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Dossier :

T-1404-12

 

Référence : 2014 CF 231

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2014

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

ENTRE :

KIDANE HAGOS et

SHAMAR MAINTENANCE INC.

 

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La discrimination est un fléau pour toute société. Son éradication est une cause juste et noble, et les tribunaux canadiens ont appliqué la loi avec passablement de rigueur à cet égard. Cependant, pour établir qu’il y a eu discrimination, il ne suffit pas qu’une personne allègue qu’elle en a été victime, sans plus. En effet, aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi), une plainte doit satisfaire à un certain nombre d’exigences pour être traitée, et l’une de ces exigences est que l’objet de la plainte constitue un acte discriminatoire d’après les articles 5 à 14.1 de la Loi.

 

[2]               En l’espèce, les demandeurs allèguent que des employés de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) ont fait preuve de discrimination à leur égard, et ils voudraient que la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) reçoive une plainte déposée en vertu de l’article 40 de la Loi. La Commission ne statue toutefois pas sur une plainte si l’un des alinéas du paragraphe 41(1) de la Loi s’applique. Voici le paragraphe 41(1) :

 

  41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

  a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

  b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

  c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

  d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

  e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

  41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

  (a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

  (b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

  (c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

  (d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

  (e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

 

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire découle de la décision, datée du 22 juin 2012, par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte déposée contre TPSGC. Elle est présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

[4]               La Commission a conclu que Shamar Maintenance Inc., à titre de personne morale, n’avait pas qualité pour déposer une plainte. En outre, après avoir initialement demandé aux demandeurs de formuler des observations au sujet de l’application de l’alinéa 41(1)c) de la Loi, la Commission a conclu que l’alinéa 41(1)d) s’appliquait et qu’elle ne devait pas statuer sur la plainte déposée par les demandeurs.

 

[5]               Les demandeurs contestent les conclusions de la Commission et demandent à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision. Ils formulent deux allégations générales. Premièrement, ils affirment que le personnel de la Commission avait un parti pris contre eux, puisque son comportement non seulement suscitait une crainte raisonnable de partialité, mais témoignait réellement d’un parti pris contre eux. Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la décision selon laquelle leur plainte était frivole constitue manifestement un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire de la Commission et doit être infirmée par la Cour. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que le fondement d’aucune de ces deux allégations n’avait été établi devant la Cour.

 

[6]               J’estime qu’il n’y a pas la moindre preuve d’un quelconque parti pris contre les demandeurs, ni même d’une apparence de partialité. Le problème auquel les demandeurs ont fait face tenait au fait que leur plainte ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi. Quant au caractère raisonnable de la décision d’appliquer l’alinéa 41(1)d) de la Loi, la plainte a été jugée frivole, parce qu’il était manifeste et évident qu’elle était vouée à l’échec. Contrairement à ce que les demandeurs semblent croire, toutefois, la raison pour laquelle il est manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec est qu’elle n’est pas fondée sur une question pouvant être examinée dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission n’a pas conclu que les propos faisant l’objet de la plainte n’ont pas été tenus, car elle n’a pas eu à le faire. Il lui a suffi de conclure que la plainte ne satisfaisait pas à certaines des exigences fondamentales de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

La plainte

[7]               La source du conflit entre TPSGC et les demandeurs est une série de contrats conclus entre Shamar Maintenance Inc. (Shamar) et TPSGC pour l’entretien d’un certain nombre d’immeubles utilisés par le gouvernement. Les demandeurs, dont M. Kidane Hagos, allèguent qu’il y a eu discrimination et harcèlement, car un certain nombre de contrats de services d’entretien ont pris fin et n’ont pas été renouvelés et qu’un de ces contrats a été résilié.

 

[8]               Le fait que M. Hagos est actionnaire principal de Shamar Maintenance Inc. n’est pas contesté, et le fait que le contrat a été conclu entre TPSGC et la société n’est pas contesté non plus.

 

[9]               Le paragraphe 3 de la plainte en résume bien l’objet à mon avis. Le voici :

[TRADUCTION]

 

[3]     Les auteurs des actes discriminatoires ont arbitrairement et systématiquement enlevé les contrats de services d’entretien à M. Hagos, parce qu’il avait osé se plaindre auprès d’eux du traitement discriminatoire qu’ils lui faisaient subir, et ils ont été jusqu’à affirmer devant M. Hagos, mais à l’abri des regards, qu’il ne pouvait rien y faire!!! En fait, comme dans le cas de tous les autres contrats résiliés pour des motifs arbitraires et racistes, Mme Lynne Bergeron a récemment fait parvenir un autre avis à M. Hagos par courriel, le 20 septembre 2011 pour l’informer du fait que son contrat no EK219‑093406/001/FK visant la prestation de services d’entretien à l’Immeuble de protection de la santé (IPS), numéro 7, ne serait pas renouvelé et prendrait fin le 30 septembre 2011.

