Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140314


Dossier :

IMM‑13104‑12

 

Référence : 2014 CF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

DEZSO RUSZNYAK, DEZSONE RUSZNYAK,

BRIGITTA ADAM

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 23 novembre 2012 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a rejeté la demande présentée par les demandeurs en vue de se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie et ils sont d’origine ethnique rome. Ils allèguent avoir été victimes de persécution et de discrimination en raison de leur origine ethnique et affirment avoir raison de craindre d’être persécutés s’ils devaient retourner en Hongrie. Ils sont arrivés au Canada le 19 mai 2011 et ont présenté leur demande d’asile le 21 mai 2011.

 

[3]               Les demandes étaient fondées sur un seul exposé circonstancié, celui de Dezsone Rusznyak [Mme Rusznyak] qui se trouvait dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] et qu’elle avait rédigé en son nom personnel et au nom de son mari Dezso [M. Rusznyak] et de leur fille Brigitta, maintenant âgée de quatre ans. Dans cet exposé circonstancié, les demandeurs affirmaient craindre d’être agressés physiquement par des groupes racistes d’extrême droite en Hongrie, où, à leur avis, le nombre de ces agressions et de ces menaces était à la hausse depuis quelques années. Ils affirmaient avoir été victimes d’isolement à l’école et s’être vus refuser l’accès aux études après la huitième année. Ils soutenaient avoir, de même que les membres de leurs familles, été agressés physiquement à plusieurs reprises par des skinheads ou par des membres de « la Garde hongroise ». Ils affirmaient que M. Rusznyak et son père avaient été agressés alors qu’ils pêchaient dans un lac de leur village en 2002, que les deux demandeurs adultes avaient été agressés par trois hommes alors qu’ils se promenaient dans un parc au printemps 2008, et qu’ils avaient reçus tous les deux reçu des coups de couteau lors de cet incident, et que M. Rusznyak avait été pris à partie et jeté dans un lac alors qu’il pêchait à l’été 2010. Mme Rusznyak affirmait que quatre membres de la Garde hongroise les ont agressées elle et sa sœur en 2008, lui faisant perdre deux dents et brisant l’une des côtes de sa sœur. Mme Rusznyak affirmait que sa sœur avait été agressée par des skinheads en 2000, que son frère avait été attaqué en 2001, qu’elle et ses parents avaient été expulsés d’une boutique par des skinheads en 2003, que le mari et le fils de sa sœur avaient été battus dans le village de Martonyi en août 2007 alors qu’ils participaient à une « fête villageoise », et que ses parents avaient été attaqués par des membres de la Garde hongroise au printemps 2009 alors qu’ils se rendaient au magasin. Les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient signalé certains de ces incidents à la police qui, à leurs dires, a refusé de les aider ou les a informés peu de temps après que le dossier était clos faute d’éléments de preuve ou parce qu’on ignorait l’identité des auteurs des actes en question.

 

[4]               Les demandeurs affirment également qu’ils étaient victimes de discrimination chaque jour et ont raconté qu’on leur refusait l’accès aux autobus, aux piscines publiques, ainsi qu’à un pub local où des personnes les avaient traités de [traduction] « sales gitans » et avaient proféré d’autres insultes.

 

[5]               Les demandes d’asile des demandeurs ont été examinées conjointement par la SPR le 2 novembre 2012. M Rusznyak agissait comme représentant désigné de sa fille. Les trois demandes d’asile ont été rejetées par décision datée du 23 novembre 2012. Mme Rusznyak était le principal témoin à l’audience et son mari a également témoigné brièvement.

 

[6]               Madame Rusznyak affirme que deux de ses sœurs et les membres de leurs familles sont arrivés au Canada vers la même époque et se sont vus reconnaître la qualité de réfugié en alléguant essentiellement les mêmes faits. La demande d’asile d’une des familles en question a été examinée et accueillie le même jour par le même commissaire qui a rendu la décision en litige en l’espèce.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[7]               Suivant la SPR, les questions déterminantes en l’espèce étaient celles de la crédibilité et de la protection de l’État.

 

[8]               Sur la question de crédibilité, la Commission a conclu que Mme Rusznyak n’était pas un témoin digne de foi et que, partant, elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour pouvoir conclure que les demandeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention. À titre subsidiaire, la Commission a conclu que les demandeurs disposaient d’une protection de l’État suffisante en Hongrie.

 

[9]               La Commission a relevé de graves contradictions entre le FRP de Mme Rusznyak et le témoignage qu’elle avait donné à l’audience, ainsi que des incohérences importantes au sujet desquelles Mme Rusznyak n’avait pas donné d’explications raisonnables lorsque l’occasion lui en avait été offerte. L’exposé circonstancié du FRP indiquait que l’agression survenue dans le parc avait eu lieu au printemps 2008, tandis que Mme Rusznyak avait dit dans son témoignage qu’elle s’était produite au printemps 2009 alors qu’elle était enceinte. La Commission a écarté l’explication de Mme Rusznyak suivant laquelle elle avait commis une erreur dans son FRP en estimant qu’elle avait associé sa première grossesse à cet incident et qu’il était donc peu probable qu’elle ait commis une erreur au sujet de la date à laquelle il était survenu. La Commission a également constaté une divergence en ce qui concerne la question de savoir si les demandeurs avaient consulté un médecin à la suite de cette agression. Le FPR indiquait que les demandeurs avaient été traités par l’assistant d’un médecin, tandis que Mme Rusznyak avait expliqué qu’elle n’avait pas demandé de soins médicaux. La SPR n’a pas retenu l’explication suivant laquelle les demandeurs avaient confondu les dates alors qu’ils rédigeaient l’exposé circonstancié en raison de leurs nombreuses blessures. La Commission a également relevé des incohérences dans les éléments de preuve portant sur l’identité de la personne qui avait signalé cet incident à la police ainsi que la réponse de la police, et elle a fait observer qu’interrogée au sujet de ces divergences, Mme Rusznyak « avait de la difficulté à mettre de l’ordre dans son récit ». En raison de ces incohérences, la SPR n’était pas « convaincu[e] que [les demandeurs d’asile] ont réellement été attaqués dans un parc par trois personnes au comportement raciste ».

