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Date : 20140401


Dossier :

IMM-3263-13

 

Référence : 2014 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2014

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

JUDIT HORVATH

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie, d’origine ethnique rom, âgée de 22 ans. En 2011, elle a quitté la Hongrie à destination du Canada et a présenté une demande d’asile à son arrivée. Contrairement à bien d’autres demandeurs d’asile roms, la demanderesse n’était pas victime de violence physique et elle avait occupé un emploi en Hongrie. Elle soutient avoir quitté la Hongrie en raison de la discrimination répandue dont sont victimes les Roms dans ce pays, et de sa crainte d’être victime d’une discrimination continue et possiblement d’actes de violence si elle restait en Hongrie.

 

[2]               Dans la décision qu’elle a rendue le 14 mars 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que la discrimination dont la demanderesse avait été victime en Hongrie n’équivalait pas à de la persécution et qu’elle n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection suffisante de l’État en Hongrie.

 

[3]               Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste ces deux conclusions.

 

[4]               Au cours des dernières années, la Cour et la Commission ont rendu une multitude de décisions à l’égard de demandes d’asile présentées par des citoyens roms de la Hongrie. Ces décisions ont donné lieu à des résultats variés; certains demandeurs d’asile se sont vu octroyer l’asile, d’autres non, et la Cour a annulé certaines décisions défavorables rendues par la SPR, tandis qu’elle ne l’a pas fait pour d’autres. Comme mon collègue le juge Zinn l’a récemment fait observer au paragraphe 2 du jugement Ignacz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), « [c]haque décision est fonction des faits qui sont propres à l’affaire et de la rigueur de l’analyse faite par la Commission, ce qui explique pourquoi de nombreuses demandes d’asile sont rejetées sur le fondement du critère de la protection de l’État alors que d’autres sont accueillies, même si les décisions reposent toutes sur le même cartable national de documentation ».

 

[5]               Les faits de l’espèce appuient la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas connu la persécution. De même, le traitement effectué par la Commission, de la documentation objective concernant la situation des Roms en Hongrie, était complet, équilibré et n’a pas seulement porté sur les aspirations de l’État hongrois en ce qui a trait à protéger ses citoyens roms, mais plutôt sur le niveau de protection véritablement disponible, de même que sur la question de savoir si la demanderesse avait réfuté la présomption d’une protection suffisante de l’État. Ainsi, pour ces motifs, qui sont précisés ci-dessous, la décision rendue par la SPR était raisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

Contexte factuel

[6]               La demanderesse a grandi dans le village de Diósjenő, une communauté du comté de Nógrád où vivent bon nombre de Roms. Elle a fréquenté l’école primaire et l’école secondaire, achevant ainsi 10 années d’études. Elle soutient qu’elle s’est fait agacer à l’école et que des camarades de classe l’ont appelée une [traduction] « sale gitane », ce qui l’a profondément blessée. Elle allègue également que sa sœur a été battue par des camarades d’école parce qu’elle était Rom, et que bien que ses parents se soient plaints au directeur, rien n’a été fait. Après avoir quitté l’école, la demanderesse a cherché du travail et présenté entre 10 et 15 demandes d’emploi avant d’être embauchée afin de travailler dans un supermarché, à remplir les étagères. Elle allègue que sa gérante a fait preuve de discrimination à son égard, l’a empêchée de prendre des pauses et lui a confié beaucoup plus de travail que ce qui était exigé de ses collègues, puisque sa gérante n’aimait pas les Roms. La demanderesse a donc quitté cet emploi. Elle affirme qu’il lui a fallu plusieurs mois avant d’en trouver un autre, et qu’en septembre 2011, elle a commencé à travailler dans une usine. Elle soutient que ses collègues ont souvent fait des remarques discriminatoires et que, parallèlement, l’hostilité à l’égard des Roms prenait de l’ampleur de manière générale à l’échelle du pays, et qu’il y avait un nombre croissant d’actes de violence perpétrés contre les Roms ainsi qu’une propagande haineuse. Elle a donc abandonné son deuxième emploi et quitté la Hongrie en octobre 2011 en compagnie de deux amis. Ils ont tous trois présenté des demandes d’asile à leur arrivée au Canada.

