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Date : 20140321


Dossier : T-2034-12

 

Référence : 2014 CF 278

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

et

CHRIS HUGHES ET LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 11 octobre 2012 par laquelle Wallace G. Craig, membre du Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP ou le Tribunal) a conclu que M. Chris Hughes (le défendeur), qui avait présenté des plaintes contre Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC), avait été victime de discrimination, RHDSC s’étant montré incapable de prendre des mesures d’adaptation du fait de sa déficience (dépression) en l’affectant à un poste permanent au sein du ministère ou en le transférant à un autre poste.

 

[2]               Le défendeur a également déposé des plaintes auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP ou la Commission), car il n’a pas pu conserver un emploi permanent au sein de RHDSC. Ces plaintes ont été instruites et rejetées avant que le TCDP ne tienne audience et ne rende sa décision. Monsieur Hughes n’a pas contesté la décision de la CRTFP.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les questions soulevées devant le TCDP n’avaient pas été tranchées par la CRTFP, le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas. De plus, la décision du TCDP était tout à fait raisonnable, eu égard au dossier dont il disposait.

 

1.         Les faits

[4]               De 1995 à 2005, M. Chris Hughes a travaillé comme employé nommé pour une durée déterminée par l’Agence des douanes et du revenu du Canada, remplacée par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), et par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). Monsieur Hughes ne détenait qu’un diplôme d’études secondaires au moment de son embauche, mais tout en travaillant, il a poursuivi ses études en suivant des cours de base de comptabilité générale et d’autres formations à l’ARC et à l’ASFC.

 

[5]               Durant ses premières années en poste, M. Hughes a divulgué un incident impliquant d’autres employés de l’ARC qui avaient suivi des procédures d’envoi de documents irrégulières à l’égard d’un contribuable. Monsieur Hughes a déposé une poursuite contre l’Agence qui s’est soldée par un règlement confidentiel. M. Hughes a déclaré que cet incident a été source d’une anxiété et d’un stress graves nécessitant des congés de maladie, et lui a valu d’être qualifié de délateur.

 

[6]               Au printemps 2006, M. Hughes a postulé à titre de candidat externe un emploi d’agent de prestation des services 2 au niveau CR‑05, au RHDSC de Victoria (Colombie-Britannique). L’été suivant, il a été admis dans un bassin de candidats. Il lui a été difficile de fournir les références qu’on lui avait demandées vu qu’il avait été fonctionnaire divulgateur dans son emploi précédent à l’ARC. Cependant, il a soumis en lieu et place de bonnes évaluations de rendement. Il n’a pas initialement obtenu d’emploi.

 

[7]               L’avis du poste d’agent de prestation des services 2 de niveau CR‑05 comprenait un énoncé des critères de mérite. Le poste avait d’abord été annoncé au public et exigeait, au chapitre des études, un diplôme d’études secondaires ou une formation subsidiaire approuvée par la Commission de la fonction publique. Le 25 juin 2006, les employés de RHDSC ont reçu un courriel dont l’objet était le suivant : [traduction] « Objet : Reclassification de CR05 à PM01. » Le courriel indiquait que le poste d’agent de prestation des services 2 serait reclassé des groupe et niveau CR‑05 aux groupe et niveau PM‑01 à compter du 14 septembre 2006. Le poste d’agent de prestation des services 2 (CR‑05) étant devenu celui d’agent de services au paiement (PM‑01), l’énoncé des critères de mérite révisé exigeait désormais deux ans d’études postsecondaires pour tous les candidats externes. Comme il s’agissait d’une reclassification nationale, le bureau local de Victoria a dû adopter cet énoncé révisé, et donc ne pouvait plus évaluer la compétence des candidats en fonction du précédent énoncé des critères de mérite correspondant à la catégorie CR‑05.

 

[8]               Monsieur Hughes a reconnu que la modification des exigences pour le bassin de candidats dans la catégorie CR‑05 faisait en sorte qu’il n’était « techniquement plus qualifié pour obtenir un poste de niveau CR‑05 ». Cependant, il a affirmé qu’on aurait dû lui proposer des postes équivalents, par exemple dans les catégories PM‑02, PM‑01 et CR‑04, et a fourni en exemple le nom de six candidats faisant partie du bassin dans la catégorie CR‑05 qui ont obtenu d’autres postes équivalents. Il a également mentionné quatre personnes qui ont été embauchées dans le cadre d’un processus de nomination non annoncé pour occuper des postes de niveau PM‑01 dont les qualifications requises étaient presque identiques à celles du bassin de catégorie CR‑05 dans lequel il avait été placé, et une autre, issue du même bassin, nommée à un poste de niveau PM‑02.

 

[9]               Monsieur Hughes a continué de postuler et a finalement été nommé à un poste de niveau CR‑04 à RHDSC à la fin de l’été 2007, comme agent de prestation de services 1 – « Traitement des demandes d’assurances – Centre de traitement des PEC (Paiements d’expérience commune) – CSC de Victoria ». Ce premier emploi devait durer du 13 septembre 2007 au 7 mars 2008; la période d’emploi a ensuite été prolongée au 28 mars 2008, puis au 27 juin 2008.

 

[10]           Le Centre de traitement des Paiements d’expérience commune était chargé d’évaluer les demandes visées par la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Monsieur Hughes devait traiter les demandes, déterminer l’admissibilité des demandeurs et expédier un paiement unique à d’anciens élèves de pensionnats indiens. Il est important de souligner qu’un aspect appréciable du travail de M. Hughes consistait à recevoir les appels de demandeurs qui parlaient souvent de leurs traumatismes, ce qui avait pour effet d’augmenter son niveau de stress compte tenu de sa propre déficience (dépression).

 

[11]           Monsieur Hughes travaillait de longues heures, il traitait le plus grand nombre de demandes PEC, et ses gestionnaires ne ménageaient pas leurs éloges pour son [traduction] « excellent niveau de productivité » et son [traduction] « excellent travail ».

 

[12]           Sachant que son emploi d’une durée déterminée au PEC prendrait fin, M. Hughes s’est entretenu le 8 janvier 2008 avec sa chef d’équipe, Mme Jacky Smith, pour lui demander son avis sur la manière d’obtenir un poste par intérim de niveau PM‑02 ou PM‑01 dans la section du Régime de pensions du Canada et de la sécurité de la vieillesse (RPC/SV). Madame Smith s’est montrée très encourageante, estimant que M. Hughes était [traduction] « un membre de l’équipe fiable, productif et proactif ». Elle lui a indiqué qu’elle n’avait aucune objection à ce qu’il la nomme comme référence. Le 30 janvier 2008, M. Hughes a envoyé une demande de mutation par courriel à Mme Bergh, directrice de la section RPC/SV; une copie a été adressée à M. Quinn, gestionnaire de la prestation de services, Services de traitement et de paiement, à Service Canada.