 

[10]           La Commission a également relevé des incohérences dans la preuve présentée par les demandeurs au sujet de la plainte qu’ils avaient déposée devant le maire de leur village au sujet du fait qu’on avait refusé de les servir dans un pub/café local et de la réponse du maire. Le FPR indiquait que le maire avait refusé de s’en mêler, tandis que Mme Rusznyak avait expliqué que le maire lui avait dit qu’il parlerait au propriétaire du pub sans toutefois savoir s’il était effectivement intervenu. Mme Rusznyak avait également allégué dans son témoignage que le maire était raciste et qu’il faisait partie de groupes racistes, ce qu’elle n’a pas déclaré dans son FPR. La SPR a estimé que Mme Rusznyak avait embelli son histoire. De plus, le témoignage de M. Rusznyak différait des allégations contenues dans le FPR en ce qui concerne l’année où il avait été pris à partie et jeté dans un lac alors qu’il pêchait. Interrogé au sujet de cette divergence, M. Rusznyak a expliqué qu’il ne savait pas exactement à quelle date cet incident avait eu lieu.

 

[11]           La Commission a également fait observer que les demandeurs affirmaient avoir signalé les incidents à la police à de nombreuses reprises sans toutefois produire de rapport de police. Interrogée à ce sujet, Mme Rusznyak a expliqué qu’elle avait demandé à sa sœur qui habitait en Hongrie d’obtenir les rapports en question, mais qu’on avait dit à sa sœur que Mme Rusznyak devait se présenter en personne pour les obtenir. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas demandé à ses beaux‑parents d’obtenir les rapports malgré le fait que, suivant son témoignage, ces derniers avaient participé à certains des signalements faits à la police. La SPR a conclu que « la demandeure d’asile n’a pas déposé en preuve des documents pertinents à l’appui de sa demande d’asile, comme il lui incombe de le faire » et elle a fait observer que « la demandeure d’asile aurait pu au moins demander à ses beaux‑parents d’obtenir un rapport de la police ». La Commission a rappelé que l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit que le demandeur d’asile doit « transmet[tre] à la Section des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile ». S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique au moins quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents ». La Commission a par conséquent conclu que les demandeurs n’avaient démontré ni qu’ils avaient été battus et blessés au cours d’une agression survenue en 2009 ni qu’on avait refusé de les servir dans un pub en raison de leur origine ethnique.

 

[12]           La Commission a ensuite tiré une conclusion plus générale au sujet de la crédibilité en se fondant sur les présumées contradictions et incohérences susmentionnées. Voici ce que la Commission a déclaré (au paragraphe 19 de sa décision) :

[19]      Lorsque j’examine la preuve relative à la présente demande d’asile dans son ensemble, je constate qu’elle soulève de sérieux doutes quant à la crédibilité des demandeurs d’asile. Le témoignage sous serment des demandeurs d’asile est présumé vrai, à moins qu’il existe des raisons valables de douter de sa véracité. En l’espèce, la demandeure d’asile et le demandeur d’asile n’ont pas réussi à étayer leurs demandes d’asile avec des éléments de preuve cohérents ou crédibles. Je sais qu’aucune des questions de crédibilité soulevées en l’espèce ne peut à elle seule justifier le rejet de la demande d’asile. Toutefois, lorsqu’elles sont prises en compte dans leur ensemble, je ne dispose pas d’une preuve crédible et digne de foi suffisante pour conclure que la demandeure d’asile et le demandeur d’asile ont qualité de réfugié au sens de la Convention. Le juge MacGuigan de la Cour d’appel a mentionné ce qui suit dans la décision Sheikh [Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF)] :

 

[…] même sans mettre en doute chacune des paroles du [demandeur d’asile], le [tribunal] peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la [demande d’asile] […] En d’autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

En conséquence, la demandeure d’asile et le demandeur d’asile n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[13]           La SPR a poursuivi en déclarant ce qui suit : « À titre subsidiaire, je conclus que les demandeurs d’asile bénéficient d’une protection adéquate de l’État, cette question ayant été soulevée au début de l’audience ».

 

[14]           La SPR a fait observer qu’il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve « clairs et convaincants » quant à l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens, et de démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir cette protection.

 

[15]           La Commission a reconnu que la preuve documentaire démontrait que « l’attitude de certains Hongrois, dont des personnes en position d’autorité, à l’égard des Roms est discriminatoire et préjudiciable », que « les Roms subissent de la discrimination dans presque toutes les sphères de leur vie », que « la situation des Roms ne s’est pas améliorée, elle s’est plutôt aggravée » et que « les attitudes anti‑Roms précédemment dissimulées deviennent de plus en plus exposées ». En ce qui concerne la police, la Commission a fait observer que « [p]armi les autres difficultés en matière des droits de la personne survenues au cours de l’année [2012], mentionnons l’usage d’une force excessive par la police contre les suspects, particulièrement les suspects roms » et que « [l]es Roms victimes d’actes criminels sont très souvent traités de façon discriminatoire par la police; les policiers hésitent à consigner leurs déclarations, en particulier le caractère raciste du crime signalé ». Se fondant sur ces éléments de preuve, la Commission a déclaré ce qui suit (au paragraphe 31 de sa décision) :

Je reconnais que la preuve fait état d’incidents répandus d’intolérance, de discrimination et de persécution envers les Roms en Hongrie, et j’en ai tenu compte.

