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Date : 20140319


Dossier :

T-1320-13

 

Référence : 2014 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 mars 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

JOSEPH KWON

 

demandeur

et

FEDERAL EXPRESS CANADA LTÉE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, M. Joseph Kwon, sollicite le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, de la décision rendue le 5 juillet 2013 par la Commission canadienne des droits de la personne de ne pas statuer sur la plainte qu’il avait déposée contre Federal Express Canada Ltée (FedEx), conformément à l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 (la LCDP).

 

[2]               Monsieur Kwon a agi pour son propre compte dans le cadre de la présente demande. Il est un employé de longue date de FedEx. En octobre 2010, il a présenté à la Commission (ou la CCDP) une plainte dans laquelle il alléguait que FedEx avait fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la déficience (une blessure dorsale et du stress lié au travail). Plus précisément, M. Kwon alléguait que son gestionnaire l’avait soumis à des propos et à des plaisanteries racistes, l’avait harcelé et humilié de façon répétée et l’avait traité différemment des autres en raison de son accent et de sa déficience. Monsieur Kwon a ajouté que la haute direction de FedEx avait fermé les yeux sur le comportement du gestionnaire en ne donnant pas suite à ses plaintes.

 

[3]               En mai 2011, la Commission a informé les parties du fait que la plainte allait faire l’objet d’une enquête. En juin 2011, FedEx a demandé à la Commission de reporter son enquête jusqu’à ce que M. Kwon ait épuisé les recours prévus par le processus interne de plainte et d’enquête de FedEx, conformément à l’alinéa 41(1)a) de la LCDP. FedEx a fait remarquer que, puisque le demandeur était à l’extérieur du lieu de travail en congé de maladie, les faits allégués mentionnés dans la plainte (qui étaient niés) étaient interrompus. À la suite de cette demande, la Commission a invité les parties à lui présenter des arguments, et, dans un compte rendu de décision daté du 1er février 2012, a décidé de ne pas statuer sur la plainte parce que M. Kwon n’avait pas épuisé les procédures de grief ou d’appel qui lui étaient normalement ouverts à FedEx.

 

[4]               Le 21 février 2012, M. Kwon a déposé une plainte auprès de FedEx, conformément à la politique sur le respect en milieu de travail de l’entreprise. Les allégations étaient les mêmes que celles qui figuraient dans la plainte présentée à la CCDP. Dans l’intervalle, le gestionnaire qui était la principale personne visée par la plainte de M. Kwon avait quitté l’entreprise.

 

[5]               Le processus prévu dans la politique sur le respect en milieu de travail a duré presque un an, pour des raisons qui ne sont pas communiquées dans le dossier, malgré les demandes répétées de M. Kwon en vue d’être informé de la situation et du cheminement. Dans une note de service datée du 24 janvier 2013, M. Kwon a été avisé que le comité d’examen chargé de la lutte contre le harcèlement (le comité) s’était réuni le 17 janvier 2013 afin d’examiner sa plainte. Le comité a conclu que les allégations de harcèlement fondé sur la déficience, la race et l’origine nationale/ethnique faites par M. Kwon n’avaient pas été étayées par la preuve. En conséquence, il a été conclu qu’il n’y avait pas eu contravention à la politique sur le respect en milieu de travail. Toutefois, le comité a jugé qu’il y avait eu contravention à la politique relative aux conduites acceptables de l’entreprise. Cette décision n’était pas motivée, et aucune réparation n’a été offerte à M. Kwon, puisque le gestionnaire en question ne travaillait plus pour l’entreprise.

 

[6]               Dans des lettres datées du 6 mars 2013, la CCDP a avisé les parties que la plainte qu’elle avait reçue de M. Kwon avait été réactivée. Elle les a avisées qu’elle préparerait un « rapport fondé sur les articles 40 et 41 » et leur a demandé de lui donner leur avis sur la question de savoir si la plainte était vexatoire, vu qu’il avait déjà été statué sur cette plainte dans un autre processus. La CCDP a également avisé les parties que le rapport produit fondé sur les articles 40 et 41 leur serait communiqué avant d’être présenté à la Commission, laquelle allait également recevoir le formulaire de plainte et tout document joint au rapport. La Commission déterminerait ensuite si elle allait statuer sur la plainte de M. Kwon.

 

[7]               Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 qui a été remis aux parties était daté du 16 mai 2013. Son auteur a résumé la plainte adressée à la CCDP et le contexte de sa réactivation, et il a souligné que le rapport viserait principalement à déterminer si la plainte présentée à la CCDP pouvait être vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, vu qu’il avait peut-être déjà été statué sur la plainte dans un autre processus. L’auteur du rapport résumait également les facteurs pertinents pour une décision prévus à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP (et la jurisprudence), de même que les observations des deux parties.

