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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20140327

 

Dossier : T-1766-12

 

Référence : 2014 CF 295

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

UNICAST SA

 

demanderesse

et

 

SOUTH ASIAN BROADCASTING CORPORATION INC.

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.         Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Unicast SA [la demanderesse] au titre de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13 [la Loi], dans laquelle celle‑ci réclame l’invalidation de l’enregistrement au Canada de la marque de commerce no LMC715146 détenue par South Asian Broadcasting Corporation Inc. [la défenderesse] et la radiation de la marque de commerce en question du registre canadien des marques de commerce.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour a décidé de rejeter la demande de radiation.

 

II.        L’enregistrement en litige

[3]               Les détails de la marque de commerce déposée en litige en l’espèce sont les suivants :

            Numéro d’enregistrement :       LMC715146

            Date de l’annonce :                   9 septembre 2007

            Date d’enregistrement :            26 mai 2008

            Propriétaire inscrit :                   South Asian Broadcasting Corporation Inc.

            Marque de commerce :             RED FM

            Services pour lesquels la

            marque est enregistrée :            (1) Exploitation d’une station de radio, services de

radiodiffusion et programmation d’émissions de radio sur la diversité ethnique.

 

III.      Les parties

            A. La demanderesse

 

[4]               La demanderesse, Unicast SA, est un radiodiffuseur établi en Suisse qui exploite une station radio FM en liaison avec la marque de commerce « ROUGE FM ». Cette station radio diffuse ses émissions aux pays francophones voisins par radiodiffusion FM, ainsi que dans le monde entier, notamment au Canada, par l’intermédiaire de son site Web. La demanderesse est propriétaire de deux stations radio (dont la station ROUGE FM), d’une station de télévision, d’une agence de publicité, ainsi que de plusieurs sites Web, applications mobiles, webradios et webtélés.

 

[5]               La station radio ROUGE FM était auparavant connue sous le nom de Radio Framboise S.A., jusqu’à ce qu’un changement de propriétaire de la société se traduise par le passage à ROUGE FM entre les mois de mars et de juin 2005. Le lancement officiel de la station radio sous la nouvelle marque a eu lieu le 1er juillet 2005. Dans le cadre du passage de Radio Framboise S.A. à ROUGE FM, la demanderesse ne voulait pas se limiter à la simple diffusion FM, afin de pouvoir accéder aux régions francophones en dehors de la Suisse, y compris le Canada. Le site Web de ROUGE FM a donc été lancé le même jour que la station radio. Les auditeurs du monde entier ont accès au site Web, qui diffuse les émissions de la station radio en direct et en continu. Les émissions de la station radio peuvent aussi être écoutées au moyen d’une application pour téléphones intelligents lancée en 2010.

 

[6]               Les droits sur la marque de commerce ROUGE FM en Suisse ont été transférés à la demanderesse le 18 décembre 2009, qui est un actionnaire majoritaire de ROUGE FM depuis le mois d’août 2011.

 

[7]               Depuis le lancement du site Web de la station radio, de plus en plus de Canadiens visitent le site Web – de sorte que le Canada est devenu le troisième plus important auditoire de ROUGE FM après la Suisse et la France. La station radio joue aussi un rôle actif dans les médias sociaux, en dialoguant avec les auditeurs, notamment des Canadiens.

 

            B. La défenderesse

[8]               La défenderesse, South Asian Broadcasting Corporation Inc., un radiodiffuseur ayant son siège à Surrey, en Colombie‑Britannique (Canada), a été fondée en septembre 2004 dans le but d’offrir des émissions radiophoniques destinées à la communauté sud-asiatique locale. Le 22 décembre 2005, la défenderesse a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce « RED FM » sur la base d’un emploi antérieur.

 

[9]               Le 26 mai 2008, la marque de commerce a été dûment enregistrée. La défenderesse est présente au Canada et est titulaire de toutes les licences requises du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [le CRTC] et d’Industrie Canada pour exploiter une station radio.

 

IV.      Les faits

 

[10]           Le 8 septembre 2011, la demanderesse a présenté une demande d’enregistrement au Canada de la marque de commerce ROUGE FM en liaison avec des services se rapportant à ce qui suit (la demande a été rédigée en français) :

 

  • Communications radiophoniques;
  • [translation] Radio communications;
  • Diffusions d’émissions radiophoniques;
  • [translation] Broadcasting of radio programming;
  • Transmission de son, de messages par terminaux d’ordinateurs, nommément diffusion de programmes de musique, de radio par ordinateurs.
  • [translation] Transmission of sound, information and messages by computer terminals, namely the broadcast of music and radio programming by computer.

 

Dans sa demande, la demanderesse affirmait avoir commencé à employer la marque de commerce ROUGE FM en juillet 2005.

 

[11]           Le 29 février 2012, un examinateur de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a soulevé une objection à l’égard de la demande d’enregistrement de la demanderesse au motif que la marque de commerce pour laquelle la demande d’enregistrement était présentée, ROUGE FM, pouvait créer de la confusion avec une marque de commerce déposée existante selon l’alinéa 12(1)d) de la Loi, c.‑à‑d., la marque de commerce canadienne déposée no LMC715146, RED FM, appartenant à la défenderesse. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, cette marque de commerce a été enregistrée le 26 mai 2008 sur la base d’un emploi antérieur, qui remonte au 21 décembre 2005.

 

V.        Les motifs invoqués à l’appui de la radiation

[12]           La demanderesse allègue que l’enregistrement au Canada de la marque de commerce no LMC715146, RED FM, devrait être tenu pour invalide et radié par la Cour :

1.      parce que la défenderesse a fait une assertion inexacte et frauduleuse en ce qui concerne la date de premier emploi au Canada [le motif de l’assertion inexacte], ou

2.      subsidiairement, parce que la défenderesse n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir un enregistrement à la date de premier emploi, selon les dernières lignes de l’article 18 de la Loi, étant donné que la demanderesse employait déjà, à ce moment‑là, sa marque de commerce ROUGE FM au Canada en liaison avec des services semblables [le motif de la non‑admissibilité].

 

VI.      La preuve et les observations de la demanderesse

            A. Les observations de la demanderesse

 

[13]           Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse allègue que la marque de commerce RED FM de la défenderesse devrait être tenue pour invalide et radiée par la Cour parce que la défenderesse a fait une assertion inexacte et frauduleuse et parce que la défenderesse n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir un enregistrement à la date de premier emploi, étant donné que la demanderesse employait déjà la marque ROUGE FM à ce moment‑là en liaison avec des services semblables.

            1. Le motif de l’assertion inexacte

[14]           La demanderesse soutient que l’enregistrement en cause a été obtenu de manière frauduleuse parce que, bien que la défenderesse ait affirmé dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce qu’elle employait déjà la marque RED FM pour l’exploitation d’une station radio et des services de radiodiffusion, il existe des éléments de preuve contradictoires quant à la question de savoir si la station radio a commencé à diffuser sur les ondes le 21 décembre 2005, le 20 janvier 2006 ou le 23 janvier 2006. En fait, la défenderesse a été incapable de fournir des éléments de preuve concrets – communiqué de presse, article de presse, etc. – confirmant que la marque de commerce était effectivement employée le 21 décembre 2005. La défenderesse a même refusé de produire les états financiers de ses deux premières années d’exploitation. Qui plus est, un document présenté au CRTC par la défenderesse montre clairement que la défenderesse a commencé à diffuser sur les ondes le 23 janvier 2006. Il existe aussi des contradictions en ce qui concerne l’embauche d’animateurs à la radio et la date à laquelle la radio aurait commencé à diffuser sur les ondes.

 

[15]           Par conséquent, comme la défenderesse a été incapable de prouver qu’elle diffusait activement des émissions le 21 décembre 2005, on peut présumer qu’elle a sciemment fait une assertion inexacte et frauduleuse dans la demande d’enregistrement de sa marque de commerce le 22 décembre 2005 sur la base d’un emploi antérieur. Ce motif revêt une importance particulière si l’on tient compte du fait que, si la Cour accepte la marque de commerce de la défenderesse, malgré le fait qu’elle est clairement fondée sur une assertion inexacte, cela empêcherait les autres propriétaires légitimes d’une marque de commerce, y compris la demanderesse, de présenter leur propre demande afin que leur marque de commerce puisse être dûment reconnue et enregistrée.