 

[10]           Il est allégué plus loin dans la plainte que le conflit entre la société et le gouvernement au sujet de la non-exécution des contrats d’entretien était en réalité motivé par le racisme à l’endroit de Shamar et de M. Hagos.

 

[11]           À l’appui de ces allégations de racisme, les plaignants citent dans leur plainte des propos que les employés de TPSGC auraient tenus à divers moments.

 

[12]           À la lecture attentive et objective de la plainte, le lecteur ne peut que conclure à l’existence d’un litige de nature commerciale entre la société et TPSGC ayant donné lieu à la résiliation ou au non-renouvellement de sept contrats d’entretien. Les plaignants tentent de donner une connotation raciale à ces non-renouvellements et résiliations.

 

La décision

[13]           La Commission a rendu sa décision le 22 juin 2012. La loi exige de la Commission qu’elle enquête sur les plaintes qu’elle reçoit pour déterminer si elles sont dotées d’un fondement raisonnable permettant la poursuite de leur traitement. En l’espèce, la Commission a conclu qu’elle ne devait pas poursuivre l’examen de la plainte. Ainsi, [TRADUCTION] « la Commission a décidé, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas statuer sur la plainte ». Les motifs de la décision sont les suivants, d’après le compte rendu de décision :

[TRADUCTION]

 

Les personnes morales n’ont pas qualité pour déposer une plainte en matière de droits de la personne. La plainte a été déposée par le PDG de Shamar, mais la résiliation du contrat par le défendeur, peu importe les répercussions négatives qu’elle pourrait avoir sur les activités commerciales des plaignants, ne constitue pas un acte de discrimination au sens de la Loi. L’affaire ne relève donc pas de la compétence de la Commission.

 

[14]           Comme la Cour suprême du Canada le précise dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union), l’insuffisance des motifs ne permet plus à elle seule de casser une décision (au paragraphe 14). L’insuffisance des motifs ne permet plus de faire valoir des arguments touchant l’équité procédurale. Il convient plutôt examiner les motifs dans le contexte de l’ensemble du dossier pour décider si une décision est raisonnable. En l’espèce, la Cour devra aussi tenir compte du rapport rédigé par un agent de la Commission ayant examiné la plainte, qui contient une recommandation ayant été suivie par la Commission. En effet, le compte rendu des décisions cite textuellement la conclusion, sauf pour une phrase suivant l’extrait des motifs de décision : [TRADUCTION] « La plainte est donc frivole. »

 

[15]           L’examen du rapport relatif à l’article 41 de la Loi montre clairement que les deux plaignants ont reçu une réponse à leur plainte. Après avoir conclu que la personne morale n’était pas une personne physique pouvant être victime d’un acte discriminatoire, l’agent de la Commission examine de plus près la situation de l’autre plaignant. La question considérée comme étant au cœur de la plainte de M. Hagos est de savoir [TRADUCTION] « si le traitement allégué et la résiliation du contrat étaient attribuables à la race (Noir), à l’origine nationale ou ethnique (Érythréen) ou à la couleur (brun) du plaignant ». L’agent ajoute [TRADUCTION] « [L]es décisions du défendeur sont à l’origine de la résiliation de l’un de ses contrats avec le plaignant, mais elles semblent être fondées non pas sur un motif de discrimination figurant à l’article 2 ou à l’article 3 de la Loi, mais plutôt sur la relation d’affaires avec Shamar ».

 

[16]           Par conséquent, l’agent était d’avis que la plainte était frivole au sens donné à ce terme en droit canadien. Selon lui, il était manifeste et évident que la plainte était vouée à l’échec, puisqu’elle concernait un litige commercial et que la résiliation des contrats n’était pas fondée sur un motif de discrimination prévu par la Loi.

 

Les questions en litige

[17]           J’ai déjà dit que les demandeurs affirment que la Commission et ses agents avaient un parti pris contre eux. Ils affirment également qu’ils n’ont pu réagir adéquatement à l’examen mené par la Commission en vertu de l’article 41, ce qui soulève selon eux des questions d’équité procédurale. Enfin, ils soutiennent que leur plainte n’était pas frivole. Je vais examiner chacune de ses allégations.

 

La norme de contrôle

[18]           En ce qui concerne les allégations de partialité et de manque d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est la décision correcte, et il n’y a pas d’obligation de retenue judiciaire. Les parties en conviennent (voir de façon générale Judicial Review of Administrative Action in Canada, Brown et Evans, Carswell, par. 7 : 1600 et autres).