 

[7]               Ainsi qu’il est souligné, la demanderesse n’a jamais fait l’objet d’une attaque physique. Cependant, des membres de la garde hongroise d’extrême droite ont participé à des manifestations organisées contre les Roms dans le village de la demanderesse, lors desquelles cette dernière et les membres de sa famille ont dû se cacher dans leurs maisons sous l’effet de la crainte. La demanderesse n’a pas déposé de plainte au sujet de la discrimination qu’elle avait connue au travail de la part de ses supérieurs, ni de plainte auprès d’un organisme gouvernemental chargé du traitement des plaintes de discrimination. Elle ou les membres de sa famille n’ont par ailleurs déposé aucune plainte à la police à propos des gestes posés par la garde hongroise dans leur village.

 

La décision de la SPR

[8]               La SPR a reconnu que la demanderesse était un témoin crédible, soulignant qu’elle était « une jeune femme charmante » et que son témoignage était « très direct et [qu’]il ne contenait aucune exagération » (paragraphes 8 et 10 de la décision). Après avoir résumé le témoignage de la demanderesse au sujet de ses expériences, la Commission a examiné des points saillants tirés de plusieurs documents faisant partie du cartable national de documentation et a conclu que les Roms en Hongrie « font l’objet de discrimination au quotidien » (paragraphe 12 de la décision). La SPR a toutefois conclu que cette discrimination, dans le cas de la demanderesse, n’équivalait pas à de la persécution puisqu’elle n’avait pas personnellement été la cible d’actes de violence, qu’elle n’avait pas déposé de plainte relativement à la discrimination dont elle faisait l’objet au travail, et qu’elle n’avait donc pas été victime d’une absence d’aide de la part des autorités gouvernementales. La SPR a en outre conclu que la preuve documentaire, bien que « n’[étant] certainement pas idéale », a démontré que le gouvernement avait pris des mesures pour consacrer des ressources afin de traiter des plaintes de discrimination et de sanctionner les manifestations par des extrémistes du genre de celles qui étaient survenues dans le village de la demanderesse (paragraphes 26 à 28 de la décision).

 

[9]               La SPR a ensuite abordé la question de la protection de l’État, faisant remarquer que la Hongrie étant une démocratie qui fonctionne, il incombait à la demanderesse d’établir de manière claire et convaincante l’absence de protection dispensée par l’État en Hongrie. Elle a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de ce fardeau puisque la preuve documentaire n’est pas assez claire pour démontrer que tous les Roms en Hongrie n’ont pas accès à la protection de l’État. Pour reprendre les termes de la Commission, « [l]a preuve documentaire fait état de certains degrés d’inefficacité [...] Cependant, il est possible de constater qu’il existe diverses solutions auxquelles la [demanderesse] aurait pu tenter de recourir [...] [et] la Hongrie possède une infrastructure qui permet à une personne d’essayer d’obtenir justice ainsi qu’une protection » (paragraphe 30 de la décision).

 

