Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140319


Dossier :

IMM-1914-13

 

Référence : 2014 CF 266

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 19 mars 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

GOTTFRIED CLAUS HERMANN

PATRICIA ANN HERMANN

MARC NICKLAS HERMANN

NATHAN EMMANUE HERMANN

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               À la fin de l’audience, j’ai avisé les parties que la décision datée du 12 février 2013 par laquelle un agent principal de l’immigration avait refusé d’accorder aux demandeurs une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la demande CH] serait annulée. Voici les motifs de ma décision.

 

[2]               Les demandeurs sont une famille de citoyens allemands. Ils sont arrivés au Canada en avril 2007 et ont revendiqué le statut de réfugié en faisant valoir qu’ils étaient victimes de persécution en Allemagne parce que les parents instruisaient à domicile leurs jumeaux, Marc et Nathan, qui ont maintenant 17 ans.

 

[3]               L’enseignement à domicile est illégal en Allemagne depuis que le régime d’Hitler l’a interdit en 1938, parce que, semble-t-il, l’État nazi souhaitait avoir une mainmise totale sur les jeunes cerveaux. En 2006, les demandeurs ont été dénoncés aux autorités allemandes. Dans leur revendication du statut de réfugié, les parents ont soutenu qu’ils craignaient la séparation d’avec leurs enfants ou l’emprisonnement, ou encore l’internement des enfants dans un établissement psychiatrique. La revendication du statut de réfugié et la requête subséquente en autorisation de pourvoi ont toutes deux été rejetées.

 

[4]               Le 18 juin 2011, les demandeurs ont déposé leur demande CH en vue d’obtenir la résidence permanente. Ils ont soutenu que le père pourrait être accepté à titre de travailleur qualifié, car il avait déjà travaillé comme électricien; ils ont aussi soutenu que, s’ils étaient contraints de présenter une demande de l’extérieur du Canada, ils seraient exposés à des difficultés. De manière plus précise, ils ont avancé plusieurs allégations pour faire la preuve de ces difficultés, à savoir : (1) qu’ils risqueraient l’emprisonnement à leur retour en Allemagne, parce qu’ils avaient reçu une lettre dans laquelle on [traduction] « menaçait de leur retirer la garde de leurs garçons »;  (2) l’enseignement à domicile est interdit en Allemagne et les familles qui instruisent elles-mêmes leurs enfants sont exposées à la persécution; (3) les enfants pourraient être exposés à des risques dans une école publique en raison de leur santé fragile; (4) le système scolaire public ne répondrait pas aux exigences de la famille au chapitre de l’enseignement religieux, éthique et moral.

 

[5]               L’agent a admis que les enfants avaient été instruits à domicile et qu’ils continuaient de l’être; et il a reconnu que l’enseignement à domicile est illégal en Allemagne. Il a également reconnu que les autorités allemandes peuvent imposer des amendes, des peines d’emprisonnement et le retrait du droit de garde si les parents poursuivent l’enseignement à domicile.

 

[6]               L’agent a cité la disposition sur la réinstallation dans le manuel IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire :

L’étranger qui fait une demande CH peut craindre des difficultés dans une région particulière du pays d’origine, mais il est possible qu’il puisse obtenir de l’aide dans quelque autre localité de ce pays. […]

 

La réinstallation à l’extérieur du pays de citoyenneté peut aussi représenter une option pour les citoyens de pays ayant conclu des ententes bilatérales ou multilatérales avec les pays voisins, celles-ci autorisant les déplacements à des fins de voyage, de séjour prolongé, d’emploi et d’études (par exemple, l’Accord de Schengen de l’Union européenne (UE)). Il existe d’autres ententes de ce type à l’échelle régionale.

 

[7]               L’agent a noté que l’Allemagne et le Royaume-Uni disposent d’une telle entente sur la mobilité. Il a examiné l’information accessible au public sur les exigences imposées aux citoyens allemands qui souhaitent entrer et rester au Royaume-Uni, et il a conclu que les citoyens allemands peuvent entrer et rester s’ils travaillent au Royaume-Uni ou s’ils ont suffisamment de ressources financières pour subvenir à leurs besoins sans devenir un fardeau déraisonnable pour la société. Il a également noté que l’enseignement à domicile est légal au Royaume-Uni.

 

[8]               Bien que l’agent ait reconnu que les mandats et les arrangements visant la garde pouvaient être exécutés dans l’ensemble de l’Union européenne, il a conclu que les demandeurs avaient fourni peu d’éléments de preuve ou de renseignements attestant qu’ils font actuellement l’objet d’un mandat. L’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Même si j’admets que les tribunaux allemands ont demandé une évaluation psychiatrique institutionnelle des enfants en 2006, je conclus qu’il y a peu d’autres éléments de preuve ou renseignements indiquant que les autorités allemandes ont pris des mesures plus poussées.