 

[13]           Au début de février 2008, un incident est venu ternir la relation entre M. Hughes et Mme Smith. L’une des collègues de M. Hughes a mis celui-ci mal à l’aide devant d’autres employés en l’accusant faussement et avec force d’avoir traité incorrectement certaines demandes de PEC. Monsieur Hughes a voulu se plaindre directement à Mme Smith, la chef d’équipe, mais comme elle était absente, il a tenté d’obtenir l’assistance de son syndicat. Madame Smith était mécontente que M. Hughes se soit adressé à son syndicat avant de lui avoir parlé, après quoi elle s’est montrée peu encline à appuyer sa candidature à un autre poste. Elle a ensuite fourni des recommandations peu enthousiastes pour que M. Hughes conserve son emploi.

 

[14]           À la même époque, les épisodes dépressifs M. Hughes ont recommencé en raison de la nature de son travail l’amenant à s’occuper d’individus victimes de traumatismes. Le 18 février 2008, M. Hughes a reçu de son médecin une note exigeant qu’il traite moins d’appels de clients, car il était [traduction] « quelque peu stressé et déprimé ». Monsieur Hughes a remis cette note à Mme Smith qui l’a prise en compte en modifiant ses tâches.

 

[15]           Le 14 avril 2008, M. Hughes a présenté une autre demande à Mme Smith fondée sur le même motif. Il voulait être muté à un poste équivalent de niveau CR‑04 au Service de renouvellement du supplément de revenu garanti, où il savait que les besoins étaient importants. Cette demande a été transmise à M. Quinn, qui l’a fait suivre à son tour à Caleigh Miller, une consultante en ressources humaines. Celle-ci a immédiatement répondu en exigeant que d’autres demandes de renseignements concernant l’état de santé de M. Hughes soient envoyées à son médecin. Ni Mme Smith ni M. Quinn n’ont effectué de suivi, et cinq semaines après sa demande de mesures d’adaptation pour cause de dépression du 14 avril 2008, M. Hughes a reçu une lettre de congédiement prenant effet le 27 juin 2008.

 

[16]           Entre le 30 avril 2008 et le 1er octobre 2009, M. Hughes a déposé quatre plaintes auprès de la CRTFP, alléguant que RHDSC s’était livré à des pratiques déloyales en contravention des sous-alinéas 186(2)a)(i) à (iv) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la LRTFP). Les dispositions pertinentes de cette loi disposent :

Plaintes à la Commission

 

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

 

[...]

 

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

Complaints

 

190. (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

 

[...]

 

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

 

Définition de « pratiques déloyales »

 

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

Meaning of “unfair labour practice”

 

185. In this Division, “unfair labour practice” means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1).

 

Pratiques déloyales par l’employeur

 

186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

 

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

 

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

 

(ii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou la partie 2, ou pourrait le faire,

 

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

 

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2;

 

Unfair labour practices — employer

 

186. (2) Neither the employer nor a person acting on behalf of the employer, nor a person who occupies a managerial or confidential position, whether or not that person is acting on behalf of the employer, shall

 

(a) refuse to employ or to continue to employ, or suspend, lay off or otherwise discriminate against any person with respect to employment, pay or any other term or condition of employment, or intimidate, threaten or otherwise discipline any person, because the person

 

 

 

 

(i) is or proposes to become, or seeks to induce any other person to become, a member, officer or representative of an employee organization, or participates in the promotion, formation or administration of an employee organization,

 

 

 

(ii) has testified or otherwise participated, or may testify or otherwise participate, in a proceeding under this Part or Part 2,

 

(iii) has made an application or filed a complaint under this Part or presented a grievance under Part 2, or

 

 

(iv) has exercised any right under this Part or Part 2;

[17]           Dans une longue décision rendue le 5 janvier 2012 (2012 CRTFP 2), la Commission a attentivement examiné les arguments et la preuve avancés par les deux parties. Les extraits suivants résument utilement les plaintes que M. Hughes a soumises à la Commission :

[369] Le plaignant, dans les plaintes dont je suis saisie et dans son témoignage, a fait référence à de nombreuses pratiques déloyales de travail commises par le défendeur depuis sa nomination en septembre 2007. Cependant, je crois que les principales formes de représailles alléguées dans les plaintes dont je suis saisie sont le refus du défendeur de lui accorder une mutation vers un autre lieu de travail tel qu’il l’avait demandé, le refus de continuer de l’employer après la fin de son affectation d’une durée déterminée et son refus de lui proposer une nouvelle nomination d’une durée déterminée ou indéterminée.

 

[370] Le plaignant faisait partie de deux bassins externes de candidats préqualifiés, un pour des postes d’agent de prestation des services (CR‑04) et l’autre, pour des postes de personnel de bureau (CR‑03), de l’été 2007 jusqu’à l’expiration des bassins en 2009. Le plaignant a postulé à de nombreux postes offerts par le défendeur entre le moment où sa nomination a pris fin et l’expiration des bassins, mais sans succès.

 

[371] Le plaignant a affirmé qu’il était qualifié, qu’il était un travailleur productif, qu’il n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires et que le défendeur avait eu de nombreux postes à pourvoir. Le fait qu’il n’a pas été nommé montre, selon lui, que le défendeur a commis une faute de conduite. Il a soutenu que le défendeur avait retenu des candidats ayant obtenu des notes inférieures aux siennes, possédant moins d’expérience que lui et qui n’étaient pas des activistes syndicaux. Il ne croit pas aux explications du défendeur voulant que les autres candidats conviennent mieux que lui pour les nombreux postes classifiés CR‑03 et CR‑04 qu’il y a eu à pourvoir durant la période contestée.

 

[372] Le plaignant a allégué que les décisions en matière de dotation prises par le défendeur faisaient ressortir une tendance à refuser de l’employer en raison de ses antécédents de dénonciateur et des allégations qu’il était un fauteur de troubles, parce qu’il a des connaissances approfondies en droit du travail et en droits de la personne ainsi que la capacité et la volonté de se servir de ces connaissances pour gagner des causes contre ses employeurs.

 

[18]           La Commission a fait observer que la plupart des agissements documentés par M. Hughes ne relèvent pas des activités protégées qu’énoncent les sous-alinéas 186(2)a)(i) à (iv) de la LRTFP; ils concernent des initiatives personnelles destinées à faire avancer sa situation professionnelle et ses objectifs de carrière, et non des activités générales d’ordre syndical. La Commission a ajouté que M. Hughes a identifié et contesté onze décisions en matière de dotation, prises par divers gestionnaires employés par le défendeur; il a toutefois déclaré que parmi celles-ci, seules quatre ou cinq étaient probablement suspectes, mais il n’a pas précisé lesquelles, les autres n’étant sans doute que de simples décisions en matière de dotation.

