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Date : 20140325


Dossier : IMM-12719-12

 

Référence : 2014 CF 288

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

NANCY JAZUVIRUA TJAVERUA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision rendue, le 16 novembre 2012, par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

 

Le contexte factuel

[2]               Mme Nancy Jazuvirua Tjaverua (la demanderesse) est une citoyenne de la Namibie. Le 21 décembre 2010, elle est arrivée au Canada et a demandé l’asile au point d’entrée. Dans sa demande, la demanderesse a déclaré qu’elle craignait son oncle, et qu’elle avait peur pour sa vie en Namibie.

 

[3]               Elle soutient que ses parents sont décédés dans un accident de voiture en 2002. Dans son testament, son père a confié la propriété familiale à son oncle, mais ce dernier devait la céder à la demanderesse, lorsqu’elle aurait vingt‑deux (22) ans. Le 20 septembre 2010, la demanderesse a demandé à son oncle de lui céder la propriété, mais il a refusé et il l’a agressée.

 

[4]               La demanderesse soutient qu’elle s’est plainte auprès des aînés de la famille qui ont demandé à son oncle de respecter la volonté testamentaire de son père. L’oncle de la demanderesse a refusé une fois de plus. Le 25 novembre 2010, cinq (5) hommes sont entrés dans la chambre de la demanderesse, l’ont agressée et ont menacé de revenir.

 

[5]            La demanderesse a envisagé de porter plainte à la police, mais elle a décidé de ne pas le faire parce qu’elle était convaincue que la police n’interviendrait pas, étant donné que sa situation aurait été perçue comme étant une affaire purement familiale.

 

[6]               Après son arrivée au Canada, la demanderesse a commencé une relation avec M. David Kataturua, un autre demandeur d’asile originaire de la Namibie. La demanderesse soutient que M. Kataturua était très abusif envers elle et qu’ils ont eu plusieurs violentes altercations qui ont entraîné que des accusations criminelles soient portées contre la demanderesse et contre M. Kataturua.

 

[7]               Le 6 juillet 2012, la demanderesse a donné naissance à une fille, mais le nourrisson, qui est né atteint de lésions cérébrales, est décédé le 13 juillet 2012.

 

[8]               La demanderesse a téléphoné à M. Peter Obula Kalu, qui était son avocat dans la procédure à la Commission, afin de l’informer du décès de son nouveau-né et de ses violentes altercations avec M. Kataturua. M. Kalu lui a dit qu’il était désolé d’entendre cela, mais que ces faits n’avaient pas de lien à sa demande d’asile, et qu’il n’en ferait pas mention dans ses observations à la Commission.

 

[9]               La demande de la demanderesse a été entendue le 24 octobre 2012. Lors de l’audience, M. Kalu a interrogé la demanderesse pendant cinq (5) minutes, et il a présenté des observations pendant cinq (5) autres minutes. La demanderesse soutient que malgré qu’elle ait eu le sentiment que l’audience s’était [traduction] « très mal déroulée », M. Kalu lui a dit qu’elle [traduction] « avait 50 % » de chances de succès (mémoire de la demanderesse, au paragraphe 15).

 

[10]           Le 16 novembre 2012, la Commission a rejeté la demande de la demanderesse.

 

La décision contestée

[11]           Dans sa décision, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était une personne à protéger, en raison du manque de crédibilité, du fait que les droits de propriété ne font pas partie des motifs prévus par la Convention pour l’octroi de l’asile, et en raison de son défaut de solliciter la protection de l’État.

 

Les questions en litige

[12]           La présente demande soulève les questions suivantes :

-          La demanderesse n’a‑t‑elle pas eu droit à une audience impartiale en raison de l’incompétence de son avocat?

-          La conclusion de la Commission quant à la protection de l’État est‑elle raisonnable?

 

La norme de contrôle

[13]           Les parties plaident, et la Cour en convient, que la norme de contrôle adéquate en l’espèce est la décision correcte. Il est maintenant bien établi que les questions d’équité procédurale et de justice naturelle telle que la négation du droit à une audience équitable en raison de l’incompétence de l’avocat sont soumises au contrôle en tant que questions de droit. La Cour n’est tenue à aucune déférence (SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, aux paragraphes 100, 102 et 103; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 55, 60, 79; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[14]           La deuxième question en litige est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. L’analyse de la Commission portant sur la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit, et elle commande la norme de la décision raisonnable (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636).

 

Analyse

[15]           L’allégation de l’incompétence de l’avocat est une allégation grave, et le critère pour établir l’incompétence est très strict. Au paragraphe 11 de la décision Parast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 660, [2006] ACF no 844 (QL), le juge Martineau a fait l’observation suivante :

11. […] Selon la jurisprudence, la preuve de l’incompétence de l’avocat doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l’injustice causée au requérant crèverait pratiquement les yeux […]

[Références omises.]

