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Date : 20140320


Dossier :

IMM-4646-13

 

Référence : 2014 CF 272

Montréal (Québec), le 20 mars 2014

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

MARGARITA VERONICA VASQUEZ SANCHEZ

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SAI] rendue le 30 mai 2013 confirmant la mesure d’expulsion à l’égard de la demanderesse, mesure prise le 25 août 2010 par la Section de l’immigration selon l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

 

 

CONTEXTE FACTUEL

[2]               La demanderesse est citoyenne du Pérou. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 1996.

 

[3]               La demanderesse a été frappée d’une mesure d’expulsion parce qu’elle a plaidé coupable le 4 novembre 2004 à deux chefs d’accusation de vol de biens d’une valeur n’excédant pas 5 000$, ainsi qu’à des chefs d’accusation de complot en vue de commettre un vol et de possession d’outils de cambriolage. Ces infractions font partie d’un ensemble d’autres gestes similaires commis par la demanderesse depuis 2000.

 

[4]               La demanderesse en a appelé de cette décision de la Section de l’immigration devant la SAI, sur la base de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. L’appel a été rejeté le 30 mai 2013. Elle demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[5]               La décision de la SAI n’est pas fondée sur la validité juridique de la mesure d’expulsion, puisqu’elle n’est pas contestée. L’appel était fondé sur le pouvoir discrétionnaire de la SAI.

 

[6]               Dans un tel cas, le fardeau revient à la demanderesse de prouver que des mesures spéciales justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Dans l’exercice de ce pouvoir, la SAI a considéré les facteurs énoncés dans l’arrêt Ribic c Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI No 4 [Ribic], repris par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 [Chieu] à savoir :

         la gravité de l’infraction à l’origine de la mesure de renvoi;

         la possibilité de réadaptation;

         la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement de la demanderesse;

         la famille que la demanderesse a au Canada et les bouleversements que son renvoi occasionnerait à cette famille;

         le soutien dont bénéficie la demanderesse au sein de sa famille et dans la collectivité;

         l’importance des difficultés que causerait à la demanderesse le retour dans le pays de destination probable.

 

[7]               La SAI a également considéré l’alinéa 3(1)h) de la Loi, qui indique qu’un des objectifs de la Loi est « de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité de la société canadienne ». La SAI mentionne également avoir été guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que décrit dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker].

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               L’article 67 de la Loi accorde à la SAI un large pouvoir discrétionnaire quant à l’évaluation des considérations humanitaires soulevées dans le cadre d’un appel d’une mesure de renvoi (Chieu, supra). Conséquemment, la norme applicable est celle de la raisonnabilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 58 [Khosa]; voir également Ho c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 597 au para 32, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Awaleh, 2009 CF 1154 au para 24).

 

[9]               Cette Cour doit donc faire preuve de déférence et exercer une grande retenue en déterminant si les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles de sorte qu’elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

 

ARGUMENTS DES PARTIES

Arguments de la demanderesse

[10]           La demanderesse soutient tout d’abord que la SAI l’a mal caractérisée. En effet, la SAI n’aurait pas considéré le fait que les vols ont été commis à la suite de mauvaises fréquentations et que la demanderesse consulte une psychologue qui a souligné ses progrès thérapeutiques. Seule l’impulsivité de la demanderesse aurait été considérée pour rejeter l’appel. De plus, il était erroné de conclure qu’elle représentait un danger pour la sécurité des Canadiens en vertu de l’alinéa 3(1)h) de la Loi puisqu’elle n’a commis aucun vol depuis le 25 juillet 2009. La SAI aurait également mal évalué ses possibilités de réadaptation.

 

[11]           L’accent mis sur le risque qu’elle représente pour la sécurité des Canadiens a brouillé les conclusions de la SAI quant à l’intérêt supérieur de l’enfant, facteur qui ne s’est pas vu accorder le poids approprié. En effet, malgré le fait qu’elle ait elle-même reconnu que les filles de la demanderesse feraient face à des difficultés si elles étaient séparées de leur mère ou si elles devaient la suivre au Pérou, la SAI a quand même accordé plus de poids aux crimes commis par la demanderesse.

 

[12]           Concernant l’âge des enfants, bien que la SAI ait mentionné que la fille aînée de la demanderesse serait bientôt majeure, elle n’a pas pris en compte que la fille aînée était encore aux études, ni que la fille cadette était une jeune adolescente.

 

[13]           De plus, l’établissement des enfants n’a pas été considéré. Étant citoyennes canadiennes et ayant toujours poursuivi des études au Canada, les conséquences d’un futur déplacement vers le Pérou n’ont pas été prises en compte.

 

[14]           Compte tenu de ce qui précède, la demanderesse soutient que la SAI n’a pas été sensible à l’impact de son expulsion sur ses enfants, ne respectant pas les exigences rigoureuses prévues à l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, ni l’analyse des facteurs relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant dans leur contexte intégral tel qu’indiqué au paragraphe 11 de Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165.

 

Arguments du défendeur

[15]           Le défendeur soutient tout d’abord que la SAI a analysé la preuve de façon soutenue et que les facteurs énoncés dans l’arrêt Ribic, supra, et approuvés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu, supra ont été pris en considération. Celui-ci rappelle que ces facteurs ne constituent pas une liste exhaustive et qu’il entre dans la discrétion du décideur de leur accorder le poids approprié selon les circonstances (Nekoie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 363 au para 33 [Nekoie]; Iamkhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 355 au para 42 [Iamkhong]; Philistin c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 1333 au para 17 [Philistin]).

