Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140311


Dossier : T‑448‑13

 

Référence : 2014 CF 238

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

JANUSZ TEODOR KAMINSKI

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de la décision du 27 novembre 2012 [la décision] par laquelle un membre désigné [le membre désigné] de la Commission d’appel des pensions [la Commission d’appel] a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du 26 septembre 2012 du tribunal de révision [le tribunal] présentée par le demandeur. Dans sa décision, le tribunal a rejeté la demande de prestations d’invalidité déposée par le demandeur aux termes du Régime de pensions du Canada, LRC, 1985, c C‑8 [le RPC ou le Régime].

 

CONTEXTE

[2]               Le différend qui fait l’objet du présent litige ne date pas d’hier. Le demandeur a d’abord fait une demande de prestations d’invalidité dans le cadre du RPC le 2 janvier 2003 [la demande de 2003]. Dans cette demande, il a déclaré avoir cessé de travailler en septembre 2000 comme briqueteur d’ouvrages en briques réfractaires à cause d’une [traduction] « pénurie de travail » et il déclarait qu’avril 2001 était la date à partir de laquelle il estimait être incapable de reprendre le travail à cause de son état de santé, soit [traduction] « vive douleur aux bras, aux coudes, aux poignets, douleur au haut et au bas du dos, craquement de chaque articulation. Douleur aux genoux et aux chevilles. Sensations d’engourdissement dans la main gauche… et du côté gauche du visage (autour de la bouche) ».

 

[3]               Pour être admissible aux prestations d’invalidité dans le cadre du RPC, une personne doit avoir cotisé au Régime pendant quatre des six années précédant la survenance de l’invalidité. C’est ce qu’on appelle la « période minimale d’admissibilité » [la PMA], qui est définie à l’article 44 du Régime. Étant donné que le demandeur avait cotisé au RPC en 1997, 1998, 1999 et 2000, mais non depuis cette date, il devait démontrer qu’il était « invalide » au sens du paragraphe 42(2) du Régime au plus tard le 31 décembre 2002 étant donné que c’est la dernière date à laquelle il pouvait satisfaire aux exigences de la PMA.

 

[4]               Le ministre de ce qui est maintenant Emploi et Développement social Canada (auparavant Ressources humaines et Développement des compétences Canada) [le ministre] a rejeté la demande de 2003, dès le départ et après réexamen. Le demandeur a interjeté appel de la décision du ministre. Cet appel a été instruit par un tribunal de révision en novembre 2005 – après un ajournement de plus d’un an pour permettre au demandeur de se procurer des éléments de preuve médicale supplémentaires, retenir les services d’un avocat et obtenir la présence d’un interprète maîtrisant la langue polonaise – puis rejeté dans une décision datée du 16 janvier 2006. Le demandeur a obtenu l’autorisation d’interjeter appel devant la Commission d’appel, qui l’a rejeté dans une décision datée du 1er mars 2007. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’appel en s’adressant à la Cour d’appel fédérale, qui a rejeté la demande dans une décision datée du 27 juin 2008 : Kaminski c Canada (Développement social), 2008 CAF 225. Le demandeur a demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada, mais sa demande n’a pas été autorisée : CSC no 32807, 22 janvier 2009. Le demandeur a ensuite demandé le réexamen de l’affaire par la Cour d’appel fédérale, demande qui a été rejetée : ordonnance du 14 mai 2009, dossier numéro A‑171‑07. Le demandeur a demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du refus de la demande de réexamen, mais sa demande d’autorisation a encore une fois été refusée : CSC no 32807, 22 octobre 2009.

 

[5]               Le 11 août 2011, le demandeur a déposé une autre demande de prestations d’invalidité en vertu du RPC [demande de 2011]. Il avait obtenu de nouveaux éléments de preuve médicale, mais les dates de sa PMA n’avaient pas changé étant donné qu’il n’avait effectué aucune cotisation au RPC depuis 2000. Le ministre a rejeté la demande de 2011 une première fois et après réexamen, après avoir conclu que la décision de la Commission d’appel relative à la demande de 2003 était définitive et tranchait la question de savoir si le demandeur souffrait d’une invalidité le 31 décembre 2002 lui ouvrant le droit à des prestations. Le demandeur a interjeté appel de cette décision et le tribunal a rejeté cet appel le 26 septembre 2012, après avoir conclu que la question de savoir si le demandeur était admissible aux prestations d’invalidité du RPC était visée par le principe de l’autorité de la chose jugée, étant donné que cette question avait été tranchée de façon définitive par la Commission d’appel. Le demandeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal devant la Commission d’appel, mais un membre désigné de la Commission d’appel a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel le 27 novembre 2012. Il s’agit de la décision à l’examen en l’espèce.

