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Date : 20140314


Dossiers :

T-2285-12

T-6-13

 

Référence : 2014 CF 254

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2014

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier :

T-2285-12

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

demanderesse

et

MAJOR KEYVAN NOURHAGHIGHI

 

défendeur

Dossier : T-6-13

 

ET ENTRE :

LE BARREAU DU HAUT-CANADA

 

demandeur

et

MAJOR KEYVAN NOURHAGHIGHI

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie, en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi), de deux demandes visant à obtenir une ordonnance déclarant que le défendeur est un plaideur quérulent, et lui interdisant ainsi d’engager devant la Cour d’autres instances ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

 

LE CONTEXTE

[2]               Un historique long et mouvementé précède la présente instance. Depuis mai 1995, le défendeur, M. Nourhaghighi, a introduit quelque 15 actions et requêtes auprès de la Cour contre les demandeurs et beaucoup d’autres. La plupart ont été radiées parce que non fondées ou rejetées pour cause de retard ou en raison de leur caractère théorique. L’une lui a permis d’obtenir partiellement gain de cause. Certaines ont donné lieu à de multiples requêtes procédurales, notamment des requêtes en radiation, des requêtes en outrage au tribunal, des requêtes en annulation d’ordonnances rendues par la Cour et des tentatives de rouvrir des instances qui avaient été rejetées, et plusieurs ont débouché sur des appels en Cour d’appel. À deux reprises déjà, la Couronne a cherché à faire déclarer M. Nourhaghighi plaideur quérulent par la Cour, sans succès. Toutefois, M. Nourhaghighi a été déclaré plaideur quérulent par les tribunaux de l’Ontario : ordonnance du juge Wilkins datée du 6 février 1997, C Ont, Div gén, no RE-6938/96, conf. par Toronto Hospital c Nourhaghighi, [1999] OJ no 1756 (CA).

 

[3]               La nature et l’étendue des allégations de M. Nourhaghighi dans les diverses actions et requêtes qu’il a introduites auprès de la Cour défient toute synthèse claire ou concise. Le fil conducteur qui s’en dégage est que divers fonctionnaires publics et acteurs du secteur privé se sont livrés à une vaste conspiration pour le priver de ses moyens d’existence, de sa sécurité personnelle et de divers autres droits et avantages, et ont ensuite poursuivi leur conspiration, avec la complicité du personnel des tribunaux, des juges et des avocats adverses, pour lui refuser tout recours judiciaire à l’encontre de ces torts. Les allégations de M. Nourhaghighi se déclinent ainsi : conspiration, fraude et abus de pouvoir de la part de nombreux fonctionnaires fédéraux et provinciaux; interférence dans ses communications privées et espionnage de celles-ci par des fournisseurs de télécommunications et des pirates informatiques universitaires; appropriation de la preuve; ingérence illégale dans les procédures judiciaires et falsification d’ordonnances judiciaires par le personnel des tribunaux; partialité, corruption et racisme de la part de juges et de protonotaires; agression et torture par la police, avec le soutien et l’encouragement des tribunaux et d’autres intervenants; corruption massive du système de justice, facilitée en cela par le Barreau du Haut‑Canada (le Barreau), une organisation criminelle selon les allégations répétées de M. Nourhaghighi. Entre autres conséquences, M. Nourhaghighi a allégué que ces actions malhonnêtes et conspiratrices par divers acteurs des secteurs public et privé : l’ont empêché de travailler dans l’industrie aéronautique, en dépit de ses états de service de [traduction] « chef pilote de chasse et de transport » et d’ancien officier de l’armée et des forces aériennes de l’Iran; ont compromis sa sécurité physique, sa vie privée et ses moyens d’existence; ont influé sur le traitement de sa demande de citoyenneté (laquelle a été approuvée) et d’une demande de résidence temporaire présentée par son neveu (laquelle a été refusée); enfin, l’ont empêché d’obtenir justice pour l’un ou l’autre des éléments susmentionnés devant les tribunaux fédéraux ou provinciaux, ou les tribunaux des droits de la personne.

 

[4]               Les actes de procédures et les affidavits déposés par M. Nourhaghighi au fil des ans reflètent sa conviction de s’être engagé dans un noble effort non seulement pour défendre ses propres droits, mais aussi pour exposer des pratiques malhonnêtes préjudiciables à tous les Canadiens. Pour y parvenir, il a nommé des dizaines de particuliers et d’organisations en tant que défendeurs et intimés, notamment des fonctionnaires, des officiers de justice, des juges, des banques privées, des sociétés de télécommunications et des cabinets d’avocats, l’Université de Toronto, les tribunaux des droits de la personne provinciaux et fédéraux, le Barreau, la Gendarmerie royale du Canada, le surintendant des institutions financières, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et plusieurs autres. Dans sa demande la plus récente, en 2012, seul le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration était nommé comme défendeur. Toutefois, au cours de cette instance, comme dans d’autres, il a demandé la citation à comparaître d’un large éventail de particuliers et d’organisations, notamment le Barreau, pour outrage au tribunal à la suite d’actions conspiratrices alléguées.

 

[5]               En juin 1998, la Couronne a sollicité pour la première fois, en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi, une ordonnance déclarant M. Nourhaghighi plaideur quérulent. M. Nourhaghighi avait introduit neuf actions auprès de la Cour entre mai 1995 et août 1997 (T-571-95; T-668-95; T‑695‑95; T-766-95; T‑955-95; T-2464-95; T-2611-95; T-1900-96; T-1685-97), qui avaient toutes été radiées. En mai 1999, M. Nourhaghighi a déposé une autre action (T-942-99) pendant que la demande de la Couronne fondée sur l’article 40 était en cours. Le juge Campbell s’est dit d’avis que la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accueillir une demande fondée sur le paragraphe 40(1) « en tenant compte du contexte et donc de l’objectif que poursuivait le défendeur en intentant ses actions judiciaires ainsi que de la forme et du fond de ces actions » : Canada c Nourhaghighi (1999), 89 ACWS (3d) 270, [1999] ACF no 847 (1re inst) (Nourhaghighi (1999)), au paragraphe 4. Le juge a estimé que le défendeur croyait honnêtement avoir été lésé à maints égards, qu’il croyait honnêtement à l’existence d’une conspiration entre le gouvernement et les tribunaux pour l’empêcher de demander et d’obtenir justice, et qu’il était frustré de n’avoir pas encore eu la possibilité de faire valoir ses griefs lors d’une instruction approfondie et de voir rendue une décision à leur égard. Le juge Campbell a statué qu’indépendamment de la question de savoir s’il fallait conclure que M. Nourhaghighi, au sens de la Loi, avait introduit des instances vexatoires ou agi de façon vexatoire dans le cadre des actions déposées, il n’était pas approprié que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et le déclare plaideur quérulent pour les raisons suivantes : 1) aucune action n’avait été introduite entre août 1997 et avril 1999, de sorte qu’aucune ordonnance n’était immédiatement nécessaire; 2) une telle ordonnance ne ferait que confirmer la croyance de M. Nourhaghighi en une conspiration pour l’empêcher de demander et d’obtenir justice, et la réputation de l’administration de la justice en serait déconsidérée; 3) le processus habituel pour traiter les actions introduites par M. Nourhaghighi avait été suivi et fonctionnait bien; 4) la Couronne était en mesure de déterminer de façon efficiente et efficace si une éventuelle déclaration subséquente révélerait une cause d’action, et de présenter une requête visant à radier toute demande jugée déficiente, une procédure préférable à une procédure d’obtention d’une autorisation pour introduire ce genre d’action : Nourhaghighi (1999).

