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Date : 20140320


Dossier :

IMM-4710-13

 

Référence : 2014 CF 271

Montréal (Québec), le 20 mars 2014

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

OSWAL NOE HERNANDEZ GOMEZ

 

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] rendue le 4 juin 2013, rejetant la demande d’asile du demandeur selon l’article 98 de la Loi puisque le demandeur est visé par l’alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés [la Convention].

 

CONTEXTE FACTUEL

[2]               Le demandeur est un citoyen du Honduras. Il aurait résidé à quelques reprises aux États-Unis dans les années 1990. C’est toutefois en novembre 1998 qu’il aurait définitivement quitté le Honduras. Le demandeur aurait alors résidé aux États-Unis illégalement jusqu’à son arrivée au Canada le 1er juillet 2009. Il a déposé sa demande d’asile au Canada le 24 août 2009.

 

[3]               Le demandeur allègue craindre de retourner au Honduras suite à des menaces visant d’abord les membres de sa famille, lesquelles seraient à présent dirigées contre lui.

 

[4]               Le 31 juillet 2001, son frère Oscar Armando aurait été séquestré et une rançon d’un million de lempiras aurait été réclamée. Il aurait finalement été libéré après que la famille ait payé 600 000 lempiras.

 

[5]               Des scénarios semblables se seraient reproduits alors que son frère Milton, séquestré le 15 avril 2003, aurait été libéré après que 300 000 lempiras aient été remis, et que son frère Carlos aurait également été séquestré le 1er mai 2006. Toutefois, Carlos est toujours porté disparu puisque la famille n’a pas les moyens de payer la rançon. Le corps de Marco Armando, un autre frère du demandeur, aurait également été retrouvé.

 

[6]               Lors de son arrivée au Canada, le demandeur aurait déclaré avoir été arrêté pendant 24 heures aux États-Unis pour conduite sans permis. L’année de l’arrestation n’est pas précisée. Il aurait également déclaré ne pas avoir de dossier criminel. Ces mêmes déclarations ont été faites dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[7]               Le 3 décembre 2012, quelques jours avant l’audience devant la SPR, prévue pour le 12 décembre 2012, le demandeur a amendé son FRP pour y indiquer qu’il avait déjà reçu une sentence de trois ans pour conspiration non préméditée après avoir prêté sa voiture à son frère Milton, que celui-ci a ensuite utilisée pour commettre des activités illégales. L’audience a été remise afin que le demandeur puisse déposer son dossier criminel, ce qu’il a fait le 15 janvier 2013.

 

[8]               Le dossier criminel du demandeur démontre qu’il aurait commis plusieurs infractions dont omission d’enregistrer une arme à feu (1995), complicité pour trafic d’armes (1997), conduite d’un véhicule alors que son permis était suspendu (2006) et absence de permis de conduite valide (2007).

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[9]               La SPR a analysé l’exclusion du demandeur en vertu de l’article 98 de la Loi au motif qu’il est visé par l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

[10]           Afin de déterminer si le crime commis par le demandeur peut être qualifié de grave, la SPR soutient qu’il convient de les transposer dans le contexte du droit canadien. Citant la décision de la Cour d’appel fédérale dans Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 390, le tribunal indique qu’« un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s’il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à 10 ans. »

 

[11]           En l’espèce, bien que le demandeur allègue avoir accompagné son frère lorsque celui-ci s’est procuré les armes, il souligne n’avoir jamais lui-même procédé à l’achat ou à la vente. Il soutient également ne pas avoir été au courant que des actes criminels étaient perpétrés.

 

[12]           Le demandeur a toutefois plaidé coupable en 1997 à une infraction commise aux États-Unis, infraction équivalant à du trafic d’armes et à l’importation ou l’exportation non autorisée d’armes à feu, en vertu des articles 99 et 103 du Code criminel canadien. Au Canada, ces infractions sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximal de 10 ans. Ainsi, les infractions commises seraient considérées comme des crimes graves et le demandeur serait visé par la mesure d’exclusion.

 

[13]           Invité par la SPR, lors de l’audience, à expliquer pourquoi il n’avait pas déclaré ses antécédents criminels dès le départ, le demandeur affirme que cet élément ne lui aurait pas traversé l’esprit ou que cette question ne lui aurait pas été posée. La SPR a jugé ces prétentions non convaincantes et a conclu que les amendements du demandeur à son FRP auraient été faits pour tenter délibérément de diminuer sa participation dans les infractions pour lesquelles il a été accusé.

 

[14]           La SPR a ensuite analysé d’autres éléments pouvant être pris en considération pour déterminer la gravité d’un crime, soit les éléments constitutifs du crime et le mode de poursuite (Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara]) de même que le dommage causé et la nature de la peine encourue.

 

[15]           La SPR est d’avis que, même si le procureur américain a laissé tomber certains chefs d’accusation, le fait que le Code criminel canadien prévoit des peines minimales pour les crimes commis témoigne également de la gravité de ces crimes. De plus, la SPR mentionne que le demandeur n’a pas établi qu’il n’avait pas eu de procès équitable. Ainsi, la SPR a conclu qu’il existait suffisamment de preuve pour qu’il y ait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun avant son entrée au Canada.

 

[16]           Malgré cette conclusion selon laquelle le demandeur est exclu de l’application du régime de la protection des réfugiés, la SPR a poursuivi son analyse des allégations du demandeur quant à sa crainte de retourner au Honduras.