 

            2. Le motif de la non‑admissibilité

[16]           Subsidiairement, la demanderesse fait valoir que l’enregistrement de la marque de commerce RED FM est invalide suivant les dernières lignes de l’article 18 de la Loi, parce que la défenderesse n’était pas la personne ayant le droit de présenter la demande d’enregistrement, comme le prévoit l’alinéa 16(1)a) de la Loi. Pour les motifs qui suivent, la demanderesse est d’avis que c’est elle, et non la défenderesse, qui avait le droit de présenter la demande d’enregistrement.

 

[17]           Confusion (paragraphe 17(1) de la Loi) – Les marques de commerce ROUGE FM et RED FM sont, à tous égards, identiques, étant donné que l’une est l’équivalent de l’autre dans l’autre langue (français et anglais). En outre, les marques de commerce doivent être considérées du point de vue du consommateur canadien moyen, que l’on peut présumer bilingue, parce que ROUGE FM diffuse son contenu dans l’ensemble du Canada, y compris au Québec, province francophone.

 

[18]           Emploi antérieur (paragraphe 17(1) de la Loi) – En ce qui concerne l’emploi antérieur de la marque de commerce créant de la confusion, la demanderesse soutient qu’elle emploie la marque ROUGE FM au Canada en liaison avec des services semblables à ceux de la défenderesse relativement à sa marque RED FM, malgré le fait qu’elle offre ses émissions depuis l’étranger et par Internet plutôt que par radiodiffusion conventionnelle sur les ondes et qu’elle n’est pas titulaire d’une licence du CRTC.

 

[19]           La demanderesse fait valoir que sa station radio emploie effectivement la marque de commerce ROUGE FM en liaison avec des « services de radiodiffusion » parce que, selon l’interprétation que le CRTC a donnée au terme, la « diffusion » est neutre sur le plan technologique, ce qui signifie que la diffusion sur Internet constitue néanmoins de la « diffusion » pour l’application des lois canadiennes. Une distinction entre les deux types de transmission serait sans conséquence. Cela explique aussi pourquoi la demanderesse n’est pas tenue d’être titulaire d’une licence du CRTC. De plus, la demanderesse est d’avis que l’emploi d’une marque de commerce au Canada en liaison avec un service en provenance de l’étranger – p. ex., la Suisse – et qui est offert au Canada constitue quand même un emploi de la marque de commerce suivant l’alinéa 16(1)a) de la Loi. En effet, le paragraphe 4(2) dispose que « [u]ne marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services » et, à cet égard, la Cour a déclaré à de nombreuses reprises que l’endroit d’où proviennent les renseignements est sans importance, pour autant que la marque de commerce apparaisse à l’écran d’un ordinateur au Canada. Ainsi, la demanderesse allègue que la marque de commerce ROUGE FM a été continuellement employée et montrée sur son site Web depuis juillet 2005 en liaison avec des « services de radiodiffusion ».

 

[20]           En outre, si l’on se fonde sur les observations susmentionnées se rapportant au motif de l’assertion inexacte, comme la défenderesse n’a pas établi que sa station radio était exploitée depuis le 21 décembre 2005, elle n’a de toute évidence pas établi qu’elle employait la marque de commerce RED FM à cette date, et encore moins qu’elle employait la marque de commerce RED FM avant juillet 2005.

 

[21]           Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si cet emploi antérieur de la marque de commerce est suffisant, la demanderesse ajoute que, bien qu’elle n’ait pas été tenue de le faire, elle a quand même produit des éléments de preuve concernant des appels de fichiers sur son site Web provenant du Canada pour la période située entre les mois de juillet et de décembre 2005. La demanderesse rappelle à la Cour que la preuve que requiert l’alinéa 16(1)a) de la Loi est minime et qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’un Canadien écoutait vraiment les émissions de radio, pour autant que les services étaient offerts au Canada et auraient pu avoir été exécutés au Canada.

 

[22]           Non-abandon (paragraphe 17(1) de la Loi) – La demanderesse soutient qu’elle a présenté des éléments de preuve établissant que la marque de commerce ROUGE FM a été continuellement employée sur son site Web depuis juillet 2005. Par conséquent, la demanderesse n’a pas abandonné la marque de commerce à la date d’annonce de la demande d’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse.

 

[23]           Par conséquent, comme la demanderesse a prouvé, pour l’application du paragraphe 17(1) et de l’alinéa 16(1)(a) de la Loi, qu’elle avait employé antérieurement la marque de commerce ROUGE FM créant de la confusion et qu’elle ne l’avait pas abandonnée, la défenderesse n’aurait certainement pas pu être la personne ayant le droit de demander l’enregistrement au Canada de la marque de commerce no LMC715146 créant de la confusion et, à ce titre, cette marque de commerce doit être tenue pour invalide et radiée suivant les dernières lignes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi.

 

            B. La preuve de la demanderesse

[24]           La demanderesse a présenté des éléments de preuve à l’appui de ses prétentions. En plus de ce qui a été mentionné ci‑dessus dans les observations de la demanderesse et d’un affidavit produit par Frédéric Piancastelli, le chef de la direction de la demanderesse, cette dernière a entre autres fourni à la Cour de nombreuses impressions d’écran. Il est allégué que ces impressions d’écran établissent que la demanderesse montrait la marque de commerce ROUGE FM sur son site Web, à partir du 1er juillet 2005, et ce, jusqu’en 2012. Des données statistiques ont aussi été présentées concernant le nombre de personnes dans le monde qui avaient visité le site Web de la demanderesse depuis 2005, ainsi qu’au sujet de l’auditoire réel à partir de 2009. La demanderesse a également présenté des messages que la station radio avait reçus sur Facebook de la part d’auditeurs canadiens.

 

VII.     Les observations de la défenderesse

[25]           La défenderesse allègue que la demanderesse, qui a la charge de la preuve, n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’enregistrement de la marque de commerce RED FM est invalide au titre de n’importe lequel des motifs allégués. À l’appui de sa prétention, la défenderesse invoque cinq arguments principaux, soit que la demanderesse :

 

(1)  n’a pas prouvé que la défenderesse avait obtenu l’enregistrement de la marque de commerce RED FM de manière frauduleuse et que l’enregistrement est nul ab initio;

(2)  n’a pas prouvé qu’elle avait employé sa marque de commerce ROUGE FM au cours de la période allant de juillet à décembre 2005, c.‑à‑d., avant que la défenderesse commence à employer la marque de commerce RED FM au Canada;

(3)  n’a pas établi qu’il existait une probabilité de confusion entre les deux marques de commerce;

(4) n’aurait pas le droit d’enregistrer sa marque de commerce ROUGE FM, étant donné qu’elle donnerait une description fausse, parce qu’au Canada, la demanderesse utilise Internet et non la radiodiffusion sur les ondes FM;

(5)  n’aurait pas eu l’autorisation d’enregistrer sa marque de commerce ROUGE FM en 2005, parce qu’elle n’avait pas obtenu les autorisations législatives et réglementaires nécessaires pour offrir ses services au Canada, qui sont semblables aux services à l’égard desquels la défenderesse est titulaire d’un enregistrement.

 

            A. La marque de commerce RED FM n’est pas nulle ab initio

 

[26]           La demanderesse allègue que la défenderesse a obtenu l’enregistrement de sa marque de commerce RED FM de manière frauduleuse. Elle se fonde principalement sur un document que la défenderesse a elle‑même présenté au CRTC et qui précise que la défenderesse a commencé à diffuser sur les ondes en janvier 2006. Cependant, la défenderesse a déposé des documents attestant que le document en question ne faisait que référer au début de la diffusion des émissions radiophoniques. Avant cela, il y a eu une boucle d’essai de décembre 2005 à janvier 2006 et cette boucle d’essai est considérée comme de la diffusion au grand public pour l’application des lois canadiennes. Qui plus est, contrairement à ce que la demanderesse laisse entendre, la défenderesse a en fait fourni un grand nombre de documents, y compris des documents financiers, selon lesquels les activités de diffusion ont commencé en 2005.