 

[6]               Entre 1999 et la deuxième demande de la Couronne visant à faire déclarer M. Nourhaghighi plaideur quérulent en juin 2007, M. Nourhaghighi a introduit trois requêtes et deux actions auprès de la Cour (T-942-99; T-1535-00; T-768-03; T-762-04; T-337-06, dossier de la demanderesse, dans T‑2285‑12, à la page 3), accumulant ainsi plus de 20 requêtes et plusieurs appels. Aucune de ces affaires n’était en instance lorsque la demande fondée sur l’article 40 a été déposée. Les deux actions avaient été rejetées, parce qu’elles n’avaient révélé aucune cause d’action raisonnable, une requête avait été rejetée pour cause de retard, une autre en raison de son caractère théorique. La dernière avait été admise en partie par la Couronne, en raison d’un manquement à l’équité procédurale, et le reste de la requête avait été radié pour non-conformité aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. M. Nourhaghighi avait aussi poursuivi un appel d’une ordonnance interlocutoire portant sur le moment prévu dans la première demande de la Couronne pour le faire déclarer plaideur quérulent, alors même qu’il avait eu gain de cause sur le bien-fondé de cette demande (A‑635-98). Cet appel a été finalement rejeté en raison de son caractère théorique, après plusieurs ordonnances procédurales et une audience devant la Cour d’appel : Nourhaghighi c Canada, 2001 CAF 94; voir l’affidavit de Mme Butts, le dossier de demande de la Couronne, au paragraphe 12, et les pièces 9 à 21.

 

[7]               Le juge O’Keefe a fait droit à la requête en radiation présentée par M. Nourhaghighi visant la deuxième demande de la Couronne fondée sur l’article 40, et il a conclu que cette demande n’avait aucune chance d’être accueillie : Canada c Nourhaghighi, 2007 CF 1074, aux paragraphes 12 et 13 (Nourhaghighi (2007)). Le juge O’Keefe a expliqué cette conclusion ainsi :

[13]     J’ai tiré cette conclusion pour les raisons suivantes :

 

1.      Le défendeur n’avait aucune instance devant la Cour lorsque la demanderesse a déposé sa demande, ni à la date de l’audition de la présente requête.

 

2.      D’après les arguments soumis à la Cour par la demanderesse, le défendeur a, par le passé, déposé trois demandes, deux actions et plus de 20 requêtes et il a interjeté plusieurs appels.

 

3.      Selon le défendeur, il a eu gain de cause dans quelques-unes de ces instances.

 

 

[8]               Cette mention du fait que M. Nourhaghighi a eu, en partie, gain de cause semble avoir trait à la demande T-762-04, par laquelle M. Nourhaghighi avait contesté une décision du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS) rejetant sa plainte voulant que le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) ait agi illégalement en l’interrogeant au sujet de sa demande de citoyenneté. M. Nourhaghighi a aussi contesté une décision antérieure par laquelle le SCRS même rejetait sa plainte; il a allégué que le personnel du greffe de la Cour avait eu un comportement délictuel; enfin, il a tenté d’introduire des procédures pour outrage au tribunal contre deux employés du SCRS. À un stade tardif de l’instance, l’avocat de la Couronne a découvert que le CSARS n’avait pas tout à fait respecté les procédures de plainte prescrites par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. La Couronne a donc consenti à ce que la Cour ordonne l’annulation de l’enquête du Comité et le renvoi de l’affaire aux fins d’un nouvel examen. Le reste de la demande a été radié pour non-conformité aux Règles des Cours fédérales et parce que « de nombreuses allégations [étaient] redondantes et ne [concernaient] pas l’objet réel de la plainte de M. Nourhaghighi » : voir Nourhaghighi c Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), 2005 CF 148 (Nourhaghighi (2005)).

 

[9]               À la suite de la décision du juge O’Keefe dans Nourhaghighi (2007), précitée, M. Nourhaghighi n’a introduit aucune nouvelle instance auprès de la Cour jusqu’en mars 2012. Le 6 mars 2012, il a présenté une demande de contrôle judiciaire pour contester la décision par laquelle un agent des visas à l’ambassade du Canada en Iran avait rejeté la demande de visa de résident temporaire (visa de visiteur) du neveu de M. Nourhaghighi, Farzad Nour Haghighi (T-478-12). Le déroulement de cette instance est un enjeu essentiel dans l’affaire dont la Cour est saisie.

 

[10]           Au cours de la contestation de la décision relative au visa, M. Nourhaghighi a présenté des requêtes en ordonnance pour outrage contre un large éventail de particuliers et d’organisations, notamment l’avocat représentant la Couronne, le personnel du greffe de la Cour, le Barreau, l’Université de Toronto, l’agent des visas en Iran, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, le ministre de la Justice, le procureur général de l’Ontario, des avocats du secteur privé et des cabinets d’avocats, le président associé du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario et beaucoup d’autres. La Couronne a présenté une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas, faisant valoir que cette demande était, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), subordonnée au dépôt d’une demande d’autorisation. Avant l’audition de ces requêtes, l’avocat de la Couronne a envoyé à M. Nourhaghighi une lettre datée du 12 septembre 2012, dont une copie a été soumise à la Cour, pour l’informer qu’il avait été déterminé qu’il manquait certains documents relatifs à la décision de l’agent des visas et que la Couronne se verrait dans l’impossibilité de défendre cette décision. À ce titre, le gouvernement offrait de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre agent des visas, à condition que M. Nourhaghighi se désiste de sa demande de contrôle judiciaire. Autrement, disait la lettre, il pourrait retirer sa demande et présenter une demande d’autorisation conforme au paragraphe 72(1) de la LIPR, et la Couronne consentirait au dépôt tardif de celle-ci, à la décision d’accueillir la demande d’autorisation, à une ordonnance faisant droit à la demande de contrôle judiciaire et au renvoi de l’affaire à un autre agent des visas pour une nouvelle décision. La lettre ajoutait que le désistement ne mettait pas fin aux procédures pour outrage.

 

[11]           Les requêtes pour outrage de M. Nourhaghighi et la requête en radiation de la Couronne ont été entendues conjointement le 17 septembre 2012; M. Nourhaghighi a alors confirmé à la Cour qu’il ne souhaitait pas accepter l’offre de la Couronne (transcription, dossier de la demanderesse dans T‑2285-12, aux pages 2159 et 2160). Le 18 septembre 2012, le juge Near a prononcé deux ordonnances rejetant les requêtes pour outrage de M. Nourhaghighi. D’une part, il a estimé que « la position du demandeur [était] totalement non fondée en ce qui [avait] trait aux personnes identifiées » (Nourhaghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1087, au paragraphe 1). D’autre part, il a accueilli la requête en radiation de la Couronne, au motif qu’une autorisation était nécessaire aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR (Nourhaghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1088).

 

[12]           Le lendemain, le 19 septembre 2012, M. Nourhaghighi a déposé une requête par laquelle il demandait l’annulation de ces ordonnances, sollicitait la même réparation qu’il avait initialement demandée et ajoutait le juge Near à la liste des personnes et entités contre qui il demandait des ordonnances pour outrage. Le 20 décembre 2012, le juge Rennie a ordonné que le dossier de requête de M. Nourhaghighi ne soit pas accepté pour dépôt, et a noté que M. Nourhaghighi cherchait à obtenir une réparation qui ne pouvait être accordée, puisqu’une ordonnance d’un juge de la Cour ne pouvait être contrôlée que par la Cour d’appel. Le juge Rennie a ajouté : [traduction] « La Cour invite les avocats à déterminer s’il conviendrait de présenter une demande en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, à l’instar de l’affaire Canada c Nourhaghighi, 2007 CF 1074. » Imperturbable, M. Nourhaghighi a déposé, le 24 septembre 2012, un avis de requête en vertu de l’alinéa 399b) des Règles des Cours fédérales, arguant que l’ordonnance du juge Near radiant sa demande avait été obtenue frauduleusement et demandant son annulation. La juge Kane, statuant que cette demande était sans fondement, l’a rejetée le 2 octobre 2012.

