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Date : 20140331


Dossier:

IMM-1373-14

 

Référence: 2014 CF 308

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2014

En présence de Monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

GIGA ODOSASHVILI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le traitement de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été accéléré parce que le prochain contrôle des motifs de détention de Monsieur Odosashvili par la Section de l’immigration [SI] est prévu pour le mardi 1er avril 2014. M. Odosashvili sollicite le contrôle de la dernière décision de la SI rendue le 3 mars 2014 – le contrôle de la détention de sept jours. Cette décision visait le maintien de sa détention aux termes des alinéas 58(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               L’autorisation est accordée, et la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Mes motifs d’ordonnance sont brièvement énoncés ci‑après.

 

[3]               M. Odosashvili, un citoyen de la république de la Géorgie, est un résident permanent du Canada. Il a récemment été accusé des infractions suivantes :

(i)     Le 12 décembre 2013 : Accusé par le service de police régional de York de deux chefs d’entrée par effraction, de possession de biens criminellement obtenus de plus de 5 000 $ et d’entrave à un agent de la paix;

 

(ii)   Le 13 février 2014 : Accusé par le service de police de Toronto de deux chefs d’entrée par effraction.

 

[4]               M. Odosashvili a comparu pour répondre aux accusations et a été libéré sous caution. Il a été détenu par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile le 21 février 2014. Il est allégué que M. Odosashvili est interdit de territoire pour criminalité organisée aux termes du paragraphe 37(1) de la LIPR, qu’il constitue un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement à l’enquête.

 

[5]               Le contrôle des motifs de détention des 48 heures de M. Odosashvili a eu lieu le 24 février 2014; celui‑ci n’était pas représenté par un avocat. Sur la foi des documents et des observations du conseil du ministre, la commissaire Henrique a ordonné son maintien en détention. Elle a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que M. Odosashvili se soustrairait vraisemblablement à l’enquête et constituait un danger pour le public. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il est membre d’une organisation criminelle, la commissaire Henrique a écrit ce qui suit :

[traduction]

Étant donné que, avant votre arrivée au Canada, il semblerait que vous vous soyez livré à des activités criminelles et même si vous n’avez fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité, cela ne change rien aux preuves documentaires accablantes que j’ai devant moi à la pièce DR-1 qui souligne directement votre participation à la criminalité organisée.

 

Divers services de police ainsi que l’Agence des services frontaliers du Canada ont consacré beaucoup de temps et de ressources.

 

Et à la suite de ces efforts, les éléments de preuve que j’ai devant moi vous associent aux deux personnes dont vous avez mentionné les noms et que vous savez impliquées dans la criminalité organisée. [non souligné dans l’original]

 

[6]               La pièce DR‑1, produite par le ministre, à laquelle la commissaire Henrique a renvoyé, joue un rôle déterminant dans le contrôle des sept jours subséquent mené par la commissaire Kohler.

 

[7]               Les premières observations faites par le conseil du ministre lors du contrôle des sept jours étaient brèves. Le conseil a renvoyé à la décision antérieure de la commissaire Henrique et déclaré que celle‑ci avait souligné ce qui suit :

[traduction]

Des éléments de preuve documentaire accablants figuraient à la pièce DR‑1 concernant la participation à des activités de criminalité organisée […] [non souligné dans l’original].

 

[8]               Le conseil de M. Odosashvili a ensuite formulé des observations au nom de son client. L’une de ses observations clés concernait le fait que les éléments de preuve produits par le ministre montraient seulement que M. Odosashvili était soupçonné d’être associé à des membres présumés de la mafia géorgienne, mais que rien ne démontrait qu’il était associé à une organisation criminelle, comme l’exige l’alinéa 246b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

 

[9]               Le conseil du ministre a fait de longues observations en réponse à la suite desquelles le conseil de M. Odosashvili a demandé la possibilité de réfuter ce qu’il a décrit comme [traduction] « une présentation clairement erronée des éléments de preuve ». La commissaire a refusé de l’entendre et a déclaré ce qui suit [traduction] : « Je ne croyais pas avoir besoin d’information supplémentaire, et j’étais prête à rendre ma décision à ce moment. »