 

[9]               De plus, l’agent a signalé que même si les ordonnances de garde peuvent être appliquées dans l’ensemble de l’Union européenne, il y avait peu d’éléments de preuve ou de renseignements suggérant que ces ordonnances étaient appliquées à l’égard de parents-enseignants qui quittent l’Allemagne. 

 

[10]           Il a examiné l’intérêt supérieur des enfants et a conclu que, à la suite de leur réinstallation au Royaume-Uni, ils pourraient continuer de jouir de la même qualité de vie qu’au Canada. Plus précisément, l’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Je reconnais que les demandeurs mineurs ont vécu une expérience difficile en Allemagne. Je reconnais également que, en raison de cette expérience difficile, les demandeurs mineurs sont peut-être en colère contre l’Allemagne. Toutefois, je note que j’ai examiné la réinstallation au Royaume-Uni à titre de solution de rechange pour les demandeurs.

[…]

À  mon avis, il y a peu d’éléments de preuve indiquant que Marc et Nathan [les enfants] ne seraient pas en mesure de s’adapter à la vie au Royaume-Uni, tout comme ils l’ont fait au Canada.

 

[11]           Selon l’agent, rien ne permettait de conclure que les demandeurs seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils devaient présenter une demande de résidence permanente à partir du Royaume-Uni, si bien qu’il a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en leur faveur.

 

[12]           L’agent a omis d’examiner la question de savoir s’il y aurait lieu d’accorder à cette famille une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire si elle devait présenter une demande à partir de l’Allemagne, son pays de citoyenneté. À mon avis, le fait que l’agent soit passé aussi rapidement à une analyse du Royaume-Uni comme lieu de résidence pour cette famille donne à penser que l’agent a sans doute conclu que les demandeurs seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils étaient contraints de retourner en Allemagne pour présenter leur demande de résidence permanente.

 

[13]           La réinstallation au Royaume-Uni, décrite de manière imagée et peut-être impropre comme étant une possibilité de refuge externe, n’avait jamais été évoquée par les demandeurs et l’agent n’a jamais avisé ces derniers qu’une telle réinstallation était envisagée dans le cadre de leur demande CH. Ils ont été privés, de manière déraisonnable et, à mon avis illégale, de la possibilité de présenter des observations sur ce facteur assez particulier. 

 

[14]           À mon avis, si un agent chargé d’examiner une demande CH se propose d’évaluer les difficultés auxquelles serait exposé le demandeur en supposant que ce dernier se réinstalle dans un pays autre que son pays de nationalité, l’agent est tenu, en vertu de son devoir d’agir équitablement, de proposer ce pays tiers directement au demandeur pour lui permettre de répondre de manière complète et éclairée à la proposition. La justice naturelle l’exige.

 

[15]           De plus, même s’il n’est pas nécessaire que je tranche la question étant donné ma conclusion qu’il y a eu manquement à la justice naturelle, je doute très sérieusement que, dans le cadre de l’évaluation d’une demande CH, un agent puisse évaluer les difficultés auxquelles serait exposé le demandeur en supposant que ce dernier se réinstalle dans un pays autre que son pays de nationalité, peu importe qu’il y ait ou non une entente sur la mobilité entre les pays. Si un demandeur se trouve au Canada sans autorisation et qu’il doit être renvoyé, le Canada ne peut le renvoyer dans un pays autre que son pays de nationalité. Pourquoi alors le Canada devrait-il tenir compte d’un pays tiers lors de l’examen des difficultés auxquelles serait exposé un demandeur ayant présenté une demande CH?

 

[16]           Enfin, je note que l’agent semble avoir conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants que la famille se réinstalle au Royaume-Uni plutôt qu’en Allemagne; si tel est le cas, pourquoi n’est-il pas aussi dans l’intérêt supérieur des enfants de demeurer au Canada, au lieu d’avoir à présenter une demande de résidence permanente à partir de l’Allemagne?

 

[17]           Aucune question n’a été proposée à des fins de certification.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit faire l’objet d’un nouvel examen par un autre agent conformément aux présents motifs.

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme
Sara Tasset


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-1914-13

 

INTITULÉ :

GOTTFRIED CLAUS HERMANN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE : 

                                                                        LE 18 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                                        LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

                                                                        LE 19 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Suha Abu-Jazar

POUR Les demandeurs

 

Anna Kuranicheva

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART SHARMA HARSANYI

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR Les demandeurs

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice – Région des  Prairies

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.