 

            B. L’absence de preuve de l’emploi de la marque de commerce ROUGE FM au Canada

[27]           La demanderesse n’a également pas établi qu’elle avait employé sa marque de commerce au Canada entre les mois de juillet et de décembre 2005. La jurisprudence sur laquelle la demanderesse se fonde doit être interprétée en fonction de son contexte. Plus particulièrement, bien qu’il ait été décidé qu’une marque de commerce apparaissant à l’écran sur un site Web au Canada constituait un emploi au titre du paragraphe 4(2) de la Loi, indépendamment de la provenance des renseignements, cela ne devrait pas être interprété comme une déclaration générale. Les tribunaux ont effectivement par ailleurs précisé que le simple fait de montrer une marque de commerce ne pouvait être considéré comme un « emploi » qu’à l’égard de services d’information sur le Web relatifs au Canada et fournis dans ce pays. La distinction s’établit entre les services exécutés au Canada et les services exécutés à l’extérieur du Canada; dans la jurisprudence, il a été interprété que, lorsque l’annonce (exposition) est la seule manière dont la marque a été employée au titre du paragraphe 4(2) de la Loi, les services annoncés doivent être offerts au Canada. En l’espèce, la demanderesse n’offre pas de services au Canada mais en Suisse.

 

[28]           Plus important encore, l’interprétation que fait la demanderesse de la jurisprudence – soit que le simple fait de montrer une marque de commerce constitue l’annonce de services au sens du paragraphe 4(2) de la Loi – rendrait inutile la distinction faite dans la Loi entre le terme « employer » (au sens de l’article 4) et le terme « faire connaître » (au sens de l’article 5) au Canada.

 

[29]           De plus, la défenderesse soulève des doutes sérieux en ce qui concerne les éléments de preuve présentés par la demanderesse au sujet des statistiques sur les utilisateurs et des appels de fichiers allégués sur le site Web de la demanderesse, particulièrement en ce qui concerne le fait que le souscripteur d’affidavit de la demanderesse a admis, lors du contre‑interrogatoire au sujet de l’affidavit, qu’il était impossible de savoir, pour le mois de juillet 2005, combien d’appels de fichiers provenaient effectivement du Canada, qu’il n’y avait pas de statistiques sur les activités relatives aux auditeurs avant 2009 et qu’il était impossible de savoir si un utilisateur qui appelait des fichiers sur le site Web de la demanderesse faisait vraiment la lecture en continu de fichiers sonores. Il n’existe donc aucune preuve concrète que des Canadiens ont accédé au site Web de la demanderesse entre les mois de juillet et de décembre 2005.

 

[30]           La défenderesse soutient que sa station radio a commencé à diffuser sur les ondes le 21 décembre 2005 et qu’elle a employé la marque de commerce RED FM à partir de cette date. Comme je l’ai déjà mentionné, la défenderesse a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce le jour suivant et la marque a été enregistrée le 26 mai 2008. Contrairement à la demanderesse, la défenderesse est établie au Canada. La marque de commerce a été employée à partir du 21 décembre 2005 sur les ondes pendant les émissions, ainsi que pour l’émission d’un signal au moyen du système de radiodiffusion de données [RBDS], lequel diffusait le message « RED FM » pour qu’il apparaisse à l’écran des postes radio.

 

[31]           En outre, l’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse a trait à l’« [e]xploitation d’une station de radio, [des] services de radiodiffusion et [la] programmation d’émissions de radio sur la diversité ethnique », soit des services qui ne sont pas offerts par la demanderesse. En fait, la demanderesse offre des services de radiodiffusion en Suisse et offre seulement un lien vers l’audio en continu au Canada. Comme je l’ai déjà mentionné, la demande d’enregistrement de marque de commerce que la demanderesse a présentée en 2011 avait trait à ce qui suit : Communications radiophoniques; Diffusions d’émissions radiophoniques; Transmission de son, de messages par terminaux d’ordinateurs, nommément diffusion de programmes de musique, de radio par ordinateurs » (non souligné dans l’original). La défenderesse soutient donc que la demanderesse pouvait seulement faire valoir qu’elle avait offert, au Canada, la deuxième partie des services énumérés (le passage souligné ci‑dessus) [le deuxième ensemble de services]. Cependant, la demanderesse n’a même pas établi cela, compte tenu des éléments de preuve peu convaincants qu’elle a présentés à cet égard et, surtout, du fait qu’elle n’avait pas de statistiques relativement à son auditoire avant 2009.

 

            1. L’absence de confusion

[32]           La demanderesse n’a pas établi que, compte tenu des circonstances de l’espèce, les marques de commerce ROUGE FM et RED FM créent effectivement de la confusion selon le critère prescrit par le paragraphe 6(5) de la Loi. La défenderesse soutient que les quatre premiers éléments du critère – les alinéas 6(5)a) à d) – sont dans les faits en faveur de sa position et non de celle de la demanderesse.

 

            2. La description fausse

[33]           La défenderesse rappelle à la Cour que, selon l’alinéa 12(1)b) de la Loi, une marque de commerce ne peut pas être enregistrée si elle « […] donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer […] ». En l’espèce, le deuxième élément de la marque de commerce ROUGE FM – FM – renvoie expressément à des services de radiotransmission sur les ondes. Une entreprise donnerait donc une description fausse si elle enregistrait la marque ROUGE FM en liaison avec des services offerts au Canada sur le Web seulement. Par conséquent, la demanderesse ne pouvait même pas envisager de faire enregistrer sa marque de commerce.

            3. L’absence d’autorisation législative

[34]           Comme je l’ai déjà mentionné, parmi tous les services que la demanderesse allègue avoir exécutés, les seuls services qui sont comparables à ceux offerts par la défenderesse sont les services de « communications radiophoniques » et de « diffusions d’émissions radiophoniques ». Non seulement la demanderesse n’a pas exécuté ces services, elle n’aurait pas pu les exécuter, étant donné qu’elle ne détenait pas les licences requises du CRTC et d’Industrie Canada, aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, LC 1991, ch 11 [la Loi sur la radiodiffusion], et de la Loi sur la radiocommunication, LRC (1985), ch R‑2. Par conséquent, la demanderesse n’aurait jamais pu obtenir l’enregistrement de sa marque de commerce si elle avait essayé de l’enregistrer en 2005.

 

VIII.   Les questions soulevées

[35]           Pour décider si la marque de commerce canadienne déposée no LMC715146 doit être tenue pour invalide et radiée, la Cour doit répondre aux questions suivantes :

 

1.  L’enregistrement de la marque de commerce canadienne no LMC715146, RED FM, est‑il nul ab initio parce que la défenderesse a fait une assertion inexacte et frauduleuse en ce qui concerne la date de premier emploi au Canada?

 

2.  Subsidiairement, l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no LMC715146, RED FM, est‑il invalide suivant les dernières lignes du paragraphe 18(1) de la Loi, parce que l’auteur de la demande d’enregistrement, la défenderesse, n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement si l’on tient compte du fait que, à la date à laquelle la marque a été employée pour la première fois, celle‑ci créait de la confusion avec la marque de commerce ROUGE FM employée au Canada par la demanderesse (au titre de l’alinéa 16(1)a) de la Loi)?

 

                 Cette question particulière comporte deux sous-questions :

2.1    La demanderesse a‑t‑elle établi qu’elle avait employé sa marque de commerce ROUGE FM avant décembre 2005, c.‑à‑d. avant que la défenderesse emploie la marque RED FM, en liaison avec des services de radiodiffusion, et, le cas échéant, cela justifie‑t-il la radiation de la marque de commerce de la défenderesse suivant l’article 17 de la Loi?

