du moment où il a commencé et du moment où il a cessé de verser des paiements d’extorsion ainsi que du nombre de paiements effectués;

         le fait que les demandeurs n’ont déclaré à la police que les vols d’automobiles, mais n’ont signalé les incidents plus graves de menaces, d’extorsion ou de prise d’otage allégués qu’à la veille de leur départ du Mexique;

         le fait que les demandeurs ont tardé à s’enfuir du Mexique après avoir obtenu les visas les autorisant à venir au Canada;

         l’absence d’explications crédibles pour ne pas avoir déclaré les incidents les plus graves à la police et pour avoir attendu pour quitter le Mexique.

 

[7]               La SPR a jugé que les demandeurs avaient été uniquement victimes de vols et a conclu que toute menace future à laquelle ils seraient exposés s’ils rentraient au Mexique serait  la même que celle à laquelle s’expose une grande partie de la population, vu l’ampleur des vols et de la criminalité dans ce pays. Le raisonnement de la SPR à cet égard portait sur le fait que le risque auquel seraient exposés les demandeurs était le même risque de vol ou de criminalité auquel sont exposées toutes les personnes nanties du Mexique et que ce risque serait en fait moindre si les demandeurs devaient rentrer dans leur pays étant donné qu’ils ne seraient plus propriétaires d’entreprise. En tirant une telle conclusion, cependant, la Commission a formulé des observations au sujet des limites de l’exception prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR concernant le risque généralisé qui contredisent un grand nombre de jugements récents rendus par la Cour. Par exemple, au paragraphe 34 de ses motifs, la Commission a écrit ce qui suit :

Comme il est précisé dans la documentation de la Commission, les criminels organisés ont l’habitude d’éliminer leurs ennemis ou de se venger d’eux. Toute personne qui devient l’ennemi de criminels au Mexique, peu importe la raison invoquée, y compris les personnes qui refusent de se plier aux demandes d’extorsion ou qui s’adressent à la police, les politiciens qui tentent de lutter contre les cartels du Mexique et les agents de police qui mènent des enquêtes sur les criminels, s’expose au risque d’être prise pour cible et maltraitée. Par conséquent, même si le demandeur d’asile principal était poursuivi à son retour au Mexique, il serait exposé au même risque que la population du pays en général.  

 

Analyse

[8]               Les demandeurs soutiennent que l’affirmation précédente et d’autres de même nature dans la décision indiquent que la Commission a appliqué le mauvais critère dans l’appréciation de la question de savoir si le risque auquel les demandeurs seraient exposés était généralisé et, par conséquent, que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

 

[9]               Je conviens avec les demandeurs que l’extrait précité n’énonce pas la démarche qu’il convient d’adopter pour l’interprétation du risque généralisé prévu à l’article 97 de la LIPR. Je crois plutôt que l’approche appropriée est celle que j’ai énoncée dans Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678 et Ortega Arenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 344 [Arenas] (voir aussi Cherednyk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 282; Correa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 252; Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 102; Neri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1087; De La Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1068; Gil Aguilar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 843; De Jesus Aleman Aguilar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 809; Hernandez Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 592; Loyo de Xicara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 593; Coreas Contreras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 510; Roberts c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 298; Rodriguez Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 261; Zablon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 58; Malvaez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1476; Kaaker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1401; Tomlinson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 822; Balcotra Olvera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1048; Escamilla Marroquin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1114). La démarche qu’il convient d’adopter pour établir l’existence d’un risque généralisé aux termes de l’article 97 de la LIPR est la suivante, comme je l’ai énoncé aux paragraphes 9 et 14 de l’arrêt Arenas :

Premièrement, la SPR doit décrire correctement la nature du risque auquel est exposé l’intéressé. Cela exige de la Commission qu’elle considère s’il y a un risque permanent éventuel et, dans l’affirmative, si le risque équivaut à un traitement ou une peine cruel ou inusité. Surtout, la Commission doit déterminer ce qu’est précisément le risque. Une fois cela fait, la SPR doit ensuite comparer le risque auquel est exposé l’intéressé à celui auquel est exposé un groupe significatif de personnes originaires du même pays pour déterminer si les risques sont de même nature et du même degré.

