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Date : 20140327

Dossier : T-1907-12

Référence : 2014 CF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2014

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

EDITH BARAGAR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP) a rejeté sa plainte portant que les agissements du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (CIC) au cours du processus d'embauche pour un poste PM-04 constituaient un abus de pouvoir suivant l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, articles 12 et 13 (la LEFP).

 

[2]               La demanderesse a démontré qu’elle comprenait fort bien l'ensemble du processus et les pouvoirs délégués appropriés. Elle a invoqué de la jurisprudence, de la doctrine et des principes juridiques, certains de ces éléments étant applicables aux faits de l’espèce, d'autres non.

 

[3]               Non seulement a-t-elle à cœur sa propre situation, mais elle croit aussi que le système est équitable et transparent, de sorte que le public peut se fier au déroulement du processus d'embauche de la fonction publique.

 

[4]               La demanderesse a posé sa candidature pour l’un des deux postes internes publiés dans les annonces de possibilité d'emploi de Publiservice pour le poste d'agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) au sein du CIC. Pour l'un de ces postes, l'exigence linguistique était « anglais essentiel », tandis que pour l'autre, le profil « bilingue impératif » était exigé.

 

[5]               Les annonces de possibilité d'emploi indiquaient que les postulants devaient démontrer qu'ils répondaient à tous les critères essentiels énumérés et qu'à défaut de le faire, ils risquaient de voir leur demande rejetée. L'expérience était un critère essentiel. Dans la section « Remarques », il était mentionné, en majuscules, que les postulants devaient envoyer une lettre de présentation dans laquelle ils expliquaient qu'ils répondaient aux critères. Il était également mentionné qu'il ne suffisait pas d'affirmer que l'on répondait aux critères, mais que « ... les candidats doivent plutôt donner des exemples concrets qui montrent comment ils satisfont aux exigences ». Les annonces de possibilité d'emploi indiquaient que les candidats devaient décrire en détail à quel moment et à quel endroit ils avaient acquis l'expérience :

         de l’administration de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et de la Loi sur la citoyenneté;

         de la prise de décisions relatives à des cas se rapportant à la citoyenneté ou à l’immigration, ou de la présentation de preuves dans le cadre d’audiences de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR).

 

[6]               Le processus de candidature pour le poste PM-04 était le suivant :

         Les postulants devaient démontrer qu'ils répondaient aux critères de mérite dans leur dossier de candidature en donnant des exemples de la façon dont ils avaient répondu à ces critères dans le cadre de leur emploi.

         S'ils démontraient par des exemples concrets qu'ils répondaient aux critères, ils étaient sélectionnés.

         S'ils étaient sélectionnés, ils passaient à l'étape des entrevues, des tests, des références, etc.

         Les candidats ayant franchi la deuxième étape étaient placés dans un bassin de candidats.

         À partir du bassin de candidats, le gestionnaire recruteur choisissait qui embaucher.

 

[7]               La demanderesse a posé sa candidature pour les deux postes en présentant les mêmes renseignements dans chaque demande. Plus de 200 personnes ont également posé leur candidature pour les deux postes.

 

[8]               Le 1er octobre 2009, la demanderesse a été informée que le comité d'évaluation l'avait exclue du processus de nomination puisqu'elle ne répondait pas aux critères essentiels suivants liés à l'expérience :

         expérience récente de l'administration de la LIPR;

         expérience récente de la prise de décisions relatives à des cas se rapportant à la citoyenneté ou à l’immigration, ou de la présentation de preuves dans le cadre d’audiences de la CISR. Par « expérience récente », on entendait une expérience d’au moins 12 mois consécutifs acquise au cours des trois dernières années.

 

[9]               La demanderesse affirme que le public mérite que les meilleurs candidats qualifiés occupent les postes et non les candidats qui suivent les instructions et les procédures de la fonction publique. Elle déclare que le public serait indigné de savoir que des gens comme elle peuvent être exclus parce qu'ils n'ont pas suivi les consignes figurant dans l'annonce de Publiservice.