 

[16]           Le défendeur résume ensuite les infractions commises par la demanderesse afin de souligner leur gravité, notamment celles à l’origine de la mesure d’expulsion. La SAI a convenablement conclu que le comportement de la demanderesse portait atteinte à la sécurité des Canadiens, considérant que les vols n’ont pas été commis pour assurer sa survie ou celle de sa famille.

 

[17]           Bien que le tribunal doive être sensible à l’intérêt des enfants touchés, la Cour d’appel fédérale a mentionné dans Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, et réitéré dans Kisana c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, que la présence de ce facteur n’entraîne pas un résultat précis et ne constitue pas un critère prédominant.

 

[18]           Il rappelle qu’il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et de déterminer le poids à accorder aux différents facteurs, et que les conclusions de la SAI en l’espèce appartiennent aux issues possibles et raisonnables.

 

ANALYSE

[19]           La question au cœur de la présente affaire est la raisonnabilité de l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de la SAI dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire.

 

[20]           Or, tel que l’a souligné le défendeur, l’appréciation des facteurs doit se faire en fonction des circonstances de l’espèce. Le juge Martineau illustre cette idée dans Philistin, supra, au paragraphe 17 :

Or, l'appréciation de ces facteurs étant non seulement discrétionnaire, mais également largement tributaire des faits propres à chaque cas, les questions factuelles décidées par la SAI sont soumises à la norme de la décision raisonnable (Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39 au para 14, [2003] ACF 108). En ce sens, le contrôle de la Cour se limite "à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit" (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47).

 

 

[21]           La juge Bédard indique également dans Nekoie, supra, au paragraphe 33 que « la pondération de chaque facteur et de chaque élément de preuve est laissée à la discrétion de la SAI; la Cour ne devrait pas s'immiscer dans ces décisions, peu importe qu'elle soit d'accord ou non avec les résultats » [références omises].

 

[22]           De plus, dans Iamkhong, supra, au paragraphe 42, le juge Noël rappelle que « l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI doit être guidé par ces facteurs, mais que ceux-ci ne constituent pas à eux seuls toute l'analyse qui doit être faite », indiquant que ces facteurs n’agissent qu’à titre d’indicateurs. La SAI n’est même pas tenue de rédiger une analyse point par point de ces facteurs puisque « ce qui est important, c'est que le tribunal tienne effectivement compte de ces facteurs dans sa décision » (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Reyes, 2009 CF 1097 au para 20, cité dans Iamkhong, supra, au para 43).

 

[23]           En l’espèce, je considère que l’analyse des facteurs faite par la SAI était raisonnable. Afin de mesurer la gravité de l’infraction et la possibilité de réadaptation de la demanderesse, il s’inscrivait dans les limites de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI de considérer les nombreuses infractions commises par la demanderesse, dont certaines commises après la prise de la mesure d’expulsion, de même que son omission de se conformer à certaines ordonnances de la Cour.

 

[24]           De plus, il était raisonnable pour la SAI de conclure que malgré le fait que le renvoi de la demanderesse vers le Pérou pourrait lui occasionner certaines difficultés, n’y ayant pas résidé depuis son arrivée au Canada en 1995, elle ne s’y retrouverait pas démunie. En effet, ses parents et sa sœur y vivent, elle parle l’espagnol, et ses compétences comme préposée à l’entretien ménager ne sont pas spécifiques à un emploi au Canada.

 

[25]           Quant à l’intérêt supérieur des enfants, contrairement à ce que la demanderesse soutient, la SAI n’a pas simplement mentionné qu’elle était attentive et sensible à l’intérêt de l’enfant, mais a considéré dans son analyse les éléments soulevés par la demanderesse.

 

[26]           Elle a reconnu que les filles étaient attachées à leur mère et qu’une éventuelle séparation ou un déplacement vers le Pérou entrainerait une difficulté certaine pour la poursuite de leurs études en espagnol, tel qu’en fait foi ce passage de la décision :

Le tribunal a accepté les déclarations écrites des filles de l’appelante, et il est évident qu’elles sont très attachées à leur mère. Si les filles de l’appelante sont séparées de leur mère, elles éprouveront certainement des difficultés sur le plan émotionnel, et si elles choisissent d’accompagner leur mère au Pérou, elles feront sans doute face à des difficultés qu’elles n’ont jamais éprouvées au Canada où elles sont nées et ont fréquenté l’école, même si elles parlent l’espagnol. (para 21)

 

 

[27]           C’est à bon droit que la SAI a également noté que les filles pourraient habiter avec leur père, ce qui leur permettrait de rester au Canada pour terminer leurs études.

 

[28]           Comme le mentionnait le défendeur, bien que le tribunal ait été sensible à l’intérêt de l’enfant, la présence d’enfants n’entraîne pas un certain résultat, et il appartenait à la SAI d’accorder à ce facteur le poids qu’elle considérait justifié dans les circonstances, tel que l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Legault, supra, au para 12 et dans Kisana, supra, aux para 24 et 72.

 

[29]           Je suis satisfaite que la SAI a bien analysé la situation des filles. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve, mais de déterminer si les conclusions de la SAI font parties des issues possibles eu égard aux faits et au droit (Dunsmuir, supra, au para 47). C’est le cas en l’espèce.

 

[30]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-4646-13

 

INTITULÉ :

MARGARITA VERONICA VASQUEZ SANCHEZ c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            MontrÉal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 19 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Luciano Mascaro

 

Pour lA demandeRESSE

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aprin, Mascaro et Associés

Montréal (Québec)

 

Pour lA demandeRESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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