 

[16]           Au paragraphe 26 de l’arrêt R c GDB, 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520, la Cour suprême du Canada a déclaré que pour que la contestation d’une décision fondée sur l’incompétence de l’avocat soit accueillie, « il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté ». Ce principe a été respecté de façon constante par la Cour dans les affaires en matière d’immigration qui traitent de l’incompétence de l’avocat (Memari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1196, [2012] 2 RCF 350, au paragraphe 34 [Memari]). Comme le juge en chef Crampton de la Cour l’a déclaré au paragraphe 36 de la décision Memari, précitée, étant donné qu’un tel recours est extraordinaire :

[36] […] le « travail » doit être exceptionnel et « l’erreur judiciaire » doit prendre la forme d’un manquement à l’équité procédurale – la fiabilité de l’issue du procès ayant été compromise – ou toute autre forme évidente.

 

[17]           En ce qui a trait au volet lié au « travail », la principale plainte de la demanderesse quant à la conduite de M. Kalu était son défaut d’avoir établi que sa relation avec M. Kataturua entraînait l’application d’un motif fondé sur le sexe dans sa demande d’asile.

 

[18]           Il convient de souligner que la relation de la demanderesse avec M. Kataturua a commencé au Canada et non pas en Namibie. Aucun des éléments de preuve présentés par la demanderesse ne donnait à penser que cette dernière connaissait M. Kataturua avant son arrivée au Canada ni qu’il pouvait la poursuivre s’ils devaient retourner en Namibie. Ainsi, les faits concernant M. Kataturua au Canada ne donnent pas naissance à une nécessité de protection nouvelle en Namibie et ne peuvent pas constituer le fondement d’une demande présentée sur place. Par conséquent, la demanderesse n’a pas établi que la décision de M. Kalu de ne pas mentionner ces faits ou de ne pas produire de preuve apparaît comme une erreur professionnelle. L’autre manquement important prétendument commis par M. Kalu est son défaut d’avoir préparé un meilleur récit qui aurait pu aider la demanderesse à comparaître de façon plus crédible à la Commission. Encore une fois, il n’y a pas de preuve que les choix stratégiques, le travail insatisfaisant lors de l’audience, ou les rares interactions de M. Kalu avec la demanderesse équivalent à des circonstances exceptionnelles au sens où l’entend la jurisprudence de la Cour.

 

[19]           Même si le volet lié au « travail » était établi, la demanderesse doit prouver comment la conduite de son avocat a eu quelque conséquence importante que ce soit sur le résultat de sa demande. Ce que la demanderesse a dit à son avocat au sujet de M. Kataturua demeure nébuleux, tout comme il n’est pas évident si elle lui a dit qu’elle craignait de retourner en Namibie à cause de M. Kataturua. Comme mentionné ci-dessus, la demanderesse n’a pas présenté de preuve selon laquelle M. Kataturua — que la demanderesse a rencontré au Canada et non pas en Namibie — la poursuivrait et lui ferait du mal en Namibie, établissant ainsi une crainte fondée de persécution en Namibie.

 

[20]           En outre, la demanderesse peut ne pas avoir été satisfaite du travail de l’avocat auquel elle a fait appel — en fait, elle a déposé une plainte auprès du Barreau du Haut‑Canada contre la conduite professionnelle de M. Kalu —, mais le dossier n’étaye pas son allégation selon laquelle les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité auraient été différentes de quelque façon que ce soit si M. Kalu avait fait preuve de plus de diligence. Le doute principal de la Commission quant à la crédibilité reposait sur l’omission de la demanderesse de faire mention, pendant son entrevue au point d’entrée, de son oncle et du récit de sa contestation de l’héritage, ce qui ressort comme étant le véritable fondement de sa demande. La demanderesse ne souligne aucune erreur commise par son avocat qui expliquait cette omission ou qui a conduit la Commission à mal interpréter son récit.

 

[21]           La Cour relève aussi que la demanderesse n’a abordé aucune autorité en Namibie, parce qu’elle ne pensait pas que son affaire familiale aurait été prise au sérieux. La Commission a décidé qu’étant donné les agressions et les menaces qu’elle a décrites dans son récit, il s’agissait d’une question qui appartenait au champ de compétence de la police namibienne (dossier du tribunal, aux pages 52 et 53, et 64 et 65). La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion de la Commission à la Cour. Bien qu’il soit vrai que dans certaines circonstances, il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur sollicite la protection, rien dans la présente affaire ne donne à penser que c’était le cas pour la demanderesse. Comme le défendeur l’a soutenu, la question de la protection de l’État est déterminante et constitue un motif suffisant pour le rejet de la demande. Par conséquent, il n’y a pas de probabilité raisonnable que l’issue aurait été différente.

 

[22]           Malgré des arguments solides formulés par l’avocat de la demanderesse, la Cour demeure sceptique quant au fait que la demanderesse a établi que la conduite de M. Kalu équivalait à une incompétence extraordinaire ou que sa conduite a entraîné une erreur judiciaire.

 

[23]           La Cour a de la compassion pour le récit de la demanderesse et les difficultés personnelles auxquelles elle a été exposée depuis son arrivée au Canada. Toutefois, malheureusement la compassion à elle seule ne permet pas à la Cour d’annuler la décision de la Commission.

 

[24]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande sera rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

 

IMM-12719-12

INTITULÉ :

NANCY JAZUVIRUA TJAVERUA

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                    LE 12 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                             LE 25 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Sayran Sulevani

POUR LA DEMANDERESSE

 

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbra Schlifer Commemorative Clinic

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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