 

[16]           Et plus loin (au paragraphe 42 de sa décision) :

Une lecture objective de la preuve documentaire démontre que le gouvernement central est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures pour protéger les Roms, mais que ces mesures ne sont pas toujours appliquées efficacement à l’échelle locale ou municipale. La preuve documentaire n’est pas uniforme en ce qui a trait aux efforts du gouvernement visant à protéger les Roms et à prendre des mesures législatives contre des formes plus larges de discrimination et de persécution.

 

[17]           La Commission a néanmoins conclu ce qui suit (au paragraphe 43 de sa décision :

[L]a preuve objective en ce qui concerne la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par l’État hongrois aux Roms victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination ou de persécution est adéquate, que la Hongrie déploie de sérieux efforts pour régler ces problèmes et que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont en mesure de le faire.

 

[18]           La Commission a pris acte des progrès réalisés en ce qui concerne la situation des Roms victimes d’agressions violentes, ainsi que la création, en 2009, d’un groupe de travail chargé d’enquêter sur les agressions commises contre les Roms, ainsi que le renforcement de ce groupe de travail en 2010. Elle a constaté que « [l]a preuve documentaire démontre que la police prend les mesures nécessaires lorsque des actes criminels à caractère raciste sont perpétrés par des groupes extrémistes, y compris les présumés membres de la Garde hongroise dissoute ». La Commission a signalé les dispositions du Code criminel et les modifications apportées à celui‑ci pour réprimer l’incitation à la haine et les actes de violence inspirés par la haine et a conclu que le gouvernement central n’appuyait pas, ne tolérait pas et n’approuvait pas la discrimination et le racisme contre les minorités du pays, y compris les Roms. Malgré l’existence de rapports faisant état de corruption au sein de la police et de recours à une force excessive contre les Roms, des peines étaient prévues pour punir les policiers reconnus coupables de méfaits et la preuve démontrait qu’« il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités prennent des mesures pour remédier à ces cas ». La Commission a relevé l’existence de plusieurs mécanismes de règlement des plaintes et d’organismes de surveillance, dont la Commission indépendante des plaintes contre la police (CIPP), de mécanismes de règlement des plaintes au sein de la hiérarchie policière, et de l’existence d’un commissaire parlementaire aux droits des minorités nationales et ethniques (le protecteur des minorités). Ainsi, même si « la critique envers le traitement réservé aux Roms en Hongrie est justifiée », « le gouvernement hongrois est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures afin de protéger les Roms » et il existe « des exemples précis de leur application sur le plan opérationnel ». La Commission a fait observer (au paragraphe 62 de sa décision) :

[…] [D]’après l’ensemble de la preuve dont je dispose, bien qu’il existe des éléments de preuve démontrant que la police commet encore des abus contre certaines personnes, y compris les Roms, il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités agissent dans de tels cas, que la police est à la fois capable de protéger les Roms et disposée à le faire, et que des organisations ont été mises sur pied afin de veiller à ce qu’elle réponde de ses actes. Par conséquent, dans les circonstances de la présente affaire, la présomption de l’existence d’une protection adéquate de l’État en Hongrie n’a pas été réfutée.

 

 

[19]           En ce qui concerne les questions plus larges de discrimination, la Commission a estimé qu’outre les tribunaux, il était possible d’obtenir réparation auprès de l’autorité pour l’égalité de traitement, du commissaire parlementaire aux droits civils, de l’inspection générale de sécurité et santé au travail de la Hongrie, du bureau national de protection des consommateurs, du commissaire aux droits en matière d’éducation, du Service de supervision en matière d’assurance maladie, des représentants des droits des patients et du Bureau central de justice. La Commission a fait observer (au paragraphe 83 de sa décision) :

Les demandeurs d’asile ne sont pas tenus de s’adresser uniquement aux autorités policières pour obtenir la protection de l’État. Dans les cas de discrimination systémique, si l’État a mis sur pied d’autres institutions qui permettent d’intenter des recours civils, il est raisonnable que le demandeur d’asile demande réparation auprès de ces institutions.

 

[20]           La Commission a par conséquent conclu ce qui suit (au paragraphe 86) :

[…] selon l’ensemble de la preuve présentée en l’espèce, je conclus que les demandeurs d’asile pouvaient exercer et peuvent encore exercer des recours contre les pratiques discriminatoires et racistes institutionnelles et non institutionnelles et obtenir la protection de l’État contre la violence, et qu’il existe de nombreux mécanismes qui permettraient aux demandeurs d’asile de demander réparation si la police refusait de leur accorder une protection ou ne prenait pas leurs plaintes au sérieux en raison de leur origine ethnique rom.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande :

a.                   La Commission a‑t‑elle commis une erreur en n’appréciant pas de façon raisonnable la preuve comme un tout et en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve?

b.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa définition et/ou son appréciation de la crédibilité et de la protection de l’État?

 

NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour chargée du contrôle de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche s’avère infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de la common law en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs entrant en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

 

[23]           Les parties s’entendent pour dire que c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique lorsqu’il s’agit de procéder au contrôle des conclusions tirées par la Commission sur la crédibilité et la protection de l’État (Stephen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1054, aux paragraphes 15 et 16). Les demandeurs soulèvent également la question de savoir si la Commission a appliqué la bonne « définition » de la notion de protection de l’État qui, sauf erreur, concerne la question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère. Notre Cour a récemment affirmé que la question de savoir si le bon critère a été appliqué à la question de la protection de l’État est une question assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22 [Ruszo]; Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 45, aux paragraphes 16 à 18 [Buri]). En revanche, la question de savoir si la Commission a commis une erreur en appliquant les règles de droit établies concernant la protection de l’État aux faits d’une affaire déterminée est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans le cas qui nous occupe, j’estime que la véritable question n’est pas celle de savoir si la Commission a bien saisi le critère applicable, mais bien celle de savoir si elle a commis une erreur en l’appliquant, ce qui constitue une question à laquelle s’applique la norme déférente de la décision raisonnable.