 

[6]               Le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale, mais étant donné que la décision d’un seul membre de la Commission d’appel refusant la demande d’autorisation d’interjeter appel est susceptible de contrôle devant notre Cour et non devant la Cour d’appel fédérale, cette dernière a ordonné le 8 mars 2013 que la demande soit transférée à notre Cour (dossier A‑542‑12, la juge Sharlow).

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[7]               La décision faisant l’objet du présent contrôle est brève. En voici le texte intégral :

[traduction]

 

[1]       La décision du tribunal de révision (le TR) relative à la présente demande ayant force de chose jugée, il est impossible de la remettre en question.

 

[2]        Le demandeur n’a pas de cause défendable à présenter en appel.

 

[3]        L’autorisation d’interjeter appel est refusée.

 

[8]               Pour comprendre et évaluer cette décision, il faut se reporter à la décision du tribunal visée par la demande d’autorisation d’interjeter appel que le demandeur a présentée. En voici un extrait :

[traduction]

 

[2]        Le tribunal a fait une longue déclaration au début de l’audience. Il informait l’appelant que sa demande faisait problème. L’appelant a déposé une première demande en 2003. Un tribunal de révision a instruit l’affaire en 2005 et a rejeté la demande. L’appelant a ensuite interjeté appel de cette décision devant la Commission d’appel des pensions qui a instruit et rejeté l’appel en 2007.

 

[3]        Selon le principe de l’autorité de la chose jugée, le tribunal ne peut pas modifier une conclusion antérieure d’une autre formation du même tribunal. Par conséquent, il ne peut pas se prononcer sur les faits survenus avant 2007.

 

[4]        Étant donné que la PMA se termine le 31 décembre 2002, un tribunal de révision ne peut pas rendre une décision favorable à l’appelant. Une formation du tribunal en a informé l’appelant et lui a expliqué qu’il ne pourrait pas recevoir de nouveaux éléments de preuve.

 

[5]        L’appelant a ensuite décidé de ne pas présenter d’éléments de preuve, mais il a demandé une version écrite de la décision du tribunal.

 

[…]

 

[14]      L’appelant doit démontrer selon la prépondérance de la preuve qu’il souffrait d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2002 ou avant cette date.

 

[15]      Le tribunal rejette l’appel pour les motifs invoqués dans la section sur les questions préliminaires.

 

[16]      Après l’audience, le tribunal a appris que l’appelant avait aussi interjeté appel de la décision de la CAP devant la Cour d’appel fédérale, laquelle a rejeté l’appel en 2008.

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               La seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si la décision de refuser l’autorisation d’interjeter appel devant la Commission d’appel de la décision du tribunal était raisonnable.

 

NORME DE CONTRÔLE

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée dont est saisie la cour de révision est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, elle peut adopter cette norme de contrôle. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision entreprend une analyse complète en vue de déterminer la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

 

[11]           À mon avis, il est bien établi dans la jurisprudence que la question de savoir si le membre désigné a appliqué le bon critère doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, alors que l’application du critère à l’acceptation ou au refus de la demande d’interjeter appel fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Misek c Canada (Procureur général), 2012 CF 890, au paragraphe 12; Canada (Procureur général) c Zakaria, 2011 CF 136, au paragraphe 15 [Zakaria]; Vincent c Canada (Procureur général), 2007 CF 724, au paragraphe 26; Mebrahtu c Canada (Procureur général), 2010 CF 920, au paragraphe 8; Samson c Canada (Procureur général), 2008 CF 461, au paragraphe 14.