 

[10]           Son dossier de candidature comprenait une lettre de présentation et un curriculum vitae. Elle a indiqué qu'elle n'avait pas administré la LIPR au cours des trois années couvrant la période allant de 2004 à décembre 2007. Elle a reconnu qu’elle n’avait pas précisé les mois et l’année qui correspondaient à la période de douze mois durant lesquels elle avait travaillé à titre d’agente chargée de l’ERAR.

 

[11]           Le 9 octobre 2009, la demanderesse a eu, à sa demande, une discussion informelle avec Barbara Sachs-Syers, membre du comité d'évaluation. La demanderesse a donné suite à la conversation par un courriel, dans lequel elle a fourni des détails additionnels liés à son expérience et à ses références et a rappelé de quelle façon elle répondait aux qualités requises.

 

[12]           À la suite de la discussion informelle, Barbara Sachs-Syers a informé les autres membres du comité d'évaluation, Jennifer Woodsworth et Anna Miguel, de la discussion informelle et leur a transmis ses notes.

 

[13]           Le 15 octobre 2009, les trois membres du comité ont réexaminé le curriculum vitae de la demanderesse, sa lettre de présentation et les notes tirées de la discussion informelle et ont conclu qu'aucune erreur n'avait été faite dans le cadre de l'examen et de l'exclusion de la candidature de la demanderesse.

 

[14]           Le 19 octobre 2009, la demanderesse a été informée par courriel que les membres du comité d'évaluation s'étaient réunis de nouveau pour examiner son dossier et qu'ils avaient conclu que la demanderesse n'avait pas démontré la façon dont elle répondait aux exigences dans sa lettre de présentation. Par conséquent, la décision initiale du comité d'évaluation a été maintenue.

 

[15]           Le 11 novembre 2010, la demanderesse a envoyé un long courriel en réponse. Bonita Hart a répondu à ce courriel le 17 novembre 2010 en lui disant que la décision précédente du comité d'évaluation était maintenue. La demanderesse a répondu le jour même. Neil Yeates, le sous-ministre, a demandé au SMA d'examiner la situation. Le directeur général, Ressources humaines, a répondu au sous-ministre le 10 décembre 2010 en lui confirmant ce qui s'était passé et en lui mentionnant que la demanderesse avait déposé des plaintes auprès du TDFP. Le directeur a affirmé que le dossier devait [traduction] « suivre son cours devant le tribunal » et cette recommandation a été approuvée par le sous-ministre.

 

[16]           À la suite de l'affichage de la notification de candidature retenue (29 novembre 2010), la demanderesse a porté plainte au TDFP en vertu du sous-alinéa 77(1)a) de la LEFP.

 

[17]           À la suite d'une enquête au cours de laquelle une audience a été tenue les 7, 8 et 9 mars et le 7 mai 2012, des témoins ont été entendus et contre-interrogés et des observations écrites ont été produites, le TDFP a rendu une décision le 11 septembre 2012. Dans sa décision, le TDFP a rejeté la plainte de la demanderesse selon laquelle la décision de CIC de l'écarter du concours en excluant sa candidature et d’embaucher un autre candidat constituait un abus de pouvoir suivant l’alinéa 77(1)a) de la LEFP (Baragar c le Canada (Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada), 2012 TDFP 0023).

 

[18]           La demanderesse présente devant la Cour les mêmes arguments fondés sur l’abus de procédure qu'elle avait présentés devant le TDFP.

 

[19]           La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54 (Dunsmuir); Canada (Procureur général) c Lahlali, 2012 CF 601).

 

[20]           Je rejetterai le contrôle judiciaire pour les raisons suivantes.

 

[21]           Selon la demanderesse, le fait pour le comité d'évaluation de ne pas avoir tenu compte du courriel qu'elle a envoyé à la suite de la discussion informelle afin que celui-ci le prenne en considération dans le cadre de son examen subséquent de la décision de l’exclure du concours constitue un manquement à l'équité procédurale. Elle soutient que le TDFP a commis une erreur en ne reconnaissant pas que cette omission du comité constitue une erreur justifiant un examen.