 

[19]           La Commission a jugé crédible et convaincante la preuve des témoins du ministère concernant les raisons pour lesquelles ils ont refusé la demande de transfert du défendeur, n’ont pas prolongé son affectation à durée déterminée une troisième fois, et ont proposé des postes à d’autres candidats même si certaines de leurs compétences étaient inférieures aux siennes. D’après la Commission, le demandeur s’est acquitté du fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le refus de transférer ou de réaffecter le défendeur, de prolonger son affectation à durée déterminée ou de lui offrir un nouveau poste, constituait un exercice raisonnable du pouvoir de gestion fondé sur les besoins opérationnels perçus, et qu’il ne s’agissait pas d’une mesure de représailles parce qu’il avait exprimé le désir de devenir membre de la direction du syndicat ou parce qu’il avait déposé la plainte abandonnée.

 

[20]           La Commission a également rejeté pour des motifs similaires la plainte du défendeur selon laquelle les Ressources humaines l’avaient traité différemment des autres candidats et avaient exercé des représailles contre lui durant sa recherche d’emploi en n’acceptant pas la lettre de recommandation de son ancien chef d’équipe intérimaire et en insistant pour qu’il obtienne des références de son chef d’équipe du programme PEC, ainsi que son autre plainte dans laquelle il avait allégué que la fin hâtive des deux bassins de candidats préqualifiés pour les postes classifiés CR‑03 et CR‑04 dont il faisait partie avait été motivée par un sentiment antisyndical exprimé à son égard.

 

[21]           Le 14 août 2007, M. Hughes a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) une plainte pour discrimination à l’encontre de RHDSC. Il alléguait avoir été victime de discrimination fondée sur sa déficience (dépression) relativement à une demande de nomination à un poste d’agent de prestation des services 2 de niveau CR‑05 à Victoria (Colombie-Britannique). Selon lui, il aurait pu être embauché à des postes équivalents de niveau PM‑02, PM‑01 ou CR‑04, par le biais de concours externes non annoncés ou à partir du bassin CR 05 dont il faisait partie. Monsieur Hughes a subséquemment retiré sa plainte après que le poste de niveau CR‑04 à RHDSC lui a été proposé.

 

[22]           En janvier 2008 et juin 2009, M. Hughes a déposé auprès de la CCDP deux autres plaintes en matière de droits de la personne. Dans la première, il alléguait avoir été victime, entre mars 2006 et janvier 2008, d’un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC, 1985, c H‑6 (la LCDP). Monsieur Hughes soutenait que RHDSC refusait de l’employer parce qu’il souffrait d’une déficience (la dépression). Dans sa seconde plainte, il alléguait suivant l’article 14.1 de la LCDP qu’il avait subi des représailles depuis le début de 2008, et aussi que la discrimination visée à l’article 7 était continue. Monsieur Hughes alléguait également dans cette plainte qu’il avait été victime de discrimination fondée sur sa dépression, et précisait que le dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne avait fourni un autre motif de représailles à RHDSC. Ces plaintes ont initialement été rejetées le 23 décembre 2009. La Cour a donné raison au défendeur lors du contrôle judiciaire du rejet de la Commission, et l’affaire a été renvoyée à cette dernière en vue d’une nouvelle décision : Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837.

 

[23]           La CCDP a ensuite examiné les plaintes et les a renvoyées au TCDP le 24 juin 2011 pour qu’il mène une enquête. Le commissaire Wallace Craig s’en est chargé à Victoria (C.‑B.), du 23 au 25 mai, du 28 mai au 1er juin, puis les 13 et 14 juin 2012. Une décision a été rendue le 11 octobre 2012.

 

2.         La décision visée par le contrôle

[24]           Le Tribunal a commencé par énoncer le fardeau de preuve. Monsieur Hughes devait établir au moyen d’une preuve prima facie que RHDSC avait contrevenu aux articles 7 et 14.1 de la LCDP. Si le plaignant apporte une telle preuve, il incombe ensuite au défendeur de prouver qu’il n’a jamais adopté la conduite visée par la plainte ou que cette conduite ne constituait pas un acte discriminatoire.

 

[25]           Le Tribunal a conclu, sur la base du témoignage de vive voix livré par M. Hughes et de la preuve documentaire pertinente, que celui-ci avait établi l’existence d’un acte discriminatoire à première vue au sens de l’article 7 de la LCDP, acte discriminatoire auquel RHDSC s’est livré en refusant de prolonger son emploi alors qu’il souffrait d’une déficience. Au vu de ces mêmes éléments de preuve, le Tribunal a toutefois conclu qu’ils étaient loin d’établir à première vue l’existence de représailles suivant l’article 14.1 de la LCDP, en relation avec sa plainte de discrimination.

 

[26]           Après le déplacement du fardeau, le Tribunal a examiné la preuve de RHDSC pour déterminer s’il existait une explication raisonnable démontrant que le congédiement de M. Hughes, qui a suivi de peu sa deuxième demande de mesures d’adaptation en avril 2008, n’était pas discriminatoire. Comme l’a déclaré le Tribunal, « [...] l’intimé doit démontrer qu’il n’a pas mis fin à l’emploi du plaignant parce que celui-ci avait une déficience ou encore que le fait d’accommoder le plaignant aurait constitué une contrainte excessive » (décision, au paragraphe 54).

 

[27]           Le Tribunal a ensuite examiné et soupesé les éléments de preuve que RHDSC avait présentés pour expliquer les raisons de la cessation ou de la non-prolongation de l’emploi à durée déterminée. Il a notamment examiné avec attention les témoignages de Kenneth Cambpell, de James Quinn et d’Anne Milne, les supérieurs hiérarchiques de M. Hughes.

 

[28]           Monsieur Campbell aurait eu une conversation avec Paul Thomas, un agent de formation venu d’Ottawa qui connaissait M. Hughes et avait des renseignements défavorables à son sujet; ces propos n’ont pas été communiqués à l’intéressé, mais conservés au dossier, vu que RHDSC [traduction] « pourrait vouloir en garder une trace ». Le Tribunal a hésité à prêter foi au témoignage de M. Campbell; celui-ci a attribué à Mme Smith des propos incendiaires concernant la crainte que M. Hughes lui inspirait apparemment à cause de sa dépression (Mme Smith est décédée un an après le licenciement de M. Hughes), et en une autre occasion, prétextant l’ignorance, il n’a pas pu clarifier un commentaire négatif qu’elle aurait fait au sujet du défendeur.

 

[29]           Monsieur Campbell était le gestionnaire de la prestation des services lorsque M. Hughes a présenté sa candidature au poste de commis à la prestation des services et des programmes au niveau CR‑04. N’étant pas satisfait des références que lui a fournies ce dernier à sa demande, M. Campbell l’a informé que ses [traduction] « qualifications ne satis[faisaient] pas aux exigences du poste ». Monsieur Hughes a répondu le jour même dans un courriel par un déluge d’accusations et en menaçant de porter l’affaire devant les médias et de protester devant le bureau de M. Campbell. Après avoir entendu son témoignage, le Tribunal a conclu que « M. Campbell a été profondément troublé par l’hostilité manifestée par M. Hughes à son endroit, que cela a affecté négativement son témoignage, au point qu’il est devenu manifestement réticent à répondre aux questions qui lui ont été posées lors du contre-interrogatoire ». Le Tribunal a également perçu une antipathie sous-jacente à l’endroit de M. Hughes et a conclu que le témoignage de M. Campbell n’était pas un compte-rendu calme et objectif de ses rapports avec lui.

