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Date : 20140224


Dossier :

T‑1555‑12

 

Référence : 2014 CF 173

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2014

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

ET G.C. SEARLE & CO.

 

demanderesses

et

APOTEX INC.

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.          Aperçu général

 

[1]               Pfizer fait appel d’une ordonnance du protonotaire Aalto par laquelle, à la requête d’Apotex, il radiait certains paragraphes de la preuve d’expert produite par Pfizer, permettait à Apotex de produire une preuve d’expert en réponse et ordonnait à Pfizer de prendre à sa charge une partie des dépens d’Apotex. L’ordonnance s’inscrivait dans le contexte d’une demande de Pfizer pour que soit rendue une ordonnance d’interdiction aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). L’appel interjeté par Pfizer concerne uniquement la partie de l’ordonnance où le protonotaire Aalto enjoignait à Pfizer de payer les dépens de la requête d’Apotex selon une [traduction] « échelle élevée d’indemnisation ».

 

[2]               Pfizer soutient que le protonotaire n’aurait pas dû la condamner à des dépens selon une échelle élevée sans lui donner la possibilité de présenter des observations (Apotex avait demandé que les dépens afférents à sa requête lui soient adjugés, mais non les dépens procureur‑client). Pfizer affirme aussi que le protonotaire Aalto ne pouvait adjuger de tels dépens sans conclure explicitement à l’existence de circonstances exceptionnelles, ce que le protonotaire s’est abstenu de faire. Enfin, Pfizer prétend que le protonotaire Aalto devait s’en rapporter aux facteurs régissant l’adjudication des dépens, facteurs qui sont exposés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

[3]               Il m’est impossible de souscrire aux conclusions de Pfizer. Le protonotaire Aalto a composé avec les circonstances qui lui avaient été soumises, en concevant une réparation adaptée et équitable qui favorisait les deux parties. Pfizer a été en mesure de préserver la quasi‑totalité de sa preuve d’expert. Apotex s’est vu accorder la possibilité de répondre à cette preuve par sa propre preuve et a bénéficié d’un dédommagement pour les frais additionnels qui en résulterait. Je ne puis voir dans ces conditions aucune injustice pour Pfizer, ni rien de déraisonnable dans la décision du protonotaire Aalto.

 

II.        La requête d’Apotex et l’ordonnance du protonotaire

 

[4]               Dans sa demande d’interdiction, Pfizer voulait que soit inversé l’ordre de présentation de la preuve – en somme, obliger Apotex à produire sa preuve en premier. Apotex s’est opposée à cette requête, mais a acquiescé à une inversion partielle de l’ordre de présentation de la preuve, Pfizer devant être la première à présenter sa preuve factuelle, après quoi Apotex produirait sa preuve d’expert sur l’absence d’utilité, puis Pfizer produirait alors sa preuve d’expert en réponse.

 

[5]               Pfizer a produit une preuve factuelle, à laquelle Apotex a répondu par sa preuve d’expert. Pfizer a alors produit sa preuve d’expert, dont une quantité appréciable fut considérée par Apotex comme une preuve factuelle, consistant principalement en études qui étayaient la position de Pfizer sur l’utilité.

 

[6]               Apotex a ensuite présenté une requête en radiation d’une part appréciable de la preuve de Pfizer en affirmant que cette preuve ne cadrait pas avec l’accord d’inversion partielle de l’ordre de présentation de la preuve et que par conséquent Apotex avait subi un préjudice pour avoir dû produire sa preuve d’expert sans que soient communiqués les documents sur lesquels Pfizer entendait se fonder pour appuyer ses arguments concernant l’utilité. Pfizer s’est opposée à la requête, tout en admettant qu’Apotex doive pouvoir répondre à la preuve d’expert.

 

[7]               Le protonotaire Aalto a cru manifestement qu’il fallait éviter d’ordonner l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve en général, et l’inversion partielle en particulier. Cependant, il a reconnu que la radiation de parties d’affidavits est une mesure d’exception. Le juge qui instruit la procédure d’interdiction devrait avoir devant lui un dossier complet, et le fait de radier d’importantes parties de la preuve de Pfizer serait préjudiciable à Pfizer. En revanche, Pfizer avait clairement été informée de l’existence de la preuve factuelle sur laquelle ses experts allaient se fonder, en raison de procédures parallèles engagées avec une autre partie, or elle n’avait pas révélé cette preuve à Apotex. Le point litigieux concernait la réparation qui devait être accordée dans un tel cas.