 

[13]           Le 16 octobre 2012, M. Nourhaghighi a interjeté appel en vue de contester les ordonnances rendues par le juge Near le 18 septembre 2012 et par la juge Kane le 2 octobre 2012. Le 29 novembre 2012, la Cour d’appel a accueilli la requête de la Couronne visant à rejeter l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance de radiation du juge Near et de celle de la juge Kane, qui refusait de modifier la première. La Cour d’appel a conclu qu’elle n’avait pas été régulièrement saisie de l’appel de l’ordonnance de radiation, puisqu’une autorisation était nécessaire aux termes de l’article 72 de la LIPR pour présenter la demande de contrôle judiciaire en question, et que le juge Near n’avait pas certifié l’existence d’une question grave de portée générale, comme le prescrit l’alinéa 74d) de la LIPR. Pour les mêmes motifs, la Cour n’avait pas été régulièrement saisie de la « contestation incidente » de l’ordonnance de la juge Kane : ordonnance du 29 novembre 2012, A-443-12. Le reste de l’appel – touchant l’ordonnance du juge Near rejetant la requête de M. Nourhaghighi pour outrage à la Cour – a été rejeté pour cause de retard le 26 juin 2013.

 

[14]           Dans l’intervalle, le 27 décembre 2012, la Couronne a déposé sa demande fondée sur l’article 40 visant à obtenir que M. Nourhaghighi soit déclaré plaideur quérulent (T-2285-12). Le Barreau demandeur, désigné comme auteur d’un outrage par M. Nourhaghighi dans sa plus récente requête soumise à la Cour et désigné défendeur dans des instances antérieures, a présenté sa propre demande fondée sur l’article 40 contre M. Nourhaghighi le 3 janvier 2013 (T‑6‑13), après avoir obtenu le consentement exigé du procureur général. M. Nourhaghighi a introduit des requêtes pour faire radier les deux demandes susmentionnées. Il a aussi demandé que le ministre de la Justice et le procureur général du Canada soient déclarés plaideurs quérulents et qu’il leur soit interdit d’intenter d’autres poursuites contre lui, sauf avec l’autorisation de la Cour. La requête en radiation de la demande de la Couronne a été rejetée par le juge Beaudry le 14 janvier 2013. Celle en radiation de la demande du Barreau a été rejetée par le protonotaire Aalto le 29 janvier 2013. Dans sa décision, le protonotaire Aalto fait observer qu’au cours de l’audience, M. Nourhaghighi « s’est lancé dans une attaque spécieuse contre la Cour, alléguant partialité et conflit d’intérêts », qu’il « a manqué de respect envers la Cour quand il a refusé de se taire pendant que la Cour lui posait des questions » et que ses actes de procédures renfermaient de l’information sur une conclusion de la Cour provinciale de l’Ontario qui « [était] complètement fausse et constitu[ait] une tentative de la part de M. Nourhaghighi d’induire la Cour en erreur » : Barreau du Haut-Canada c Nourhaghighi, 2013 CF 89, aux paragraphes 4, 13 à 15 et 17. M. Nourhaghighi a présenté une requête pour annuler cette ordonnance, alléguant que le protonotaire Aalto se trouvait en situation de conflit d’intérêts, qu’il avait crié après M. Nourhaghighi durant l’audience et qu’il avait ainsi attenté à sa dignité. Le 12 mars 2013, le juge Hughes a rejeté cette requête sur dossier. Il a conclu que la décision du protonotaire Aalto était correcte et que la demande du Barreau devait être entendue sur le fond. Le 28 mai 2013, le juge Hughes a ordonné que les deux demandes fondées sur l’article 40 soient réunies.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[15]           La seule question soulevée en l’espèce est de savoir si M. Nourhaghighi devrait être déclaré plaideur quérulent en vertu de l’article 40 de la Loi, ce qui lui interdirait d’engager d’autres instances auprès de la Cour ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

Poursuites vexatoires

 

40. (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

 

Procureur général du Canada

 

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

 

Requête en levée de l’interdiction ou en autorisation

 

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

 

Pouvoirs du tribunal

 

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

 

Décision définitive et sans appel

 

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

Vexatious proceedings

 

40. (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

 

 

Attorney General of Canada

 

 

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

 

 

Application for rescission or leave to proceed

 

 

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

 

 

 

 

Court may grant leave

 

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

 

 

 

No appeal

 

 

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

 

L’ARGUMENTATION

Les demandeurs

[17]           Les deux demandeurs dans la présente affaire reconnaissent que le type de réparation prévu à l’article 40 est exceptionnel et doit être accordé parcimonieusement et avec la plus grande prudence : Mazhero c Fox, 2011 CF 392 (Mazhero), au paragraphe 38; Wilson c Canada (Agence du Revenu), 2006 CF 1535 (Wilson), au paragraphe 28. Toutefois, ils prétendent que le seuil pour cette réparation exceptionnelle est atteint et dépassé dans le cas présent.

 

Les arguments de la Couronne

[18]           La Couronne fait valoir que, malgré les conclusions tirées par la Cour lors d’instances antérieures, une ordonnance au titre du paragraphe 40(1) est maintenant immédiatement nécessaire. Elle soutient que M. Nourhaghighi a continué de faire une utilisation abusive de la procédure judiciaire et qu’il gaspille les fonds publics avec ses instances depuis plus de dix ans. Le processus habituel pour traiter de la forme et du fond des actions introduites par M. Nourhaghighi ne fonctionne plus. Ses documents sont généralement longs, décousus et incohérents, de sorte qu’il est difficile d’y répondre. Il continue d’introduire des instances contre les avocats qui ont agi contre lui et les juges qui ont statué en sa défaveur; de toute évidence, ces actions sont intenables, mais il faut les contrer à chaque fois par des requêtes en radiation ou d’autres manœuvres procédurales.

 

[19]           La Couronne soutient que le terme « vexatoire » se confond largement avec la doctrine de l’abus de procédure. Tant le paragraphe 40(1) que la doctrine de l’abus de procédure protègent l’intérêt public au regard de l’intégrité et de l’équité du système judiciaire, en empêchant une utilisation inappropriée du temps et des ressources des tribunaux : Adams c Gendarmerie royale du Canada (1994), 174 NR 314, aux pages 317 et 318, [1994] ACF no 1480 (CAF) (Adams), au paragraphe 16; Canada c Olympia Interiors Ltd, [2001] ACF no 1224, 209 FTR 182 (1re inst) (Olympia Interiors), au paragraphe 50; Foy c Foy (No 2) (1979), 26 OR (2d) 220, 102 DLR (3d) 342 (CA Ont) (Foy No 2). Dans le cadre de l’examen d’une demande fondée sur l’article 40, la Cour peut prendre en compte ses propres dossiers et la jurisprudence d’autres tribunaux : La Société canadienne des postes c Varma (2000), 192 FTR 278, [2000] ACF no 851 (1re inst) (Postes Canada), aux paragraphes 23 et 59; Salem c Canada, 2004 CF 168, au paragraphe 5; Mazhero, précitée, au paragraphe 13; Vojic c Canada (Ministre du Revenu national), [1992] ACF no 902, 92 DTC 6539 (1re inst) (Vojic), au paragraphe 4; Canada c Warriner (1993), 70 FTR 8, [1993] ACF no 1007 (1re inst); Olympia Interiors, précitée, au paragraphe 51. Bien qu’il n’y ait pas de catégories limitatives de procédures vexatoires (Mazhero, précitée, au paragraphe 13; Postes Canada, précitée, aux paragraphes 23 et 59; Vojic, précitée, au paragraphe 4), la Couronne note que les tribunaux canadiens ont conclu qu’il y a instance vexatoire ou plaideur quérulent dans les cas suivants :

         il n’y a pas de motif raisonnable d’instituer l’action ou on ne peut raisonnablement s’attendre à obtenir une réparation;

         la Cour n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée;

         le défendeur d’une demande au titre de l’article 40 a introduit un grand nombre d’instances sans y donner suite avec diligence;

         des instances multiples ou répétitives sont engagées pour remettre en litige une question qui a déjà été tranchée;

         l’action a été intentée dans un but illégitime, notamment le harcèlement et l’oppression d’autres parties par une multitude d’instances;

         les actes de procédures sont remplis d’allégations scandaleuses ou exagérées qui restent non prouvées;

         le défendeur a fait montre de mépris à l’égard de la Cour;

         les actes de procédures lancent des allégations frivoles et non prouvées de conduite inconvenante contre les juges, les fonctionnaires des tribunaux et les avocats qui ont agi contre le défendeur;

         le défendeur a eu recours à des tactiques abusives pendant le litige.