 

[10]           M. Odosashvili soulève deux questions :

(i)           Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle parce que la commissaire a refusé au conseil la possibilité de réfuter la présentation erronée des éléments de preuve qui aurait été faite en réponse par le conseil du ministre;

 

(ii)         La décision de la commissaire est‑elle déraisonnable parce que le critère adéquat en l’espèce est la question de savoir si le demandeur est associé à une organisation criminelle, et non pas s’il est associé à des membres présumés d’une organisation criminelle.

 

[11]           La véritable question en litige, à mon sens, est celle de savoir si le contrôle des motifs de détention de M. Odosashvili a été effectué de façon équitable et si la décision qui a été rendue n’est pas raisonnable.

 

[12]           J’estime, pour trois motifs, que le contrôle des motifs de détention n’a pas été effectué de manière équitable et que, par conséquent, la décision n’est pas raisonnable.

 

[13]           Premièrement, la pièce DR‑1 produite par le ministre contenait une déclaration que l’on savait ou que l’on aurait dû savoir erronée. Le 15 février 2014, la déclaration solennelle de l’agent Mark Clare indique que Malkhaz Tsiklauri et Giorgi Tchintcharauli ont été accusés d’entrée par effraction et ont été désignés comme deux des quatre dirigeants du soi-disant réseau d’entrée par effraction. Cependant, la Couronne a retiré dix mois plus tôt, soit le 24 avril 2013, toutes les accusations portées contre ces deux hommes. Ainsi, les accusations n’existaient plus. Selon un affidavit de leur criminaliste, les accusations ont été retirées sans condition. De plus, le criminaliste affirme qu’aucun des deux hommes n’a été accusé de quelque infraction que ce soit liée au crime organisé.

 

[14]           Deuxièmement, le conseil du ministre, se fondant vraisemblablement en partie sur la déclaration solennelle de l’agent Clare, a présenté des observations erronées à la commissaire. Plus précisément, il a affirmé : [traduction] (i) « M. Tsiklauri est membre de cette organisation criminelle »; (ii) [traduction] « L’enfant a deux parrains, un étant M. Odosashvili [...] et l’autre, un autre membre connu, Malkaz Tsiklauri »; et (iii) [traduction] « Les autres amis de M. Odosashvili sont membres de l’organisation criminelle » (non souligné dans l’original).

 

[15]           Contrairement à ces observations, il n’y a pas d’élément de preuve au dossier pour étayer l’affirmation selon laquelle Malkhaz Tsiklauri, ou Giorgi Tchintcharauli, ou, en fait, quiconque est membre de l’organisation criminelle. Le ministre et la police peuvent bien croire qu’ils le sont, mais aucun tribunal pénal n’a conclu que l’un d’entre eux est membre d’une telle organisation. Étant donné la fermeté de ces déclarations non équivoques du conseil, je ne peux tout simplement pas accepter l’observation du ministre voulant que tous auront compris que ces déclarations ne sont rien de plus qu’une allégation.

 

[16]           Troisièmement, lorsque des présentations erronées d’une telle ampleur sont faites en réponse, le détenu doit avoir le droit de les réfuter, ne serait‑ce que de souligner à la commissaire qu’elles sont  fausses. Le conseil du demandeur a bien essayé de les réfuter, mais n’y a pas été autorisé par la commissaire, et, compte tenu des faits de l’espèce, c’était injuste.

 

[17]           En somme, le ministre a, à tort, utilisé les accusations qui ont été retirées contre Malkhaz Tsiklauri et Giorgi Tchintchrauli à titre d’éléments de preuve de leur participation aux activités d’une organisation criminelle. Il s’est par la suite servi de l’association de M. Odosashvili à ces deux hommes comme preuve de son association à l’organisation criminelle.

