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Date : 20140324


Dossier : IMM-2346-12

 

Référence : 2014 CF 279

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

SABA KHOSH KHOOEE

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demande de visa présentée par Mme Saba Khosh Khooee à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) a été rejetée. Elle a déclaré avoir de l’expérience ouvrant droit à l’examen de sa demande au sein de deux groupes de professions admissibles : CNP 0711 Directeurs/directrices de la construction, et CNP 2151 ‑ Architectes. Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire qu’elle a présentée, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et qui vise ladite décision de rejet.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne iranienne âgée de 31 ans qui réside en Suède grâce à un visa d’étudiant. Mme Khooee a obtenu un baccalauréat et une maîtrise en génie architectural à Téhéran, en Iran, respectivement, en septembre 2005 et en mars 2008. Mme Khooee est membre de l’Organisation iranienne des ingénieurs en construction depuis février 2008. En août 2008, Mme Khooee et son époux ont déménagé en Suède, Mme Khooee y a commencé un diplôme de maîtrise en Aménagement et en conception urbaine à l’Institut royal de technologie.

 

[3]               Durant ses études de premier et de deuxième cycles (de novembre 2003 à juin 2008), Mme Khooee travaillait à temps partiel et à plein temps occupant divers postes en tant qu’architecte. Après avoir obtenu son diplôme de maîtrise, Mme Khooee a travaillé à plein temps de juin 2008 à juillet 2009, emploi pour lequel elle a déclaré avoir de l’expérience professionnelle en tant que directrice de la construction.

 

[4]               Dans une lettre datée du 18 février 2010, on a avisé la demanderesse que sa demande avait été réputée admissible pour traitement dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), en raison de son expérience dans une profession précise qui figure dans les instructions ministérielles. La lettre ne faisait référence à aucun code précis de la CNP. La demanderesse a supposé que sa demande était traitée au titre du code CNP 0711 ‑ Directeurs/directrices de la construction. Toutefois, les notes du Système de traitement automatisé des dossiers de l’immigration (STIDI) du 9 février 2010 révèlent que la demanderesse avait désigné les codes CNP 0711 ‑ Directeurs/directrices de la construction et CNP 2151 ‑ Architectes, dans sa demande et qu’il a été conclu que sa demande était admissible pour traitement dans le code de la catégorie des architectes.

 

[5]               Les notes entrées dans le STIDI le 24 juin 2010 sont rédigées ainsi :

[traduction]

[…] J’ai terminé l’examen de la présente demande et j’ai décidé que la demande de l’intéressée n’était pas admissible au traitement dans la catégorie [des travailleurs qualifiés (fédéral) […]].

[…]

Bien que le code de la CNP 0711 corresponde à une profession qui figure dans les instructions, les renseignements soumis à l’appui de la demande sont suffisants pour établir que la demanderesse ne satisfait pas à la description de la profession ou qu’elle a exercé une partie appréciable des tâches principales décrites à la CNP 0711. L’intéressée a fourni plusieurs lettres de recommandation qui révèlent qu’elle est plus une architecte qu’une directrice de la construction. La description de l’emploi (tâches et responsabilités) ne correspond pas au code de la CNP 0711. En même temps qu’elle travaillait prétendument à plein temps, elle étudiait aussi en architecture. Elle a déclaré avoir seulement une année d’expérience en tant que directrice de la construction (son dernier emploi), mais elle a déclaré avoir quatre années d’expérience en tant qu’architecte. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l’intéressée a réellement une année d’expérience dans la profession correspondant au code de la CNP 0711, et cette demande n’est pas admissible à un traitement plus approfondi.

 

[6]               Vers le 10 février 2012 (la date exacte de la réception est contestée), Mme Khooee a reçu une lettre de refus non datée par laquelle on lui expliquait qu’elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants établissant son expérience professionnelle dans l’emploi énuméré du code de la CNP 2151 ‑ Architectes. Les notes du STIDI révèlent que la lettre de refus a été envoyée le 26 janvier 2012.