(Voir Mascan Corp c French (1988), 64 OR (2d) 1; 49 DLR (4th) 434 (CA Ont); Foy No 2, précitée; Yorke c Canada (1995), 102 FTR 189 (1re inst), à la page 193; Wilson, précitée, aux paragraphes 30 et 31; Mishra c Ottawa (City), [1997] OJ no 4352, 75 ACWS (3d) 266 (C Ont, Div gén), au paragraphe 53; Vojic, précitée, au paragraphe 4; Mazhero, précitée, au paragraphe 44; Nelson c Canada (Ministre de l’Agence des douanes et du revenu), 2002 CFPI 77, [2002] ACF no 97 (1re inst), conf. par 2003 CAF 127, au paragraphe 24).

 

[20]           La Couronne fait remarquer que le désir de vengeance ou la malveillance n’est pas un prérequis pour établir le caractère vexatoire : Olympia Interiors, précitée, aux paragraphes 53 et 61. En outre, la Couronne fait valoir que la jurisprudence fait obstacle à la notion, déjà invoquée par la Cour, selon laquelle une demande visant à faire déclarer qu’une personne a agi de façon vexatoire ne peut déboucher que s’il existe un litige en instance entre les parties. Ces demandes sont plutôt des [traduction] « instances distinctes » qui [traduction] « visent le plaideur, non le litige » : Ontario c Coote, 2011 ONSC 858, aux paragraphes 76 et 84 (Coote); Kallaba c Bylykbashi (2006), 265 DLR (4th) 320, 2006 CanLII 3953 (CA Ont) (Kallaba), au paragraphe 115, autorisation de pourvoi refusée [2006] CSCR no 144.

 

[21]           La Couronne soutient que les instances engagées par M. Nourhaghighi – lesquelles ont donné lieu à la délivrance de plus de 50 ordonnances et directives par la Cour et la Cour d’appel fédérale depuis mai 1999 – respectent et dépassent chacun des critères du litige vexatoire. Elle affirme que ces instances étaient généralement sans fondement, à l’exemple des dossiers T-762-04, T-942-99 et T-337-06, radiés au motif qu’ils n’avaient révélé aucune cause d’action raisonnable, et de neuf autres actions introduites avant la décision du juge Campbell touchant la première demande fondée sur l’article 40 en 1999. La Couronne affirme que M. Nourhaghighi demande fréquemment des réparations que la Cour n’a pas le pouvoir d’accorder. Il ne mène pas ses poursuites avec diligence, comme en font foi les dossiers T-942-99 et T-1535-00, et ses appels dans les dossiers A-50-01, A-59-03 et A-151-04, ont été rejetés, parce que M. Nourhaghighi avait omis de comparaître ou de respecter les délais. La Couronne affirme que M. Nourhaghighi fait des allégations exagérées, scandaleuses et non prouvées, qu’il utilise un langage abusif et incendiaire dans ses plaidoiries et qu’il soulève couramment des allégations d’irrégularité contre les avocats de la partie adverse dans le cadre de requêtes sollicitant des ordonnances pour outrage. M. Nourhaghighi a recours à des tactiques abusives et manipulatrices, comme en témoignent ses requêtes pour outrage au tribunal contre ses opposants, ses refus de signification et son comportement belliqueux et agressif dans la salle d’audience. Il présente des requêtes interlocutoires sans fondement, pour lesquelles il dépose de volumineux documents, et tente de rouvrir des instances judiciaires des mois ou des années après qu’elles ont pris fin. De plus, son comportement et les instances qu’il a engagées ont été désignés vexatoires et inconvenants par la Cour par le passé : Nourhaghighi c Canada (1996), 64 ACWS (3d) 314, [1996] ACF no 841 (1re inst), aux paragraphes 9, 14 et 15; Nourhaghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1376, au paragraphe 11; Nourhaghighi c Canada, 2006 CF 817, au paragraphe 9.

 

[22]           La Couronne fait valoir que, dans sa dernière demande de contrôle judiciaire, M. Nourhaghighi continue de faire preuve du même comportement injustifié, abusif et vexatoire. Elle cite plusieurs exemples de prétentions de M. Nourhaghighi qu’elle allègue être vexatoires et elle fait remarquer qu’une bonne partie du litige relatif à cette demande aurait pu être évitée si M. Nourhaghighi avait accepté l’offre de règlement de la Couronne, offre qu’il a refusée à maintes reprises, même lorsqu’elle lui a été expliquée par le juge Near et la juge Kane. Au lieu de cela, M. Nourhaghighi a décidé de continuer de plaider une demande qui n’avait aucune chance d’être accueillie.

 

[23]           En résumé, la Couronne affirme que, si M. Nourhaghighi n’avait peut-être pas toutes les caractéristiques d’un plaideur quérulent en 1999 et 2007, ses litiges plus récents devant les tribunaux – lesquels sont incessants, frivoles, abusifs et redondants – démontrent amplement qu’il est maintenant un plaideur quérulent au sens du paragraphe 40(1) de la Loi. L’ordonnance demandée est donc justifiée pour protéger le public, la Couronne et l’administration de la justice de ces continuels abus de procédure, lesquels font perdre beaucoup de temps et d’argent, sans régler la moindre question véritablement valable.

 

Les arguments du Barreau du Haut-Canada

[24]           En plus de soutenir et d’approfondir plusieurs des arguments présentés par la Couronne, le Barreau fait valoir que l’ordonnance demandée permettrait d’empêcher que des tiers innocents soient impliqués dans des litiges que la Cour juge illégitimes. Le Barreau signale deux tendances générales qu’il estime particulièrement vexatoires dans le comportement de M. Nourhaghighi devant les tribunaux ontariens et fédéraux : d’une part, il entraîne dans le litige des particuliers qui n’ont rien à voir avec celui‑ci; d’autre part, il allègue un outrage de la part des avocats de la partie adverse sans s’appuyer sur la moindre preuve.

 

[25]           Le Barreau porte à notre attention le rapport d’octobre 2012 du Sous-comité sur l’examen global des Règles des Cours fédérales, lequel fait état d’un problème d’instances vexatoires en Cour fédérale : rapport du Sous-comité, Sous-comité sur l’examen global des Règles des Cours fédérales, 16 octobre 2012, dossier de demande du Barreau, volume 2, onglet 37. Le Barreau prétend que M. Nourhaghighi contribue au problème des litiges peu économiques, qui ne sont pas nécessaires et qui privent des demandes valables de ressources judiciaires limitées.