 

[18]           La commissaire s’est fondée sur le lien entre M. Odosashvili, M. Tsiklauri et M. Tchincharauli pour conclure que le demandeur était associé à une organisation criminelle et constituait, par conséquent, un danger pour le public. De plus, elle s’est fondée sur cette association, en partie, pour conclure que M. Odosashvili risquait de prendre la fuite et pour rejeter la caution de surveillance proposée.

 

[19]           Une autre déclaration faite à tort par le conseil du ministre peut aussi avoir influé sur le rejet de la caution de surveillance proposée. Pendant l’examen des motifs de détention, le conseil du ministre a soutenu ce qui suit : [traduction] « Soulignons que pendant l’exécution de mandats de perquisition pendant laquelle M. Odosashvili a été arrêté pour la première fois par le service de police de Toronto, environ 18 000 $ en espèces ont été saisis » (non souligné dans l’original). Cette observation était fondée sur un communiqué émis par le service de police de Toronto. Selon le communiqué, cinq mandats de perquisition ont été exécutés à partir du 2 décembre 2013, soit onze jours avant la mise en accusation de M. Odosashvili. Ce dernier comptait parmi les quatre hommes accusés. Le communiqué n’indique pas où les fonds ont été saisis. De plus, comme l’a souligné l’avocat du demandeur, un autre des accusés, contrairement à M. Odosashvili, a été accusé de possession de biens criminellement obtenus et de possession de produits de la criminalité. Il s’agit d’une preuve solide de ce que les 18 000 $ n’ont pas été trouvés sur les lieux où M. Odosashvili a été arrêté, sinon celui‑ci aurait été accusé des mêmes infractions.

 

[20]           La Cour trouve ces imprécisions très troublantes. Dans Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 504, [2012] AFC No 540, au paragraphe 42, la juge Mactavish a énoncé l’obligation de franchise et d’honnête incombant à l’avocat du ministre :

Les personnes qui représentent Sa Majesté devant les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs ont toujours l'obligation d'être honnêtes et franches dans leurs rapports avec les plaideurs et les tribunaux. Le fait que les propos en question aient été formulés par le représentant du ministre sous forme d'observations plutôt que dans le cadre de la preuve ne diminue en rien l'obligation de franchise à laquelle est astreint le représentant du ministre.

 

Je souscris totalement à cette observation, et j’ajouterais que l’obligation de franchise et d’honnêteté revêt une importance accrue lorsque la liberté d’une personne est en jeu.

 

[21]           Pour ces raisons, la décision de la SI ne peut pas être maintenue. Elle est fondée, en partie, sur des renseignements inexacts fournis par le ministre. Sans ces renseignements, on ne peut pas soutenir que la commissaire aurait inévitablement maintenu la détention du demandeur.

 

[22]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] ACF No 15 (QL), la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 10, a écrit qu’il faut « dans les cas où un commissaire décide d'aller à l'encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés ». La décision de maintenir la détention du demandeur après le premier contrôle des motifs de détention a été prise, en partie, sur la foi des renseignements inexacts fournis dans la déclaration solennelle de l’agent Clare. Même si cette décision n’est pas l’objet du présent contrôle, je souligne que, si le prochain commissaire établit que la détention n’est pas justifiée, cette imprécision, à elle seule, fournira un motif clair et convaincant pour déroger à la décision précédente.

 

[23]           Aucune question n’a été proposée pour certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’autorisation est accordée, la demande est accueillie, la décision de la Section de l’immigration du 3 mars 2014, maintenant la détention du demandeur, est annulée, l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen conformément aux présents motifs des motifs de détention de M. Odosashvili, et aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-1373-14

 

INTITULÉ :

GIGA ODOSASHVILI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 27 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                           LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS ET DU
JUGEMENT :

                                                            LE 31 MARS 2014

COMPARUTIONS

Nikolay Y. Chsherbinin

 

pour le demandeur

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

CHSHERBININ LITIGATION

Toronto (Ontario)

 

 

pour le demandeur

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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