 

[12]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartiendrait plus « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]           Les dispositions suivantes du Régime, dans la version en vigueur à la date de la décision, s’appliquent en l’espèce :

42 […]

 

Personne déclarée invalide

 

 

(2) Pour l’application de la présente loi :

 

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

 

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

 

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

 

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

 

[…]

 

Prestations payables

 

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

 

[…]

 

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante‑cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

 

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

 

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

 

 

 

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

 

[…]

 

Calcul de la période minimale d’admissibilité dans le cas d’une pension d’invalidité et d’une prestation d’enfant de cotisant invalide

 

(2) Pour l’application des alinéas (1)b) et e) :

 

a) un cotisant n’est réputé avoir versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité que s’il a versé des cotisations sur des gains qui sont au moins égaux à son exemption de base, compte non tenu du paragraphe 20(2), selon le cas :

 

 

(i) soit, pendant au moins quatre des six dernières années civiles comprises, en tout ou en partie, dans sa période cotisable, soit, lorsqu’il y a moins de six années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable, pendant au moins quatre années,

 

[…]

 

Appel à la Commission d’appel des pensions

 

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice‑président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, une demande écrite au président ou au vice‑président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

Décision du président ou du vice‑président

 

(2) Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice‑président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

 

Désignation

 

(2.1) Le président ou le vice‑président de la Commission d’appel des pensions peut désigner un membre ou membre suppléant de celle‑ci pour l’exercice des pouvoirs et fonctions visés aux paragraphes (1) ou (2).

 

 

Permission refusée

 

(3) La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

 

[…]

42 […]

 

When person deemed disabled

 

(2) For the purposes of this Act,

 

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

 

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

 

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

 

 

 

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

 

[…]

 

Benefits payable

 

44. (1) Subject to this Part,

 

 

 

[…]

 

(b) a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty‑five years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and who

 

 

(i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,

 

(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or

 

(iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had not been made;

 

 

[…]

 

Calculation of minimum qualifying period in case of disability pension and disabled contributor’s child’s benefit

 

 

(2) For the purposes of paragraphs (1)(b) and (e),

 

(a) a contributor shall be considered to have made contributions for not less than the minimum qualifying period only if the contributor has made contributions on earnings that are not less than the basic exemption of that contributor, calculated without regard to subsection 20(2),

 

(i) for at least four of the last six calendar years included either wholly or partly in the contributor’s contributory period or, where there are fewer than six calendar years included either wholly or partly in the contributor’s contributory period, for at least four years,

 

[…]

 

Appeal to Pension Appeals Board

 

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice‑Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Decision of Chairman or Vice‑Chairman

 

(2) The Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.

 

 

Designation

 

(2.1) The Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board may designate any member or temporary member of the Pension Appeals Board to exercise the powers or perform the duties referred to in subsection (1) or (2).

 

 

Where leave refused

 

(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.

 

[…]

 

ARGUMENTS

Demandeur

[14]           Le demandeur, qui agit pour son propre compte, a formulé de très brèves observations écrites à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Dans son affidavit, il déclare qu’en février 2007, soit à la date de l’audience devant la Commission d’appel relative à sa demande de 2003, il ne disposait pas de [traduction] « documents essentiels relatifs à [son] problème de santé à la colonne vertébrale (vertèbres cervicales et lombaires) » qui, selon ses dires, [traduction] « était présent depuis [son] enfance ». Il affirme également que bien qu’il s’était plaint de douleurs aux vertèbres cervicales et lombaires à son rhumatologue depuis juin 2002, il n’avait pas pu obtenir un rendez‑vous avec un spécialiste en chirurgie de la colonne vertébrale. Il affirme en outre : [traduction] « J’ai appris de l’infirmière que mon dossier était introuvable à l’hôpital et, lors d’une rencontre avec un fonctionnaire de Ressources humaines et Développement des compétences, j’ai appris que mon dossier était fondé sur de fausses déclarations. » Il a annexé des copies de rapports diagnostiques – un examen IRM de la colonne cervicale datant de janvier 2013 et les résultats d’une scintigraphie osseuse effectuée en novembre 2010. Il a aussi annexé le rapport d’une consultation avec un médecin dénommé B. Weening, en mars 2007, où il est question de ses douleurs à la hanche et à la jambe droite ainsi qu’à la région lombaire, et une lettre datée d’octobre 2012 d’un médecin dénommé D. Feldman qui confirme la validité de sa demande de transfert dans un appartement plus calme et dans laquelle il déclare notamment que le demandeur [traduction] « est atteint d’un certain nombre de problèmes de santé, y compris dépression, douleur chronique, fibromyalgie, ostéoarthrite et coronaropathie avec antécédents d’infarctus du myocarde ». Le demandeur allègue que plusieurs des droits qu’il tire de la Charte ont été violés; il mentionne les dispositions ci‑après de la Charte : article 1, alinéas 2b) et c), paragraphe 6(1), alinéas 6(2)b) et 6(3)b), article 7, alinéa 11d), article 12, paragraphes 15(1) et (2).