 

[19]           Quant à savoir si la Commission devait ou non refuser de statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d), l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), repris dans Information and Privacy Commissioner v Alberta Teachers’ Association, 2011 SCC 61, [2011] 3 SCR 654, mène inexorablement à la conclusion que la norme de la décision raisonnable s’applique :

[53] En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 2930).  Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

 

 

Analyse

[20]           Les demandeurs ont soulevé trois questions. Premièrement, ils affirment que la Commission avait un parti pris contre eux. Deuxièmement, selon eux, il y a eu un manque d’équité procédurale, car, pour reprendre l’expression utilisée par leur avocat, la Commission a adopté une [TRADUCTION] « stratégie mouvante ». Essentiellement, ils soutiennent qu’elle ne peut invoquer l’alinéa 41(1)d) après avoir demandé l’avis des parties au sujet de l’alinéa 41(1)c). En réalité, les demandeurs affirment également que la Commission a adopté une [TRADUCTION] « stratégie mouvante » afin de trouver un motif [TRADUCTION] « plutôt vague et arbitraire » (alinéa 41(1)d)) pour refuser de statuer sur la plainte. Troisièmement, les demandeurs soutiennent que la Commission s’est trompée en rejetant la plainte pour le motif prévu à l’alinéa 41(1)d).

 

     1.  Une personne morale victime d’actes discriminatoires

[21]           Avant d’aborder les trois questions en litige, il convient que la Cour examine l’argument selon lequel la Commission a eu tort de conclure qu’une personne morale ne peut être victime d’actes discriminatoires au sens de la Loi.

 

[22]           La conclusion de la Commission est fondée sur la décision Procureur général du Canada c Watkin, 2007 CF 745 (Watkin), rendue par la Cour. Cette affaire, concernant la Commission canadienne des droits de la personne et l’application par celle-ci de l’article 41 de la Loi à un cas d’allégation de discrimination d’un ministère à l’endroit d’une personne morale, est identique à celle qui nous occupe. La Commission cite Watkin pour appuyer sa conclusion selon laquelle la plainte de Shamar ne peut être traitée :

[28]     La Commission n’était pas compétente pour statuer sur la plainte d’une personne morale, telle Biomedica, se disant victime d’actes discriminatoires.

 

[23]           Toujours selon Watkin, un actionnaire ne peut se substituer à la société en tant que personne physique si l’acte discriminatoire posé par l’organisme gouvernemental vise la personne morale.

 

[24]           Les demandeurs affirment que la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision Watkin (2008 CAF 170). Ils citent une phrase tirée du paragraphe 3 de Watkin : « Dans la mesure où l’appelant est victime d’un acte discriminatoire, il a qualité pour porter plainte, et la Commission a compétence pour la trancher. » Les demandeurs s’appuient sur cette phrase pour affirmer que la Cour d’appel a tranché que les personnes morales ont qualité pour porter plainte.

 

[25]           Malheureusement pour les demandeurs, le paragraphe doit être lu au complet et en contexte :

[3]               L’appelant soutient que, compte tenu des liens étroits qu’il entretient avec Biomedica, il a subi des pertes financières en raison des actes discriminatoires de Santé Canada et qu’il devrait par conséquent être considéré comme une victime ayant qualité pour porter plainte en vertu de la Loi. Dans la mesure où l’appelant est victime d’un acte discriminatoire, il a qualité pour porter plainte et la Commission a compétence pour la trancher.

 

 

Comme on le voit très bien, la Cour ne fait qu’énoncer la position de l’appelant, M. Watkin.

 

[26]           La Cour d’appel fédérale a choisi de trancher l’appel sur un autre fondement dans Watkin. Elle s’est appuyée sur sa conclusion selon laquelle il ne pouvait être établi dans les circonstances que l’acte discriminatoire prévu à l’article 5 de la Loi avait été posé. Comme on le sait bien, il ne suffit pas d’invoquer l’un des motifs de discrimination illicite prévus à l’article 3 de la Loi. Il faut qu’il y ait un lien avec l’un des actes discriminatoires décrits aux articles 5 à 14 de la Loi. La plainte ne peut être fondée si aucun acte discriminatoire n’est établi. Voilà la conclusion tirée par la Cour d’appel fédérale.

 

[27]           En l’espèce, absolument rien dans l’arrêt de la Cour d’appel n’indique que celle-ci n’est pas d’accord avec le juge de première instance. Il faut dire aussi, par contre, que rien dans cet arrêt ne permet de conclure à l’approbation de la décision de la Cour fédérale. La décision demeure en suspens, simplement parce que la Cour d’appel a choisi de rejeter l’appel d’une autre manière.

 

[28]           Avec égards, je refuse de voir quoi que ce soit dans le silence de la Cour d’appel. Comme dans le cas d’une demande d’autorisation rejetée, il ne s’agit pas de trouver dans l’arrêt un accord ou un désaccord avec le jugement (Banque canadienne de l’Ouest c Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 RCS 3, au paragraphe 88; Telezone Inc c Canada (Procureur général) (2004), 69 OR (3d) 161 (CA ON)). La Commission ne pouvait donc pas faire fi de l’arrêt Watkin.