 

[26]           Le Barreau fait valoir que, dans le cas d’une instance relative à un plaideur quérulent, la question est de savoir si le défendeur « a de façon persistante introduit des instances vexatoires […] ou […] agi de façon vexatoire au cours d’une instance » : Mazhero, précitée, au paragraphe 39. Il soutient que le libellé de l’article 40 n’exige qu’une seule instance où la personne a agi de façon vexatoire et que M. Nourhaghighi a déjà engagé des instances vexatoires et eu des agissements vexatoires dans des instances qui, par ailleurs, étaient acceptables. Citant nombre des mêmes indices de conduite vexatoire susmentionnés, le Barreau soutient que les récentes instances que M. Nourhaghighi a introduites auprès de la Cour (dans le dossier T-478-12) démontrent la nécessité de l’ordonnance demandée, puisque les ordonnances du juge Near et du juge Rennie indiquent que M. Nourhaghighi :

         a cherché à obtenir une réparation qui ne pouvait être accordée;

         a accusé un juge d’outrage au tribunal;

         a présenté une réclamation [traduction] « totalement non fondée » contre un nombre important de personnes qui n’avaient rien à voir avec le litige dont la Cour était saisie;

         a tenté de remettre en cause un litige antérieur déjà tranché;

         a soulevé des allégations non prouvées contre les avocats de la partie adverse et la Cour.

 

[27]           De plus, le Barreau fait valoir qu’une ordonnance fondée sur l’article 40 ne prive pas une personne de l’accès au système judiciaire : Burton c Assaf, 2013 ONSC 1392, au paragraphe 38, traitant du paragraphe 140(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, c C.43. Aux termes du paragraphe 40(4) de la Loi, un justiciable déclaré plaideur quérulent a le droit d’engager une instance ou de présenter une demande si la Cour est convaincue qu’elle ne constitue pas un abus de procédure. Ainsi, l’ordonnance demandée garantirait que des tiers n’aient pas à assumer des frais juridiques et des dérangements associés à une comparution en cour lorsqu’une instance est vexatoire, mais elle n’empêcherait nullement M. Nourhaghighi de faire valoir ses droits. L’ordonnance permet simplement à la Cour d’exercer un contrôle d’accès. Cette disposition de la Loi a pour but d’équilibrer la capacité d’une personne d’accéder au système judiciaire avec la protection des tiers innocents qui risquent d’être impliqués dans un litige inutile.

 

Le défendeur

[28]           Les observations écrites de M. Nourhaghighi sont succinctes. Il fait remarquer qu’il s’agit de la troisième demande de la Couronne fondée sur l’article 40 (demandes qu’il qualifie de poursuites malveillantes), alors que les deux précédentes ont été rejetées par les juges Campbell et O’Keefe. Il affirme qu’il n’a eu aucun dossier en instance devant la Cour depuis octobre 2012 et que le juge O’Keefe a rejeté la demande de la Couronne fondée sur l’article 40 avec dépens pour cette même raison en 2007: Nourhaghighi (2007), précitée. Il cite l’ordonnance du juge Campbell de juin 1999 déclarant que M. Nourhaghighi « répond aux demandes procédurales raisonnables lorsqu’il est traité d’une manière respectueuse » : Nourhaghighi (1999), précitée, au paragraphe 4.

 

[29]           M. Nourhaghighi fait valoir qu’il a porté devant la Cour des griefs importants qui n’ont pas été dûment entendus et qu’aucune décision n’a été rendue à leur égard quant au fond. Il soutient qu’il y a des motifs politiques à la demande (la [traduction] « poursuite malveillante ») de la Couronne contre lui, et il semble prétendre que le fait d’avoir été débouté dans des instances antérieures découle de l’inconduite du pouvoir judiciaire :

[traduction]

 

[…] L’hostilité de la Couronne envers l’Iran s’est terminée par une crise diplomatique et de graves acrimonies contre le major, notamment depuis les 22 dernières années, la Couronne ne lui a pas permis de quitter le Canada, alors qu’il détient un passeport, et de subvenir à son existence; elle s’est cruellement attaquée à lui par l’entremise de la police, s’est opposée à son droit de consulter un avocat, et même n’a PAS accordé un visa à son neveu pour lui rendre visite après ses 22 ans d’exil au Canada (T-478-12). De plus, l’inconduite des juges et l’abus du pouvoir judiciaire ont encouragé des crimes de la police et des juges contre le major, notamment les juges Lutfy, Gibson et Snider ainsi que le protonotaire Aalto qui a, à de nombreuses reprises, crié après le major lorsqu’il a présenté des plaintes contre eux, alors qu’ils ont agi en contravention des principes d’intégrité judiciaire, d’indépendance et d’impartialité ainsi que de l’alinéa 11d) de la Charte.

 

[Souligné dans l’original; renvois omis.]

 

 

[30]           M. Nourhaghighi allègue également que la Couronne a déposé de faux affidavits selon lesquels les affidavits de Carmelita Butts et le dossier de demande lui avaient été dûment signifiés. Il sollicite de la Cour qu’elle rejette la demande et qu’elle ordonne que les dépens lui soient payés sans délai ou, subsidiairement, qu’on lui fasse signifier les affidavits de Mme Butts et le dossier de demande et qu’on impose à la Couronne des dépens pour avoir déposé de faux affidavits.

 

[31]           Dans sa plaidoirie, M. Nourhaghighi a soulevé plusieurs points auxquels je ferai référence et dont je traiterai dans l’analyse ci‑dessous.

 

ANALYSE

[32]           Compte tenu de certains des éléments de preuve et des dossiers de la Cour qui donnent à penser que M. Nourhaghighi s’est comporté de façon irrespectueuse, je tiens à bien préciser dès le départ que, dans le cadre de sa comparution devant moi pour ces requêtes, M. Nourhaghighi s’est comporté d’une manière qui était en tout point correcte. Il s’est révélé bien au fait de la procédure de la Cour, procédure qu’il a suivie scrupuleusement, il s’est conformé à mes instructions et a répondu à mes questions. Il n’a pas interrompu les avocats des parties adverses et, généralement parlant, il a porté à l’attention de la Cour des points utiles et pertinents.

 

[33]           D’après ce que j’ai compris du dossier et de ce que M. Nourhaghighi m’a dit à l’audience, je présume que celui-ci a connu une frustration générale depuis son arrivée au Canada en provenance de l’Iran, parce qu’il n’a pas atteint ici le statut professionnel dont il bénéficiait dans son pays d’origine et qu’il estime que lui et sa famille ont été contrecarrés et desservis de diverses façons par le système canadien. À mon sens, les poursuites qu’il a intentées au cours des ans n’étaient pas toutes sans fondement, et il semble avoir connu quelques succès appréciables, notamment en obtenant l’aide de la Cour dans sa demande de citoyenneté ainsi que dans sa demande de contrôle judiciaire devant le juge Lemieux concernant sa plainte contre le SCRS (voir Nourhaghighi (2005), précitée). D’ailleurs, il a aussi eu gain de cause dans ses demandes précédentes fondées sur l’article 40, qu’ont traitées le juge Campbell (1999) et le juge O’Keefe (2007). Ces succès ne signifient pas, au vu de l’ensemble du dossier dont je dispose, qu’il ne soit pas devenu maintenant un plaideur quérulent, mais ils constituent un facteur que j’ai étudié avec soin pour former mon jugement. Toutefois, ces succès sont largement dépassés par l’énorme quantité de litiges sans fondement qu’il a portés devant la Cour et que celle‑ci a rejetés.

 

[34]           M. Nourhaghighi m’a semblé intelligent, il s’exprimait très bien et était tenace. Ces traits de caractère sont positifs, mais, utilisés à mauvais escient, ils peuvent évidemment causer des problèmes, et j’ai bien peur que ce soit ce qui s’est produit ici.

[35]           Personne n’a l’intention de refuser à M. Nourhaghighi l’accès à la Cour fédérale. En vertu de paragraphe 40(3) de la Loi, il peut en tout temps demander par requête la levée de l’ordonnance rendue aux termes du paragraphe 40(1), tandis qu’aux termes du paragraphe 40(4), même si l’ordonnance a été rendue, il peut engager ou continuer une instance, pourvu que la Cour soit convaincue que cette instance ne constitue pas un abus de procédure et qu’elle est fondée sur des motifs valables. L’article 40 permet simplement à la Cour de contrôler les poursuites abusives et vexatoires.