 

2.2    La demanderesse a‑t‑elle établi qu’elle avait employé sa marque de commerce ROUGE FM avant décembre 2005, c.‑à‑d. avant que la défenderesse emploie la marque RED FM, en liaison avec le deuxième ensemble de services visé dans sa demande d’enregistrement de marque de commerce, et, le cas échéant, cela justifie‑t-il la radiation de la marque de commerce de la défenderesse suivant l’article 17 de la Loi?

 

IX.      Analyse

            A. La compétence et la qualité

[36]           Il faut d’abord décider si la Cour a compétence pour entendre la présente demande et si la demanderesse a qualité pour présenter la demande en question. Selon le paragraphe 57(1) de la Loi, la Cour a compétence exclusive pour ordonner la radiation d’une marque de commerce déposée. De plus, cette disposition accorde à la demanderesse qualité pour présenter sa demande en tant que « personne intéressée » dans l’affaire :

 

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985),

ch T-13

 

PROCÉDURES JUDICIAIRES

 

Juridiction exclusive de la Cour fédérale

 

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

[Non souligné dans l’original.]

Trade-marks Act, RSC, 1985,

c T-13

 

 

LEGAL PROCEEDINGS

 

Exclusive jurisdiction of Federal Court

 

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 

[My emphasis.]

 

[37]           De plus, l’article 17 de la Loi prévoit ce qui suit :

 

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985),

ch T-13

 

VALIDITÉ ET EFFET DE L’ENREGISTREMENT

 

Effet de l’enregistrement relativement à l’emploi antérieur, etc.

 

17. (1) Aucune demande d’enregistrement d’une marque de commerce qui a été annoncée selon l’article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement ou son prédécesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d’établir qu’il n’avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l’annonce de la demande du requérant.

 

Quand l’enregistrement est incontestable

 

(2) Dans des procédures ouvertes après l’expiration de cinq ans à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce ou à compter du 1er juillet 1954, en prenant la date qui est postérieure à l’autre, aucun enregistrement ne peut être radié, modifié ou jugé invalide du fait de l’utilisation ou révélation antérieure mentionnée au paragraphe (1), à moins qu’il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l’a fait alors qu’elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.

 

[Non souligné dans l’original.]

Trade-marks Act, RSC, 1985,

c T-13

 

 

VALIDITY AND EFFECT OF REGISTRATION

 

Effect of registration in relation to previous use, etc.

 

 

17. (1) No application for registration of a trade-mark that has been advertised in accordance with section 37 shall be refused and no registration of a trade-mark shall be expunged or amended or held invalid on the ground of any previous use or making known of a confusing trade-mark or trade-name by a person other than the applicant for that registration or his predecessor in title, except at the instance of that other person or his successor in title, and the burden lies on that other person or his successor to establish that he had not abandoned the confusing trade-mark or trade-name at the date of advertisement of the applicant’s application.

 

 

 

 

 

When registration incontestable

 

 

(2) In proceedings commenced after the expiration of five years from the date of registration of a trade-mark or from July 1, 1954, whichever is the later, no registration shall be expunged or amended or held invalid on the ground of the previous use or making known referred to in subsection (1), unless it is established that the person who adopted the registered trade-mark au Canada did so with knowledge of that previous use or making known.

 

 

 

 

 

[My emphasis.]

 

[38]           Par conséquent, le paragraphe 17(1) de la Loi permet à une personne telle que la demanderesse d’introduire la présente instance. Cependant, cette disposition stipule également qu’il incombe à la demanderesse d’établir le bien‑fondé de ses prétentions. Quant à la question du délai prescrit au paragraphe 17(2) de la Loi, comme la marque de commerce RED FM a été enregistrée le 26 mai 2008 et l’avis de demande en l’espèce a été déposé le 4 octobre 2012, la demanderesse respecte tout à fait le délai imparti pour aller de l’avant avec son action. La Cour conclut donc qu’elle a compétence en l’espèce et que la demanderesse a qualité pour présenter la demande.

 

            B. Le régime juridique           

[39]           L’article 17 de la Loi, reproduit ci‑dessus, permet la radiation de l’enregistrement d’une marque de commerce du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement de la marque de commerce a antérieurement employé la marque de commerce en question. Il s’agit de la disposition invoquée par la demanderesse. Selon le paragraphe 17(1) de la Loi, la demanderesse doit prouver ce qui suit : (1) elle a employé sa propre marque de commerce (ROUGE FM) au Canada avant que la défenderesse emploie sa marque de commerce (RED FM), (2) les marques de commerce créaient de la confusion (au sens du paragraphe 6(2) de la Loi) et (3) la demanderesse n’avait pas abandonné sa marque de commerce à la date de l’annonce de la demande d’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse. La marque de commerce de la défenderesse peut être tenue pour invalide et radiée par la Cour seulement si ces trois conditions sont remplies.

 

[40]           De plus, le paragraphe 18(1) de la Loi énonce les situations précises dans lesquelles l’enregistrement d’une marque de commerce doit être tenu pour invalide suivant la Loi. Plus particulièrement, pour la présente affaire, les dernières lignes du paragraphe 18(1) de la Loi prévoient que, si l’auteur de la demande n’est pas la « personne ayant droit [d’obtenir l’enregistrement] » à la date de la demande, l’enregistrement est invalide. Pour savoir qui au juste est la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement, il faut examiner l’article 16 de la Loi, et plus particulièrement, encore une fois pour la présente affaire, l’alinéa 16(1)a), qui prévoit ce qui suit :

 

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985),

ch T-13

 

PERSONNES ADMISES À L’ENREGISTREMENT DES MARQUES DE COMMERCE

 

Enregistrement des marques employées ou révélées au Canada

 

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

 

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

 

[…]

Trade-marks Act, RSC, 1985,

c T-13

 

 

PERSONS ENTITLED TO REGISTRATION OF TRADE-MARKS

 

Registration of marks used or made known au Canada

 

 

16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used au Canada or made known au Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

 

 

 

 

(a) a trade-mark that had been previously used au Canada or made known au Canada by any other person;

 

[…]

 

[41]           Compte tenu de ce régime législatif, si la demanderesse souhaite avoir gain de cause en l’espèce, elle doit convaincre la Cour qu’elle a employé sa marque de commerce avant la défenderesse, qu’elle n’a pas abandonné sa marque de commerce et que les deux marques de commerce créaient de la confusion. La Cour n’aurait alors d’autre choix que de conclure que la défenderesse n’était pas la personne ayant le droit de présenter la demande d’enregistrement pour la marque de commerce RED FM et, donc, de tenir pour invalide et de radier la marque de commerce de cette dernière.

 

[42]           Il est bien établi en droit qu’une marque de commerce déposée est présumée valide et qu’il incombe à la partie qui cherche à faire radier l’enregistrement de cette marque, en l’espèce la demanderesse, de convaincre la Cour de son invalidité (voir par exemple la décision Andrés Wines Ltd c Vina Concha Y Toro SA, 2001 CFPI 575, au paragraphe 8, [2001] ACF n893).

 

[43]           Ce qui suit est une explication plus détaillée du critère à trois volets auquel la demanderesse doit satisfaire pour que la Cour accueille sa demande de radiation.

            1. Emploi antérieur

[44]           Les tribunaux ont abordé dans la jurisprudence la question de savoir si l’emploi d’une marque de commerce sur un site Web constitue un emploi au Canada pour l’application de la Loi, plus particulièrement du paragraphe 4(2) de la Loi. Dans son mémoire, la demanderesse s’appuie sur des précédents de la Cour qui doivent être replacés dans leur contexte parce que, comme l’a souligné la défenderesse, la demanderesse voudrait que la Cour fasse une interprétation beaucoup trop générale.

 

[45]           En effet, en ce qui concerne la notion de l’emploi, la demanderesse se fonde principalement sur la décision HomeAway.com, Inc. c Hrdlicka, 2012 CF 1467, [2012] ACF n1665 [HomeAway], ainsi que sur le passage suivant, au paragraphe 22 :

 

[22]      J’estime donc qu’une marque de commerce qui figure sur le site Web d’un écran d’ordinateur au Canada constitue, pour l’application de la Loi sur les marques de commerce, un emploi et une annonce faits au Canada, et ce, indépendamment de la provenance des renseignements ou du lieu où ils sont stockés.