[10]           Lorsqu’elle a examiné ces solutions et l’infrastructure, la SPR a cité de manière abondante et à mon avis de manière juste, le cartable national de documentation. À cet égard, elle a souligné les problèmes importants auxquels font face les Roms et les défis que connaît le gouvernement dans le traitement de la discrimination systémique dont les Roms ont historiquement fait l’objet en Hongrie. La SPR a fait remarquer que le gouvernement central hongrois avait adopté des mesures législatives pour venir en aide aux Roms, notamment par la prestation d’une aide juridique gratuite en ce qui concerne les plaintes de discrimination, la création d’ombudsmans, l’affectation de sommes d’argent à l’amélioration du logement et de l’éducation, l’élection de gouvernements autonomes pour les minorités et l’embauche de policiers roms. La Commission a ensuite souligné que ces différents programmes n’avaient pas réglé les difficultés des Roms, et a cité plusieurs exemples tirés de la preuve documentaire où des Hongrois d’origine ethnique rom n’avaient pas été suffisamment protégés des actes de violence perpétrés par l’extrême droite et qu’il avait été conclu que ces personnes souffraient toujours de discrimination et de difficultés. La SPR a conclu que la preuve documentaire démontrait d’une part « qu’il y a de graves problèmes [et] que de nombreux gestes sont apparemment posés de bonne foi [par le gouvernement hongrois] pour remédier à la situation » d’autre part, mais que la preuve documentaire faisait en sorte, pour la Commission, qu’il « est difficile de déterminer à quel point les mesures prises sont efficaces » (au paragraphe 25 de la décision). Dans cette optique, la Commission a estimé que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de réfuter la présomption que l’État hongrois pouvait lui assurer une protection suffisante.

 

Les arguments des parties

[11]           La demanderesse prétend que la conclusion de la SPR selon laquelle elle n’avait pas connu la persécution et implicitement, qu’elle ne risquait probablement pas de faire l’objet d’une persécution à l’avenir – constitue une erreur susceptible de contrôle et que la Commission a aussi conclu erronément qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de la protection suffisante de l’État. En appui à ces deux arguments, la demanderesse invoque de nombreux passages contenus dans la documentation objective qui soulignent la discrimination et les risques auxquels sont exposés les Roms en Hongrie. Le conseil a fait renvoi plus précisément aux éléments de preuve documentaire indiquant que le chômage au sein de la population rom est monnaie courante — 70 %, ou selon certaines estimations 90 %, des Roms hongrois seraient sans emploi —, que les conditions de logement des Roms sont inférieures à la norme, que bon nombre d’entre eux vivent en milieu rural dans des lieux assimilables à des bidonvilles, que leur espérance de vie moyenne est de dix années de moins que les autres Hongrois, et que selon diverses sources, les mouvements de l’extrême droite et la violence à l’égard des Roms étaient à la hausse lorsque la demanderesse a quitté la Hongrie. Le conseil de la demanderesse a aussi souligné divers passages du cartable national de documentation, et dans la décision même de la Commission, dans lesquels les efforts déployés par le gouvernement pour traiter de la situation ont fait l’objet de critiques, ce qui démontre, soutient‑elle, leur inefficacité. À cet égard, elle souligne le passage suivant tiré du paragraphe 28 de la décision :

Évidemment, la preuve documentaire démontre que les résultats obtenus ne sont pas encore ceux qui étaient escomptés. Cependant, il semble plutôt évident que le gouvernement prend des mesures concrètes afin de tenter d’améliorer la situation et qu’il ne reste pas sur la touche. Bien sûr, il faudra un certain temps pour obtenir les résultats voulus.

 

 

[12]           La demanderesse soutient que ce qui précède démontre que la SPR n’a pas appliqué le bon critère dans son évaluation de la protection de l’État, car elle concentré son évaluation seulement sur le fait que l’État hongrois s’était efforcé de corriger la situation plutôt que sur l’efficacité de ces efforts. En conséquence, le conseil soutient que la présente affaire est identique aux jugements Gilvaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598 [Gilvaja], et Koky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1407 [Koky], dans lesquels la Cour a annulé les décisions de la SPR où celle-ci a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État en s’intéressant uniquement à la question de savoir si l’État avait déployé des efforts afin d’assurer une protection, plutôt que de s’intéresser à l’efficacité et au caractère suffisant de ces efforts.