 

Les questions préliminaires

[36]           Lors de sa plaidoirie, M. Nourhaghighi a soulevé devant moi deux questions d’ordre général qui, selon lui, empêchent la Cour d’accueillir les demandes.

 

[37]           Premièrement, il fait remarquer que les demandeurs ne se sont pas conformés au paragraphe 40(2) de la Loi, en ce sens que, bien que le procureur général ait donné son consentement à la présentation de la requête, ce consentement n’a pas été donné par la [traduction] « bonne direction générale » du procureur général et qu’il n’y aucune preuve que ce dernier ait reçu signification de l’intégralité du dossier de demande. Comme je l’ai souligné à l’audience, il n’existe pas de « directions générales » distinctes du procureur général, et, comme l’indique la documentation versée au dossier, c’est le sous-procureur général qui comparaît pour la Couronne. Je ne vois aucune raison juridique ou pratique, compte tenu des faits dont je suis saisi, qui empêche la Couronne et le Barreau d’obtenir le consentement du procureur général du Canada à l’égard de ces procédures, ce qui a été fait.

 

[38]           Deuxièmement, M. Nourhaghighi affirme qu’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi violerait ses droits garantis par l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, parce qu’une poursuite devrait avoir un caractère définitif et que les juges Campbell et O’Keefe ont déjà statué qu’il n’était pas un plaideur quérulent.

 

[39]           Je constate que l’argument sur le caractère définitif relève plutôt de l’alinéa 11h) de la Charte, qui garantit le droit « de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté ». L’alinéa 11d) a trait au droit « d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable », droit auquel M. Nourhaghighi a fait allusion dans ses brèves observations écrites.

 

[40]           Quoi qu’il en soit, ni l’alinéa 11d) ni l’alinéa 11f) ne sont pertinents en l’espèce, parce qu’il ne s’agit pas ici d’une poursuite. Les premiers mots de l’article 11 sont clairs : les droits garantis aux alinéas 11a) à i) de la Charte s’appliquent à « [t]out inculpé ». C’est-à-dire qu’ils s’appliquent aux personnes accusées d’« infractions criminelles, quasi criminelles et de nature réglementaire » : R c Wigglesworth, [1987] 2 RCS 541 (Wigglesworth), à la page 554. Une instance peut être qualifiée de poursuite criminelle ou pénale et, partant, relever de l’article 11, « soit parce que, de par sa nature même, il s’agit d’une procédure criminelle, soit parce qu’une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction est susceptible d’entraîner une véritable conséquence pénale » : Wigglesworth, précité, à la page 559. Aucune de ces situations ne se présente en l’espèce. M. Nourhaghighi n’est pas jugé pour un comportement criminel ou quasi criminel, et la présente instance ne peut entraîner de véritable conséquence pénale – à savoir, selon la définition qu’en donne la Cour Suprême, « l’emprisonnement ou une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société » (Wigglesworth, précité, à la page 561). En fait, la seule conséquence qui peut se produire est que M. Nourhaghighi devra prendre des mesures procédurales supplémentaires avant d’introduire de nouvelles instances auprès de la Cour, afin de convaincre la Cour que ces instances ne sont pas dénuées de fondement ou ne constituent pas un abus de procédure.

 

[41]           Puisque la disposition a pour but de [traduction] « protéger l’intérêt public au regard de l’intégrité et de l’équité du système judiciaire, en empêchant une utilisation inappropriée du temps et des ressources des tribunaux » (Adams, précitée; Olympia Interiors, précitée), ce serait un non‑sens que M. Nourhaghighi, ayant eu gain de cause dans une demande précédente fondée sur l’article 40, ne puisse être appelé ultérieurement à répondre à une autre demande si sa conduite le justifie. La Cour devra examiner l’intégralité du dossier au moment de la demande. Tout comme un plaideur quérulent peut obtenir, en vertu du paragraphe 40(3), la levée de l’interdiction qui le frappe par suite d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 40(1), le rejet d’une demande antérieure fondée sur l’article 40 ne peut empêcher une demande future si de nouveaux faits établissent la nécessité d’une ordonnance au titre de l’article 40.

 

Le droit applicable

[42]           Les parties ne contestent pas le droit qui régit une demande fondée sur l’article 40.

 

[43]           Une réparation au titre de l’article 40 est exceptionnelle et doit être accordée parcimonieusement. Voir Wilson, précitée, au paragraphe 28.

[44]           Dans Wilson, précitée, la Cour a établi clairement que le terme « vexatoire » était, de façon générale, synonyme de la notion d’abus de procédure (au paragraphe 30).

 

[45]           Dans Wilson, précitée, la Cour démontre clairement aussi que, bien que les catégories de comportement vexatoires ne soient pas limitatives, elles constituent des indices bien reconnus que les tribunaux doivent examiner.

[31]     Parmi les autres indices de comportement vexatoire, on trouve l’introduction d’actions ou de requêtes frivoles, la formulation d’allégations non fondées reprochant à la partie adverse, aux avocats ou à la Cour d’avoir posé des actes irréguliers, le refus ou l’omission de se conformer aux règles ou aux ordonnances de la Cour, l’emploi d’un langage scandaleux dans les actes de procédure ou devant la Cour, l’omission ou le refus de payer les dépens adjugés dans les instances antérieures et l’omission d’intenter des poursuites en temps opportun : Vojic, précitée; Canada c. Warriner (1993), 70 F.T.R. 8, [1993] A.C.F. no 1007; Canada c. Olympia Interiors Ltd., [2001] A.C.F. no 1224, 2001 CFPI 859; Mascan Corp. c French, (1988), 49 D.L.R. (4th) 434, 64 O.R. (2d) 1 (C.A.); Foy, précité; Société canadienne des postes c. Varma (2000), 192 F.T.R. 278, [2000] A.C.F. no 851; Nelson c. Canada (Ministre de l’Agence des douanes et du revenu), [2002] A.C.F. no 97, 2002 CFPI 77.

 

[46]           La jurisprudence indique aussi que la Cour n’est pas tenue de limiter son examen du comportement au système de la Cour fédérale; elle peut prendre en considération les instances engagées devant d’autres tribunaux. Voir Mazhero, précitée, au paragraphe 13.

 

L’application du droit aux faits de l’espèce

[47]           Mon examen du dossier qui m’a été présenté me permet d’affirmer avec certitude que les demandeurs ont établi que M. Nourhaghighi est un plaideur quérulent. M. Nourhaghighi a de longs antécédents d’abus du système de la Cour fédérale qui comprennent ce qui suit :

a)      l’introduction de multiples instances n’ayant aucune chance d’être accueillies;

b)      la présentation de demandes de réparation que la Cour n’a pas le pouvoir d’accorder;

c)      l’omission de mener ses poursuites avec diligence;

d)     la formulation d’allégations insensées, scandaleuses et non étayées;

e)      l’utilisation d’un langage abusif et inflammatoire;

f)       la tentative de faire reconnaître coupables d’outrage au tribunal les avocats de la partie adverse;

g)      la tentative de joindre à une procédure pour outrage au tribunal les juges qui ont tranché en sa défaveur et de les accuser de [traduction] « partialité évidente » et de [traduction] « conduite non professionnelle »;

 

h)      un comportement irrespectueux et perturbateur devant la Cour.

 

 

[48]           Dans une instance récente devant le protonotaire Aalto, on a conclu que M. Nourhaghighi avait agi de façon irrespectueuse et qu’il avait trompé la Cour. Le protonotaire a fait la constatation suivante :

La conduite de M. Nourhaghighi n’était rien de moins que méprisante et irrespectueuse à la lumière du fait qu’il avait refusé de se taire et de respecter comme il se devait les directives de la Cour. Elle jette le discrédit sur l’administration de la justice lorsque le défendeur tente de diriger le processus judiciaire sans tenir compte du décorum à respecter et des directives de la Cour.