 

[24]           Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[25]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent dans la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

       (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

       (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

       (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

       (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country

 

       (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

       (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

       (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats

       (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

ARGUMENTATIONS

Les demandeurs

[26]           Les demandeurs affirment que les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité et de la protection de l’État sont toutes les deux déraisonnables et que sa décision devrait par conséquent être annulée.

 

[27]           En ce qui concerne la question de la crédibilité, les demandeurs soutiennent qu’à moins d’être contredites ou mises en doute, leurs allégations doivent être tenues pour avérées (Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729, 167 FTR 309 (CF 1re inst.). La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé (Pinzon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1138, au paragraphe 5).

 

[28]           Les demandeurs affirment qu’il n’y avait, dans leur témoignage, aucune omission, contradiction ou incohérence qu’ils n’ont pas expliquée de façon logique. La conclusion tirée au sujet de la crédibilité par la Commission était le fruit d’une analyse « microscopique » axée sur la recherche d’incohérences et sur des détails secondaires de la preuve et la Commission a ignoré des incidents sérieux qui constituaient un aspect essentiel de la preuve (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration),[1989] ACF no 444, 99 NR 168 (CAF); Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, au paragraphe 10; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 270, au paragraphe 16; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55). Les demandeurs citent les propos tenus par le juge Rennie dans le jugement Wardi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1509, aux paragraphes 18 à 21, où le juge Rennie fait notamment observer ce qui suit :

19        Selon le Guide, il faut éviter de s’attarder aux doutes quant à la crédibilité engendrés par les détails circonstanciés de l’événement traumatique. La Commission ne devrait pas s’attendre à une grande exactitude et à une grande cohérence de remémoration […]

 

[…]

 

21        Le Guide signale aussi qu’un demandeur peut inventer certains aspects de son récit et néanmoins satisfaire aux critères d’octroi de l’asile. Les fausses allégations se situent sur une échelle, qui va du compte‑rendu légèrement déformé à une histoire inventée de toutes pièces. En conséquence, la Commission était tenue de vérifier minutieusement quels aspects du récit pouvaient être corroborés au moyen d’une preuve supplémentaire […]

 

[29]           Les demandeurs affirment que l’incohérence signalée au sujet de la date à laquelle l’agression avait eu lieu dans le parc était une simple erreur ou faute de frappe commise dans le FRP et qu’il était déraisonnable de ne pas accepter l’explication qu’ils ont donnée à ce sujet. Il en allait de même selon eux en ce qui concerne la question de savoir si les demandeurs avaient cherché à obtenir des soins médicaux après leur agression : le FRP indiquait qu’ils avaient effectivement reçu des soins médicaux, mais les demandeurs ont rectifié cette erreur au cours de leur témoignage. Ils soutiennent que la preuve portant sur l’identité de la personne qui avait signalé l’incident à la police était claire et cohérente, mais que la Commission a créé une éventuelle contradiction en raison de la façon dont elle a posé ses questions pour ensuite conclure que Mme Rusznyak « avait de la difficulté à mettre de l’ordre dans son récit ». Les explications fournies au sujet de la réaction négative de la police n’avaient pas été omises du FRP mais étaient un simple développement. L’explication de M. Rusznyak suivant laquelle il ignorait la date exacte à laquelle l’incident du lac avait eu lieu était également raisonnable. L’erreur est humaine et on ne peut s’attendre à ce qu’une personne se rappelle avec précision tous les faits. En ce qui concerne la plainte portée devant le maire, Mme Rusznyak a simplement témoigné honnêtement qu’elle ignorait si ce maire raciste avait ou non donné suite à sa plainte. Dans son acharnement à trouver des contradictions, la Commission a négligé des éléments véritablement pertinents de la preuve, en l’occurrence, l’acte discriminatoire commis et l’absence de réaction adéquate des autorités.

 

[30]           Vu l’ensemble de la preuve, les demandeurs affirment qu’il n’était pas raisonnable de la part de la Commission de conclure que leur crédibilité soulevait de graves questions. Au lieu de se mettre à la recherche d’incohérences, la Commission aurait dû essayer de déterminer si les demandeurs avaient des éléments de preuve crédibles à offrir (Osman c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1414, 46 ACWS (3d) 101 (CF 1re inst.), au paragraphe 13). La Commission n’a pas le droit de tirer une conclusion négative en se fondant sur une omission mineure ou sur des détails complémentaires ou des aspects accessoires du FRP (Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249 (CF 1re inst); Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 259; Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101; Naqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 282; Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, paragraphe 6(4) (abrogé après la date de la décision). Aucune des présumées omissions et contradictions en cause ne touche suffisamment à l’essence même de la demande d’asile pour justifier une conclusion négative au sujet de la crédibilité (Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694; Veres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 124 (CF 1re inst), au paragraphe 11). Pour que le tribunal puisse tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité, l’omission ou l’incohérence doit « tirer à conséquence et doit suffire à elle seule à ébranler la crédibilité du demandeur » (Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 25; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, aux paragraphes 67 à 69 [Fatih]).