 

[46]           Compte tenu de cette décision, la demanderesse prétend que le simple fait qu’une marque de commerce apparaisse à l’écran d’un ordinateur sur Internet, indépendamment de la provenance de la marque de commerce, est suffisant pour prouver que la marque de commerce a été « employée » au sens de la Loi. Cependant, la Cour doit se ranger du côté de l’interprétation qu’a faite la défenderesse de la décision et mettre cette conclusion en contexte. Dans la décision HomeAway, précitée, la marque de commerce a été utilisée en liaison avec des services qui étaient effectivement offerts en ligne à des Canadiens. Comme la défenderesse l’a à juste titre précisé dans son mémoire, il existe [traduction] « une importante distinction entre des services exécutés au Canada et des services exécutés à l’extérieur du Canada, peut-être pour des Canadiens ». Bien qu’il soit vrai que le paragraphe 4(2) prévoit qu’une « marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution […] de ces services », les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs, dont la Commission des oppositions des marques de commerce, ont néanmoins ajouté que de tels services doivent effectivement être offerts à des Canadiens ou exécutés au Canada (voir, par exemple, la décision Express File Inc. c HRB Royalty Inc., 2005 CF 542, au paragraphe 20, [2005] ACF no 667).

 

[47]           Aller à l’encontre de cette interprétation logique du droit entraînerait des conséquences aberrantes et malheureuses, et il est impossible que telle ait été l’intention du législateur lorsqu’il a rédigé la Loi. Par exemple, si nous adoptons le point de vue de la demanderesse, n’importe quel titulaire de marque de commerce étranger pourrait demander et obtenir la radiation d’une marque de commerce canadienne authentique compte tenu d’un emploi antérieur sur le Web, même si ce propriétaire de marque de commerce n’avait, pour l’essentiel, rien à voir avec le Canada et n’était pas réellement présent au pays. Comment pourrait‑il être logique d’interpréter le régime législatif applicable d’une façon qui menace tous les propriétaires canadiens de marques de commerce de perdre leur marque de commerce au profit d’une marque de commerce n’ayant aucun lien avec le Canada? Faudrait‑il s’attendre à ce que les entreprises canadiennes se protègent contre toutes les entreprises du monde entier qui ont un site Web accessible au Canada? Cela serait‑il même possible? Il serait illogique et impossible d’adopter ce point de vue.

 

[48]           Qui plus est, la défenderesse allègue à juste titre qu’une telle situation serait impensable si les rôles étaient inversés dans la présente affaire. Un propriétaire canadien d’une marque de commerce aurait‑il le droit de demander qu’un propriétaire étranger d’une marque de commerce cesse d’utiliser sa marque de commerce si la présence au Canada de ce propriétaire étranger se limitait à Internet? Plus particulièrement, si la Cour confirme la validité de la marque de commerce RED FM, la défenderesse pourrait‑elle alors demander à la demanderesse de cesser de diffuser en continu ses émissions en ligne, parce qu’il se pourrait que l’un des auditeurs soit Canadien? Encore une fois, cela est tout à fait absurde. La notion de l’exécution des services est essentielle.

 

[49]           Par conséquent, la demanderesse devra prouver qu’elle a employé sa marque de commerce en liaison avec des services qu’elle a effectivement fournis à des Canadiens ou exécutés au Canada.

 

[50]           En ce qui a trait à la question de l’emploi antérieur, il va sans dire que la demanderesse doit convaincre la Cour qu’elle a employé, au sens des dispositions législatives applicables et de la jurisprudence, la marque ROUGE FM avant que la défenderesse n’emploie RED FM.

 

            2. Conclusion

[51]           Pour établir si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce au titre du paragraphe 6(2) de la Loi – la disposition législative applicable en l’espèce – la Cour doit tenir compte de toutes les « circonstances de l’espèce », y compris des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi :

 

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985),

ch T-13

 

DÉFINITIONS ET INTERPRÉTATION

 

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

6. (1) […]

 

Éléments d’appréciation

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

 

Trade-marks Act, RSC, 1985,

c T-13

 

 

INTERPRETATION

 

 

When mark or name confusing

 

 

6. (1) […]

 

What to be considered

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

 


            3. Non-abandon

[52]           Cet élément va plutôt de soi : la demanderesse devra prouver qu’elle a employé, de manière continue, la marque ROUGE FM à compter de la date à laquelle elle prétend avoir commencé à l’employer jusqu’à la date de l’annonce de la demande de la défenderesse en vue d’enregistrer la marque de commerce RED FM.

 

            C. Analyse

1.   L’enregistrement de la marque de commerce canadienne portant le no LMC715146 est-il nul ab initio, en raison du fait que la défenderesse avait fait une assertion frauduleuse et inexacte quant à la date de premier emploi au Canada?

 

[53]           Lors de l’audience, les deux parties ont minimisé l’importance de cette question et elles ont davantage mis l’accent sur la deuxième question. Les présents motifs ont donc été rédigés en conséquence.

 

[54]           Il convient de répondre manifestement par la négative à cette question. La Cour est convaincue que la défenderesse a bel et bien entrepris une boucle d’essai à compter du 21 décembre 2005, soit avant le début de sa diffusion d'émissions radiophoniques le 23 janvier 2006, et je conclus qu’il n’y a aucune contradiction entre la demande de la défenderesse visant l’enregistrement de la marque de commerce RED FM et le début de l’exploitation d’une station radio. Cette conclusion est aussi étayée par deux affidavits. Le premier, souscrit par M. Mark Lewis, l’avocat de la défenderesse en matière de réglementation des médias qui est chargé de s’occuper du document faisant l’objet du litige et qui prétend avoir organisé l’examen technique ayant conduit à la décision de RED FM d’amorcer sa boucle d’essai de diffusion le 21 décembre 2005 (voir le dossier de requête de la demanderesse (DRD), volume 4, onglet 5, au paragraphe 29). Le deuxième affidavit, souscrit par M. Dave Glasstetter, dans lequel il allègue avoir été présent lors de la diffusion initiale du 21 décembre 2005 et qui prétend avoir vu, à plusieurs reprises au cours de la journée, la marque de commerce « RED FM » apparaître sur les écrans des postes radio munis de la technologie RBDS (voir le DRD, volume 5, onglet E-1, aux paragraphes 2 et 3).

 

[55]           Pour dire les choses simplement, il incombait à la demanderesse, qui invoquait que l’assertion inexacte était un motif d’invalidité de l’enregistrement, de prouver ses allégations. La présomption de validité doit être maintenue, étant donné que la Cour n’a pas été convaincue par la preuve insuffisante produite par la demanderesse. Il n’y a manifestement pas eu assertion inexacte frauduleuse.

 

2.   Subsidiairement, l’enregistrement de la marque de commerce no LMC715146, RED FM, est-il invalide suivant les dernières lignes du paragraphe 18(1) de la Loi, parce que l’auteur de la demande d’enregistrement, la défenderesse, n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement si l’on tient compte du fait que, à la date à laquelle la marque a été employée pour la première fois, celle-ci créait de la confusion avec la marque de commerce ROUGE FM employée au Canada par la demanderesse (au titre de l’alinéa 16(1)a) de la Loi)?

 

[56]           Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse doit établir son emploi antérieur de la marque de commerce ROUGE FM en liaison avec des services offerts aux Canadiens ou exécutés au Canada, qu’elle n’a pas abandonné sa marque de commerce ROUGE FM depuis, et que la marque RED FM créait de la confusion avec sa marque ROUGE FM. Avant d’amorcer l’analyse, il convient de souligner que la demande de la demanderesse visait l’enregistrement de ROUGE FM à titre de marque de commerce pour des services en liaison avec les « communications radiophoniques; [les] diffusions d’émissions radiophoniques; [la] transmission de son, de messages par terminaux d’ordinateurs, nommément diffusion de programmes de musique, de radio par ordinateurs [non souligné dans l’original] », alors que la défenderesse a enregistré sa marque en liaison avec des services se rapportant à « [l’e]xploitation d’une station de radio, [aux] services de radiodiffusion et [à la] programmation d’émissions de radio sur la diversité ethnique ». La Cour est d’avis que seule la première partie de la demande de la demanderesse, qui est soulignée ci-dessus, est commune aux deux parties, soit les services se rapportant aux « communications radiophoniques [et aux] diffusions d’émissions radiophoniques ». Il convient de traiter cette partie en premier lieu, et de se pencher sur le dernier ensemble de services par la suite.

