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Date : 20140320


Dossier :

IMM-4333-13

 

Référence : 2014 CF 269

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2014

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

HARMINDER SINGH

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 mai 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] dans laquelle la SPR a rejeté la demande du demandeur de se faire reconnaître la qualité de réfugié ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde de religion sikhe. Avant de s’enfuir de l’Inde, le demandeur vivait dans la région du Pendjab, où il travaillait comme agent immobilier. Il allègue que sa carte professionnelle d’agent immobilier aurait été retrouvée chez un couple qui lui aurait été présenté par un ami, et que ce couple était considéré comme des militants sikhs. Il allègue qu’en conséquence il a été soupçonné d’être lui-même un militant sikh et arrêté trois fois par la police pendjabi qui l’a torturé. Un de ces incidents serait survenu après que le demandeur aurait quitté sa ville natale pour se cacher dans la parenté dans l’état d’Himachal Pradesh, qui est situé près de la région du Pendjab. À chaque fois que la police a arrêté le demandeur, il a été relâché grâce à un pot-de-vin payé par son père. Après la troisième arrestation, le demandeur a décidé de s’enfuir de l’Inde pour venir au Canada. Il a quitté le pays avec son propre passeport et est arrivé au Canada en 2007. Ce n’est cependant qu’en 2009 qu’il a fait une demande d’asile.

 

[3]               Dans sa décision en l’espèce, la SPR a conclu que le demandeur était crédible, mais a rejeté sa demande puisqu’elle a conclu qu’une possibilité de refuge interne [PRI] s’offrait au demandeur à Mumbai, une ville de plus de 16 millions d’habitants, située à plusieurs centaines de kilomètres du Pendjab.

 

[4]                En arrivant à cette conclusion, la Commission a constaté que le demandeur n’était pas membre d’un mouvement militant, n’était pas engagé politiquement et n’avait jamais participé ou appuyé les activités d’une organisation se livrant à des actes de subversion. La SPR a de plus souligné qu’aucune accusation n’a été portée contre le demandeur et qu’à chaque fois qu’il a été arrêté et torturé par la police il a été relâché après le versement d’un pot-de-vin. La Commission a aussi noté que la police a retrouvé le demandeur au Himachal Pradesh grâce à la déclaration de son père et non pas en raison d’un partage d’informations entre les différents états.

 

[5]               La SPR a également fait référence à la preuve documentaire portant sur la capacité de la police pendjabi à retracer le demandeur à Mumbai et a noté les faits suivants :

         Bien que la police du Pendjab prenne au sérieux la recherche des Sikhs partout en Inde qui sont perçus comme étant des militants endurcis, en pratique seulement une poignée de militants sont susceptibles d’être ciblés (citant le cartable national de documentation sur l’Inde, 31 mai 2010 – onglet 2.5 : Royaume-Uni (R.-U.). 17 avril 2008. Home Office. Operational Guidance Note: India [directive opérationnelle sur l’Inde], à la p 5);

         Bien qu’il soit possible de retrouver une personne d’intérêt dans un état différent si la police est déterminée à le faire, les agents déploient rarement de tels efforts. Les personnes qui sont accusées d’être des dissidents politiques sont celles que la police pourrait s’efforcer de trouver (citant le cartable national de documentation sur l’Inde, 30 mai 2012 – onglet 10.2 : CISR. 14 mai 2012.Réponses aux demandes d'information, IND104065.EF, à la p 2);

         Les Sikhs qui craignent la police locale, mais qui ne présentent aucun intérêt pour les autorités centrales peuvent se relocaliser dans d’autres régions de l’Inde (citant le cartable national de documentation sur l’Inde, 30 mai 2012 – onglet 2.5 : Royaume-Uni (R.-U.). 17 avril 2008. Ministère de l’Intérieur. Operational Guidance Note: India [directive opérationnelle sur l’Inde], à la p 6);

         La vérification des antécédents des nouveaux locataires est une pratique qui a été instaurée à Delhi et dans un nombre limité d’états en Inde. La documentation ne permettait pas de conclure que cette action est répandue à l’échelle nationale (citant le cartable national de documentation sur l’Inde, 30 mai 2012 – onglet 10.2 : CISR. 14 mai 2012.Réponses aux demandes d'information, IND104065.EF, à la p 2; et onglet 14.8 : CISR. 9 mai 2007. Réponses aux demandes d'information, IND102467.EF);

         L’Inde n’a pas d’infrastructure nationale de communication policière. De plus, il n’y a aucun système d’enregistrement des citoyens et aucune base de données policière centrale. Pour cette raison, il est extrêmement difficile de trouver une personne à la suite d’un contrôle de sécurité (citant le cartable national de documentation sur l’Inde, 30 mai 2012 – onglet 10.2 : CISR. 14 mai 2012.Réponses aux demandes d'information, IND104065.EF);