 

[31]           En ce qui concerne l’absence d’éléments de preuve corroborants tels que des rapports de police, les demandeurs affirment que, bien qu’elle soit justifiée d’exiger une corroboration lorsqu’elle a de sérieuses réserves au sujet de la crédibilité générale des demandes (Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, aux paragraphes 6 et 7), la Commission ne peut tirer de conclusion négative de l’absence de telle corroboration à moins qu’il n’existe des raisons valables de mettre en doute la crédibilité du demandeur et que ce dernier n’ait pas été en mesure de fournir d’explication raisonnable pour justifier l’absence d’éléments de preuve corroborants (Dundar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 19 à 23; Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12; Fatih, précité). Écarter des explications raisonnables données pour justifier l’absence d’une preuve corroborante peut conduire à des conclusions injustes et arbitraires (Buri, précité, au paragraphe 6). Les demandeurs affirment qu’ils ont fourni des explications raisonnables sur les omissions ou incohérences soulevées et que la Commission n’avait donc aucune raison valable de mettre en doute leur crédibilité générale. Ils ont précisé qu’ils avaient fourni des explications raisonnables pour justifier leur incapacité d’obtenir les rapports de police.

 

[32]           Les demandeurs affirment également que la Commission aurait dû tenir compte du fait que les sœurs de Mme Rusznyak s’étaient vues reconnaître la qualité de réfugié sur le fondement d’essentiellement les mêmes éléments de preuve. Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, les demandeurs affirment que la Commission aurait dû en tenir compte pour se prononcer en leur faveur en ce qui concerne leur crédibilité, le bien‑fondé de leur crainte et la question de la possibilité d’obtenir la protection de l’État (Djouah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 884, au paragraphe 25; Szabo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 104, 2002 CFPI 91 (CF 1re inst), au paragraphe 12). Bien qu’elle ne soit pas liée par elles, la Commission doit fournir des motifs clairs et convaincants pour s’écarter de ses propres décisions antérieures, tant par souci d’équité envers les demandeurs que parce que le défaut de le faire risque d’entraîner des décisions contradictoires et arbitraires (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4; Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 500; Shafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, aux paragraphes 12 à 15; Siddiqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 6, aux paragraphes 17 à 20 [Siddiqui]; Osagie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 852, aux paragraphes 31 et 32 [Osagie]). Les demandeurs s’interrogent sur la raison pour laquelle le même commissaire a pu tirer des conclusions opposées sur la question de la protection de l’État au sujet de membres de leur famille se trouvant dans une situation semblable à la leur, à la lumière des mêmes éléments de preuve : ou bien les personnes se trouvant dans la situation des demandeurs peuvent compter sur la protection de l’État en Hongrie ou bien elles ne le peuvent pas (Alexander c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1305, au paragraphe 8 [Alexander]).

 

[33]           Les demandeurs affirment qu’il était incongru et contradictoire de la part de la Commission d’ajouter une conclusion « subsidiaire » au sujet de la protection de l’État. À leur avis, cette façon de procéder démontre que la Commission doutait de sa propre appréciation de la crédibilité et qu’elle cherchait une raison de rejeter leur demande (Csiklya et autre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 30 octobre 2012, IMM‑654‑12 (CF)).

 

[34]           Les demandeurs affirment que l’analyse de la protection de l’État elle‑même était superficielle et insuffisante et qu’elle était entièrement influencée par la conclusion négative tirée par la Commission au sujet de leur crédibilité. La conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État contredisait ses propres conclusions, y compris celle suivant laquelle la situation des Roms avait empiré au lieu de s’améliorer et que les comportements anti‑roms étaient de plus en plus ouverts (paragraphe 24 de la décision); que la ségrégation avait augmenté (paragraphe 26 de la décision); que la police faisait usage de force excessive contre les Roms (paragraphes 27 et 55 de la décision); et que l’incapacité générale du gouvernement central à maintenir des mécanismes de contrôle solides et efficaces quant aux violations des droits de la personne avait des conséquences néfastes sur le groupe minoritaire le plus important de la Hongrie, les Roms (au paragraphe 63 de la décision). Les demandeurs soutiennent que la preuve est tout sauf mitigée, comme le démontre le fait que la Commission n’a signalé aucun élément de preuve permettant de conclure que la police protégeait à l’occasion les Roms.

 

[35]           Bien que la Commission ait déclaré à juste titre qu’elle devait tenir compte de « la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place » (citant Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5 [Hercegi]), les demandeurs affirment qu’en réalité, la Commission a conclu qu’il suffisait que l’État fasse « de sérieux efforts », ce qui contredit la jurisprudence récente. Des efforts sérieux ne peuvent être assimilés à une protection adéquate (Kumati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1519, aux paragraphes 34, 39 et 42; Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, aux paragraphes 5 et 11 à 14; Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 95, aux paragraphes 44 à 48; Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, aux paragraphes 12, 18 et 21 [Majoros]). Les efforts doivent avoir, dans les faits, « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » sur le terrain (voir, entre autres, Hercegi, précité, au paragraphe 5; Meza Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16; Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, au paragraphe 75). De plus, on fait erreur lorsqu’on se concentre sur l’insuffisance des efforts faits pour s’assurer la protection de l’État lorsque celle‑ci est de toute façon inadéquate (Majoros, précité, au paragraphe 21; Ignacz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1164, au paragraphe 23).