 

[8]               Le protonotaire Aalto a cherché un terrain d’entente qui permettrait de remédier en partie au préjudice subi par Apotex, en autorisant Apotex à produire une contre‑preuve. Il a aussi conclu qu’il convenait de radier les parties des avis d’expert de Pfizer qui critiquaient les experts d’Apotex au motif qu’ils n’avaient pas pris en considération des études dont ils n’étaient pas informés. Enfin, il a estimé qu’Apotex avait droit à des dépens selon une échelle élevée d’indemnisation pour avoir dû présenter sa requête en radiation ainsi qu’au remboursement des frais de préparation de sa contre‑preuve, mais non des frais d’expertise eux‑mêmes.

 

III.       Le protonotaire a‑t‑il traité Pfizer injustement ou a‑t‑il rendu une décision déraisonnable?

[9]               Pfizer soutient que le protonotaire ne pouvait pas la condamner aux dépens procureur‑client sans lui donner la possibilité de présenter des conclusions sur cet aspect. Le protonotaire ne pouvait pas non plus condamner Pfizer à de tels dépens sans d’abord constater que des circonstances spéciales les justifiaient. Enfin, Pfizer prétend que le protonotaire devait, en adjugeant les dépens, tenir compte des facteurs prévus à l’article 400 des Règles des Cours fédérales.

 

[10]           La réponse brève à cette position de Pfizer est tout simplement que le protonotaire n’a pas condamné Pfizer aux dépens procureur‑client. Il l’a condamnée à des dépens selon une échelle élevée d’indemnisation et a incité les parties à s’entendre sur le montant. Il ne s’agit pas là d’une condamnation aux dépens procureur‑client. D’ailleurs, les motifs exposés par le protonotaire montrent pourquoi il a condamné Pfizer à des dépens selon une échelle élevée. Il évoque un méfait, une faute et un préjudice. Enfin, le protonotaire n’avait aucune obligation de s’en rapporter explicitement aux facteurs énoncés dans l’article 400 des Règles.

 

[11]           En outre, toutefois, ces circonstances s’écartent selon moi d’une adjudication de dépens au sens ordinaire. En l’espèce, le protonotaire Aalto s’est servi des dépens comme moyen de façonner une réparation convenable et équilibrée pour répondre à une situation complexe qui sortait de l’ordinaire.

 

[12]           En outre, puisque les dépens peuvent servir d’outil permettant de rétablir une certaine justice entre les parties, l’officier de justice, tout particulièrement le juge responsable de la gestion de l’instance, doit pouvoir décider de l’outil le mieux à même d’établir le montant qui s’impose. Cela comprend nécessairement le droit de fixer les dépens selon une échelle élevée.

 

[13]           En l’espèce, le protonotaire Aalto est arrivé à une solution originale qui permettait à Pfizer de conserver la quasi‑totalité de sa preuve, donnait à Apotex la possibilité de répondre à cette preuve et indemnisait Apotex d’une partie des frais additionnels qu’elle engagerait pour ce faire. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le protonotaire Aalto a condamné Pfizer à des dépens selon une échelle élevée pour favoriser une juste résolution de la difficulté entraînée par l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve, et pour permettre aux parties de se préparer en vue d’une audience portant sur les réelles divergences qui les opposaient. Hormis une erreur ou injustice évidente, je suis très réfractaire à m’ingérer dans l’analyse équilibrée qu’a faite le protonotaire des positions respectives des parties, ou dans les moyens qu’il a pris pour faire avancer l’affaire.

 

[14]           Je suis donc d’avis de rejeter cette requête, avec dépens.

 

 

 

 


ORDONNANCE

LA COUR :

REJETTE la requête, avec dépens.

 

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T‑1555‑12

 

 

INTITULÉ :

PFIZER CANADA INC. ET G.C. SEARLE & CO. c APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 18 FÉVRIER 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

                                                            LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :

                                                            le 24 février 2014

COMPARUTIONS :

Steve Mason

 

POUR LES défendeurs

 

Andrew Brodkin

Jaro Mazzola

 

POUR LES demanderesses

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les défendeurs

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demanderesses

 

 

 

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