 

2.1 La demanderesse a-t-elle établi qu’elle avait employé sa marque de commerce ROUGE FM avant décembre 2005, c.-à-d., avant que la défenderesse emploie la marque RED FM, en liaison avec des services de radiodiffusion et, le cas échéant, cela justifie-t-il la radiation de la marque de commerce de la défenderesse suivant l’article 17 de la Loi?

 

[57]           Comme l’a habilement expliqué la demanderesse, la Loi et la jurisprudence établissent effectivement une distinction entre l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises ou l’emploi en liaison avec des services, et, comme il est mentionné ci-dessus, la demanderesse prétend offrir des services – soit, des services de radiodiffusion – à la population canadienne par l’entremise de son site Web. La Cour, en s’appuyant sur cette affirmation de la demanderesse, doit établir si sa prétention est juste ou non.

 

[58]           En passant, la Cour constate qu’il est de notoriété publique que la diffusion radiophonique au Canada est bien plus que la simple transmission d’ondes sonores. La diffusion radiophonique facilite les relations entre les membres de la collectivité, elle comporte un contenu à saveur sociale se rapportant à la collectivité en question, elle permet l’identification aux annonceurs et aux animateurs, elle engendre un attrait à l’égard de certains services liés à la publicité lors de la diffusion, elle véhicule des messages communautaires d’intérêt social, etc. En gardant à l’esprit ces renseignements contextuels, nous verrons plus tard toutefois qu’un examen de la jurisprudence enseigne que certains facteurs doivent être pris en compte lors d’une analyse sur les entreprises de radiodiffusion pour les besoins de nos conclusions.

 

[59]           Par conséquent, la Cour doit tout d’abord établir si les activités en ligne de la demanderesse constituent de la « radiodiffusion » pour les besoins de la législation canadienne. À cet égard, la demanderesse allègue que ROUGE FM est une « entreprise de radiodiffusion de nouveaux médias » au sens de l’ordonnance no 1999‑197 du CRTC (l’ordonnance du CRTC), ce qui signifie que ses activités de radiodiffusion ne sont pas réglementées au Canada, mais qu’elles constituent néanmoins de la radiodiffusion. L’ordonnance du CRTC était effectivement rendue nécessaire dans le contexte de l’arrivée de nouveaux médias, et surtout l’arrivée d’Internet. Le CRTC ne pouvait pas réglementer tout le contenu radiodiffusé ciblant les auditeurs canadiens : cette tâche serait carrément insurmontable. Par conséquent, le CRTC a déréglementé certains services au moyen d’une « ordonnance d’exemption », au titre de laquelle les entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias n’avaient pas à obtenir de licence du CRTC pour offrir des services de radiodiffusion. Il s’ensuit que le demandeur allègue être une entreprise de diffusion de nouveaux médias, mais la Cour en vient à une conclusion différente, pour les motifs exposés ci-dessous.

 

[60]           Il convient de relever que l’ordonnance du CRTC emploie le terme « entreprise de radiodiffusion », ce qui constitue un renvoi direct à la loi. En fait, le paragraphe 4(2) de la Loi sur la radiodiffusion prévoit qu’elle « s’applique aux entreprises de radiodiffusion exploitées – même en partie – au Canada […] [non souligné dans l’original] ». Par conséquent, seules les entreprises de radiodiffusions exploitées au moins en partie du Canada sont assujetties à cette loi. Pour en venir à cette conclusion, la Cour a examiné la jurisprudence et s’est rendu compte qu’au cours des dernières années, diverses cours de justice à l’échelle du pays ont jeté un éclairage, au moyen de leurs décisions, sur ce qui pourrait être l’interprétation adéquate de l’expression « exploitées – même en partie – au Canada ». Il était tout à fait juste et important pour les cours de faire une telle chose, étant donné que cette partie de la disposition définit le concept « d’entreprises de radiodiffusion » relativement à l’application de la Loi sur la radiodiffusion ainsi que, presque inévitablement, de tous les instruments juridiques adoptés en vertu de cette loi. Il est possible, après examen des précédents pertinents, de déceler certains critères employés par les cours de justice pour déterminer si une entreprise est exploitée en totalité ou en partie au Canada, c.-à-d., la question de savoir s’il y a un lien entre l’entreprise en question et le Canada, surtout en ce qui a trait à la transmission de la programmation par l’intermédiaire du Web. L’existence d’un tel lien serait nécessaire pour que toute « entreprise de radiodiffusion », y compris la station ROUGE FM, soit considérée comme telle au titre de la législation canadienne. Lors de l’audience, la Cour a exposé aux parties les décisions pertinentes qu’elle avait relevées dans le cadre de cet exercice; les parties ont ensuite été invitées à formuler des observations supplémentaires quant à la question. La Cour, en gardant ces observations à l’esprit, exposera entre autres les critères pertinents dans les paragraphes qui suivent.

 

[61]           Premièrement, le contenu offert par le site Web est-il stocké sur des serveurs situés au Canada? Voir l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 RCS 427 (Société des compositeurs), au paragraphe 61, qui se rapporte au situs du fournisseur de contenu. Dans la présente affaire, la demanderesse a relaté que, dans les faits, le contenu qu’elle transmet n’est pas stocké sur des serveurs canadiens.

 

[62]           Deuxièmement, la demanderesse a-t-elle une présence physique au Canada, par exemple, un bureau? À titre d’illustration, voir la décision Pro-C Ltd c Computer City Inc, [2000] OJ no 2823, 7 CPR (4th) 193, au paragraphe 131, décision infirmée pour une autre question dans l’arrêt Pro‑C Ltd c Computer City, Inc, 55 OR (3d) 577, [2001] OJ no 3600, où il a été établi que la présence d’une boutique ou d’un bureau au Canada est un facteur pertinent pour trancher la question de savoir si l’utilisation d’un nom sur un site Web américain constituait un emploi au Canada pour les besoins de la Loi. La demanderesse n’est pas physiquement présente au Canada, et ne l’a pratiquement jamais été. Elle a eu une quelconque présence physique au Canada qu’une seule fois, soit en 2010, alors qu’elle a eu recours à un ancien animateur radio canadien pour couvrir les Jeux olympiques de Vancouver.

 

[63]           Troisièmement, la demanderesse sollicite‑t‑elle des annonceurs ou en a‑t‑elle réellement au Canada relativement au contenu qu’elle offre? Voir par exemple, l’arrêt Composers Authors and Publishers Association of Canada Ltd c Kvos Inc., [1963] RCS 136, dans lequel il a été conclu que le fait pour une société de radiodiffusion américaine de se présenter à des annonceurs comme étant capable de communiquer avec un grand nombre de Canadiens par radiodiffusion pouvait être utile pour régler la question de l’applicabilité de la Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985), ch C‑42 [la Loi sur le droit d’auteur], à ces radiodiffusions. La demanderesse a témoigné qu’elle ne cherchait pas d’annonceurs au Canada et qu’elle n’en avait pas.

 

[64]           Quatrièmement, existe-t-il une quelconque indication selon laquelle la demanderesse cible activement le public canadien dans sa programmation? Voir l’arrêt Society of Composers, précité, aux paragraphes 136 à 140, dans lequel il a également été conclu que cela pouvait permettre de régler la question de savoir si la Loi sur le droit d’auteur est applicable à certaines communications. La demanderesse affirme qu’elle cible les auditeurs francophones à l’extérieur de la Suisse. Toutefois, rien dans les éléments de preuve présentés par la demanderesse n’a convaincu la Cour qu’elle avait réellement pris des mesures visant à rassembler des auditeurs canadiens autres qu’une diffusion en continu et en direct de sa programmation en ligne.