 

[36]           Les demandeurs font par ailleurs valoir que les divers organismes et mécanismes de règlement des plaintes cités par la Commission, tels que l’autorité pour l’égalité de traitement, le protecteur des minorités et l’Association des agents de police roms, ne leur offrent aucune protection. La police est « présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens » et « les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité » (Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, aux paragraphes 14 à 17; Gulyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 254, au paragraphe 81). Le fait qu’on ignore l’identité des auteurs des actes reprochés ne dispense pas la police de faire enquête sur les plaintes (Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1119, au paragraphe 14). Les demandeurs rappellent que notre Cour a déjà jugé que les Roms ont de bonnes raisons de craindre la police en Hongrie (Biro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1120, au paragraphe 16). Ils soutiennent que la preuve indique qu’il existe des problèmes systémiques à l’échelle du pays en ce qui concerne la protection de l’État, et que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État est par conséquent déraisonnable.

 

Le défendeur

[37]           Le défendeur soutient que les demandeurs ont simplement exprimé leur mécontentement au sujet des conclusions tirées par la Commission sur la crédibilité et la protection de l’État, et qu’aussi profond que puisse être ce mécontentement, les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une erreur justifiant l’intervention de notre Cour.

 

[38]           En ce qui concerne la crédibilité, le défendeur signale que cet aspect « constitue l’essentiel de la compétence de la Commission » (Aguilar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 843, au paragraphe 34), et soutient que la Commission a le droit de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité en se fondant sur des invraisemblances, des contradictions, des illogismes et le bon sens, et qu’elle peut le faire même lorsque les lacunes ainsi décelées ne se rapportent pas à des aspects centraux de la demande (Zhai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 452, aux paragraphes 14 à 17). Pour contester pareilles conclusions, le demandeur ne peut se contenter de démontrer que la preuve pouvait justifier une conclusion différente; il doit démontrer que la conclusion de la Commission était déraisonnable (Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1398, au paragraphe 31).

 

[39]           L’argument des demandeurs suivant lequel la Commission s’est livrée à une analyse « microscopique » souffre de la même lacune que celle qu’ils reprochent à la Commission. En insistant sur des divergences factuelles banales, les demandeurs perdent de vue que tout contrôle de l’appréciation que la Commission a faite de la crédibilité se doit d’être une évaluation globale. Or, il ressort des motifs de la Commission que même si les réserves qu’elle a formulées au sujet de la crédibilité dépendaient en grande partie des divergences qu’elle avait relevées entre la preuve écrite et le témoignage des demandeurs, ces réserves se fondaient sur des échanges précis qu’elle avait eus avec les demandeurs à l’audience (paragraphes 14 et 15 de la décision). La Commission se trouvait dans une position idéale pour apprécier la crédibilité des allégations des demandeurs. Ces derniers n’ont pas démontré que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables; la Cour ne doit donc pas intervenir (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, aux paragraphes 2 à 4).

 

[40]           Les demandeurs ont tort de soutenir que la Commission aurait dû tenir compte du fait que la SPR avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention à la sœur de Mme Rusznyak sur le fondement d’éléments de preuve semblables. La Commission n’a pas l’obligation de tenir compte des demandes présentées par les membres de la famille du demandeur d’asile lorsqu’elle examine la demande de ce dernier, étant donné que la détermination du statut de réfugié se fait au cas par cas et qu’il est aussi possible que la décision antérieure soit erronée (Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, au paragraphe 10; voir également Jackson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1098, aux paragraphes 39 et 40 [Jackson]).

 

[41]           À titre subsidiaire, le défendeur soutient que toute erreur dont pourrait être entachée l’analyse de la crédibilité ne tire pas à conséquence étant donné qu’à moins qu’elle ne soit déraisonnable, la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État disposerait du sort de la demande (Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 513, au paragraphe 77; voir également Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490, au paragraphe 2).

 

[42]           Le défendeur affirme que l’on ne peut reprocher à la Commission d’avoir poursuivi en tirant une conclusion « subsidiaire » au sujet de la protection de l’État, étant donné qu’il serait absurde de reprocher à la Commission de trancher une demande d’asile de façon plus consciencieuse.

 

[43]           Qui plus est, l’analyse que la Commission a faite de la preuve documentaire était approfondie et équilibrée en plus d’être justifiée, transparente et intelligible. L’argument des demandeurs suivant lequel la Commission a commis une erreur en se concentrant sur les « efforts » faits par la Hongrie pour assurer la protection de l’État plutôt que sur l’« efficacité » de la protection de l’État est rapidement réfuté par les motifs eux‑mêmes (paragraphes 40 et 60 de la décision). L’idée suivant laquelle la Commission n’a pu mettre le doigt sur quelque élément de preuve démontrant que la police hongroise protégeait les Roms repose sur une mauvaise perception du rôle que joue la Commission dans le cas du processus d’examen des demandes d’asile. Ainsi que la SPR l’a souligné, « [l]a Commission n’est pas tenue de prouver que l’État peut offrir une protection adéquate au demandeur d’asile; c’est plutôt à ce dernier qu’incombe le fardeau ultime de réfuter la présomption selon laquelle l’État peut lui fournir une protection adéquate, en présentant des éléments de preuve clairs et convaincants pour persuader la Commission selon la prépondérance des probabilités (paragraphes 34 à 36 de la décision). En ne démontrant pas qu’ils avaient fait toutes les démarches raisonnables pour chercher à obtenir la protection de l’État en Hongrie, les demandeurs ne se sont de toute évidence pas déchargés de ce fardeau (Ruszo, précité, aux paragraphes 29 à 34 et 44 à 51).

 

ANALYSE

[44]           Les demandeurs ont cherché énergiquement à ébranler l’analyse que la Commission a faite des questions de crédibilité et de protection de l’État, et ils demandent à la Cour de la considérer comme déraisonnable.