 

[30]           Le Tribunal a aussi entendu le témoignage de M. Quinn, qui était chargé depuis 2006 du traitement du nombre étonnamment élevé de demandes PEC. Monsieur Quinn a trouvé des bureaux pouvant convenir à une équipe qui, selon ses prévisions, devait compter au moins 100 agents de traitement des demandes et agents de soutien aux niveaux CR‑03 et CR‑04. Des bassins de candidats ont été établis et environ 200 personnes ont été embauchées comme employés à durée déterminée. Monsieur Quinn a déclaré que M. Hughes avait été engagé à partir du bassin CR‑04 et qu’il s’était en fait classé cinquième sur une liste de quatre-vingt-huit candidats potentiellement qualifiés. Le 14 décembre 2007, M. Quinn a écrit un courriel aux cadres supérieurs de RHDSC, y compris Mme Milne, directrice administrative principale, RHDSC, Ouest canadien, et Mme Bergh, au sujet des activités de dotation en personnel CR‑04 à venir, Centre de traitement RPC/SV. Ce courriel précisait qu’il y aurait un grand nombre de postes CR‑04 à pourvoir au Centre de traitement, et que les gestionnaires du Centre de traitement RPC/SV avaient demandé que des références additionnelles leur soient envoyées à propos des employés CR‑04 préposés aux PEC « étant donné que ceux-ci ont eu l’occasion de faire la preuve de leurs capacités et compétences ainsi que de leurs qualités personnelles pour des postes où il est question de traitement de demandes ». Le Tribunal a conclu du témoignage de M. Quinn que RHDSC avait l’intention d’offrir un emploi permanent aux employés préposés aux PEC. Ce courriel a été envoyé peu avant que M. Hughes ne demande à être réaffecté à un poste de niveau CR‑04 à RPC/SV en raison de sa déficience.

 

[31]           Comme M. Quinn jouait un rôle clé dans les décisions de gestion concernant la prolongation du contrat à durée déterminée des employés préposés aux PEC à l’issue de l’année consacrée au traitement de ces demandes, le Tribunal a conclu que celui-ci aurait pu convaincre les autres gestionnaires de RHDSC d’autoriser la réaffectation de M. Hughes à un autre poste qui aurait permis de tenir compte de sa déficience. Cependant, comme l’a déclaré le Tribunal, M. Quinn était « le pivot d’une intrigue tramée par la direction, faisant preuve d’insensibilité pour la gravité de la dépression dont M. Hughes souffrait et ne tenant pas compte de l’article 7 de la LCDP ».

 

[32]           Le Tribunal a également entendu le témoignage de Mme Milne : celle-ci a nié qu’elle avait refusé de réaffecter M. Hughes et a indiqué que c’était M. Quinn qui avait pris cette décision. Madame Milne s’est montrée plusieurs fois incertaine de ses réponses; elle ne se rappelait plus pourquoi elle avait signé la lettre de congédiement de M. Hughes, ni quand elle a su que ce dernier avait déposé une plainte en matière de droits de la personne. Elle se souvient avoir été informée que M. Hughes avait besoin de mesures d’adaptation, mais elle n’a mentionné que le stress et non la dépression. Madame Milne ne se rappelait pas qui avait décidé de congédier M. Hughes, et lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait signé cette lettre de congédiement et non deux autres, elle n’a pas pu offrir d’explication satisfaisante. Le Tribunal a conclu que la participation de Mme Milne à cette mesure de gestion était d’autant plus contestable que celle-ci contredisait l’opinion de la consultante en ressources humaines concernant la dépression de M. Hughes et son traitement, et qu’elle a ignoré la portée de ce conseil aussi bien que la gravité de la déficience de M. Hughes. Le Tribunal a conclu que la direction avait fait preuve d’un « zèle fervent [...] pour se débarrasser de [M. Hughes] ».

 

[33]           Le Tribunal est parvenu à la conclusion générale suivante : 

[81]      Les témoins de RHDSC ont justifié par des motifs rationnels la raison pour laquelle M. Hughes s’était vu accorder une troisième prolongation de son contrat de préposé aux PEC, ou une mutation dans un autre service, affirmant qu’il s’agissait d’une décision de gestion raisonnable qui dépendait entièrement de l’obtention du sceau [traduction] « bonne personne ». Je conclus qu’aux yeux de la direction de RHDSC, le fait d’établir si un candidat qualifié est une [traduction] « bonne personne » ou non est un processus intangible, plus subjectif qu’objectif, susceptible d’être teinté de sentiments ou d’opinions.

 

[82]      La LCDP exige qu’un employeur continue d’employer un travailleur frappé de déficience. Une fois qu’une déficience est établie, un employeur doit constamment s’efforcer d’offrir des mesures d’adaptation à l’employé concerné en prévoyant pour lui le travail qu’il est capable d’accomplir dans son état, aussi longtemps que cela ne se traduit pas par des contraintes excessives pour l’employeur. Ce n’est qu’à ce moment qu’on peut mettre fin à l’emploi.

 

[83]      Tout en sachant fort bien que M. Hughes était atteint d’une déficience du fait de sa dépression et qu’il avait demandé à occuper un emploi qui se prêterait à ses épisodes dépressifs, et au mépris du devoir qui lui incombait en application de la LCDP de continuer à l’employer, du moins aussi longtemps que l’ampleur de sa déficience n’était pas définie, la direction de RHDSC a délibérément ignoré le devoir que lui imposait la LCDP et a sommairement mis fin à l’emploi de M. Hughes.

 

[84]      À la lumière de l’ensemble de la preuve présentée par RHDSC, je conclus que l’intimé n’a pas réfuté la preuve prima facie du plaignant.

 

[34]           Après avoir conclu que RHDSC avait délibérément refusé de continuer à employer M. Hughes, au sens de l’alinéa 7a) de la LCDP, le Tribunal a ordonné au ministère de lui verser la somme maximale de 20 000 $ au titre du paragraphe 53(2) de la Loi pour le préjudice moral qu’il a subi en tant que victime d’un acte discriminatoire. Le Tribunal a également ordonné à RHDSC de lui verser 10 000 $ à titre d’indemnité spéciale, suivant le paragraphe 53(3) de la LCDP, pour avoir posé un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré. Enfin, il a ordonné le paiement d’un intérêt spécial sur ces deux sommes conformément au paragraphe 53(4) de la LCDP.

 

3.         Questions en litige

[35]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

-          Quelle est la norme de contrôle applicable?