 

[7]               Dans une lettre datée du 13 février 2012, la demanderesse a demandé des précisions, et que sa demande soit examinée à nouveau. Elle a soutenu que sa demande avait été traitée principalement dans le code de la CNP 0711 ‑ Directeurs/directrices de la construction, bien qu’elle ait déclaré posséder de l’expérience professionnelle antérieure en tant qu’architecte. L’avocat de Mme Khooee a fait part de ses préoccupations selon lesquelles la demande n’avait pas du tout été évaluée comme étant celle d’une directrice de la construction. On a aussi relevé que les Directeurs/directrices de la construction ne faisaient plus partie de la liste des professions en demande dans les plus récentes instructions ministérielles.

 

[8]               La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 9 mars 2012. Le 23 mars 2012, la demanderesse a reçu une réponse de Mme Wendy Wolbert, la deuxième secrétaire à l’immigration au Haut‑Commissariat du Canada à Londres. Elle déclarait qu’en raison d’une erreur administrative, on a envoyé à Mme Khooee une lettre de refus erronée. Toutefois, Mme Wolbert a confirmé que l’expérience professionnelle de Mme Khooee correspondant au code de la CNP 0711 – Directeurs/directrices de la construction avait aussi été appréciée et rejetée, parce qu’elle était insuffisante. Une lettre de refus modifiée datée du 2 avril 2012 a été envoyée.

 

[9]               Il ressortait notamment de la lettre de refus modifiée que :

[traduction]

0711 Directeurs/directrices de la construction

[…] J’ai établi votre admissibilité sur la foi des renseignements de votre dossier. Bien que le code de la CNP corresponde aux professions qui figurent dans les instructions, vous avez fourni des éléments de preuve insuffisants que vous avez accompli toutes les fonctions essentielles et une partie appréciable des fonctions principales énoncées dans les descriptions des professions de la CNP. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que vous avez de l’expérience en tant que directrice de la construction.

 

Comme vous n’avez pas fourni d’éléments de preuve satisfaisants pour confirmer que vous avez de l’expérience professionnelle dans l’une des professions énumérées, vous ne répondez pas aux exigences des instructions ministérielles, et votre demande n’est pas admissible au traitement. […]

 

 

[10]           Selon moi, la seule question litigieuse consiste à savoir si la décision de l’agente des visas était raisonnable.

 

[11]           Les parties conviennent, et j’y souscris, que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas est la décision raisonnable. Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Il vise aussi à établir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[12]           La demanderesse soutient que la décision n’est ni intelligible, ni transparente, ni justifiable, étant donné que celle‑ci a confondu sa demande de traitement dans deux codes de la CNP – 0711 – Directeurs/directrices de la construction et 2151 ‑ Architectes. Bien qu’elle ait été réputée admissible pour traitement en raison de son expérience professionnelle dans une profession précise qui figure dans les instructions ministérielles, et qu’elle en ait été informée par la lettre du 18 février 2010, elle n’a pas été informée que la première conclusion quant à l’admissibilité était fondée sur son expérience professionnelle en tant qu’architecte, et non pas en tant que directrice de la construction. Elle n’a pas non plus été informée de l’effet, quel qu’il soit, que cette réputée admissibilité a eu sur le traitement de sa demande dans le code de la CNP 0711 ‑ Directeurs/directrices de la construction. Ensuite, au début de l’année 2012, sa demande a été traitée au regard de la profession de directrice de la construction dans la CNP, mais elle fut rejetée au motif que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir l’expérience professionnelle requise pour le code d’architecte au sein de la CNP. Aucune explication n’a jamais été fournie pour justifier la raison pour laquelle les codes de la CNP avaient été confondus, ou la raison pour laquelle l’agente des visas a estimé que les tâches de la demanderesse étaient plus semblables à celles d’un architecte. Le dossier ne contient pas d’affidavit de l’agente des visas qui permet de répondre à ces questions.