 

[17]           La SPR est d’avis que le demandeur n’avait pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’il était lié aux individus séquestrés et victimes de menaces. La SPR a également conclu que le demandeur n’était pas crédible à la suite de plusieurs incohérences entre son témoignage, des articles de journaux fournis en preuve et les informations contenues à son FRP.

 

[18]           En considérant tous ces éléments de façon cumulative, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible, et qu’il ne s’était conséquemment pas déchargé du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il était victime de persécution, en vertu de l’article 96 de la Loi, ou qu’il faisait face à un risque ou une menace pour sa vie, en vertu de l’article 97 de la Loi.

 


QUESTIONS EN LITIGE

[19]           A. Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le demandeur était visé par l’alinéa 1Fb) de la Convention et qu’il était visé par la clause d’exclusion?

B. Le Tribunal a-t-il erré en rejetant la demande d’asile du demandeur en raison de son absence de crédibilité?

 

NORME DE CONTRÔLE

[20]           Le présent contrôle judiciaire soulève tout d’abord la question de l’interprétation et de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention. La Cour d’appel fédérale a statué récemment que la norme applicable est celle de la décision correcte (Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324 aux para 24-25).

 

[21]           La deuxième question, toutefois, touche aux conclusions de faits de la SPR quant à la crédibilité du demandeur. Conséquemment, la norme applicable serait celle de la raisonnabilité (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 732 au para 4 [Aguebor]). Cette Cour doit donc faire preuve de déférence et exercer une grande retenue en déterminant si les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles de sorte qu’elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

 

ANALYSE

[22]           Dans le cas en l’espèce, le demandeur ne conteste pas le fait qu’il a bel et bien commis l’infraction qu’on lui reproche. Il n’est pas non plus contesté que l’infraction commise par le demandeur, si elle avait été perpétrée au Canada, aurait pu mener à un emprisonnement maximal de 10 ans.

 

[23]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas évalué la peine imposée, le mode de poursuite ni les éléments constitutifs du crime, de même que les circonstances atténuantes, facteurs établis dans Jayasekara, supra. Selon lui, de telles erreurs sont suffisantes pour annuler la décision.

 

[24]           Tout d’abord, contrairement aux prétentions du demandeur, la SPR a tenu compte du fait que certains chefs d’accusation ont été abandonnés par le procureur américain. La SPR énonce ce qui suit au paragraphe 38 de sa décision :

Dans la présente demande d’asile, le tribunal dispose d’éléments de preuve suffisants pour conclure que le demandeur, a été condamné aux États-Unis, pour trafic d’armes et ce, bien que le procureur américain ait laissé tomber certains chefs d’accusation.

 

[25]           Ainsi, la SPR est d’avis que la gravité du crime était primordiale malgré le fait que le procureur ait laissé tomber certains chefs d’accusation.

 

[26]           Qui plus est, la peine réelle imposée au demandeur ne peut à elle seule déterminer la gravité du crime. Comme le mentionne la Cour d’appel fédérale dans Jayasekara, supra, l’examen de la peine de façon isolée pourrait affecter l’analyse de la gravité du crime. Ainsi, tel que mentionné au paragraphe 41 des motifs de la Cour d’appel,

il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu'elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis.

 

 

[27]           C’est donc à bon droit que la SPR a considéré la peine réelle imposée comme un des facteurs à évaluer, mais non comme un facteur déterminant, particulièrement face à la gravité de l’infraction.

 

[28]           Le demandeur soutient également que le mode de poursuite n’a pas été pris en compte. Je ne suis pas de cet avis.

 

[29]           Bien que la SPR ne fasse pas expressément référence à ce facteur, elle note au paragraphe 39 que « [l]es dispositions du Code criminel prévoient également des peines minimales dans le cas d’une première infraction, ce qui permet de penser que ce genre de crime est grave. » La présente affaire se distingue donc de l’arrêt Vucaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 381, où les infractions commises étaient punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, mais où ce mode de poursuite n’avait pas été considéré par la SPR. En l’espèce, non seulement la déclaration de culpabilité par procédure sommaire n’est pas possible, mais une peine minimale est prévue pour les infractions commises par le demandeur.

 

[30]           La SPR a également pris en considération les déclarations du demandeur concernant le contexte et les circonstances entourant l’infraction. Or, les incohérences et omissions dans le témoignage du demandeur et l’improbabilité de plusieurs déclarations ont mené la SPR à remettre en question le récit des événements et la véracité des circonstances atténuantes alléguées. Il est vrai que le demandeur a plaidé coupable afin d’éviter un long procès, mais cet élément en soi ne peut pas contrebalancer la gravité du crime pour lequel le demandeur a été accusé.

 

[31]           Bien que, la SPR n’ait pas procédé à une description « point par point » des facteurs analysés, je considère que l’ensemble des motifs permet de conclure que les critères de Jayasekara, supra, ont été examinés en fonction des faits de la présente affaire (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14 et 16).

 

[32]           Ainsi, je suis d’avis que la SPR a correctement conclu que le demandeur était visé par la clause d’exclusion.

 

[33]           Puisque la décision du tribunal quant à la clause d’exclusion est correcte, l’analyse de la deuxième question relative à son inclusion n’est plus nécessaire.

 

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-4710-13

 

INTITULÉ :

OSWAL NOE HERNANDEZ GOMEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            MontrÉal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 19 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Alfredo Garcia

 

Pour la partie demanderesse

 

Émilie Tremblay

 

Pour la partie défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alfredo Garcia

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 

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