 

[22]           La demanderesse se fonde sur les articles 47 et 49 de la LEFP pour affirmer que la discussion informelle équivaut à une conversation engageant les deux parties assimilable à un examen administratif qui exige que son courriel soit pris en compte. Elle se fonde sur l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, pour affirmer qu’en ne tenant pas compte de son courriel, le comité d’évaluation a manqué à l'obligation d'équité procédurale qu'il avait envers elle.

 

[23]           La demanderesse soutient que le droit prévoit la possibilité d’avoir une discussion informelle pour lui permettre de présenter d'autres observations.

 

[24]           Le TDFP a conclu que le comité d'évaluation a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant de prendre en compte les renseignements supplémentaires envoyés par la demanderesse par courriel à la suite de la discussion informelle. S'appuyant sur les décisions du TDFP, le comité a jugé que l'article 47 de la LEFP, qui prévoit les discussions informelles, ne comprend pas d'obligation de réévaluer les qualités des candidats à la suite de ces discussions. Par conséquent, la demanderesse n'avait pas droit à ce que sa candidature soit réévaluée de manière à tenir compte des renseignements supplémentaires qu'elle a présentés après avoir été exclue du processus de nomination.

 

[25]           Pour cette raison, le TDFP a conclu que le comité d'évaluation n'avait pas commis d'erreur lorsqu’il a refusé de prendre en compte le courriel envoyé par la demanderesse à la suite de la discussion informelle. Le TDFP a estimé que la décision du comité d'évaluation était conforme aux dispositions législatives applicables et à la preuve démontrant que le courriel comprenait des détails sur la façon dont elle répondait aux critères qui n'avaient pas été mentionnés dans sa demande initiale.

 

[26]           Le processus de discussion informelle prévu à l'article 47 de la LEFP est une étape discrétionnaire qui ne fait pas partie du processus d'évaluation. Le TDFP a jugé que la discussion informelle sert à corriger des erreurs, mais ne constitue pas une deuxième chance pour les candidats de donner de nouveaux renseignements pour l'évaluation de leur dossier. Ce type de situation a fait l'objet de plusieurs décisions du TDFP dans lesquelles celui-ci a jugé que la discussion informelle n'avait pas pour but de réévaluer un candidat (Rozka c Canada (Sous-ministre Citoyenneté et Immigration Canada), 2007 TDFP 46).

 

[27]           La demanderesse fait également valoir que sa lettre de présentation et son curriculum vitae établissaient de façon évidente la manière dont elle avait administré la LIPR même si elle n'avait pas donné d'exemples concrets pour montrer qu'elle répondait aux critères essentiels.

 

[28]           Le défendeur a soutenu que les tâches elle avait décrites dans sa demande ainsi que la manière dont elle répondait aux critères n’établissaient pas de façon évidente qu’elle avait administré la LIPR puisqu'elle n'a pas donné d'exemples conformément aux exigences. Par conséquent, le jury de sélection n'a pas été en mesure de déterminer si elle répondait aux critères et a exclu sa candidature.

 

[29]           La demanderesse affirme qu’il est vrai que plus de 200 personnes ont envoyé leur candidature, mais qu’un nouvel examen du curriculum vitae et de la lettre de présentation pour déterminer si un candidat possède les qualités requises ou s'il doit être exclu n’est pas un exercice difficile. Elle ajoute que l'évaluation faite par le comité devrait être fondée sur le mérite et que l'intégrité du système, aux yeux du public, exige que ses décisions soient motivées puisqu’il exerce des fonctions de surveillance.

 

[30]           Le TDFP a estimé dans le passé qu'il revient aux candidats de démontrer de quelle façon ils répondent aux critères essentiels et non au comité de devoir entreprendre des recherches ou des enquêtes supplémentaires (Abi-Mansour c Canada (Ministère des Affaires étrangères), 2013 CF 1170; Edwards c Canada (Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2011 TDFP 10; Henry c Canada (Ministère des Ressources humaines et du Développement social), 2008 TDFP 10).