 

Défendeur

[15]           Le défendeur souligne qu’il n’existe pas de droit d’appel automatique devant la Commission d’appel d’une décision d’un tribunal de révision : Zakaria, précité, au paragraphe 43. Le RPC n’énonce pas non plus de critère qui permettrait d’établir si une demande d’autorisation devrait être accordée. Cependant, selon la jurisprudence, le critère qui s’applique à une demande d’autorisation d’appel consiste à établir si la demande s’appuie sur une « cause défendable » : Callihoo c Canada (Procureur général) (2000), 190 FTR 114, [2000] ACF no 612 (CFPI), au paragraphe 15; Canada (Procureur général) c Carroll, 2011 CF 1092, au paragraphe 14. C’est un peu comme établir si un demandeur, sur le plan juridique, a une « chance raisonnable de succès » : Fancy c Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63, aux paragraphes 2 et 3; Zakaria, précité, au paragraphe 37. Le demandeur doit soulever « un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel » : Zakaria, précité, au paragraphe 39. Le défendeur soutient que le demandeur n’aurait pas eu gain de cause en appel parce que la question en litige avait déjà été tranchée par la Commission d’appel et que, par conséquent, le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique. Le membre désigné a défini et appliqué le critère pertinent et a conclu qu’il n’y avait [traduction] « pas de cause défendable à présenter en appel » parce que le tribunal n’avait commis aucune erreur en appliquant le principe de l’autorité de la chose jugée.

 

[16]           Le défendeur souligne que, normalement, une personne ne sera réputée être devenue invalide qu’à une date antérieure de plus de 15 mois à la date de réception de sa demande (Régime, alinéa 42(2)b)). En ce qui a trait à la demande de 2011, la date pertinente serait mai 2010. En conséquence, il aurait dû cotiser au RPC pendant quatre des six années qui se sont écoulées de 2005 à 2010 inclusivement pour satisfaire à l’exigence de la PMA, ce qu’il n’a pas fait. Cependant, aux termes de l’alinéa 44(1)b)(ii), un demandeur qui ne satisfait pas à l’exigence de la PMA au moment du dépôt de sa demande peut quand même être admissible aux prestations s’il peut démontrer qu’il était invalide lors d’une période antérieure, au cours de laquelle il satisfaisait aux exigences en matière de cotisations, et demeurait invalide. Selon le défendeur, c’est le 31 décembre 2002 que le demandeur a satisfait pour la dernière fois aux exigences en matière de cotisations. Or, la question de savoir s’il était invalide à l’époque a été tranchée de façon concluante et définitive par la Commission d’appel dans sa décision de mars 2007 relative à la demande de 2003 présentée par le demandeur.

 

[17]           Le défendeur soutient qu’une question a force de chose jugée lorsqu’elle a été réglée de façon définitive par une décision judiciaire : Black’s Law Dictionary, 7e éd., sous l’entrée « res judicata » [principe de l’autorité de la chose jugée]. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est un volet du principe de l’autorité de la chose jugée et concerne le pouvoir inhérent d’un tribunal d’éviter un abus de procédure dans les instances qu’il préside en empêchant l’instruction de questions déjà tranchées dans une instance antérieure, de façon à ne pas porter atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice : Toronto (Ville) c Syndicat canadien des employés de la fonction publique (SCFP), section locale 79, [2003] 3 RCS 77, aux paragraphes 23 et 24. Le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique aux questions qui ont fait l’objet d’une décision définitive non seulement dans le cas de procédures judiciaires, mais aussi dans celui de décisions de nature judiciaire ou quasi judiciaire rendues par les juridictions administratives ‑ fonctionnaires ou tribunaux : Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 RCS 460, aux paragraphes 21 et 22 [Danyluk].