         Plusieurs postes de police en Inde utilisent de l’équipement archaïque et ne peuvent pas conserver adéquatement des archives. De plus, la plupart des états et régions métropolitaines n’ont pas développé de banque de données nationales sur les empreintes et les antécédents criminels (citant le cartable national de documentation sur l’Inde, 30 mai 2012 – onglet 7.1 Human Rights Watch, Août 2009, Broken System : Dysfunction, Abuse, and Impunity in the Indian Police, chapitres I, II & III aux pp 21, 24).

 

[6]               La SPR a alors conclu qu’il serait très difficile pour la police pendjabi de retracer le demandeur à Mumbai et que le demandeur n’avait pas démontré qu’il présentait le profil d’intérêt requis pour inciter les policiers du Pendjab à le détenir, et encore moins à le chercher partout sur le territoire de l’Inde.Vu qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle le demandeur ne pouvait pas vivre et gagner sa vie à Mumbai, la SPR a déterminé que cette ville constituait une PRI pour le demandeur.

 

[7]               Le demandeur fait valoir que la SPR a commis une erreur révisable en concluant à l’existence d’une PRI pour deux raisons. Premièrement, il allègue que la SPR n’aurait pas dû conclure que le demandeur ne sera pas poursuivi par la police pendjabi dans le cas d’un retour en Inde puisque cette police l’a poursuivi au Himachal Pradesh. Bien que la police l’ait retrouvé grâce aux informations obtenues de son père, le demandeur soumet que la police pourrait essayer d’obtenir à nouveau les renseignements sur l’endroit où se trouvera le demandeur à Mumbai. Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la SPR n’a pas tenu compte d’une preuve pertinente importante, soit un DVD qu’il a soumis en preuve sur la situation en Inde qui établit que la vérification des antécédents des nouveaux locataires a été instaurée à Mumbai. Le demandeur est d’avis que ce DVD est si pertinent aux questions qui ont été tranchées par la SPR que le fait qu’elle n’en a pas discuté fait en sorte que la décision de la Commission doit être cassée, comme c’était le cas dans Myle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 871; Myle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1073; James c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 546; et Bacchus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 616.

 

[8]               La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une question de fait ou d’une question mixte de fait et de droit (voir à cet effet, Lopez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 550 au para 14 ; Pedraza Corona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 508 au para 5. Par conséquent, la Cour doit accorder un haut degré de déférence à la décision de la SPR quant à sa détermination de l’existence d’une PRI à Mumbai ( voir à cet effet, Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Duran Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 354 au para 29).

 

[9]               De plus, la SPR n’a pas l’obligation de commenter chacun des éléments de preuve au dossier. S’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la juge Abella a écrit ce qui suit au paragraphe 16 :

[16]        Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale […]  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

(Voir également Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490.)

 

[10]           Par conséquent, l'argument du demandeur en ce qui concerne le fait que la SPR n’a pas mentionné le DVD dans sa décision est sans fondement. Comme la SPR n'est pas tenue de mentionner spécifiquement chaque élément de preuve dans sa décision, elle n'a pas commis d'erreur en omettant de mentionner le DVD. Il était raisonnablement loisible à la SPR de se fier aux autres éléments de preuve documentaire, notamment la Directive opérationnelle sur l’Inde du Home Office du Royaume-Uni et les réponses aux demandes d’information publiées par la CISR, lesquels sont des sources plus fiables que le DVD qui provenait d’une source inconnue. En outre, les sources citées par la SPR appuient amplement la conclusion de la SPR qu’en raison de son profil, le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté à Mumbai. Selon le rapport du Home Office du Royaume-Uni, la police indienne prend au sérieux la poursuite des militants sikhs endurcis partout en Inde, mais en pratique, seulement une poignée de militants sont susceptibles d’être ciblés. Ensuite, selon un agent de programme de la Commission des droits de la personne de l’Asie, ce sont notamment les personnes qui sont accusées d’être des dissidents politiques qui risquent d’être recherchées par la police à travers le pays. Enfin, toujours selon le Home Office du Royaume-Uni, les Sikhs qui craignent la police locale, mais qui ne présentent aucun intérêt pour les autorités centrales, peuvent se relocaliser dans d’autres régions de l’Inde. 