-          Les principes de l’autorité de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure s’appliquent-ils à l’affaire dont la Cour est saisie?

-          La décision du Tribunal est-elle raisonnable?

-          Le Tribunal a-t-il manqué à l’équité procédurale en accordant une réparation?

 

4.         Analyse

            -           Norme de contrôle

[36]           L’analyse concernant la norme de contrôle se déroule en deux étapes. La Cour doit d’abord vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Lorsque cette démarche se révèle infructueuse, la Cour entreprend ensuite l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339; Smith c Alliance Pipeline Ltd, [2011] 1 RCS 160.

 

[37]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire visant à déterminer si le Tribunal avait le pouvoir d’adjuger les dépens suivant les alinéas 53(2)c) et d), la Cour suprême du Canada a récemment réaffirmé que la norme de la décision raisonnable s’applique habituellement lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer sa propre loi, dans son domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), [2011] 3 RCS 471, au paragraphe 24. La Cour d’appel fédérale a suivi cet arrêt dans son jugement Canada (Procureur général) c Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, 2013 CAF 75; voir aussi Office des transports du Canada c Morten, 2010 CF 1008. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux deux questions de fond est sans aucun doute celle de la raisonnabilité. Ainsi, la Cour n’interviendra que si les conclusions du Tribunal n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables.

 

[38]           Les questions d’équité procédurale n’exigent pas une analyse de la norme de contrôle. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 RCS 539, au paragraphe 102, « [l]’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations ». Par conséquent, la Cour doit déterminer si les exigences de l’équité procédurale ont été respectées. Aucune déférence n’est nécessaire pour l’examen de ces questions : soit le décideur a respecté l’obligation d’équité, soit il a manqué à cette obligation : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53.

 

            -           L’autorité de la chose jugée, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure

[39]           Il est bien établi que le caractère définitif des instances est une vertu cardinale du système de justice et l’une des caractéristiques de la primauté du droit. En règle générale, une décision judiciaire devrait donc trancher les questions litigieuses de manière définitive, tant qu’elle n’est pas infirmée en appel : Angle c MRN, [1975] 2 RCS 248 [Angle]; Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 RCS 460 [Danyluk]. Un certain nombre de principes ont été élaborés pour empêcher d’abuser du processus décisionnel, notamment ceux de l’autorité de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, des contestations indirectes et de l’abus de procédure. Certes, l’origine et l’application de ces principes les distinguent relativement entre eux, mais ils procèdent tous de principes sous-jacents communs que la Cour suprême a résumés comme suit : 

                    La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties (Danyluk, par. 18; Boucher, par. 35).

 

                    Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi (Toronto (Ville), par. 38 et 51).

 

                    La contestation de la validité ou du bien‑fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur (Boucher, par. 35; Danyluk, par. 74).

 

                    Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative (TeleZone, par. 61; Boucher, par. 35; Garland, par. 72).

 

                    En évitant les remises en cause inutiles, on évite le gaspillage de ressources (Toronto (Ville), par. 37 et 51).

 

Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c Figliola, [2011] 3 RCS 422, au paragraphe 34 [Figliola].

 

[40]           Les parties s’entendent sur le critère servant à déterminer si l’exception relative à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique. Trois conditions d’application doivent être réunies : 1) la même question doit avoir été tranchée; 2) la décision antérieure invoquée était finale; 3) les parties, ou leurs ayants droit, étaient les mêmes dans les deux instances. Ainsi que l’a déclaré la Cour suprême dans Danyluk, au paragraphe 33, « [l]’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue ».

 

[41]           S’exprimant au nom de la Cour suprême dans l’arrêt Danyluk, le juge Binnie a souligné que les règles qui régissent la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas s’appliquer machinalement. Conscient de l’objectif d’équilibre que sert ce principe, le juge a insisté sur le fait que l’analyse ne se limite pas à vérifier le respect des conditions d’application. Même si elles sont réunies, la Cour doit tout de même se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devrait être appliquée : Danyluk, à la page 481.

 

[42]           La règle interdisant les contestations indirectes vise également à protéger l’équité et l’intégrité du système de justice tout en assurant que les parties désireuses de contester la validité d’une décision se prévalent de la procédure de contrôle judiciaire ou d’appel indiquée. Enfin, la doctrine de l’abus de procédure peut entrer en jeu lorsque les exigences de l’autorité de la chose jugée ne sont pas strictement réunies, et que la remise en cause entraînerait un gaspillage des ressources judiciaires et pourrait miner l’intégrité de l’administration de la justice : Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, [2003] 3 RCS 77, au paragraphe 51; R c Mahalingan, [2008] 3 RCS 316, au paragraphe 106.

 

[43]           L’avocat du demandeur soutient que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique non seulement aux enjeux déjà soulevés, mais aussi à ceux qui auraient pu l’être. Il cite à cet égard l’arrêt Canada c Chevron Canada Resources Ltd, [1999] 1 CF 349, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a reproduit l’extrait suivant du jugement Henderson v Henderson (1843), 3 Hare 100 (à la page 115) :

[traduction]

« ... [L]orsqu’une question donnée devient l’objet d’un litige devant être tranché par un tribunal compétent, la cour exige des parties à ce litige qu’elles fassent valoir l’ensemble des éléments de leur affaire et elle ne leur permettra pas (à moins de circonstances exceptionnelles) de revenir avec le même objet dans un autre litige relativement à des questions qui auraient pu être soulevées dans le cadre du premier litige, mais qui ne l’ont pas été uniquement parce que les parties ont, par négligence, par erreur ou même en raison d’un cas fortuit, omis de soulever certains éléments. Le principe de la chose jugée s’applique, à moins de circonstances exceptionnelles, non seulement aux éléments sur lesquels les parties ont expressément demandé à la cour de se prononcer, mais aussi à chacun des éléments qui font logiquement partie de l’objet du litige et que les parties auraient pu soulever à l’époque si elles avaient fait preuve de diligence raisonnable. »

 

[44]           Je constate cependant que la Cour suprême a adopté un critère plus rigoureux dans l’arrêt Danyluk, dans lequel elle souligne que les questions visées par la préclusion doivent avoir été tranchées de manière directe et finale par un tribunal compétent. Renvoyant à la décision des juges majoritaires rédigée par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, le juge Binnie affirme ce qui suit dans l’arrêt Danyluk, au paragraphe 24 :

S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Angle, précité, p. 255, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a également fait sienne la définition plus exigeante de l’objet de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. « Il ne suffira pas », a‑t‑il dit, « que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l’affaire antérieure ou qu’elle doive être inférée du jugement par raisonnement. » La question qui est censée donner naissance à la préclusion doit avoir été « fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé » dans l’affaire antérieure. En d’autres termes, comme il est expliqué plus loin, la préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit (« les questions ») à l’égard desquels on a nécessairement statué (même si on ne l’a pas fait de façon explicite) dans le cadre de l’instance antérieure.

