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Date : 20140324


Dossier : IMM-11823-12

Référence : 2014 CF 283

Ottawa, (Ontario) 24 mars 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE:

ARTAN HULEJ, MARJANE HULEJ,

HENRY JOZEF HULEJ

ET MARSILDA HULEJ

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Les demandeurs, M. Artan Hulej et son épouse, Mme Marjane Hulej, sont citoyens albanais. Leurs deux enfants, Henry Jozef Hulej (5 ans) et Marsilda Hulej (8 ans), sont nés aux États-Unis et en sont citoyens. Suite à leur admission aux États-Unis en 2001, les demandeurs adultes y ont demandé sans succès l’asile pour des motifs politiques.

 

[2]               La famille est entrée au Canada en mars 2011 et a demandé la protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié a conclu le 26 octobre 2012 qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention celle de « personnes à protéger ». Ils demandent le contrôle judiciaire de cette décision et expriment leur insatisfaction sur la façon dont la Commission a mené l’audience.

 

[3]               La seule question que cette demande soulève vise à déterminer si le comportement du commissaire a porté atteinte aux règles de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

[4]               La jurisprudence établit clairement que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale portant sur le comportement de la Commission est la décision correcte : RMQM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1150, [2011] ACF no 1429, au paragraphe 52. Voir aussi : Balasubramanian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 228, [2012] ACF no 249; Swaminathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 86, [2007] ACF no 106; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339. Lorsque l’équité procédurale est en cause, comme en l’espèce, il convient de se demander si les principes de justice naturelle ont été respectés dans les circonstances particulières de l’affaire.

 

[5]               La Cour a traité à plusieurs reprises du comportement que les commissaires doivent adopter lorsqu’ils entendent une cause. Elle fait observer, entre autres, que la patience, le respect et la retenue sont de mise en tout temps : Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 149, [2001] ACF no 305, au paragraphe 22. La Cour a également reconnu que les commissaires jouent un rôle qui, bien qu’il soit difficile et stressant, n’en est pas moins essentiel. Ils doivent toujours garder à l’esprit que les règles de justice naturelle doivent être observées et que leur comportement lors de l’audience doit être irréprochable et objectif. Cela s’applique également aux questions qu’il peut être nécessaire de poser à un demandeur pour obtenir des précisions sur ses déclarations : Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870, [2004] ACF no 1058, aux paragraphes 4 à 6.

 

[6]               Dans la présente affaire, les demandeurs soutiennent que le commissaire a fait montre de condescendance et de moquerie à l’égard de leur demande. Ils font valoir que sa conduite a contaminé l’audience et a entaché son appréciation de la preuve. Dans sa décision, soutiennent-ils, le commissaire a [traduction] « porté des accusations injustes » à l’endroit des demandeurs, parce que leurs dossiers de demandes d’asile aux États-Unis n’avaient pas été déposés, bien qu’il fût mis en preuve devant la Commission que des démarches en ce sens avaient été faites. Ils font également mention de la conclusion défavorable que le commissaire a tirée quant à la crédibilité en se fondant sur la réponse à une question contenue au formulaire IMM 5611 d’Immigration Canada qui a été rempli aux États-Unis, avant leur entrée au Canada en 2011, afin d’illustrer le traitement condescendant qu’il a accordé à leur preuve.

 

[7]               Dans sa décision, le commissaire a glissé deux commentaires sur [traduction] « la façon remarquablement mauvaise de témoigner » de M. Hulej et son omission de répondre « avec de la bonne volonté ».

 

[8]               Dans son affidavit, M. Hulej déclare que le commissaire posait les questions avec une rapidité telle que lui-même et l’interprète avaient de la difficulté à les comprendre. Selon M. Hulej, il ne pouvait être plus coopératif quant aux questions qui lui étaient posées, parce qu’il ne les comprenaient pas. M. Hulej soutient également que le langage corporel du commissaire et la physionomie qu’il a affichés tout au long de l’audience dénotaient un manque d’intérêt dans l’audience et qu’il aurait plutôt préféré être ailleurs. Il a tenté de visionner une vidéo mise en preuve pour démontrer les dommages causés à la résidence familiale en Albanie, tout en écoutant l’interrogatoire de M. Hulej conduit par son conseil. Enfin, M. Hulej soutient que, lors des observations de son conseil, le commissaire faisait pivoter sa chaise afin de regarder dans la direction opposée.

 

[9]               Le défendeur soumet que les conclusions défavorables tirées par le commissaire quant à la crédibilité, en ce qui a trait à la demande déposée aux États-Unis et au contenu du formulaire d’Immigration Canada, étaient raisonnables, tout comme les nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité, portant sur la vendetta alléguée qui n’est étayée par aucune preuve documentaire. Les allégations du demandeur portant sur la conduite du commissaire ne peuvent être confirmées ou infirmées par le dossier certifié du tribunal, mais n’ont fait l’objet d’aucun commentaire à l’époque. Si la Cour devait conclure que le comportement du commissaire constituait un manquement au devoir d’équité procédurale, la décision ne devrait pas pour autant être renvoyée pour nouvel examen, étant donné que le résultat serait le même : Yassine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 172 NR 308 (CAF) (Yassine), aux paragraphes 9 et 10.