 

[13]           À au moins deux occasions distinctes, le code de la CNP auquel on faisait référence était erroné. Le défendeur soutient qu’il s’agissait simplement d’erreurs administratives qui ne devraient entacher ni la décision ni les motifs. Lorsqu’on lit les notes du STIDI et la lettre de refus corrigée, il est évident que l’agente des visas a apprécié la demande de la demanderesse selon la profession envisagée de directrice de la construction. Selon le défendeur, les motifs pour lesquels elle a conclu à l’inadmissibilité sont aussi évidents. Sur le fondement de la preuve présentée par la demanderesse, l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse avait accompli toutes les fonctions essentielles et un nombre appréciable des tâches principales énoncées dans le code de la CNP 0711, pendant au moins une année à temps complet. En outre, il n’était pas surprenant que l’agente soit arrivée à la conclusion que les tâches de la demanderesse étaient plus semblables à celles d’un architecte, étant donné qu’elle s’était auto‑identifiée comme ayant plus d’expérience en tant qu’architecte qu’en tant que directrice de la construction.

 

[14]           En outre, selon le défendeur, la préoccupation principale de l’agente des visas était que même si l’expérience professionnelle de la demanderesse de juin 2008 à juillet 2009 pouvait être qualifiée comme l’accomplissement de tâches d’une directrice de la construction, cette expérience n’était pas équivalente à une année d’emploi à plein temps dans cette profession, parce qu’elle étudiait aussi à plein temps. Il ne ressort pas de façon évidente de la lettre de recommandation si la demanderesse était employée à plein temps ou à temps partiel. Pourtant, il n’était pas déraisonnable que l’agente des visas conclue que la demanderesse ne pouvait pas travailler à plein temps et aller à l’école à plein temps.

 

[15]           La demanderesse avance qu’il s’agit encore une fois d’une autre erreur commise par l’agente des visas, car elle a terminé son diplôme de maîtrise en mars 2008 et que, par conséquent, elle n’étudiait pas entre juin 2008 et juillet 2009. En outre, elle soutient que lorsqu’on compare la lettre de recommandation, pour l’emploi de gestionnaire de projets qu’elle a occupé cette année-là, à la description de la CNP pour l’emploi de directrice de la construction, les tâches énoncées dans les deux [traduction] « semblent identiques ».

 

[16]           Je suis d’accord avec la demanderesse que la décision n’est pas intelligible, et qu’elle manque de transparence. En outre, la question de savoir si la demande subsidiaire présentée dans le code de la CNP 2151 – Architecte a jamais été correctement examinée n’est pas évidente. Dans les circonstances, je suis convaincu que la demande doit être accueillie.

 

[17]           La demanderesse sollicite les frais et un bref de mandamus ordonnant que la demande de visa soit traitée dans les 60 jours. Les dépens ne peuvent être adjugés dans des procédures en matière d’immigration que pour des raisons spéciales prévues à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés. Bien que je ne crois pas que, dans la présente affaire, la demande ait été traitée avec toute la rigueur et l’attention requise, selon moi, cela ne s’élève pas au niveau des raisons spéciales. Un bref de mandamus fixant la date pour le traitement de la demande des visas n’est pas non plus approprié. L’administration du régime légal incombe au ministre. J’ordonnerai que cela soit fait dans un délai raisonnable.

 

[18]           Je suis convaincu que la demanderesse ne devrait pas être désavantagée par le changement dans les instructions ministérielles depuis la date à laquelle elle a présenté sa demande. J’ordonnerai que sa demande de visa soit examinée à nouveau selon les instructions telles qu’elles étaient à la date à laquelle elle a présenté sa demande.

 

[19]           Aucune question grave de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie;

2.      L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas dans un délai raisonnable;

3.      Le nouvel examen doit être effectué sur le fondement des instructions ministérielles telles qu’elles existaient lorsque la demande de visa a été présentée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-2346-12

 

INTITULÉ :

SABA KHOSH KHOOEE

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 30 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :          Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                                         le 24 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

Inna Kogan

pour la demanderesse

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Inna Kogan

Cabinet d’avocat Inna Kogan

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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