 

[45]           Il ne fait aucun doute qu’en l’absence d’une loi à l’effet contraire, des tribunaux autres que ceux qui s’occupent de droits de la personne jouissent d’une compétence commune en cette matière. Dans le cas qui nous occupe, le législateur a explicitement indiqué que la CRTFP peut interpréter et appliquer la LCDP. Les alinéas 226(1)g) et h) de la LRTFP disposent :

Pouvoirs

 

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[...]

 

g) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;

 

 

 

h) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

 

Powers

 

226. (1) An adjudicator may, in relation to any matter referred to adjudication,

[...]

 

(g) interpret and apply the Canadian Human Rights Act and any other Act of Parliament relating to employment matters, other than the provisions of the Canadian Human Rights Act related to the right to equal pay for work of equal value, whether or not there is a conflict between the Act being interpreted and applied and the collective agreement, if any;

 

(h) give relief in accordance with paragraph 53(2)(e) or subsection 53(3) of the Canadian Human Rights Act;

[46]           Corrélativement, la LCDP est expressément fondée sur un modèle de compétence commune. Les alinéas 41(1)b) et 44(2)b) de cette loi confèrent spécifiquement à la Commission le pouvoir discrétionnaire de soumettre les plaintes à un autre mécanisme de recours si elle estime que celles-ci peuvent « avantageusement » être instruites selon les procédures prévues par une autre loi. Le législateur a donc clairement et délibérément indiqué que la Commission et les organismes d’origine législative se prononçant ultimement avaient une compétence commune à l’égard des questions de droits de la personne. Par conséquent, la CRTFP aurait pu instruire une plainte alléguant la discrimination; subsidiairement, le TCDP aurait pu aussi examiner cette question si la CRTFP ne l’avait pas fait.

Irrecevabilité

 

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[...]

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

Commission to deal with complaint

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[...]

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

Suite à donner au rapport

 

44. (2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

[...]

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

Action on receipt of report

 

44. (2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

[...]

 

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

 

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

[47]           L’enjeu en l’espèce est donc celui de savoir si les questions soulevées devant le TCDP ont effectivement été tranchées par la CRTFP. En cas contraire, le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas. Si par contre les deux tribunaux administratifs sont saisis des mêmes questions, les trois exigences du critère lié à la préclusion sont manifestement réunies puisque la décision de la CRTFP était finale (paragraphe 51(1) de la LRTFP) et que les parties (M. Hughes et RHDSC) étaient les mêmes dans chacune des instances devant la Commission et le Tribunal. Le fait que la CCDP ait pris part à l’instance devant le TCDP ne prête pas à conséquence, car son intérêt à l’égard de la réparation que pouvait accorder le Tribunal était minimal : voir Nova Scotia (Human Rights Commission) v Dural, [2003] NSJ no 418 (NSCA), au paragraphe 40.

 

[48]           L’avocat du demandeur fait valoir que cinq questions ont été soulevées à la fois devant la Commission et devant le Tribunal : 1) le refus de transférer ou de muter M. Hughes à un autre poste; 2) le refus de prolonger la durée de son emploi à durée indéterminée; 3) les références injustes ou incomplètes et les demandes de références de la part du chef d’équipe qu’il avait à l’époque; 4) l’expiration anticipée des bassins de candidats préqualifiés; 5) le refus de réaffecter M. Hughes. Comme je l’ai déjà mentionné, la CRTFP a conclu que RHDSC s’était acquitté de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses décisions relevaient de l’exercice raisonnable d’un pouvoir de gestion fondé sur les besoins opérationnels perçus. Le Tribunal a répondu aux mêmes questions, mais n’a pu convenir avec la CRTFP que la décision de ne pas réaffecter M. Hughes correspondait à un exercice raisonnable d’un pouvoir de gestion. Le demandeur allègue qu’il s’agit exactement du genre d’incohérence que la Cour suprême voulait voir évitée.

 

[49]           Je ne suis pas d’accord. Une lecture attentive des deux décisions révèle certains chevauchements factuels, mais évidemment ceux-ci ne permettent manifestement pas de satisfaire à l’exigence du caractère identique que requiert le critère de la préclusion. Même si les faits considérés étaient identiques, globalement ils n’ont pas été examinés du même œil, et d’ailleurs ils n’auraient pas dû l’être. Le demandeur reconnaît lui-même dans son mémoire que les [traduction] « dans les formulaires de plainte soumis à la CRTFP, M. Hughes n’a soulevé d’aucune manière les allégations de discrimination fondée sur la déficience et celle-ci ne les a pas examinées non plus ». Bien que le TCDP s’en soit tenu à la question de la discrimination fondée sur la déficience, M. Hughes ne l’a pas soulevée devant la CRTFP. C’est pourquoi on ne saurait affirmer que la Commission et le Tribunal ont tranché la même question.

 

[50]           Il est vrai que certains témoins ont été entendus par la CRTFP et aussi par le TCDP. Sauf que la Commission a examiné ces témoignages afin de déterminer si RHDSC s’était livré à des pratiques déloyales visées aux articles 185 à 190 de la LRTFP, et que le TCDP ne s’est intéressé qu’aux questions de droits de la personne et qu’il a envisagé quels postes pouvaient être proposés à M. Hughes à titre de mesures d’adaptation du fait de sa déficience. C’est dans cette mesure que les deux décisions ne sont pas contradictoires. Il était loisible à la CRTFP de conclure que les décisions de RHDSC relevaient de l’exercice raisonnable d’un pouvoir de gestion, mais cette conclusion ne pouvait pas lier le TCDP. Une fois informé de l’existence d’une déficience, l’employeur ne saurait s’acquitter de son devoir d’adaptation en invoquant simplement l’exercice raisonnable d’un pouvoir de gestion. La LCDP est plus exigeante puisqu’elle lui impose de respecter ce devoir à moins que ce ne soit au prix de contraintes excessives.

 

[51]           La situation aurait été tout autre si la CRTFP avait été appelée à trancher les mêmes questions liées aux droits de la personne que le TCDP, comme dans les affaires Canada (Commission des droits de la personne) c Office des transports du Canada, 2011 CAF 332, et Figliola. En l’espèce, cependant, la CRTFP a examiné les décisions du RHDSC non pas du point de vue des mesures d’adaptation dues à une personne souffrant d’une déficience, mais pour déterminer si elles représentaient un acte de représailles parce que M. Hughes avait exprimé le désir de devenir un membre du comité exécutif du syndicat, ou parce qu’il avait déposé des plaintes pour pratiques déloyales.

 

[52]           Même si j’étais disposé à tenir pour acquis que les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient réunies, la Cour devrait tout de même se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si ce principe devrait être appliqué. Ainsi que l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Danyluk, au paragraphe 67, « [l]’objectif est de faire en sorte que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrète dans une affaire donnée ». Voir également : Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, aux paragraphes 30 et 31.