 

[49]           La lecture de la transcription de la procédure devant le protonotaire Aalto m’amène à conclure qu’il ne s’agit pas là d’un commentaire inexact ou injuste.

 

[50]           De plus, M. Nourhaghighi s’est également conduit de façon vexatoire devant d’autres tribunaux. Dans la décision R. c Nourhaghighi, [2007] OJ no 44, 72 WCB (2d) 646, la juge Epstein a rappelé les [traduction] « longs antécédents d’instances judiciaires » de M. Nourhaghighi dans le contexte du droit pénal; déjà en 1997, le juge Wilkins de ce qui était alors la Cour de l’Ontario (Division générale) a déclaré M. Nourhaghighi plaideur quérulent. L’appréciation et la conclusion du juge Wilkins ont été confirmées par la Cour d’appel de l’Ontario.

 

[51]           M. Nourhaghighi a tenté devant moi de justifier son comportement passé, mais il ne m’appartient pas de me prononcer en rétrospective sur la décision de la juge Epstein ou sur celle du juge Wilkins.

 

[52]           J’estime particulièrement vexatoire la pratique de M. Nourhaghighi, qui consiste à nommer des personnes et des entités qui n’ont rien à voir avec l’affaire en cours et à les impliquer dans le litige, ainsi que ses requêtes en outrage au tribunal et autres instances dénuées de tout fondement probatoire contre le personnel administratif des tribunaux, les avocats des parties adverses – et maintenant, les juges. Cela impose un stress et des coûts énormes à des personnes et des organisations innocentes, en plus d’ajouter un important fardeau inutile au système de la Cour fédérale.

 

[53]           Comme la Couronne le fait remarquer :

[traduction]


[19]      Le 6 mars 2012, M. Nourhaghighi a présenté une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’alinéa 18.1(1)a) et du paragraphe 18(4)(2) de la Loi sur les Cours fédérales, visant à contester une décision rendue le 6 février 2012 par un agent des visas à l’ambassade du Canada en Iran, décision par laquelle l’agent rejetait la demande de visa de visiteur de Farzad Nour Haghighi (le neveu de M. Nourhaghighi). Monsieur le juge Near a rejeté cette demande de contrôle judiciaire, au motif que M. Nourhaghighi n’avait pas d’abord demandé une autorisation, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés. M. Nourhaghighi a par la suite présenté, en vertu de l’alinéa 399(2)b) des Règles des Cours fédérales, une requête alléguant une fraude de la part de la Couronne.

 

[20]      Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire susmentionnée, M. Nourhaghighi a présenté de multiples requêtes en outrage au tribunal contre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et plusieurs des avocats de celui-ci qui occupaient dans le dossier, contre le Service administratif des tribunaux judiciaires, ses procureurs et plusieurs de ses employés, et contre le Barreau du Haut-Canada, le procureur général du Canada, l’Université de Toronto et Sa Majesté la Reine du chef du Canada, des personnes et entités n’ayant aucun intérêt dans la demande en question. Le 18 septembre 2012, monsieur le juge Near a rejeté les requêtes en outrage au tribunal de M. Nourhaghighi, indiquant que la position de celui-ci était « totalement non fondée ».

 

[21]      Le 19 septembre 2012, M. Nourhaghighi a tenté de déposer une autre requête fondée essentiellement sur les mêmes motifs, mais en y ajoutant cette fois le nom de monsieur le juge Near comme auteur de l’outrage. Monsieur le juge Rennie a ordonné au greffe de ne pas accepter le dépôt de la requête et a invité les parties défenderesses à envisager la présentation d’une demande fondée sur l’article 40 de la Loi.

 

 

[54]           Voici maintenant une situation où M. Nourhaghighi n’a montré aucun scrupule à déposer des documents publics contenant des allégations scandaleuses contre un protonotaire, un juge de la Cour et même contre des parties non concernées qui n’ont pas de moyen réel de contrer ces accusations non fondées. M. Nourhaghighi n’a offert ni explication ni excuse pour cet aspect de son comportement. Il a été condamné aux dépens, mais il s’avère qu’il n’est pas en position de les payer; il n’y a donc pas d’effet dissuasif réel. M. Nourhaghighi utilise en fait le processus judiciaire pour diffamer et calomnier des parties innocentes. Cela est inadmissible.

 

[55]           M. Nourhaghighi invoque le fait que le juge Campbell a refusé de délivrer contre lui une ordonnance le déclarant plaideur quérulent en 1999 et qu’en 2007, le juge O’Keefe a accueilli sa requête en radiation d’une demande visant à le faire déclarer plaideur quérulent à ce moment-là. Toutefois, bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis que le juge Campbell et le juge O’Keefe se sont penchés sur cette question. Il importe de souligner que, dans le dernier litige non fondé touchant une requête pour outrage dans laquelle M. Nourhaghighi a nommé des personnes et des organisations sans lien avec l’affaire et a même tenté d’ajouter le juge Near comme [traduction] « auteur d’un outrage », le juge Rennie a dû intervenir et ordonner au greffe de ne pas accepter les documents de M. Nourhaghighi et a senti la nécessité d’inviter [traduction] « les avocats à déterminer s’il conviendrait de présenter une demande en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales ». C’est de cette demande dont je suis saisi.

 

[56]           Lorsque le juge Campbell a examiné ce litige en 1999, il a refusé de trancher la question de savoir si « le défendeur [avait] introduit des instances vexatoires devant la Cour ou s’il [avait] agi de façon vexatoire » et s’est abstenu de rendre l’ordonnance en se fondant sur les motifs suivants :

[4]     À mon avis, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accueillir une demande fondée sur le paragraphe 40(1) en tenant compte du contexte et donc de l’objectif que poursuivait le défendeur en intentant ses actions judiciaires ainsi que de la forme et du fond de ces actions. Pendant les trois heures de l’audience tenue quant à la présente demande, j’ai eu une bonne occasion d’évaluer ces facteurs et, par conséquent, je peux faire les observations suivantes :

 

1.  Le défendeur est une personne intelligente et articulée qui croit honnêtement qu’il a été lésé à maints égards, et notamment par les mandataires du gouvernement et par les tribunaux;

 

2.  Le défendeur croit honnêtement qu’il existe une conspiration entre le gouvernement et les tribunaux pour l’empêcher de demander et d’obtenir justice;

 

3.  Le défendeur est très frustré parce que ses griefs n’ont pas encore fait l’objet d’une instruction approfondie et qu’une décision sur le fond n’a pas encore été rendue à leur égard;

 

4. Le défendeur répond aux demandes procédurales raisonnables lorsqu’il est traité d’une manière respectueuse.

 

 

[57]           Compte tenu du comportement subséquent et plus récent de M. Nourhaghighi, l’approche du juge Campbell ne s’est pas avérée concluante. Tel que les choses se présentent, l’intégrité de la Cour et l’administration de la justice souffriront si la Cour n’intervient pas, et il y a toutes les raisons de croire que le « processus habituel » évoqué par le juge Campbell ne fonctionne pas. De plus, il y a un besoin immédiat d’agir, car M. Nourhaghighi a maintenant démontré qu’il n’avait aucun scrupule à nommer et à ajouter des parties non concernées par son litige, et à attaquer, par des procédures pour outrage non fondées, les avocats et les juges qui s’opposent à lui.

 

[58]           Lorsque le juge O’Keefe a traité la requête en radiation de M. Nourhaghighi, il a estimé que la demande fondée sur l’article 40 ne pouvait aboutir :

[13]     J’ai tiré cette conclusion pour les raisons suivantes :

 

1.  Le défendeur n’avait aucune instance devant la Cour lorsque la demanderesse a déposé sa demande, ni à la date de l’audition de la présente requête.

 

2.  D’après les arguments soumis à la Cour par la demanderesse, le défendeur a, par le passé, déposé trois demandes, deux actions et plus de 20 requêtes et il a interjeté plusieurs appels.