 

[65]           Je crois que les critères susmentionnés sont cumulatifs et non exhaustifs – aucun d’eux ne pouvait être déterminant à lui seul et il pourrait y en avoir d’autres. Toutefois, ils aident à déterminer l’existence possible d’une relation entre ROUGE FM et le Canada et, si l’on examine ces critères dans leur ensemble, il semble plutôt évident qu’il n’y a en réalité aucun lien entre la demanderesse et le Canada en l’espèce. Par conséquent, la Cour conclut que les activités de la demanderesse relativement à ROUGE FM ne constituent pas une « entreprise de radiodiffusion », étant donné qu’elles ne sont pas « exploitées – même en partie – au Canada », et échappent par conséquent à la compétence du CRTC.

 

[66]           La demanderesse affirme être une [traduction] « entreprise de radiodiffusion de nouveaux médias » aux termes de l’ordonnance du CRTC susmentionnée. Toutefois, tel n’est pas le cas. L’ordonnance en question a été rendue en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi sur la radiodiffusion et doit, en conséquence, être interprétée et appliquée conformément à cette loi, y compris ses définitions. En fait, il est bien établi en droit que, sauf indication contraire, toute législation déléguée (y compris l’ordonnance du CRTC) doit être interprétée conformément au cadre et à la portée de sa loi habilitante. Par conséquent, compte tenu du fait que la demanderesse n’est pas une « entreprise de radiodiffusion » au sens de la Loi sur la radiodiffusion, comme cela a été récemment établi par la Cour, elle ne peut fort certainement pas être considérée comme étant une « nouvelle entreprise de radiodiffusion de nouveaux médias ».

 

[67]           Par conséquent, si la demanderesse ne relève pas du champ d’application du CRTC et qu’elle n’est pas une nouvelle entreprise de radiodiffusion de médias faisant l’objet d’une exemption, elle ne peut pas affirmer qu’elle a employé la marque de commerce ROUGE FM pour fournir des « services » de radiodiffusion aux Canadiens en vertu de la loi canadienne – en particulier en vertu du paragraphe 4(2) de la Loi – et elle ne peut non plus envisager de déposer une demande d’enregistrement de marque de commerce sur ce fondement.

 

[68]           Par voie de conséquence, la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir une radiation de l’enregistrement de la marque de commerce RED FM de la défenderesse doit être rejetée étant donné qu’elle concerne strictement la question de radiodiffusion.

 

3.   Qu’en serait‑il si les activités de la demanderesse constituaient réellement des « services » au sens de la loi canadienne?

 

[69]           Cela étant dit, au cas où la Cour aurait mal interprété l’ordonnance du CRTC et que les services offerts par la demanderesse constituent effectivement des « services » au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, la présente demande ne justifierait néanmoins pas la radiation de la marque de commerce de la défenderesse, parce qu’il n’existe pratiquement pas d’éléments de preuve pouvant étayer que les services en question ont réellement été exécutés au Canada entre juillet et décembre 2005, c’est‑à‑dire qu’il n’existe aucune preuve qu’il y a eu effectivement un emploi antérieur. La demanderesse n’a pas été en mesure de fournir des données se rapportant à son auditoire en ligne avant 2009, ce qui a rendu cette information inutile pour ce qui est de trancher la question de savoir si la demanderesse a employé sa marque de commerce ROUGE FM relativement à des services avant que la défenderesse n’emploie la marque de commerce RED FM.

 

[70]           La Cour doit recourir aux éléments de preuve fournis par la demanderesse concernant le nombre d’appels de fichiers sur son site Web provenant du Canada. Pour juillet 2005, la demanderesse a soutenu que 7,375 appels de fichiers sur son site Web provenaient du Canada. Cela représentait 0,21 % du total d’appels de fichiers sur le site Web de la demanderesse provenant du monde entier. D’autres données fournies concernant le mois de juillet 2005 font état d’un total de 24 645 adresses IP différentes (Total des sites uniques) ayant visité le site Web. Si l’on multipliait le nombre d’adresses IP par le pourcentage d’appels de fichiers provenant du Canada, on finirait par obtenir fort vraisemblablement le nombre d’appels de fichiers sur le site Web de la demanderesse provenant d’adresses IP canadiennes en juillet 2005. Le total serait de 51,77 appels de fichiers. Si l’on applique la même formule aux mois d’août à décembre, l’on obtient les résultats suivants pour les adresses IP canadiennes : 45,02 appels de fichiers (août); 39,92 appels de fichiers (septembre); 50,24 appels de fichiers (octobre); 20,45 appels de fichiers (novembre); 71,32 appels de fichiers (décembre). Il convient également de noter que le nombre d’appels de fichiers n’est pas le nombre de visites, mais le nombre de fichiers téléchargés d’un serveur lorsqu’on accède à une page : ex. chaque image, son, texte, etc. En conséquence, le chargement d’une seule page Web élaborée, comme celle de la station radio de la demanderesse, donnera indiscutablement lieu à un nombre élevé d’appels de fichiers. Une fois qu’on a compris cela, il devient évident que le trafic canadien sur le site Web de la demanderesse était presque inexistant ou nul. Qui plus est, la demanderesse n’était pas capable de convaincre la Cour que ce nombre extrêmement peu élevé d’appels de fichiers découlait effectivement de visites effectuées sur le site Web par des personnes et non par des agents numériques.

 

[71]           En conséquence, même si la Cour avait conclu que la diffusion en continu et en directe de la station radio de la demanderesse au Canada devait être considérée comme étant des services en vertu de la loi canadienne, la demanderesse n’aurait toujours pas réussi à produire des éléments de preuve convaincants de nature à justifier qu’elle avait effectivement employé la marque de commerce ROUGE FM au Canada relativement à ces services, en vertu de la loi canadienne, longtemps avant que l’intimée n’emploie la marque de commerce RED FM. Par conséquent, la Cour aurait tout de même conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à prouver son emploi antérieur de la marque de commerce ROUGE FM et aurait rejeté la demande en radiation étant donné qu’elle se rapporte à l’exécution de services de radiodiffusion au Canada.

 

2.2 La demanderesse a‑t‑elle établi qu’elle avait employé sa marque de commerce ROUGE FM avant décembre 2005, c.‑à‑d., avant que la défenderesse emploie RED FM, en liaison avec le deuxième ensemble de services visé dans sa demande d’enregistrement de marque de commerce, et, le cas échéant, cela justifie‑t-il la radiation de la marque de commerce de la défenderesse suivant l’article 17 de la Loi?

 

[72]           La Cour vient de conclure que la demanderesse n’est pas une « entreprise de radiodiffusion » , et que, par conséquent, elle ne peut pas offrir des services de radiodiffusion au Canada, et, compte tenu des services mentionnés dans la demande d’enregistrement de la demanderesse et dans la marque de commerce déposée de la défenderesse, il faut admettre que la demande d’enregistrement qui a donné naissance à la présente instance ne pouvait raisonnablement avoir été déposée qu’à l’égard du dernier ensemble de services auquel elle renvoie, plus particulièrement, la « [t]ransmission de son, de messages par terminaux d’ordinateurs, nommément diffusion de programmes de musique, de radio par ordinateurs ».

 

[73]           La question est donc la suivante : par hypothèse, si la demanderesse avait déposé une demande d’enregistrement de sa marque de commerce ROUGE FM relativement à ce dernier ensemble de services, pourrait-elle raisonnablement envisager que cette demande soit acceptée ou la demande serait-elle rejetée? De plus, cette éventuelle marque de commerce justifie-t-elle que la Cour intervienne afin de faire radier la marque de commerce de la défenderesse?

 

[74]           Afin de répondre à cette question, la Cour doit de nouveau examiner le paragraphe 17(1) de la Loi qui énonce les critères de la radiation : emploi antérieur d’une marque de commerce créant de la confusion et non-abandon de ladite marque de commerce. Ces critères s’appliquent de la manière suivante à la présente espèce.