 

[53]           Il ne fait aucun doute que l’audience qui s’est déroulée devant la CRTFP était équitable et que M. Hughes a pu librement faire valoir ses arguments. Il a bénéficié d’une audience complète de plus de sept jours, pendant laquelle des preuves documentaires ont été produites, et cinq témoins ont été appelés et contre-interrogés. De plus, l’expertise du décideur en question n’a pas été mise en cause.

 

[54]           Cela dit, il serait injuste de se servir de l’issue de cette affaire pour empêcher M. Hughes de saisir le TCDP. Les questions concernant les droits de la personne soulevées par M. Hughes devaient être tranchées, et le Tribunal était la seule instance devant laquelle elles ont été examinées. Empêcher M. Hughes de mettre ces questions en litige devant le TCDP entraînerait une grande injustice.

 

[55]           L’avocat du demandeur fait valoir que la question de la déficience de M. Hughes et celle de l’obligation d’adaptation auraient pu être soulevées devant la CRTFP. Cela ne fait aucun doute, mais je ne pense pas que l’on puisse reprocher à M. Hughes de ne pas l’avoir fait. La CRTFP a pour mandat principal d’offrir des services en matière d’arbitrage et de médiation en conformité avec la LRTFP (voir l’article 13 de cette Loi), laquelle porte surtout sur les relations patronales-syndicales, les négociations collectives ainsi que la résolution juste, crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi (voir le préambule de la Loi). Cela dit, M. Hughes pouvait légitimement soumettre sa plainte en matière de droits de la personne à un tribunal spécialisé, même si la CRTFP est compétente pour appliquer la LCDP. Cette Loi est expressément fondée sur un modèle de compétences communes, et l’on peut tenir pour acquis que le législateur voulait laisser à quelqu’un dans la situation de M. Hughes le choix de décider à quel tribunal il soumettrait sa plainte en matière de droits de la personne.

 

[56]           Je constate par ailleurs que RHDSC n’a pas contesté par voie de contrôle judiciaire la décision de la Commission de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il mène enquête. Si M. Hughes ne devait avoir droit qu’à une seule tentative, pour citer le juge Binnie dans l’arrêt Danyluk (au paragraphe 18), il en va de même pour RHDSC. S’il estimait qu’il était interdit au TCDP d’examiner les plaintes de M. Hughes ou qu’une telle procédure constituait une contestation indirecte de la décision de la CRTFP, le demandeur aurait dû solliciter le contrôle judiciaire du renvoi de l’affaire devant le Tribunal pour enquête au lieu de laisser instruire l’affaire et d’invoquer cet argument après que le Tribunal eut rendu une décision défavorable.

 

[57]           Pour ces motifs, j’estime donc, conformément à mon pouvoir discrétionnaire, que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne devrait pas empêcher M. Hughes de faire valoir devant le TCDP que RHDSC n’a pas pris des mesures d’adaptation du fait de sa déficience et ce, même si les conditions d’application de ce principe étaient réunies.

 

            -           La décision du Tribunal est-elle raisonnable?

[58]           L’avocat du demandeur soutient que la décision du Tribunal était déraisonnable pour un certain nombre de motifs.

 

[59]           Premièrement, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part du Tribunal de conclure qu’en refusant ou en omettant de reconnaître les qualifications de M. Hughes, et qu’en ne le réengageant pas à partir d’un bassin de candidats CR‑05 alors qu’il savait qu’il souffrait d’une déficience, RHDSC s’est livré à un acte discriminatoire. D’après le demandeur, rien n’indique que RHDSC n’a pas reconnu les qualifications de M. Hughes; c’est le changement du niveau d’instruction requis pour le bassin en question qui a fait que M. Hughes n’était plus qualifié. De plus, RHDSC n’était pas au courant de la déficience de M. Hughes puisque la seule preuve dont il disposait était une liste de vérification des références renvoyant à une affection médicale passée et rien de plus. Par ailleurs, le demandeur allègue qu’il ne pouvait pas l’embaucher à partir du bassin CR‑05, puisque la modification des exigences et la perte de qualifications de M. Hughes en faisaient un candidat externe qui ne répondait pas aux conditions requises pour appartenir aux bassins PM-01 et PM-02. Le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]

[L]e Tribunal, en réalité, est en train de dire à RHDSC qu’il aurait dû affirmer que M. Hughes souffrait d’une déficience actuelle sur la foi d’une affection médicale passée mentionnée dans une liste de vérification des références. RHDSC aurait donc dû consentir des mesures d’adaptation qui n’ont pas été demandées en vue d’une sélection à partir du bassin CR-05 pour un nouveau poste pour lequel il n’avait pas le niveau d’instruction requis.

 

[60]           Deuxièmement, le demandeur soutient que dans sa décision, le Tribunal a déraisonnablement conclu que l’obligation d’accommodement qu’avait l’employeur envers M. Hughes, sans qu’il en résulte pour lui une contrainte excessive, consistait notamment à offrir à M. Hughes un emploi permanent. Pourtant, la lettre que M. Hughes a signée lorsqu’il a accepté son poste indiquait clairement que [traduction] « [...] vos services peuvent être requis pour une période plus courte, dépendamment de la disponibilité du travail et la continuité des fonctions à remplir; rien dans la présente entente ne doit être interprété comme une offre d’emploi à durée indéterminée [...] ». Le demandeur ajoute que l’obligation d’accommodement n’est pas censée obliger l’employeur à congédier un employé afin d’offrir son poste à un collègue souffrant d’une déficience, ou à créer un emploi alors qu’il n’y a pas de travail.

 

[61]           Troisièmement, le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable de la part du Tribunal d’octroyer des dommages-intérêts pour conduite délibérée et inconsidérée au titre du paragraphe 53(3) de la LCDP. Même en admettant que RHDSC a délibérément refusé de prolonger la durée de l’emploi de M. Hughes de manière indéfinie ou de rendre son emploi permanent, rien n’indique qu’il a agi de manière inconsidérée. En l’absence d’une conclusion à cet effet, il était déraisonnable de la part du Tribunal de conclure qu’une indemnité spéciale devait être octroyée au titre du paragraphe 53(3) de la LCDP.

 

[62]           Enfin, le demandeur allègue que dans sa décision, le Tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve essentiels. L’avocat fait valoir que le TCDP n’a pas tenu compte des plaintes présentées au titre de la LRTFP, de la décision de la CRTFP et des témoignages de Mme Porter et de Mme Moulay (Ressources humaines), ces dernières pouvant expliquer pourquoi RHDSC ne pouvait embaucher M. Hughes à partir du bassin de candidats CR‑05 et pourquoi il n’a pas pu obtenir un emploi permanent.