 

[29]           Les demandeurs n’ont pas demandé à la Cour de se prononcer contre Watkin. S’ils m’avaient demandé de le faire, je ne crois pas que j’aurais trouvé quelque chose à objecter aux motifs convaincants énoncés par la juge Danièle Tremblay-Lamer pour conclure que les personnes morales ne peuvent porter plainte aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elles n’ont pas qualité pour le faire, puisque l’article 40 de la Loi exige qu’une plainte soit portée par « un individu ou un groupe d’individus ». Je ne vois pas en quoi l’un ou l’autre des motifs énumérés à l’article 3 pourrait s’appliquer à une personne morale. Par ailleurs, le demandeur n’a cité aucune décision à l’appui de sa prétention, et je ne crois pas qu’il y en ait. En effet, même la jurisprudence concernant l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés est unanime à l’égard du fait que les personnes morales ne sont pas protégées par cet article. La Commission a refusé de statuer sur la plainte portée par la société. Dans les circonstances, la décision était raisonnable. En outre, comme nous le verrons plus loin, je suis d’avis qu’aucun des actes discriminatoires devant être présents afin que la Commission ait compétence pour statuer sur la plainte ne l’est en l’espèce.

 

     2.  La partialité

[30]           Les demandeurs formulent une allégation très grave obligeant la Cour à examiner la partialité perçue de la Commission, mais également un parti pris réel dans le traitement de la plainte. S’il était démontré que ces allégations étaient fondées, il faudrait évidemment que la Cour intervienne. Cependant, j’ai conclu qu’elles sont sans fondement.

 

[31]           Les demandeurs formulent des allégations au sujet de trois agents de la Commission. Ils affirment qu’en examinant d’abord leur plainte à la lumière de l’alinéa 41(1)c), pour ensuite l’examiner dans le contexte de l’alinéa 41(1)d), la Commission appliquait une stratégie visant à justifier son refus de statuer sur la plainte. Comme l’alinéa 41(1)c) est considéré comme étant plus intelligible, les agents de la Commission [TRADUCTION] « ont décidé de mettre l’accent sur l’alinéa 41(1)d) de la Loi, plutôt vague et arbitraire » (page 5 de la demande). Les demandeurs affirment que les agents avaient un parti pris en faveur de TPSGC et qu’ils s’en sont pris à eux parce qu’ils ont présenté leurs observations en retard. Ils contestent la décision de la Commission d’appliquer ses règles concernant le nombre de pages maximal des observations et des plaintes. Ils se plaignent du fait que deux des agents aient refusé de se récuser malgré les nombreuses demandes présentées par des plaignants par l’intermédiaire de leur avocat.

 

[32]           J’ai soigneusement examiné les allégations des demandeurs, et je ne leur ai trouvé aucun fondement.

 

[33]           Les demandeurs allèguent par exemple que la Commission a communiqué au défendeur les observations des plaignants concernant l’application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, ce qui a permis au défendeur de formuler ses propres observations en conséquence, le tout enfreignant la [TRADUCTION] « règle audi alteram partem, car ils auraient dû pouvoir réagir aussi aux commentaires du défendeur avant que ceux-ci ne soient soumis aux commissaires » (page 8 de la demande). Pour une raison quelconque, les plaignants croyaient que le défendeur avait formulé ses observations après avoir eu accès aux leurs par l’intermédiaire du personnel de la Commission. Cependant, le dossier soumis à la Cour, auquel les demandeurs avaient accès, montre que les observations du défendeur concernant l’application du paragraphe 41(1)d) de la Loi sont parvenus à la Commission par télécopieur à 10 h 27 le 4 avril 2012. Une copie de la lettre datée du 4 avril a été transmise aux demandeurs le 12 avril 2012. Quant aux plaignants, ils ont présenté leurs observations le 7 avril 2012, après le défendeur. Celui‑ci n’avait pas de commentaire à faire, sauf pour dire qu’il était d’accord avec le contenu du rapport. Non seulement le dossier indique clairement que la lettre a été envoyée le 4 avril 2012, mais le mémoire des faits et du droit présenté par le défendeur explique très bien la situation.

 

[34]           Les demandeurs insistent aussi sur une autre preuve de partialité, tenant au fait qu’on s’en est pris à eux avec animosité, puisqu’un agent de la Commission leur a envoyé une lettre le 13 mars 2012 dans laquelle sont précisées clairement les échéances de présentation d’observations touchant l’application de l’alinéa 41(1)d). Or, le dossier contient une copie de la même lettre, contenant les mêmes mises en garde au sujet des échéances, ayant été envoyée le même jour à TPSGC.