 

[18]           Afin d’établir s’il y a préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il faut suivre un processus en deux étapes. Premièrement, il faut établir si la partie demanderesse a satisfait aux trois conditions préalables de son application, qui ont été décrites dans l’arrêt Angle c Ministre du Revenu national, [1975] 2 RCS 248, à la page 254, et reprises dans l’arrêt Danyluk, précité, au paragraphe 25 :

1)      que la même question ait été décidée;

2)      que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

3)      que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

 

S’il est satisfait à ces trois conditions préalables, la Cour « doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée » : Danyluk, précité, au paragraphe 33.

 

[19]           Le défendeur souligne que les parties se sont entendues devant le tribunal sur le dernier moment où le demandeur satisfaisait à l’exigence de la PMA, soit décembre 2002. La situation n’a pas changé depuis la demande de 2003 étant donné que le demandeur n’a pas réalisé d’autres gains. Le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique, de l’avis du défendeur, de façon à empêcher le demandeur d’essayer de soulever de nouveau dans une instance la question de savoir s’il était invalide, au sens où ce terme est défini par le Régime, au 31 décembre 2002.

 

[20]           Le défendeur allègue qu’il est satisfait en l’espèce aux trois conditions préalables relatives à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée :

         La décision de la Commission d’appel relative à l’admissibilité de M. Kaminski aux prestations d’invalidité du RPC en fonction d’une PMA qui prenait fin le 31 décembre 2002 était une décision judiciaire.

         La décision a été rendue et les motifs ont été publiés.

         La Commission d’appel avait compétence en la matière.

         La décision était définitive.

         La décision portait sur la même question que le demandeur cherchait à faire trancher dans le présent appel étant donné qu’il n’y a pas eu de modification de la PMA du demandeur.

         Les parties dans le litige antérieur et dans la présente instance sont les mêmes.

         La décision de la Commission d’appel a été confirmée par la Cour d’appel fédérale.

 

[21]           Par conséquent, selon le défendeur, il était tout à fait raisonnable de la part du membre désigné de conclure que le demandeur n’avait pas une cause défendable étant donné que son appel avait déjà été jugé.

 

ANALYSE

[22]           Le demandeur a choisi d’agir pour son propre compte dans le cadre de la présente demande. Ses observations écrites sont très succinctes. Il soutient essentiellement que son invalidité aurait dû faire l’objet d’une réévaluation dans le contexte de nouveaux éléments de preuve médicale qu’il avait obtenus depuis la décision de la Commission d’appel des pensions de mars 2007. Il est difficile d’imaginer de quelle façon ces éléments de preuve auraient pu avoir une quelconque pertinence eu égard à cette décision étant donné qu’un examen de ces éléments de preuve révèle à l’évidence qu’il n’y est pas question de l’état de santé du demandeur au 31 décembre 2002, soit la date limite de la PMA. Étant donné que le demandeur n’a effectué aucune autre cotisation après décembre 2002, il ne peut pas invoquer une autre date de PMA.

 

[23]           Quoi qu’il en soit, le demandeur demande à la Cour de revenir sur la décision du juge Mercier, datée du 27 novembre 2012, qui lui refusait l’autorisation d’interjeter appel d’une décision rendue par le tribunal de révision le 26 septembre 2012, décision qui confirmait la décision du ministre de rejeter la demande de prestations d’invalidité du demandeur aux termes de l’alinéa 44(1)b) du Régime.

 

[24]           Comme le souligne le défendeur,

[traduction]

 

31.       Le paragraphe 42(2) du Régime prévoit qu’une personne est réputée être devenue invalide uniquement si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Pour être admissible à une prestation d’invalidité dans le cadre du Régime, une personne doit satisfaire à trois exigences :

 

         Avoir versé les cotisations pendant la période prévue.