 

[63]           Le demandeur prie essentiellement la Cour d’apprécier la preuve de nouveau. Lorsqu’une décision est examinée suivant la norme de la raisonnabilité, la Cour doit faire montre de déférence à l’égard du raisonnement du décideur et ne doit pas analyser la question elle-même. Comme l’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[64]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, le TCDP n’a pas dit à RHDSC qu’il aurait dû conclure que M. Hughes souffrait d’une déficience actuelle sur la foi d’une affection médicale passée mentionnée dans sa liste de vérification des références. Le 18 février 2008, M. Hughes a présenté une première demande de mesures d’adaptation fondée sur sa déficience, et il a transmis à Mme Smith une note de son médecin datant du même jour et indiquant explicitement qu’il avait des antécédents de dépression et qu’il [traduction] « avait été assez stressé et déprimé ce dernier mois ». Madame Smith a modifié ses tâches sur la foi de cette note. Le 14 avril 2008, M. Hughes a soumis à Mme Smith une autre demande de mesures d’adaptation fondée sur sa déficience. Malgré les commentaires d’une consultante en ressources humaines signalant à la direction de RHDSC la gravité de la dépression de M. Hughes, cette deuxième demande n’a pas eu de suite et ce dernier a reçu cinq semaines plus tard une lettre lui annonçant que son emploi prendrait fin le 27 juin 2008. Dans les circonstances, il n’est pas sérieux d’affirmer que RHDSC ignorait la déficience de M. Hughes, ou que la décision du Tribunal est déraisonnable.

 

[65]           De plus, on ne peut raisonnablement soutenir que le Tribunal a conclu qu’un employeur doit continuer d’employer un individu embauché pour une période déterminée au-delà de la durée prévue si ce dernier est ou devient atteint d’une déficience. Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que les agents de traitement RPC/SV (postes CR-04/CR-03) étaient en demande, si bien qu’on ne saurait sérieusement affirmer que l’embauche de M. Hughes revenait à lui créer un emploi sur mesure ou à prendre celui de quelqu’un d’autre. De plus, le Tribunal a bien indiqué que le témoignage de M. Hughes révélait surtout que celui-ci supposait à tort qu’une inscription dans un bassin de candidats signifiait une garantie d’emploi. Or, le TCDP a affirmé que « a) le refus ou la négligence de la part de RHDSC de reconnaître les qualifications de M. Hughes, et b) le fait de ne pas le réembaucher à partir du bassin CR-05 tout en sachant qu’il était atteint d’une déficience constitue un acte discriminatoire ». Cette conclusion est étayée par le courriel du 14 décembre 2007 dans lequel M. Quinn indiquait que RHDSC avait l’intention d’offrir un poste permanent aux employés du PEC en mesure de démontrer qu’ils avaient les compétences requises pour se charger du traitement des demandes. Dans les circonstances, le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que la direction de RHDSC a délibérément fait fi de l’obligation que lui impose la LCDP. Il ne faut pas oublier que la discrimination ne doit pas être nécessairement la raison unique ou principale pour laquelle l’employeur refuse d’embaucher une personne atteinte d’une déficience.

 

[66]           Quant à l’indemnité de 10 000 $ accordée à M. Hughes en raison de la conduite délibérée et inconsidérée de l’employeur au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP, il était certainement loisible au Tribunal de conclure que la discrimination était intentionnelle. Il existe de nombreuses similitudes entre la présente affaire et la décision que la Cour a rendue dans le jugement Canada (Procureur général) c Johnstone, 2013 CF 113 [Johnstone]. Le juge Mandamin y déclarait au paragraphe 155 :

Pour accorder une indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi, le Tribunal doit être convaincu que l’acte discriminatoire était délibéré ou inconsidéré. Il s’agit d’une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires. Pour conclure que l’acte était délibéré, il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels. On entend par « acte inconsidéré » celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante.

 

[67]           Dans les deux cas, le TCDP a accordé une indemnité spéciale parce que RHDSC, en l’espèce, et l’ASFC dans l’affaire Johnstone, n’ont pas tenu compte de la question essentielle des mesures d’adaptation dues aux plaignants qui invoquent des motifs légitimes de discrimination (une déficience en l’espèce et une situation de famille dans l’affaire Johnstone). Le TCDP est un tribunal spécialisé dans les droits de la personne dont la décision relevant de son domaine d’expertise appelle la déférence, et la Cour doit se garder de réévaluer la preuve.

 

[68]           Enfin, on ne saurait soutenir que la décision du Tribunal n’était pas suffisamment motivée du fait qu’il n’a pas tenu compte des plaintes présentées à la CRTFP, de la décision qu’elle a rendue et du témoignage livré par deux témoins importants. Comme nous l’avons déjà indiqué, les plaintes de M. Hughes soumises au titre de la LRTFP ne concernent pas une discrimination fondée sur la déficience et, pour cette raison, ces plaintes et la décision de la CRTFP ne constituent pas des éléments de preuve pertinents à examiner pour trancher la question de la discrimination dont le TCDP était saisi.

 

[69]           Quant aux témoignages de Mmes Porter et Moulay, le TCDP a clairement décrit, aux pages 4 à 6 de sa décision, le fondement des plaintes pour discrimination et représailles de M. Hughes, et leurs dépositions le confirment. Leurs témoignages principaux et leurs contre-interrogatoires ne renferment aucun renseignement additionnel de nature à affecter la décision dans sa version actuelle.

 

-           Le Tribunal a-t-il manqué à l’équité procédurale en accordant une réparation?

[70]           Le demandeur soutient que le Tribunal a manqué à l’équité procédurale lorsqu’il a informé les parties qu’il examinerait la question de la responsabilité à l’audience et qu’il en consacrerait une autre à la réparation, alors qu’il a accordé une réparation dans sa décision sans permettre à l’une ou l’autre des parties d’être entendue sur ce point. La CCDP n’a pas pris position là-dessus, car elle n’a pas pris part à l’instruction de la plainte. Quant à M. Hughes, il n’a pas comparu devant la Cour.

 

[71]           Après avoir examiné la transcription, je conviens avec le demandeur que les parties n’ont pas pu présenter des observations au sujet de la réparation, le membre du Tribunal ayant explicitement indiqué que l’audience sur la responsabilité et celle sur les mesures de réparation seraient séparées. Dans les circonstances, le mieux est de renvoyer la question de la réparation au Tribunal pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

5.         Conclusion

[72]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’affaire est renvoyée au Tribunal uniquement pour qu’il rende une nouvelle décision sur la question de la réparation. La Commission n’a pas réclamé de dépens, eu égard à son mandat d’intérêt public, et donc aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’affaire est renvoyée au Tribunal uniquement pour qu’il rende une nouvelle décision sur la question de la réparation. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

T-2034-12

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c CHRIS HUGHES ET COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

                                                            Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

                                                            LE 2 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 21 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Malcolm Palmer

Kevin Staska

 

POUR LE demandeur

 

 

Giacomo Vigna

 

POUR LA défenderesse

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE demandeur

 

Commission canadienne des droits de la personne

Division des services du contentieux

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

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