 

[45]           Les conclusions tirées au sujet de la crédibilité reposaient sur des incohérences « cumulatives ». La question de savoir si ces incohérences étaient suffisantes pour justifier une conclusion générale que les demandeurs manquaient de crédibilité au point où l’ensemble de la preuve s’en trouvait ébranlée est à mon avis au cœur de la présente affaire. Il est évident que la SPR a effectivement tiré cette conclusion (paragraphe 19 de sa décision) et que cette conclusion a joué un rôle essentiel dans sa décision. Il s’agit de savoir si cette conclusion générale était raisonnable.

 

[46]           On a affaire, à mon avis, à un cas tout à fait limite à cet égard. Toutefois, dans sa décision, la Commission a elle‑même tenu à préciser que la conclusion qu’elle tirait au sujet de la crédibilité reposait sur l’accumulation de ses réserves :

[19]      Lorsque j’examine la preuve relative à la présente demande d’asile dans son ensemble, je constate qu’elle soulève de sérieux doutes quant à la crédibilité des demandeurs d’asile. Le témoignage sous serment des demandeurs d’asile est présumé vrai, à moins qu’il existe des raisons valables de douter de sa véracité. En l’espèce, la demandeure d’asile et le demandeur d’asile n’ont pas réussi à étayer leurs demandes d’asile avec des éléments de preuve cohérents ou crédibles. Je sais qu’aucune des questions de crédibilité soulevées en l’espèce ne peut à elle seule justifier le rejet de la demande d’asile. Toutefois, lorsqu’elles sont prises en compte dans leur ensemble, je ne dispose pas d’une preuve crédible et digne de foi suffisante pour conclure que la demandeure d’asile et le demandeur d’asile ont qualité de réfugié au sens de la Convention. Le juge MacGuigan de la Cour d’appel a mentionné ce qui suit dans la décision Sheikh [Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF)] :

 

[…] même sans mettre en doute chacune des paroles du [demandeur d’asile], le [tribunal] peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la [demande d’asile] […] En d’autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

En conséquence, la demandeure d’asile et le demandeur d’asile n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[47]           À mon avis, la Commission s’est effectivement livrée à une analyse trop microscopique et déraisonnable en se fondant sur des divergences mineures. J’estime d’ailleurs que des explications raisonnables ont été offertes pour justifier la plupart des incohérences. Toutefois, comme la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité était « cumulative », on ne peut savoir si, sans ces erreurs, la Commission serait parvenue aux mêmes conclusions au sujet de la crédibilité générale. J’estime donc que la conclusion générale tirée par la Commission au sujet de la crédibilité est dangereuse et déraisonnable (Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, au paragraphe 21; Qalawi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 662, au paragraphe 17). Il ne s’ensuit pas pour autant que le dossier est clos, étant donné que la Commission a tiré une conclusion « subsidiaire » au sujet du caractère suffisant de la protection de l’État. Le demandeur affirme que cette conclusion est viciée par la conclusion négative tirée au sujet de la crédibilité, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, dans le cas qui nous occupe, la Commission voulait dire par « subsidiaire » que, même si elle reconnaissait que les faits s’étaient déroulés comme l’affirmaient les demandeurs et qu’ils s’étaient effectivement adressés à la police, les demandeurs n’avaient néanmoins pas réfuté la présomption de la protection suffisante de l’État.

 

[48]           Même si l’on ne pouvait croire les demandeurs sur tous les aspects de leur demande, il était certainement clair que les demandeurs étaient des Roms qui étaient venus au Canada en provenance de Hongrie parce qu’ils affirmaient craindre d’être victimes de grave discrimination et de persécution s’ils devaient retourner en Hongrie. La Commission a reconnu la situation très difficile avec laquelle les Roms doivent composer en Hongrie. La Commission avait donc l’obligation de procéder à une analyse de la protection de l’État pour déterminer si les demandeurs avaient réfuté la présomption de la protection de l’État (Kulasekaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 388, aux paragraphes 37 à 39; Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 548, aux paragraphes 11 et 12; Odetoyinbo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 501, aux paragraphes 6 à 8; Bastien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 982, aux paragraphes 8 à 12; Sivalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 773, au paragraphe 5). Une conclusion générale de manque de crédibilité ne suffit pas si le dossier « comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur » (Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, au paragraphe 3).

 

[49]           Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, j’estime que la Commission a procédé à une analyse détaillée et raisonnable de la question de la protection de l’État et qu’elle a examiné « la suffisance de la protection de l’État sur le terrain » ainsi que les efforts sérieux faits par l’État pour éradiquer la discrimination contre les Roms et pour protéger ces derniers contre la persécution ainsi que les actes de violence racistes et brutaux dont ils sont souvent victimes. Il est possible de ne pas souscrire à l’analyse de la Commission, mais j’estime qu’on ne peut pas affirmer que cette analyse n’appartient pas aux issues possibles acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité, sauf sur un aspect bien précis sur lequel je tiens maintenant à m’attarder.

 

[50]           Là où la décision devient effectivement très problématique, à mon avis, c’est lorsque la Commission traite des observations qui lui ont été soumises après l’audience dans lesquelles l’avocat des demandeurs attire l’attention de la Commission sur le fait que le commissaire qui avait tranché la présente demande avait également jugé le même jour celle d’une des sœurs de Mme Rusznyak et d’autres membres de sa famille et leur avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention. Qui plus est, la demande d’asile d’une autre sœur et des membres de la famille de cette dernière avait déjà été accueillie par un autre commissaire.

 

[51]           La Commission a traité cette question de façon laconique et, à mon avis, déraisonnable :

Chaque demande d’asile est tranchée selon son bien‑fondé, et il n’est pas possible de tirer des conclusions définitives qui pourraient s’appliquer à tous les membres d’une famille. Je ne suis pas lié par une autre décision que j’ai rendue ou par une décision rendue par un autre commissaire de la Commission.