 

 

[35]           Enfin, les demandeurs formulent des allégations concernant diverses choses qui, selon eux, portent à croire à une animosité à leur égard, l’éventail allant de la lettre du 13 mars 2012 visant l’obtention de commentaires sur le rapport provisoire de l’agent de la Commission, qui parle de l’alinéa 41(1)d), aux lettres des agents de la Commission dans lesquels ils utilisent le mot [traduction] « plaignant » au singulier plutôt qu’au pluriel. Ces allégations sont dénuées de fondement. Le fait qu’ils utilisent le singulier plutôt que le pluriel ne fait que refléter le point de vue des agents selon lequel la société ne peut porter plainte, ce qui explique qu’ils ne parlent que de M. Hagos. Quant à la lettre du 13 mars, il est vrai que l’auteur parle d’une lettre antérieure indiquant que l’accent serait mis sur l’alinéa 41(1)d), et les plaignants ont raison de dire que cette lettre antérieure n’existe pas. Le but de la lettre du 13 mars était cependant d’attirer l’attention des parties sur le rapport provisoire et d’obtenir des commentaires au sujet du recours à l’alinéa 41(1)d). Je vois mal en quoi la mention d’une lettre antérieure est importante. Les deux parties ont reçu la même lettre contenant la même erreur mineure, et les deux parties ont été invitées à formuler des commentaires.

 

[36]           Les demandeurs contestent la décision de la Commission d’examiner leur plainte à la lumière des alinéas 41(1)c) et d).

 

[37]           Ils semblent avancer deux arguments. Le premier, c’est qu’il s’agit là d’une autre preuve du fait que la Commission avait déterminé à l’avance la conclusion à laquelle elle en arriverait. Elle cherchait un moyen de rejeter la plainte dès le départ. Ce premier argument relève de l’idée de partialité. Le deuxième, c’est que les demandeurs auraient été empêchés de défendre leur cause d’une quelconque façon.

 

[38]           Contrairement à ce que les demandeurs allèguent, l’alinéa 41(1)d) n’est ni vague ni arbitraire. Le terme « frivole » est un terme technique dont le sens est bien connu. La requête en radiation prévue par les Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106, est formulée de façon très semblable à l’alinéa 41(1)d). Il y a une jurisprudence abondante concernant le fait que le critère applicable dans ce contexte est celui de savoir s’il est manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec, par exemple s’il n’y a aucune cause d’action valable. La Cour a affirmé ce qui suit dans Hérold c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 544 (Hérold) :

[35]           Troisièmement, le critère à appliquer pour savoir si une plainte est ou non frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est le suivant : compte tenu de la preuve, apparaît-il manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec?

 

 

 

[39]           Le critère relatif à l’alinéa 41(1)d) n’est ni plus vague ni plus arbitraire que le critère concernant l’article 221 des Règles.

 

[40]           L’argument selon lequel il est possible de recourir abusivement à l’alinéa 41(1)d) pour en arriver à une conclusion déterminée à l’avance n’a tout simplement aucune apparence de vraisemblance. Le critère est bien établi en droit.

 

[41]           Les demandeurs affirment ensuite qu’ils n’ont pas eu la possibilité de commenter les observations du défendeur. D’après ce que je peux voir, les demandeurs ne citent que l’arrêt Société canadienne des postes c Barrette, [2000] 4 CF 145 (Barrette), qui n’est pas tout à fait pertinent. Les demandeurs cherchent à s’appuyer sur Barrette, parce qu’ils pensent que les cours envisageront d’un mauvais œil le fait que la Commission n’ait pas pris leur plainte au sérieux. Il est présumé qu’il faut que les plaignants aient la possibilité de commenter les observations faites par les défendeurs. Les demandeurs citent souvent le paragraphe 22 en particulier :

[22]      Il me semble, après avoir lu l’exposé des faits et du droit de la Commission et entendu la plaidoirie de son avocate, que la Commission n’a pas vraiment pris au sérieux le processus d’examen préalable prévu à l’article 41 de la Loi. Il est vrai que les cours ont maintes fois statué qu’elles n’infirmeraient pas à la légère des décisions que la Commission a prises en vertu du processus d’examen préalable prévu à l’article 44 de la Loi, et à plus forte raison pour ce qui est des décisions prises en vertu du processus prévu à l’article 41 de la Loi. Cependant, les cours ont rendu ces décisions après avoir supposé que la Commission avait effectivement exercé ses fonctions en vertu de ces deux articles et qu’elle ne s’était pas acquittée de sa tâche à la légère.

 

 

 

[42]           Dans Barrette, la Cour d’appel critique la Commission, parce que celle-ci ne s’est pas acquittée de son mandat de vérification du bien-fondé des plaintes prévu par la loi. Lorsque la Cour d’appel parle du fait que la Commission ne prend pas le processus d’examen préalable très au sérieux, elle parle non pas de l’exclusion d’un trop grand nombre de plaintes, mais plutôt d’une vérification inadéquate du bien-fondé des plaintes. En l’espèce, la Commission s’est acquittée de son rôle d’examen préalable, même si le résultat ne plaît pas aux demandeurs.