 

[…]

 

La deuxième étape de l’analyse a pour principal objet de comparer la nature et le degré du risque auquel est exposé le demandeur à celui auquel est exposée toute la population du pays ou une partie significative de celle-ci, afin de déterminer s’ils sont les mêmes. Il s’agit d’une analyse prospective qui ne touche pas tant à la cause du risque qu’à la probabilité de ce qui arrivera au demandeur dans l’avenir, comparativement à l’ensemble ou à un segment significatif de la population en général. C’est en ce sens que, dans la décision Portillo, j’ai soutenu qu’on ne peut qualifier de « général » un risque « personnalisé » d’être tué au motif que la totalité du pays n’est pas personnellement la cible d’un meurtre ou de torture dans l’un ou l’autre cas. À cet égard, il y a une différence fondamentale entre le fait d’être exposé au risque d’être tué et celui d’être éventuellement ciblé dans l’avenir. Dans la décision Olvera, le juge Shore fait une analogie utile pour expliquer cette différence lorsqu’il écrit au paragraphe 41 : « Les risques que courent les personnes qui vivent dans le même voisinage que l’homme armé ne peuvent être considérés comme étant les mêmes que ceux que courent les personnes qui se tiennent directement devant lui. »

 

 

[10]           Même si certains passages de la décision de la Commission décrivent une démarche  différente à l’égard de l’interprétation de l’article 97 de la LIPR, je n’en crois pas moins que la décision doit être maintenue en l’espèce parce que les passages qui énoncent la démarche erronée à l’égard de l’interprétation de l’article 97 ne sont pas essentiels au raisonnement de la Commission. La SPR a plutôt fondé sa décision sur la comparaison du risque auquel sont exposés les demandeurs – vol ou extorsion – au risque auquel sont exposées d’autres personnes nanties au Mexique, et a estimé que les deux étaient de même nature et de même ampleur. Cet élément est illustré par plusieurs passages de la décision de la SPR qui sont essentiels à son raisonnement, le plus important étant celui figurant au paragraphe 29, où la SPR a écrit ce qui suit :

Je conclus que le demandeur d’asile appartenait à un sous-groupe de personnes nanties en tant qu’homme d’affaires prospère. La conclusion selon laquelle les propriétaires d’entreprise en général étaient exposés au prétendu risque concorde avec la déclaration figurant dans le FRP du demandeur d’asile concernant les rumeurs selon lesquelles tous les hommes d’affaires étaient victimes d’extorsion en échange de la protection de La Familia. Le demandeur d’asile appartient, par conséquent, à un sous-groupe de la population exposé à un risque généralisé de violence au Mexique de la  part d’organisations criminelles qui extorquent de l’argent aux propriétaires d’entreprise.

 

[11]           Par conséquent, même si des aspects du raisonnement de la Commission semblent montrer que toute personne qui est exposée à quelque type de risque que ce soit de la part d’éléments criminels au Mexique est exposée à un risque généralisé au sens de l’article 97 de la LIPR, la décision ne met pas en cause cette question. Lorsqu’on lit attentivement les motifs de la Commission, il est clair que celle‑ci a appliqué l’analyse en deux étapes énoncée ci-haut.

 

[12]           Qui plus est, la SPR était amplement justifiée de tirer ses conclusions défavorables sur la crédibilité, étant donné que chacun des facteurs qu’elle a invoqué est étayé par les éléments de preuve dont elle disposait. Par conséquent, rien ne distingue le risque auquel sont exposés les demandeurs par rapport à celui visant les autres personnes nanties au Mexique étant donné que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils avaient été particulièrement ciblés et qu’ils étaient très susceptibles d’être pris pour cibles s’ils rentraient au Mexique. Devant ces faits, la conclusion de la Commission selon laquelle le risque auquel les demandeurs sont exposés est partagé par un grand groupe de personnes au Mexique est raisonnable à la lumière de la documentation objective dont disposait la Commission concernant l’ampleur de l’extorsion et des vols au Mexique.

 

[13]           Cette conclusion suffit pour entraîner le rejet de la présente demande, et, par conséquent, je n’ai pas à examiner les arguments des demandeurs concernant la protection de l’État. Par conséquent, la présente demande sera rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux termes de l’article 74 de la LIPR, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée;

3.         Aucun dépens n’est adjugé.

 

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                       IMM-11408-12

 

INTITULÉ :                                JOSE JESUS AVILES JAIMES, ERIKA GONZALES PEREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                      Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                      LE 13 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :

                                                      LE 1ER AVril 2014

COMPARUTIONS 

Adela Crossley

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Adela Crossley

Avocate

Law Office of Adela Crossley

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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