 

[52]           Les demandeurs n’ont pas allégué que la Commission était « liée » par la décision de qui que ce soit. Ils ont simplement pensé que la suite qui avait été donnée à la demande de leurs sœurs qui étaient exposées aux mêmes problèmes en Hongrie constituait une preuve concernant les « personnes se trouvant dans une situation semblable » dont la Commission devait tenir compte.

 

[53]           Dans le cas qui nous occupe, cette façon de procéder rend problématique l’analyse de la protection de l’État de la Commission. Certes, il est vrai que, pour examiner la question de la protection de l’État, la Commission tient compte d’éléments de preuve portant sur la façon dont les demandeurs individuels ont cherché à obtenir la protection des autorités de l’État. Mais, dans le cas qui nous occupe, la conclusion tirée au sujet de la protection de l’État est proposée « à titre subsidiaire » à d’autres conclusions portant sur la crédibilité et se veut, en tout état de cause, une analyse très fouillée de la volonté et de la capacité de l’État hongrois de protéger ses citoyens roms selon la preuve documentaire. Il est par conséquent pour le moins étrange que le commissaire conclue qu’une des sœurs avait réfuté la présomption de l’existence d’une protection de l’État suffisante et que l’autre sœur n’avait pas réfuté cette présomption le même jour et sur le fondement de la même trousse d’information.

 

[54]           Le défendeur appelle mon attention sur le jugement Jackson (précité, aux paragraphes 39 et 40). Je ne crois toutefois pas que la juge Gagné était saisie, dans l’affaire Jackson, d’exactement de la même question que celle que je suis appelé à trancher en l’espèce. Il est admis que la Commission n’est pas liée par le résultat obtenu dans une autre demande d’asile, et ce, même lorsqu’il s’agit d’un parent, puisque la détermination du statut de réfugié se fait au cas par cas et qu’il est aussi possible que l’autre décision ait été erronée. La question à laquelle je dois répondre comporte toutefois une conclusion « subsidiaire » au sujet de l’État qui repose sur la même trousse d’information que le même commissaire a, le même jour, utilisée pour conclure que la présomption de protection de l’État avait été réfutée.

 

[55]           Ainsi que les demandeurs le soulignent, il existe de récentes décisions solides émanant de notre Cour qui confirment que les demandeurs ont droit à des explications détaillées des raisons pour lesquelles un certain commissaire qui avait examiné les mêmes documents portant sur les mêmes questions le même jour, pouvait arriver à une conclusion différente (Siddiqui, précité, aux paragraphes 17 à 19). Le juge Harrington a suivi le jugement Siddiqui dans le jugement Alexander, précité :

[8]        Bien que la norme de contrôle soit celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339) et bien qu’il puisse y avoir plus d’une décision raisonnable, soit les personnes comme Mme Alexander peuvent obtenir la protection de l’État, soit elles ne le peuvent pas. Dans Siddiqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 6, le juge Phelan a examiné une décision dans laquelle il avait été décidé que le MQM‑A du Pakistan était une organisation terroriste. Il y avait eu des décisions affirmant le contraire dans le passé. Je suis totalement d’accord avec lui lorsqu’il a écrit aux paragraphes 17 et 18 :

 

[17]      Il n’y a pas d’exigence légale stricte selon laquelle les commissaires doivent suivre les conclusions de fait d’un autre commissaire. C’est particulièrement vrai lorsque l’une des normes faisant appel au caractère « raisonnable » est en jeu : des personnes raisonnables peuvent raisonnablement être en désaccord.

 

[18]      Ce qui nuit à la décision de la Commission c’est l’omission de s’exprimer sur les conclusions contradictoires de la décision Memon. Il se pourrait bien que le commissaire ne fût pas d’accord avec les conclusions de la décision Memon et il pourrait avoir de bonnes et solides raisons pour cela. Toutefois, le demandeur a droit, pour des raisons d’équité, à une décision complète, à une explication sur les raisons pour lesquelles le commissaire en cause, après avoir analysé les mêmes documents portant sur la même question, a pu parvenir à une conclusion différente.

 

[56]           Le juge Lagacé a également suivi le jugement Siddiqui dans le jugement Osagie, précité :

[32]      En l’espèce, un membre de la Section de l’immigration avait conclu précédemment que la carte d’identité nationale de M. Osagie était authentique. La Commission pouvait s’écarter de cette conclusion après avoir examiné la preuve, ce qu’elle a fait. Toutefois, vu l’existence de la décision antérieure, elle devait expliquer pourquoi elle s’écartait de la conclusion de la Section de l’immigration. Comme elle ne l’a pas fait, sa décision est discordante et arbitraire.

 

[57]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission n’était pas liée par une décision antérieure, mais elle avait l’obligation d’examiner la question et d’expliquer pourquoi, malgré l’existence d’une trousse d’information identique, la protection de l’État ne pouvait être obtenue dans une autre affaire, mais l’était dans le cas des demandeurs. Ainsi que le juge Harrington l’explique, dans le jugement Alexander, précité, ou bien les intéressés pouvaient obtenir la protection de l’État, ou bien ils ne le pouvaient pas. À mon avis, le défaut de la Commission d’aborder cette question rend déraisonnable son analyse de la protection de l’État.

 

[58]           En conclusion, j’estime que la décision de la Commission était déraisonnable et qu’elle doit lui être renvoyée pour réexamen.

 

[59]           Les avocats ont convenu qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande, ANNULE la décision et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué de la Commission;

 

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM‑13104‑12

 

INTITULÉ :

DEZSO RUSZNYAK, DEZSONE RUSZNYAK, BRIGITTA ADAM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 6 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 14 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Phil Trotter

 

 

POUR LES demandeurs

 

Christopher Crighton

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.