 

[43]           Quoi qu’il en soit, le commentaire figurant au paragraphe 22 de Barrette me semble s’appliquer dans les deux sens. La Commission doit assumer son rôle avec beaucoup de sérieux, et non à la légère, qu’elle décide de statuer sur une plainte ou de refuser de le faire. Je ne doute pas qu’elle cherche à s’acquitter adéquatement de sa tâche, mais, lorsque les circonstances l’exigent, le manque de sérieux fait l’objet d’un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable. Il est rare qu’un pouvoir puisse être exercé à la légère.

 

[44]           La Commission est maître de sa procédure dans une large mesure. Elle doit cependant satisfaire à certaines exigences fondamentales. Voici ce que la Cour a dit dans Deschênes c Procureur général du Canada, 2009 CF 1126 :

[10]           Ceci étant dit, l’équité procédurale est révisable selon la norme de la décision correcte (Bateman c. Canada (Procureur général), 2008 CF 393 au paragraphe 20). L’équité procédurale requiert que les parties soient informées de l’essentiel de la preuve qui a été obtenue par l’enquêteur et qui sera déposée devant la Commission et que les parties aient la possibilité de réagir à cette preuve et de faire toutes les observations s’y rapportant : SEPQA, précité; Lusina c Bell Canada, 2005 CF 134, aux paragraphes 30 et 31.

 

 

 

[45]           Il a été satisfait à cette exigence en l’espèce. La lettre du 13 mars visait l’obtention des observations des parties. Comme je l’ai mentionné déjà, le défendeur a décidé de ne pas présenter d’observations précises (lettre envoyée par télécopieur le 4 avril). Les demandeurs ont présenté une grande quantité d’observations trois jours plus tard; ils ont reçu le 12 avril une copie de la réponse du défendeur à l’invitation à présenter des observations datée du 4 avril. Je répète que le défendeur n’a fait aucune observation, sauf pour dire qu’il était d’accord avec le contenu du rapport. Les demandeurs ont pu présenter des commentaires, et ils l’ont fait. En soi, cela fait en sorte qu’il est difficile de voir pourquoi ils se plaignent de ne pas avoir eu l’occasion de réagir aux observations formulées. À mon avis, les demandeurs ont pleinement bénéficié de l’équité procédurale, puisqu’ils ont eu l’entière possibilité de répliquer.

 

[46]           Le juge Hugessen parle de cette question avec éloquence dans Slattery c Commission canadienne des droits de la personne (1996), 205 NR 383 :

[1]     Nous sommes tous d’avis que la Commission s’est pleinement acquittée de son obligation d’équité envers la plaignante en lui remettant le rapport de l’enquêteur, en lui donnant l’entière possibilité d’y répliquer, et en étudiant cette riposte avant de parvenir à sa décision [...]

 

 

 

     3.  La décision de la Commission d’appliquer l’alinéa 41(1)d) était-elle déraisonnable?

[47]           Les demandeurs n’ont pas formulé d’observations concernant la norme de contrôle applicable, sauf pour nous faire remarquer que [TRADUCTION] « la décision stratégique de recourir à l’alinéa 41(1)d) plutôt qu’à l’alinéa 41(1)c) de la Loi visait à éviter l’application de la norme stricte de la décision correcte, qui est celle des questions de compétence examinées par la Cour fédérale dans le cadre de contrôles judiciaires [...] »

 

[48]           À mon avis, la norme de contrôle de la décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) est la décision raisonnable. Le défendeur a cité des décisions de la Cour dans lesquelles la norme de la décision raisonnable est appliquée (Bateman c Canada (Procureur général), 2008 CF 393; AJ c Canada (Procureur général du Canada), 2008 CF 591; Hicks c Canada (Procureur général du Canada, 2008 CF 1059). On peut également citer Wu c Banque Royale du Canada, 2010 CF 307, et surtout Morin c Canada, 2007 CF 1355, et Hérold, précitée.

 

[49]           En l’espèce, la Cour examine l’application d’une norme connue de la Commission, vu les faits exposés dans la plainte. La décision de la Commission est discrétionnaire et doit être examinée avec beaucoup de retenue (Greaves c Air Transat Inc., 2009 CF 9, au paragraphe 14). La Cour d’appel fédérale parle d’« un degré remarquable de latitude [pour la Commission] dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. » (Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113, au paragraphe 38). Cela va clairement dans le sens de l’application d’une norme de décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 51).