 

[10]           Le demandeur soutient que l’affidavit de M. Hulej constitue la meilleure preuve disponible en ce qui a trait au comportement du commissaire, étant donné que ce comportement ne ressort pas de façon évidente des transcriptions. De plus, le défendeur avait la possibilité de contre-interroger le demandeur sur son affidavit. Le défendeur soutient dans sa réponse qu’il n’y avait rien à tirer d’un contre-interrogatoire de M. Hulej sur son affidavit. Les demandeurs auraient pu se procurer un enregistrement audio de l’audience s’ils croyaient que cela était utile à leur cause.

 

[11]           Le défaut de se plaindre à l’audience peut équivaloir à une renonciation implicite à tout manquement aux règles de justice naturelle ayant pu survenir : Yassine, précité, au paragraphe 7. À un certain moment, le conseil dit que le commissaire va un peu trop vite. À un autre moment, le conseil s’objecte à ce que le commissaire visionne la vidéo pendant qu’il écoute l’interrogatoire de son client. Le commissaire répond alors qu’il peut [traduction] « faire plusieurs choses à la fois ».

 

[12]           La transcription indique que le commissaire était, à l’occasion, abrupt dans ses commentaires et certains d’entre eux pourraient être interprétés comme sarcastiques ou empreints d’impatience. À un certain moment, par exemple, le commissaire déclare [traduction] « […] vous savez monsieur, ou bien vous n’écoutez pas mes questions ou bien vous ne les comprenez pas, parce que je ne suis pas… J’obtiens des réponses qui me posent des difficultés […] » Plus loin lors de l’audience, le commissaire dit :

[traduction]

 

Monsieur, vous devez écouter mes questions et répondre… répondre posément. J’apprécie votre crédibilité, j’écris vos réponses et si vous dites toutes sortes de choses contradictoires cela pourrait me conduire à ne pas croire ce que vous dites. Comme je vous l’ai dit auparavant, si vous ne comprenez pas, demandez‑moi de répéter ou de reformuler.

 

 

[13]           Cela suggère un degré de frustration de la part du commissaire à l’égard de ce qu’il percevait manifestement comme un manque de clarté dans les réponses du demandeur principal. Mais, dans l’ensemble, les transcriptions ne font ressortir aucune inconduite scandaleuse. Il semble que le commissaire tentait de faire progresser la cause rapidement afin de conclure l’audience dans le délai imparti. Il n’y a pas d’indication qui laisse voir que l’interprète ait exprimé une inquiétude quelconque quant à la cadence à laquelle le commissaire posait ses questions. Il n’y a de plus aucune façon de connaître la physionomie ou le langage corporel affiché par le commissaire.

 

[14]           Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré un manquement à l’équité procédurale. Il était loisible au commissaire de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur la preuve documentaire au dossier, y compris les témoignages des deux demandeurs adultes. La décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et il est improbable qu’un autre commissaire en serait arrivé à une décision différente eu égard à la preuve. Par conséquent, la demande sera rejetée.

 

[15]           Je ne peux clore la présente cause sans faire de commentaire sur un argument avancé par l’avocat des demandeurs. Dans son mémoire en réplique et sa plaidoirie, il soutient qu’en tant que fonctionnaire judiciaire et avocat soumis à son code de déontologie, il ne pourrait permettre à un affiant de souscrire un affidavit énonçant des faits qui, selon lui, seraient faux. Ces commentaires ont été apportés au soutien de la preuve par affidavit de son client.

 

[16]           Tel que je l’ai déclaré à l’audience, je ne crois pas qu’il soit approprié qu’un avocat se fonde sur de telles considérations pour, en l’occurrence, renforcer la crédibilité de son client. Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’avocat soit lié par son devoir envers la Cour et par son code de déontologie, cela porte également atteinte au principe suivant lequel un avocat ne peut être témoin dans une cause dans laquelle il agit. S’il avait voulu rendre témoignage, l’avocat aurait dû obtenir la permission de son client pour se retirer du dossier et l’aider à retenir les services d’un autre avocat pour faire valoir leur cause y compris son témoignage.

 

[17]           Aucune question n’a été proposée en vue de la certification, et aucune ne sera certifiée.

 

 


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

«Richard G. Mosley»

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


 

 

DOSSIER :

IMM-11823-12

 

INTITULÉ :

ARTAN HULEJ, MARJANE HULEJ,

HENRY JOSEF HULEJ

et MARSILDA HULEJ

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 29 JANVIER 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE

MOSLEY J.

DATE :

                                                            LE 24 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS AU DOSSIER :

YEHUDA LEVINSON

Levinson & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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