         Souffrir d’une invalidité [grave] au moment où il a été satisfait aux exigences en matière de cotisations.

         Demeurer invalide pendant une période prolongée.

 

[25]           Comme le souligne aussi le défendeur,

[traduction]

 

32.       Les exigences en matière de cotisations ouvrant droit aux prestations d’invalidité sont énoncées clairement au paragraphe 44(2). Plus précisément, le paragraphe 44(2)(1) exige d’une personne qu’elle ait effectué des cotisations valides au Régime pendant au moins quatre des années civiles précédant la date de la survenance d’une invalidité. Il est prévu à l’alinéa 42(2)b) du Régime qu’une personne sera réputée être devenue invalide à une date qui n’est pas antérieure de plus de 15 mois à la date de réception par le défendeur d’une demande de prestations d’invalidité. Dans le cas du demandeur, la deuxième demande de prestations d’invalidité a été reçue en août 2011. Par conséquent, la date la plus hâtive à laquelle le demandeur peut être réputé être devenu invalide est mai 2010, soit 15 mois auparavant. Par conséquent, la période de cotisation de l’appelant ne pouvait pas se terminer avant mai 2010; et les six dernières années de la période de cotisation seraient les années 2005 à 2010 inclusivement.

 

33.       Le demandeur n’a pas accumulé quatre années de cotisations valides au cours des six dernières années. Par conséquent, il n’est pas admissible aux prestations d’invalidité à la date de sa demande.

 

34.       Le sous-alinéa 44(1)b)(ii) prévoit que les demandeurs qui ne satisfont pas aux exigences en matière de cotisations au moment de la demande peuvent néanmoins être admissibles aux prestations d’invalidité s’ils peuvent établir qu’ils étaient invalides à une date antérieure, lors de laquelle ils satisfaisaient aux exigences en matière de cotisations, et qu’ils demeuraient invalides. Selon les cotisations valides effectuées par le demandeur au cours des années 1997, 1998, 1999 et 2000, il a satisfait pour la dernière fois aux exigences en matière de cotisations le 31 décembre 2002 parce qu’il a effectué des cotisations valides pendant quatre des six dernières années de la période qui s’étend de 1997 à 2002.

 

[26]           La décision du juge Mercier confirme tout simplement la décision du tribunal de révision fondée sur le principe de l’autorité de la chose jugée. La lecture de la décision du tribunal de révision confirme nettement que le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait dans cette affaire et que le juge Mercier n’a commis aucune erreur susceptible de révision en refusant au demandeur l’autorisation d’en appeler devant la Commission d’appel. Le demandeur n’avait aucune cause défendable en appel parce que le sort de sa demande avait déjà été tranché par une décision judiciaire qui, par conséquent, avait force de chose jugée.

 

[27]           Il est devenu évident lors de l’instruction de la présente demande (comme le révélera la transcription) que le demandeur est moins préoccupé par la décision du juge Mercier que par l’ensemble de ses tentatives d’obtenir des prestations d’invalidité dans le cadre du Régime. Plus précisément, il semble avoir l’impression que ses médecins ne lui ont pas fourni un diagnostic pertinent et complet au moment où il a présenté sa demande en 2003. Par conséquent, il estime qu’un nouvel examen devrait être effectué maintenant à partir de nouveaux éléments de preuve. Or, aucun élément de preuve au dossier ne confirme les allégations selon lesquelles un diagnostic complet et approprié n’a pas été établi à l’époque en cause; quoi qu’il en soit, il ne s’agissait pas d’une affaire dont était saisi le juge Mercier. Je ne peux donc, dans le cadre du présent contrôle, aborder cette question ou en tenir compte. Selon la preuve qui m’a été fournie, le juge Mercier a bien compris le critère à appliquer et la décision de ne pas accorder l’autorisation d’interjeter appel était raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR :

REJETTE la demande de contrôle judiciaire jetée et ADJUGE les dépens au défendeur.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T‑448‑13

 

INTITULÉ :

JANUSZ TEODOR KAMINSKI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :            LE 11 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                           LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                    LE 11 MARS 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Janusz Teodor Kaminski

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Amichai Wise

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Janusz Teodor Kaminski

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.