 

[11]           À la lumière de cette preuve, il était raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas un profil qui amènerait la police à le rechercher partout en Inde. N’étant pas membre d’un mouvement militant, n’étant pas engagé politiquement, n’ayant jamais participé à des activités d’une organisation se livrant à des actes de subversion et n’ayant eu aucune accusation portée contre lui, il était raisonnable de constater que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne qui serait recherchée à travers le pays.

 

[12]           En l’espèce, il était raisonnable de conclure que les policiers n’auraient pas l’intention de retrouver le demandeur partout en Inde. La situation est similaire à une affaire récente décidée par mon confrère, le juge de Montigny, où il a déterminé qu’un Sikh du Pendjab avait une possibilité de refuge interne à New Delhi (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 535). Il a écrit au paragraphe 30 :

Le vrai désaccord du Demandeur avec la SPR concerne la conclusion de la SPR selon laquelle il est improbable que la police du Pendjab poursuive un sikh à l’extérieur du Pendjab à moins qu’il ne fasse partie d’une poignée de militants purs et durs. Bien que certains éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation donnent à penser que les sikhs n’ont pas de PRI, la SPR a souligné que cette information était essentiellement fondée sur des incidents qui remontaient aux années 1990. La SPR avait le loisir de préférer de l’information plus récente, selon laquelle la réinstallation interne est possible …

 

[13]           La même question s’est posée dans Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 30, où la SPR avait conclu qu’il existait une PRI pour les demandeurs à New Delhi ou à Mumbai. Le juge Scott a noté l’absence de preuve à l’effet que les demandeurs seraient recherchés partout sur le territoire de l’Inde et a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur :

[34]           La Cour est d’avis que la CISR ne commet pas d’erreur en concluant que les demandeurs ne fournissent pas d’éléments de preuve suffisants pour établir que la possibilité de refuge interne est déraisonnable. Ainsi, même s’il existe une preuve documentaire établissant clairement que la police détient les moyens pour retrouver une personne partout sur le territoire de l’Inde, les demandeurs devaient démontrer que la police locale possédait un intérêt suffisant pour vouloir les retrouver, même à Bombay ou à New Delhi. Or, les demandeurs ne présentent aucun élément de preuve objectif pour soutenir leur prétention que la police locale les recherche et qu’elle utilisera le document signé en blanc pour monter un dossier contre le demandeur.

 

[14]           Enfin, dans l’affaire Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 342, le juge Boivin a trouvé que la conclusion de la SPR portant sur l’existence d’une PRI dans des circonstances similaires était raisonnable :

[25]           La Commission a examiné la preuve documentaire concernant une réinstallation interne en Inde, et elle a conclu que les citoyens, y compris les sikhs, peuvent se déplacer librement à l’intérieur du pays. La situation doit être analysée de façon prospective et la Commission a fait remarquer que Mumbai est une grande ville comptant plus de 16 millions d’habitants. Certes, les demandeurs s’étaient déjà rendus dans les petites villes de Motipur et Majitha, mais il importe de souligner que lorsqu’ils ont été arrêtés à Majitha, ils habitaient chez des membres de leur famille, et que lorsque cela s’est produit à Motipur, ils habitaient avec une personne que leur père connaissait, ce qui rendait plus facile, pour des policiers corrompus, la tâche de les retrouver et d’en faire la cible d’extorsion. Il était en outre loisible à la Commission, compte tenu du passé des demandeurs, de conclure qu’ils n’avaient pas le profil requis pour attirer l’attention des autorités centrales de l’Inde. Et, vu les faits de l’espèce, il était également raisonnable que la Commission conclue que le fait que les demandeurs aient auparavant été repérés dans une petite ville ne signifiait pas qu’ils seraient nécessairement repérés dans la grande ville de Mumbai. De plus, la Commission a tenu compte du fait que les demandeurs parlaient deux des langues officielles de l’Inde (l’hindi et l’anglais) et qu’ils détenaient un diplôme d’études postsecondaires. La Commission a conclu qu’ils n’auraient pas de difficulté à se trouver du travail à Mumbai.

 

[26]           Même si la preuve peut mener à une interprétation différente, notre Cour n’interviendra pas si les conclusions tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables.

 

[15]           En l’espèce, j’estime que l’analyse de la PRI n’est pas déraisonnable. La conclusion de la SPR quant à l’existence d’une PRI appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para 47) et, par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[16]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[17]           Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR et ni l’une ni l’autre partie n’a proposé la certification d’une telle question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée ;

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée en application de l’article 74 de la LIPR;

3.      Le tout sans dépens.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-4333-13

 

INTITULÉ :

HARMINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 27 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 mars 2014

COMPARUTIONS :

Me Claudette Menghile

 

Pour le demandeur

 

Me Edith Savard

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claudette Menghile

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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