 

[50]           La norme de la décision raisonnable s’assortit d’une certaine déférence. La Cour suprême du Canada a expliqué avec soin ce que suppose l’application de cette norme dans Dunsmuir :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[51]           La décision de la Commission était raisonnable, puisqu’elle faisait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Autrement dit, il était raisonnable de conclure qu’il était manifeste et évident que la plainte avait peu de chance d’être accueillie. Cette conclusion est fondée sur de nombreuses raisons.

 

[52]           La plainte que présentent les demandeurs concerne un litige commercial entre une société et une institution gouvernementale. Les demandeurs se plaignent amèrement du fait que des contrats qu’ils avaient avec TPSGC aient été résiliés ou aient pris fin. La Loi ne doit pas être utilisée pour l’arbitrage de litiges commerciaux.

 

[53]           La lecture de la décision du 22 juin 2012 de la Commission et du rapport permet de conclure qu’il n’y a pas eu d’acte de discrimination au sens de la Loi. Comme cela a été précisé pendant l’audience, seuls les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14.1 peuvent faire l’objet d’une plainte valide (article 4 de la Loi). Dans leur plainte, les demandeurs parlent de l’alinéa 7b), du paragraphe 14(1) et des articles 11, 13 et 14.1. Vu le contenu de la plainte, il est évident que les articles 11 (salaire égal pour les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes), 13 (propagande haineuse au moyen des services d’une entreprise de télécommunication), 14 (harcèlement dans certaines circonstances) et 14.1 (représailles parce qu’une plainte a été déposée) ne s’appliquent pas.

 

[54]           La Commission n’a pas jugé non plus que la relation entre l’un des plaignants, M. Hagos, et le défendeur pouvait être considérée comme étant une relation d’emploi. Ainsi, les alinéas 7b) et 14(1)c) ne sont d’aucune utilité aux plaignants. Il s’ensuit que les plaignants, dont la société, ne peuvent avoir gain de cause, et donc que leur plainte est frivole.

 

[55]           Les demandeurs se sont plaints du fait que le rapport portait sur l’article 7 et n’abordait pas les autres articles. Il me semble clair que les autres articles ont été invoqués en désespoir de cause, sans même une apparence de vraisemblance. La seule vraie question à examiner était celle de savoir si l’article 7 s’appliquait.

 

[56]           Durant l’audience, il est devenu évident que le meilleur argument des demandeurs était fondé sur les alinéas 7b) et 14(1)c) de la Loi. Les voici :

  7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

  b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

 

 

  14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le faite de harceler un individu :

 

  c) en matière d’emploi.

 

  7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly

 

  (b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

 

 

  14. (1) It is a discriminatory practice,

 

  (c) in matters related to employment,

 

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

 

Il faudrait cependant que la notion d’emploi soit interprétée de façon libérale pour que ces dispositions s’appliquent aux demandeurs, vu les faits. L’avocat des demandeurs a dit qu’il pensait se rappeler certains précédents appuyant son argument selon lequel la plainte de M. Hagos était viable. La Cour lui a offert l’occasion de soumettre ces précédents, et il a effectivement porté à son attention la décision Procureur général c Lapierre, 2004 CF 612 (Lapierre).

 

[57]           Les demandeurs soutiennent que la notion de relation entre un employeur et un employé doit être interprétée de façon large et libérale, comme dans Lapierre. Dans cette décision, le juge Pierre Blais (tel était alors son titre) parle de trois facteurs devant être établis : « il existe une situation d’autorité, une certaine rémunération est versée et l’employeur allégué tire avantage du travail exécuté ». Dans cette affaire, Mme Lapierre avait signé avec l’Agence spatiale canadienne un contrat ne devant clairement pas donner lieu à l’établissement d’une relation employeur-employé normale. Mme Lapierre ne devenait pas l’employée de l’Agence spatiale. Néanmoins, la Cour a conclu que les facteurs susmentionnés étaient présents, et elle était d’accord avec la Commission pour dire que celle-ci devait statuer sur la plainte de harcèlement sexuel qui avait été déposée.

 

[58]           Comme on est à même de le constater, il y avait dans cette affaire un contrat entre une personne, Mme Lapierre, et une institution gouvernementale. Il s’agit d’une condition nécessaire pour que la Commission statue sur la plainte, puisque la définition d’« emploi » est alors élargie pour inclure un « contrat conclu avec un particulier pour la fourniture de services par celui-ci ». Ainsi, s’il n’y a pas de contrat conclu avec un particulier pour la prestation de services par celui-ci, il n’y a pas de relation d’emploi, même aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les alinéas 7b) et 14(1)c) ne peuvent s’appliquer en l’espèce, puisqu’il n’y avait pas de contrat conclu entre TPSGC et M. Hagos pour la fourniture de services par celui-ci. Le seul contrat existant avait été conclu entre la société Shamar Maintenance Inc. et une institution gouvernementale. Il n’y avait pas de relation contractuelle au sens de l’article 25 de la Loi :

  25. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

“emploi” Y est assimilé le contrat conclu avec un particulier pour la fourniture de services par celui-ci.