 

            4. Emploi antérieur

[75]           Comme je l’ai déjà dit, la question de l’emploi antérieur a trait aux services exécutés au Canada. Après l’audience et après avoir été saisie de la preuve, la Cour est convaincue que les services de la station radiophonique de la demanderesse au Canada constitueraient effectivement de la transmission de son et de messages par terminaux d’ordinateurs aux Canadiens. De plus, comme je l’ai déjà mentionné, la simple exposition d’une marque de commerce ne peut constituer un emploi d’une marque de commerce que dans les cas où les services sont bel et bien offerts aux Canadiens (HomeAway, précitée), et contrairement à la question des services de « radiodiffusion », je conclus que cela aurait été le cas en l’espèce : la demanderesse aurait effectivement pu employer sa marque de commerce ROUGE FM durant la transmission de son et de messages par terminaux d’ordinateurs aux Canadiens. Toutefois, la Cour a déjà conclu que le trafic canadien sur le site Web de la demanderesse est plus que négligeable aux fins d’établir l’emploi de la marque de commerce en liaison avec des services de radiodiffusion. Les mêmes données de l’utilisateur s’appliquent au deuxième ensemble de services énumérés dans la demande d’enregistrement de la demanderesse, et, par conséquent, elles ne permettent pas de convaincre la Cour que la demanderesse a bel et bien fourni en date de juillet 2005 ces services aux Canadiens avec ROUGE FM avant que la défenderesse n’utilise RED FM.

 

[76]           Le fait que la demanderesse a été incapable d’établir l’emploi antérieur suffit pour que sa demande soit rejetée, mais je vais néanmoins examiner les deux derniers critères, c’est-à-dire la confusion et le non-abandon.

 

            5. Confusion

[77]           Pour examiner ce critère, la Cour doit déterminer si, dans les circonstances particulières de l’espèce, la marque de commerce ROUGE FM serait considérée comme créant de la confusion avec la marque de commerce RED FM au sens du paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce susmentionné? Comme l’a prétendu la défenderesse, la Cour conclut que, selon toute vraisemblance, ce n’est pas le cas. Ce qui suit est une application des critères pertinents à la présente affaire.

 

[78]           Le caractère distinctif inhérent (alinéa 6(5)a) de la Loi) – ROUGE et RED sont tous les deux des mots très courants et, par conséquent, ni l’un ni l’autre n’a un caractère distinctif. De plus, la mesure dans laquelle ROUGE FM est devenue connue à titre de marque de commerce au Canada entre juin et décembre 2005 est nulle.

 

[79]           La période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage (alinéa 6(5)b) de la Loi) – Même si la Cour acceptait (ce qu’elle n’a pas fait) que la demanderesse a employé ROUGE FM comme marque de commerce au Canada entre juin et décembre 2005, il s’agit d’une très courte période de temps, compte tenu surtout du très petit nombre d’appels de fichiers faits par des Canadiens sur le site Web de la demanderesse pendant cette période et de la nature intrinsèquement imprécise de la preuve soumise à cet effet.

 

[80]           Le genre de services (alinéa 6(5)c) de la Loi) – Comme je l’ai déjà dit, les services que la demanderesse offrirait aux Canadiens en employant sa marque de commerce sont très différents de ceux qui sont mentionnés dans la demande d’enregistrement initiale, car, en réalité, ils ne comprennent pas les services de radiodiffusion au sens de la loi canadienne. De plus, ils seraient très différents des services offerts par la défenderesse qui offre des services de radiodiffusion.

 

[81]           La nature du commerce (alinéa 6(5)d) de la Loi) – Comme je l’ai déjà expliqué, la demanderesse n’exerce absolument aucun commerce au Canada – elle n’a d’ailleurs absolument aucun lien avec le Canada – alors que la défenderesse a des bureaux, des employés et des publicitaires au Canada. La demanderesse offre tout simplement de la lecture audio en transit gratuite à tous les ordinateurs partout dans le monde.

[82]           Le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e) de la Loi) – À l’audience, la demanderesse a invoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] ACS no 27 [Masterpiece]. C’est le seul facteur qui milite en faveur de l’argument de la demanderesse selon lequel les marques de commerce créent de la confusion. En fait, dans une certaine mesure, elles auraient un très grand degré de ressemblance. La défenderesse prétend que leurs principaux publics cibles ne sont pas tous les mêmes (la demanderesse cible les Canadiens francophones et la programmation de la défenderesse vise un public anglophone et allophone). Toutefois, ce n’est pas la démarche qu’il convient d’adopter. La Cour suprême du Canada nous a enseigné dans l’arrêt Masterpiece, précité, aux paragraphes 28 à 33, que le régime canadien en matière de marques de commerce a une portée nationale, de sorte que le propriétaire d’une marque de commerce a le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada. Par conséquent, il ne convient pas de « diviser » les publics éventuels en fonction de leur situation géographique. À ce titre, ROUGE FM et RED FM pourraient effectivement être considérées comme ayant un degré élevé de ressemblance. Cela dit, bien que la demanderesse soutienne à juste titre que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion (voir l’arrêt Masterpiece, précité, au paragraphe 49), la Cour ajoute que ce n’est pas le seul facteur à prendre en compte. En l’espèce, les autres facteurs l’emportent sur celui du degré de ressemblance, surtout en raison du fait que les parties n’offrent pas le même type de services et que la demanderesse n’exerce pratiquement aucun commerce au Canada.

 

[83]           Conclusion sur la confusion – La Cour conclut que si, par hypothèse la demanderesse demandait l’enregistrement d’une autre marque de commerce relativement aux services qu’elle offre, cette marque de commerce ne causerait d’aucune façon de la confusion avec la marque de commerce déposée RED FM de la défenderesse indépendamment de leur degré de ressemblance.

 

            6. Non-abandon

[84]           Étant donné qu’il a déjà été conclu que les deux marques de commerce ne créeraient vraisemblablement aucune confusion, il n’est pas nécessaire d’examiner ce critère. Toutefois, la question est réglée par le premier critère : on ne peut pas abandonner une marque de commerce si on juge qu’elle n’a jamais été réellement employée au Canada au cours de la période pertinente (de juillet à décembre 2005).

 

[85]           De plus, il convient de souligner que, comme l’a soumis la défenderesse, l’octroi d’une marque de marque de commerce à la demanderesse en liaison avec le deuxième ensemble de services énoncé dans sa demande d’enregistrement donnerait naissance à une marque de commerce qui donne une description fausse et trompeuse au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Plus précisément, FM est un acronyme qui signifie « modulations de fréquence » et est associé aux services de radiodiffusion traditionnels, alors que le deuxième ensemble de services n’est dispensé que par le Web et non pas par voie aérienne. 

 

[86]           Par conséquent, vu que la demanderesse n’a pas réussi à prouver qu’elle a employé sa marque de commerce au Canada avant l’utilisation par la défenderesse de sa propre marque de commerce et vu que les deux marques de commerce ne créeraient vraisemblablement aucune confusion, la demande de la demanderesse en vue d’obtenir la radiation de la marque de commerce de la défenderesse doit également être rejetée, car elle ne concerne que le deuxième ensemble de services (la transmission de son, de messages par terminaux d’ordinateurs, nommément diffusion de programmes de musique, de radio par ordinateurs).

 

[87]           Vu que la Cour a rejeté la demande relativement à tous les services de la demanderesse, les deux prétendus services de radiodiffusion et le deuxième ensemble de services énumérés dans la demande, la Cour n’a pas d’autre choix que de rejeter la demande de radiation dans son intégralité.

 

[88]           En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je condamne la demanderesse à payer à la défenderesse des dépens de 6 000 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.   La demande de radiation de l’enregistrement au Canada de la marque de commerce no LMC715146, RED FM, appartenant à la défenderesse est rejetée;

 

2.    La demanderesse doit payer à la défenderesse des dépens de 6 000 $.

 

                                                                                                                  « Simon Noël »

 

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1766-12

 

INTITULÉ :

UNICAST SA c SOUTH ASIAN BROADCASTING CORPORATION INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

 

 

Le 27 mars 2014

 

 

COMPARUTIONS :

François Guay

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Paul D. Gornall

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

ELC Law Corp.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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