 

3.  Selon le défendeur, il a eu gain de cause dans quelques-unes de ces instances.

 

 

[59]           Le dossier qu’on m’a présenté est beaucoup plus étoffé – y compris les dernières instances vexatoires introduites par M. Nourhaghighi – que celui dont disposait le juge O’Keefe, et il est maintenant clair que M. Nourhaghighi est un plaideur qui n’a pas eu souvent gain de cause et qui, de manière persistante, s’est engagé dans des litiges inutiles, non fondés et vexatoires.

 

[60]           Je ne vois rien dans l’article 40 de la Loi qui oblige à ce qu’il y ait un litige en instance entre les parties au moment de la demande et, comme l’a statué clairement la Cour d’appel de l’Ontario, les instances vexatoires engagées par un plaideur quérulent en général visent le plaideur, non le litige; ce sont des [traduction] « instances distinctes axées sur le comportement du plaideur ». Voir Kallaba, précité, au paragraphe 115, la juge Lang, dissidente, mais non sur ce point; approche appliquée dans Coote, précitée, au paragraphe 76, et dans Yae c Park, 2013 ONSC 1331, au paragraphe 19. La présente cour a déjà fait remarquer que, puisque les dispositions de la Loi relativement aux plaideurs quérulents sont semblables aux dispositions correspondantes de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, les jugements rendus par les tribunaux ontariens peuvent nous guider : Canada c Mennes, 2004 CF 1731, au paragraphe 76; Vojic, précitée.

 

[61]           Les tribunaux de l’Ontario ont peut-être tenu davantage que les tribunaux fédéraux à ce que les instances touchant les plaideurs quérulents soient distinctes. Par exemple, la Cour d’appel fédérale a conclu que ce type d’instance peut être introduit au moyen d’une requête interlocutoire (voir Nelson, précité, au paragraphe 22), alors que la Cour d’appel de l’Ontario estime qu’il s’agit d’instances distinctes qui doivent être engagées au moyen de demandes distinctes : voir Lukezic c Royal Bank of Canada, 2012 ONCA 350. Toutefois, malgré cette différence, je ne vois rien, ni dans Nelson, précité, ni dans les affaires qui y font référence, qui remette en question le point plus fondamental, d’ailleurs conforme à la jurisprudence de l’Ontario, selon lequel le paragraphe 40(1) vise à protéger les plaideurs et le système judiciaire du risque de comportements vexatoires répétés de la part des personnes ayant manifesté une propension pour ce genre de comportement. C’est ce qui se dégage du texte même de la disposition, qui prévoit non seulement le fait d’agir de façon vexatoire au cours d’une instance donnée, mais aussi celui d’introduire de façon persistante plusieurs instances vexatoires, et qui interdit à la personne visée d’engager d’autres instances devant la Cour ou de continuer une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation. D’ailleurs, comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer, il est rare que ce genre d’ordonnance concerne une seule instance et beaucoup plus courant qu’elle soit délivrée en raison d’un comportement répété ayant donné lieu à plusieurs instances : Campbell c Canada, 2005 CAF 49, aux paragraphes 19 à 22. Ainsi, à mon sens, le paragraphe 40(1) ne vise pas à faire l’économie d’une instance vexatoire donnée, un objectif qui peut être atteint au moyen d’autres mécanismes de moindre portée sous le régime de la Loi et de ses règlements. L’ordonnance délivrée en vertu du paragraphe 40(1) constitue plutôt une « réparation extraordinaire » qui respecte « l’intégrité de l’administration de la justice » et qui offre une protection permettant aux tiers « de ne pas au hasard faire l’objet d’instances vexatoires » : Postes Canada, précitée, aux paragraphes 20 et 21. Il s’ensuit, selon moi, que rien n’exige l’existence d’un litige actif entre les parties au moment de la demande, car cela aurait pour effet de détourner l’objet de cette disposition législative, soit la protection contre la répétition éventuelle du comportement vexatoire.

 

[62]           En l’espèce, la présente demande a été accélérée, parce que M. Nourhaghighi a présenté deux requêtes pour faire déclarer plusieurs personnes coupables d’outrage au tribunal. Le juge Near a statué ainsi : « Après avoir examiné la preuve dont je disposais, j’estime que la position du [défendeur] est totalement non fondée en ce qui a trait aux personnes identifiées. » Comme le juge Dawson l’a fait remarquer dans Olympia Interiors, précitée, aux paragraphes 53 et 61, il n’est pas nécessaire qu’il y ait réellement un désir de vengeance ou de la malveillance pour établir un caractère vexatoire. Ainsi, bien que M. Nourhaghighi croie les choses scandaleuses qu’il allègue contre autrui, cela n’enlève rien à la nature vexatoire de son comportement, puisqu’au vu du dossier dont je suis saisi, rien ou presque n’étaie la plupart de ses allégations et celles-ci n’ont aucune chance d’être accueillies.

 

[63]           La réaction de M. Nourhaghighi à la décision du juge Near a été simplement de tenter de déposer de nouveau les mêmes documents, de nommer les mêmes défendeurs, mais aussi d’ajouter le juge Near comme défendeur en cherchant à le faire condamner pour outrage au tribunal. La seule raison pour laquelle il n’y a pas d’instance en cours entre les parties est l’intervention du juge Rennie, qui a ordonné au greffe de ne pas accepter la documentation. Aucun des éléments dont je dispose ne m’indique que, si je n’accorde pas l’ordonnance que sollicitent les demandeurs, M. Nourhaghighi mettra fin à ses abus envers des personnes et des organisations innocentes et le système de la Cour fédérale, que les questions à débattre soient de véritables questions litigieuses ou non. À l’époque, en 1999, le juge Campbell était persuadé que le système pouvait encore composer avec le comportement vexatoire de M. Nourhaghighi, sans recourir à une ordonnance fondée sur l’article 40. Je n’en suis pas aussi persuadé. M. Nourhaghighi a démontré qu’il pouvait être un plaideur extrêmement vexatoire et irrespectueux, et, s’il n’est pas contrôlé, il déconsidérera l’administration de la justice par la Cour et causera des préjudices à des personnes et des institutions innocentes.

 

 


JUGEMENT

LA COUR accueille les demandes, et déclare et ordonne ce qui suit :

1.                          Le défendeur, le major Keyvan Nourhaghighi, est déclaré plaideur quérulent, conformément à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales;

2.                          La Cour interdit au défendeur d’engager toute autre instance en Cour fédérale, sauf avec l’autorisation de la Cour;

3.                          Toutes les instances introduites par le défendeur en Cour fédérale et actuellement déjà engagées auprès de la Cour sont suspendues par le présent jugement, sous réserve d’une autorisation de procéder donnée par la Cour;

4.                          Le défendeur paiera aux demandeurs les dépens à l’égard des deux demandes;

5.                          La présente ordonnance sera versée aux dossiers T-2285-12 et T-6-13.

 

 

 

 

« James Russell »

juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-2285-12

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c MAJOR KEYVAN NOURHAGHIGHI

 

ET DOSSIER :

T-6-13

 

INTITULÉ :

LE BARREAU DU HAUT-CANADA c MAJOR KEYVAN NOURHAGHIGHI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 20 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSEL

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                    

LE 14 MARS 2014

COMPARUTIONS :

John Loncar

 

POUR LA DEMANDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Sean L. Gosnell

 

POUR LE DEMANDEUR

LE BARREAU DU HAUT-CANADA

 

Major Keyvan Nourhaghighi

 

POUR LE DÉFENDEUR

MAJOR KEYVAN NOURHAGHIGHI

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

LE BARREAU DU HAUT-CANADA

 

Major Keyvan Nourhaghighi

 

POUR LE DÉFENDEUR

MAJOR KEYVAN NOURHAGHIGHI

 

 

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