 

  25. In this Act,

 

“employment” includes a contractual relationship with an individual for the provision of services personally by the individual;

 

 

 

La décision Lapierre met en lumière l’exigence fondamentale concernant l’existence d’un contrat conclu avec un particulier. Il ne pouvait exister de relation d’emploi dans l’affaire qui nous occupe. Il n’aurait donc pas été raisonnable que la Commission conclue en se fondant sur les dispositions citées qu’elle avait compétence pour statuer sur la plainte.

 

[59]           Enfin, le rapport portait sur les déclarations attribuées aux employés de TPSGC. L’auteur du rapport estime qu’il y en a une seule qui soit susceptible d’être liée à l’un des motifs énumérés à l’article 3 de la Loi. Il conclut cependant que la résiliation du contrat était attribuable à la relation d’affaires, et non à l’éventuelle présence d’un motif prévu à l’article 3. Je ne vois pas en quoi cette conclusion était déraisonnable, vu les faits exposés dans la plainte.

 

[60]           À la réflexion, je me demande s’il est possible que l’argument avancé par les demandeurs concernant l’application de la norme de la plainte « frivole » procède d’une incompréhension. Comme le disait récemment la Cour suprême du Canada, « [...] les termes techniques propres au domaine juridique n’ont pas toujours un sens évident [...] » (Sa Majesté la Reine c MacDonald, 2014 CSC 3, au paragraphe 72). Dans leurs observations écrites, les demandeurs semblent blâmer la Commission de s’être prononcée sur le fondement de la plainte sans même prendre connaissance des faits. Au paragraphe 35 des observations qu’ils ont présentées à la Cour, les demandeurs disent que [TRADUCTION] « l’alinéa 41(1)d) de la Loi est axé sur le fond et sur les faits, ce qui permet à la CCDP de refuser de statuer sur une plainte parce que le contexte factuel la rend frivole ». Les demandeurs semblent donner au mot « frivole » le sens de [traduction] « stupide, léger, déraisonnable ou pas sérieux » (The Canadian Oxford Dictionary, Oxford University Press Canada, 2001), plutôt que de [TRADUCTION] « dénué de fondement juridique » (Black’s Law Dictionary, 7th ed., West Group).

 

[61]           Avec égards, c’est ce dernier sens qui est retenu dans l’analyse fondée sur l’article 41, et c’est une analyse de ce genre que la Commission a effectuée en l’espèce. La Commission doit décider si la plainte qui lui est présentée a des chances d’être accueillie. Elle a conclu qu’une société ne peut prétendre avoir été victime d’un acte discriminatoire aux termes de la Loi. Elle a également conclu que M. Hagos, le second plaignant, ne pouvait invoquer la Loi, car les circonstances décrites dans la plainte ne correspondaient pas aux actes discriminatoires illicites prévus par la loi; aucune des dispositions relatives aux actes discriminatoires invoquées par les demandeurs ne s’applique, et c’est en fait la relation d’affaires entre les demandeurs et TPSGC qui est au cœur du litige. La plainte n’avait donc aucun fondement juridique. La Commission n’a même pas laissé entendre qu’elle formulait un commentaire sur les déclarations alléguées. Elle n’a donc pas évoqué de stupidité ou de manque de sérieux. Elle a affirmé que l’affaire devait être examinée et tranchée par une autre instance. La Commission n’a fait qu’appliquer la loi à la plainte, et, sans en arriver à aucune conclusion au sujet de la crédibilité des allégations ni décider si les propos tenus, le cas échéant, étaient appropriés ou non, elle a conclu que la plainte ne pouvait être accueillie, parce que la Loi ne s’y appliquait pas. La décision était raisonnable, l’idée étant exposée dans Dunsmuir, précité, et la Cour doit se montrer déférente (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, aux paragraphes 17 et 18).

 

[62]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Quant aux dépens, les Règles des Cours fédérales prévoient un vaste pouvoir discrétionnaire. L’intégrité d’au moins trois agents de la Commission a été attaquée par les demandeurs. Comme j’ai essayé de le démontrer, les accusations étaient dénuées de fondement. Le défendeur a droit aux dépens. Les deux avocats ont précisé que l’application de l’article 407 des Règles les satisferait. C’est ce qui est fait par défaut, sauf ordonnance contraire de la Cour. Comme le défendeur n’a pas demandé des dépens plus élevés, ceux-ci seront taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.

 




DOSSIER :

T-1404-12

 

INTITULÉ :

KIDANE HAGOS et SHAMAR MAINTENANCE INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 21 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 7 MARS 2014

COMPARUTIONS :

William N. Fuhgeh

 

Craig Collins-Williams

 

POUR LES DEMANDEURS

 

pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fuhgeh Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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