 

[8]               Voici certains des facteurs établis dans le rapport :

  • Monsieur Kwon a eu l’occasion de soulever les problèmes liés aux droits de la personne dans la plainte qu’il a présentée à la CCDP et il a bien tenté de les régler dans le cadre du processus prévu par la politique sur le respect en milieu de travail.
  • À FedEx, un enquêteur indépendant avait fait une enquête exhaustive sur les problèmes liés aux droits de la personne soulevés par M. Kwon et y avait donné suite dans le cadre du processus prévu par la politique sur le respect en milieu de travail de l’entreprise. Monsieur Kwon a été interrogé et a participé au processus. L’ancien gestionnaire a été interrogé et a donc eu la possibilité de répondre aux allégations.
  • L’enquêteur indépendant avait également interrogé des témoins des incidents allégués et rédigé un rapport détaillé exposant les conclusions de l’enquête et tous les documents pertinents recueillis. Ce rapport a été présenté au comité d’examen chargé de la lutte contre le harcèlement, qui a déterminé qu’il n’y avait pas eu contravention à la politique sur le respect en milieu de travail, mais que le gestionnaire avait contrevenu à la politique relative aux conduites acceptables.
  • Même s’il y a eu une enquête interne, elle a été menée et examinée par des personnes qui étaient indépendantes des parties visées par la plainte.
  • Bien que M. Kwon ait été insatisfait du résultat, une décision finale a été rendue, et les problèmes liés aux droits de la personne soulevés par ce dernier ont été réglés dans le cadre d’un processus de plainte interne dont les responsables avaient le pouvoir de se pencher sur de tels problèmes. De plus, l’auteur du rapport mentionnait que la discrimination alléguée semblait avoir cessé puisque FedEx n’employait plus le gestionnaire en question.

 

[9]               Au moyen d’une lettre datée du 5 juillet 2013, la CCDP a avisé les parties que, après avoir lu le rapport fondé sur les articles 40 et 41 produit par la Commission et les documents présentés pour y répondre, elle avait décidé qu’elle ne statuerait pas sur la plainte présentée à la CCDP, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. La décision était motivée en ces termes :

[traduction]

Un autre décideur ayant le pouvoir d’examiner les problèmes liés aux droits de la personne a donné suite aux allégations du plaignant concernant les droits de la personne. La justice n’exige pas que la Commission statue sur la plainte.

 

[10]           Monsieur Kwon n’est pas satisfait de cette conclusion. Il veut que l’affaire soit renvoyée à la Commission et que la Cour lui ordonne de mener une enquête complète sur ses allégations. Il prétend qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale et que la décision rendue par la CCDP de ne pas statuer sur sa plainte n’était pas raisonnable.

 

[11]           À mon avis, la seule question en litige est celle de savoir si la CCDP a raisonnablement appliqué l’alinéa 41(1)d) de la LCDP aux faits en l’espèce.

 

[12]           La jurisprudence a déterminé que la norme de contrôle applicable à une décision rendue par la Commission de ne pas statuer sur une plainte est celle de la décision raisonnable : English-Baker c Canada (Procureur général), 2009 CF 1253 [English-Baker], au paragraphe 13; Chan c Canada (Procureur général), 2010 CF 1232 [Chan], aux paragraphes 14 à 16. Je ne vois aucune raison de m’écarter de la jurisprudence dans la présente demande.

 

[13]           L’alinéa 41(1)d) de la dispose :


 

Irrecevabilité

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

Commission to deal with complaint

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[…]

 

[…]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

 

[14]           Monsieur Kwon est insatisfait des procédures suivies par la CCDP. D’après une des premières lettres qu’il avait reçues de la Commission, il avait cru comprendre qu’un enquêteur serait chargé de sa plainte. Selon les renseignements affichés sur le site Web de la Commission, il pensait qu’il avait droit à un processus de règlement ou à la médiation en personne. Monsieur Kwon n’était pas satisfait que le traitement de sa plainte ait été reporté par la Commission en attendant qu’elle passe par un autre processus, interne, que prévoit la politique sur le respect en milieu de travail de FedEx. Il croit que l’entreprise ne l’a pas traité avec respect durant ce processus, comme en témoignent son défaut de répondre à ses demandes d’information répétées et le temps qu’elle a mis à achever le processus.

 

[15]           De plus, M. Kwon croit que les témoins éventuels auraient été intimidés par les procédures suivies par l’entreprise dans le cadre de ce processus interne prévu par la politique sur le respect en milieu de travail. Plus particulièrement, selon l’entente de confidentialité utilisée par FedEx dans le cadre de la tenue d’une enquête sur une affaire de harcèlement, tout manquement à l’obligation de confidentialité [traduction] « entraînera des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement ». Selon M. Kwon, cette disposition avait de quoi refroidir les ardeurs de tout collègue qui aurait pu être tenté de témoigner en sa faveur. Il soutient que sa plainte n’a donc pas reçu toute la considération qu’elle méritait et que la Commission a commis une erreur en acceptant le processus de FedEx comme solution de rechange raisonnable.