 

[13]           Le défendeur, par contre, affirme que l’interprétation faite par la demanderesse de la décision rendue par la SPR en l’espèce est injuste et que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, la SPR ne s’est pas uniquement intéressée aux efforts déployés par le gouvernement hongrois, mais aussi à la question de savoir si ces efforts avaient porté fruit. Par ailleurs, le défendeur souligne que les conclusions rendues en l’espèce par la Commission relativement à la persécution et à la protection de l’État est la norme déférente de la raisonnabilité, et soutient que, conformément à cette norme, la décision doit être maintenue puisque les conclusions de la SPR sont étayées par la preuve, qu’elles ne constituent pas une application erronée du droit applicable et qu’en conséquence, elles appartiennent aux issues possibles acceptables qui s’offraient à la Commission.

 

La norme de contrôle

[14]           Je conviens que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux deux erreurs commises par la Commission et alléguées par la demanderesse en l’espèce. À cet égard, les deux conclusions portent sur des questions mixtes de fait et de droit et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 SCR 190, au paragraphe 53 [Dunsmuir]). Il est expressément reconnu, dans la jurisprudence, que des conclusions de ce genre sont assujetties à un contrôle selon cette norme.

 

[15]           En ce qui concerne la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas connu la persécution, dans le jugement Paradi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 996, mon collègue, le juge Simon Noël, a déclaré à l’égard d’une conclusion similaire, que « [l]a SPR a examiné une preuve partagée avant de tirer cette conclusion, et la SPR a compétence pour tirer des conclusions quant à la question de savoir si les problèmes vécus par le demandeur équivalent à de la persécution » (au paragraphe 51). (Voir aussi les jugements suivants qui vont dans le même sens : Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 252, au paragraphe 19; Ferencova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 443, au paragraphe 8; Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 NR 398 (CAF), au paragraphe 3).

 

[16]           En ce qui concerne la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État, il est nettement établi, également, que la norme de la décision raisonnable s’applique à des conclusions de ce genre. Ainsi que le juge Sexton l’a affirmé au paragraphe 38 de l’arrêt Re Hinzman, 2007 CAF 171, « les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ». (Voir aussi les jugements suivants : Bustos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 114, au paragraphe 29; Hetyei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1208, au paragraphe 9 [Hetyei]; Gezgez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 130, au paragraphe 9; Kanto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1049, au paragraphe 23).

 

[17]           La norme de la décision raisonnable est une norme déférente qui proscrit l’intervention de la Cour lorsque les motifs de décision du tribunal administratif sont transparents, justifiés et intelligibles et que les conclusions appartiennent aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Bref, la cour de révision ne peut mettre en doute la décision du tribunal même si elle est en désaccord avec la décision rendue. Selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit plutôt s’en remettre à l’expertise du décideur administratif et maintenir les décisions pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicables.

 

[18]           En l’espèce, la demanderesse conteste tant le raisonnement adopté par la Commission que les résultats auxquels elle est parvenue. Plus précisément, elle soutient que le raisonnement de la Commission n’est pas justifiable étant donné que la SPR n’a pas évalué l’efficacité de la protection de l’État, mais qu’elle s’est plutôt concentrée erronément et uniquement sur les efforts déployés par l’État hongrois. Pour ce qui est des résultats auxquels la SPR est parvenue, la demanderesse soutient que les conclusions selon lesquelles elle n’avait pas connu – et ne connaîtrait pas – la persécution et qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État sont toutes deux déraisonnables, étant donné la teneur du cartable national de documentation en grande partie, qui prétend-elle ne laisse nulle place à une conclusion autre que celle selon laquelle les Roms feront l’objet d’une persécution continue, à l’encontre de laquelle l’État est incapable de fournir une protection suffisante.

 

Analyse

[19]           En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec les arguments avancés par la demanderesse.

 

[20]           Premièrement, en ce qui a trait au critère appliqué par la SPR relativement à la protection de l’État, il est clair à la lecture de la décision dans son ensemble que la Commission ne s’est pas exclusivement intéressée aux efforts déployés par l’État hongrois, mais qu’elle a plutôt tenu compte de l’effet de ces efforts. Cela ressort clairement de nombreux passages dans la décision. En plus des passages soulignés précédemment, voici aussi ce que la SPR ajoute :

  [I]l semble que la plupart des ministères aient la capacité ou, du moins, les ressources nécessaires pour traiter les plaintes de discrimination sur le lieu de travail. (Paragraphe 26 de la décision.)