 

[31]           Le TDFP a conclu que le comité d'évaluation n'a pas abusé de son pouvoir en excluant la demanderesse du processus de nomination. Le TDFP a pris en compte le témoignage de la demanderesse et de Barbara Sachs-Sayer, l’une des membres du comité d'évaluation formé de trois personnes qui a examiné les candidatures ‑ plus de 200 ‑ soumises en vue de la nomination, dont celle de la demanderesse.

 

[32]           Le TDFP a estimé que la décision du comité d'évaluation d'exclure la candidature de la demanderesse et les explications qu’il a fournies étaient raisonnables pour les raisons suivantes :

         La demanderesse n'avait pas donné d'exemples concrets dans son curriculum vitae et dans sa lettre de présentation qui démontraient la façon dont elle répondait aux critères essentiels pour le poste, comme l'exigeaient les annonces de possibilité d'emploi.

         Le comité d'évaluation n'avait pas l’obligation de tenir pour acquis que les tâches et les fonctions dont la demanderesse s’était acquittée au cours de ses emplois antérieurs répondaient aux critères essentiels exigés pour la nomination en question.

 

[33]           De plus, dans sa décision détaillée de douze pages, le TDFP a exposé les motifs pour lesquels la décision du comité d'évaluation d'éliminer la demanderesse avait été maintenue. Le TDFP a répondu aux arguments de la demanderesse, dont ceux portant sur son témoignage, son contre-interrogatoire au sujet de son expérience ainsi que sur le processus et les positions du comité d'évaluation.

 

[34]           L'établissement des critères de nomination au sein de la fonction publique et l'évaluation des candidats par le comité d'évaluation fondée sur ces critères relèvent entièrement de l'employeur, Canada (Procureur général) c Carty, 2004 CAF 300, aux paragraphes 16 et 24). Il s'ensuit donc que le devoir de l'employeur de justifier de telles décisions discrétionnaires se situe à l'extrémité inférieure du spectre et que le comité d'évaluation n'a pas à motiver sa décision d’exclure une candidature. Le fait que le comité rencontre des candidats ayant échoué pour une discussion informelle répond aux exigences de l'obligation d'équité.

 

[35]           Enfin, la demanderesse prétend que le public s’attend à ce que la personne la plus qualifiée soit embauchée. Elle affirme que le TDFP s'est uniquement penché sur l'étape du processus visant à exclure sa candidature. Elle soutient que le TDFP doit s’assurer que toutes les vérifications ont été faites puisque le comité est tenu d’être transparent et bien préparé pour les discussions informelles.

 

[36]           Le TDFP a conclu que le comité d'évaluation n'a pas abusé de son pouvoir en nommant, pour le poste en question, le candidat retenu, Craig Gloster. Le TDFP a pris en compte les allégations de la demanderesse selon lesquelles le candidat retenu ne répondait pas à l'une des exigences liées à l'expérience. Après avoir pris en compte le témoignage des membres du comité d'évaluation sur la procédure suivie pour évaluer la candidature du candidat choisi et le témoignage de la demanderesse, le TDFP a jugé que les allégations d'abus de pouvoir de la demanderesse n'étaient pas étayées par la preuve.

 

[37]           La décision du TDFP était raisonnable.

 

[38]           En somme, je ne puis conclure que la décision est déraisonnable. Le TDFP a appliqué le bon critère, a examiné l'ensemble de la preuve et des arguments de la demanderesse et a rendu une décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). L’affaire ne présente aucune erreur susceptible de contrôle.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande est rejetée.

2.                  Les dépens payables immédiatement, fixés à 100 $, sont adjugés au défendeur.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1907-12

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Baragar c PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge McVeigh

 

DATE :                                              Le 27 mars 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Edith Baragar

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Karen Clifford

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Edith Baragar

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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