 

[16]           Je ne suis pas insensible aux préoccupations de M. Kwon, mais elles sont principalement axées sur la façon dont il a été traité par FedEx. Aucune explication n’a été donnée concernant la raison pour laquelle le comité a pris presque un an pour achever son examen de la plainte et la raison pour laquelle le gestionnaire des ressources humaines à qui elles sont adressées a fait fi des demandes d’information répétées de M. Kwon pour savoir où en était l’affaire. Par ailleurs, le comité d’examen chargé de la lutte contre le harcèlement n’a donné aucune raison ni aucune explication concernant la raison pour laquelle la conduite visée par la plainte ne constituait pas un manquement à la politique sur le respect en milieu de travail, mais constituait une infraction à la politique relative aux conduites acceptables. J’ai donc une certaine difficulté à comprendre pourquoi il s’agissait d’un autre moyen acceptable pour répondre à la plainte de M. Kwon.

 

[17]           Cela dit, la norme de contrôle de la décision raisonnable exige une certaine retenue à l’égard des décisions de tribunaux spécialisés comme la Commission. Ainsi que la Cour suprême l’a mentionné dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, dans un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour est également préoccupée par l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il ne s’agit pas d’une norme de perfection.

 

[18]           Contrairement à ce qu’avait compris M. Kwon et à ses attentes, la Commission n’avait pas l’obligation de mener sa propre enquête sur sa plainte ni de commencer un processus de règlement ou une médiation en personne. Je remarque que la mention concernant la saisie d’un enquêteur a été faite avant que la Commission ait été avisée du processus interne de plainte et d’examen et qu’il lui soit demandé de reporter son enquête suivant l’alinéa 41(1)a) de la LCDP. Toutefois, même si la Commission avait mentionné la saisie d’un enquêteur après que ces événements se sont produits, elle n’aurait pas été obligée de saisir un enquêteur si elle avait jugé que le recours à un autre moyen était préférable pour régler la plainte. La Commission régit sa propre procédure.

 

[19]           En ce qui concerne l’allégation de M. Kwon selon laquelle la CCDP n’a pas tenu compte d’un nouvel élément de preuve présenté par Mme Charlene Thorpe au moment de trancher la question, je fais remarquer qu’après avoir lu le rapport fondé sur les articles 40 et 41, j’estime que cette observation ne semble pas avoir été soulevée par le demandeur devant la CCDP, puisqu’elle ne fait pas partie du sommaire des arguments de ce dernier. De plus, j’ajoute que, selon le défendeur, il ne s’agit pas d’une nouvelle preuve, puisque l’employée en question avait été interrogée dans le cadre du processus prévu par la politique sur le respect en milieu de travail. Le témoignage de M. Kwon concernant une allégation de menace physique qui a au moins été partiellement corroborée par Mme Thorpe a été inclus dans la plainte qu’il a présentée à FedEx.

 

[20]           Quand la plainte a été réactivée à la suite du processus prévu par la politique sur le respect en milieu de travail, la Commission avait l’obligation de l’examiner dans le but de déterminer si elle devrait statuer sur le fond, même s’il avait déjà été statué sur la plainte dans le cadre d’un processus interne. Pour rendre cette décision, la Commission était tenue de faire son travail avec diligence et de façon raisonnable, mais cela ne veut pas dire qu’on doit lui imposer des normes procédurales rigoureuses : English-Baker, précité, au paragraphe 18.

 

[21]           La Commission a fondé sa décision sur la plainte présentée par M. Kwon le 27 août 2010 et sur le rapport fondé sur les articles 40 et 41. Ce rapport comprenait les observations des deux parties sur la question de savoir si la plainte était vexatoire. La Commission n’a pas fondé sa décision uniquement sur l’issue du processus prévu par la politique sur le respect en milieu de travail, comme l’a laissé entendre M. Kwon; elle l’a également fondée sur les arguments des parties sur la question de savoir si ce processus avait permis de répondre adéquatement à la plainte liée aux droits de la personne du demandeur. Je reprends les observations de la Cour dans le jugement Chan, précité, au paragraphe 50 : « La Commission a examiné la plainte afin de décider si l’alinéa 41(1)d) s’appliquait, compte tenu de l’enquête précédente et de ses conclusions. Elle a conclu qu’il s’appliquait. Je ne peux affirmer que cette conclusion était déraisonnable, selon les paramètres établis dans Dunsmuir, précité. » Je suis arrivé à la même conclusion en l’espèce.

 

[22]           Les motifs de la Commission sont intelligibles, transparents et justifiés, et la décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande doit être rejetée.

 

[23]           Le défendeur n’a pas sollicité les dépens. Dans les circonstances, aucuns dépens n’auraient été adjugés. Compte tenu du nom de la politique sur le respect en milieu de travail, il est assez ironique que FedEx ne semble pas avoir traité M. Kwon avec tout le respect dû à un employé de longue date.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée sans frais.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-1320-13

 

INTITULÉ :

JOSEPH KWON c FEDERAL EXPRESS CANADA LTÉE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 18 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                           LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 19 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Joseph Kwon

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Bonny Mak Waterfall

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

FASKEN MARTINEAU DuMOULIN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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