 

  Pour ce qui est des groupes extrémistes qui ont protesté et organisé des manifestations […], il est écrit […] que le gouvernement prend ces manifestations au sérieux et qu’il déploie des efforts dans le but d’essayer de remédier à ces situations et de les prévenir. (Paragraphe 27 de la décision.)

 

  La preuve documentaire ne démontre pas l’absence de protection de l’État, mais elle fait état de certains degrés d’inefficacité. Néanmoins, il existe des recours en Hongrie, et la [demanderesse] n’a jamais essayé de s’en prévaloir. (Paragraphe 29 de la décision.)

 

 

[21]           Il y a donc lieu d’établir une distinction entre la présente affaire et les affaires Gilvaja et Koky invoquées par la demanderesse, dans lesquelles les décisions ont été annulées en raison d’un intérêt porté uniquement aux efforts déployés pour assurer une protection de l’État plutôt que d’évaluer le caractère suffisant de ces efforts.

 

[22]           En ce qui concerne les résultats auxquels est parvenue la SPR dans son évaluation en vue d’établir si la demanderesse avait fait l’objet de persécution et sa conclusion selon laquelle cette dernière n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État, je ne souscris pas à l’avis de la demanderesse selon lequel la documentation objective faisant partie du cartable national de documentation doive forcément entraîner une conclusion que les Roms seront victimes de persécution ou que l’État ne les protège pas suffisamment. À mon avis, la documentation ne dépeint pas un portrait assez grave pour rendre déraisonnables toutes les conclusions contraires. En fait, dans le cadre de plusieurs jugements rendus récemment , la Cour a confirmé des conclusions semblables à celles de l’espèce, rejetant des demandes d’asile présentées par des Roms hongrois parce qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption d’une protection suffisante de l’État (voir notamment les jugements suivants : Radics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 110; Hetyei; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004; Paradi; Konya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 975; Riczu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 888; Buzas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2013), 234 ACWS (3d) 1006; Racz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 702; Kotai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 693; Olah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 106).

 

[23]           Plus précisément, en ce qui concerne la persécution, la demanderesse souligne à raison que le fait d’être victime de discrimination répétée et importante à l’égard d’aspects de vie fondamentaux peut équivaloir à de la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, 189 UNTS 150 [Convention sur les réfugiés] et que les victimes ont donc droit à une protection suivant l’article 96 de la LIPR. Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention […] relative au statut des réfugiés, publié par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, HCR/IP/4/Fre/REV.1 (réédité en 2011) [Guide du UNHCR] fournit, aux paragraphes 54 et 55, une orientation afin d’établir si des actes répétés de discrimination peuvent équivaloir à de la persécution :

54.       Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l’objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d’un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous.

 

55.       Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l’intéressé à craindre avec raison d’être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d’appréhension et d’insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu’à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s’il a déjà été victime d’un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient.

 

[24]           La Cour d’appel fédérale de même que la Cour fédérale ont toutes deux reconnu que des actes cumulatifs de harcèlement ou de discrimination peuvent, dans certaines circonstances, équivaloir à de la persécution (voir notamment Madelat c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 179 NR 94 (C.A.), au paragraphe 1; Retnem c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 NR 53 (C.A.), au paragraphe 4; Bobrik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 85 FTR 13 (1re inst.), au paragraphe 22). En fait, l’omission par la Commission d’évaluer si les événements indésirables constituent de façon cumulative de la persécution, quand une telle analyse est nécessaire en raison du contexte factuel, constitue une erreur susceptible de contrôle. Voici ce que le juge Nadon écrit au paragraphe 42 de l’arrêt Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84 :

Il ressort [des] précédents que la Commission a l’obligation de tenir compte de tous les faits qui peuvent avoir une incidence sur l’affirmation du demandeur d’asile suivant laquelle il craint avec raison d’être persécuté, y compris des incidents qui, pris isolément, ne constitueraient pas de la persécution mais qui, pris globalement, pourraient justifier une allégation de crainte fondée de persécution.

 

 

 

[25]           Par conséquent, la demanderesse souligne à raison que la discrimination cumulative peut équivaloir à de la persécution. Cependant, un autre point est clairement établi dans la jurisprudence et dans le Guide du UNHCR : la question de savoir si les circonstances d’une personne, de façon cumulative, atteignent le niveau de la persécution, varie selon les circonstances particulières de l’affaire. Cette question requiert une analyse des faits et est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[26]           En l’espèce, la SPR a établi que la demanderesse n’avait pas connu la persécution principalement en raison du fait qu’elle n’avait pas été victime d’actes de violence, qu’elle n’avait pas souffert d’un défaut par les autorités de régler une plainte et qu’elle avait occupé un emploi. De plus, la SPR a déclaré que sa difficulté à trouver du travail aurait aussi pu être attribuable au fait que l’économie stagne en Hongrie, faisant remarquer que le chômage chez les jeunes au pays est généralement élevé. Cela étant, il était raisonnable que la Commission conclue que la demanderesse n’avait pas connu la persécution.

 

[27]           De même, la Commission a conclu de manière raisonnable que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Dans l’arrêt Ward c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 RCS 689 [Ward], la Cour suprême du Canada a souligné à la page 716 que « la communauté internationale était destinée à servir de tribune de second ressort pour le persécuté, de “substitut” auquel celui-ci pourrait s’adresser à défaut de protection locale ». Ainsi, le demandeur doit démontrer que son État d’origine ne peut ou ne veut offrir une protection (Ward, aux pages 718 et 719).

 

[28]           Dans son cas, la demanderesse ne peut signaler aucune omission précise de l’État à assurer sa protection. Compte tenu de cela, et de la preuve documentaire qui, bien que partagée, appuie en partie l’existence d’une protection de l’État à l’égard des Roms en Hongrie, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré qu’une telle protection n’était pas disponible est raisonnable, d’autant plus, rappelons-le, qu’il n’incombe pas à la Commission de prouver l’existence d’une protection de l’État. C’est plutôt à la demanderesse qu’incombe le fardeau d’établir que cette protection n’existe pas. Suivant les circonstances de l’espèce, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse ne s’était pas acquittée de ce fardeau n’est pas déraisonnable. La présente affaire est semblable à l’affaire Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530, où mon collègue, le juge Russell, a tenu les propos suivants, au paragraphe 105, au moment de rejeter la demande de contrôle judiciaire :

Il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. La réponse à cette question dépend en grande partie des faits et des éléments de preuve présentés dans chaque cas ainsi que de la réponse à la question de savoir si la SPR a procédé à une analyse raisonnable. Dans l’affirmative, j’estime qu’il n’appartient pas à notre Cour d’intervenir, et ce, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente. J’estime que la SPR a procédé à une analyse raisonnable dans le cas qui nous occupe et qu’elle s’est montrée sensible aux principes applicables, qu’elle a appliqués aux faits au dossier d’une manière responsable. Pour cette raison, je ne puis modifier la décision.

 

 

[29]           Je fais miens ces commentaires et j’estime qu’ils s’appliquent aux faits de l’espèce. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[30]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question à certifier aux termes de l’article 74 de la LIPR et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.               La demande de contrôle judiciaire de la décision du 14 mars 2013 de la SPR est rejetée;

2.               Aucune question de portée générale n’est certifiée;

3.               Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                            IMM-3263-13

 

 

 

INTITULÉ :

JUDIT HORVATH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 27 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

    LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 1er avril 2014

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sherry Rafai

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AFOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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