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Date : 20140307


Dossiers : IMM‑7176‑13

IMM‑6541‑13

IMM‑8249‑13

 

IMM-549-14

IMM‑934‑14

 

Référence : 2014 CF 230

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

CARMELO BRUZZESE

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie de demandes de contrôle judiciaire présentées conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre de deux décisions visant le maintien en détention de M. Carmelo Bruzzese (le demandeur ou M. Bruzzese). Ces décisions, rendues respectivement par le commissaire Ronald Stratigopoulos de la Section de l’immigration (« SI »), le 4 octobre 2013 (dossier IMM‑6541‑13), et la commissaire Mary Lou Funston de la SI, le 1er novembre 2013 (dossier IMM 7176‑13), s’appuyaient sur la décision initiale de poursuivre le maintien en détention de M. Bruzzese rendue par la commissaire Iris Kohler de la SI le 16 septembre 2013.

 

[2]               Étant donné le caractère répétitif de ces contrôles des motifs de détention et le fait que chacune de ces décisions s’appuie sur les précédentes, la Cour a aussi décidé d’examiner les trois demandes suivantes déposées par le demandeur dans lesquelles il conteste les décisions de maintien en détention prises par la commissaire Ama Beecham de la SI le 10 décembre 2013 (IMM‑8249‑13), la commissaire Lori Del Duca de la SI le 14 janvier 2014 (IMM‑549‑14) et le commissaire David Young de la SI le 7 février 2014 (IMM‑934‑14).

 

1.         Faits

[3]               M. Carmelo Bruzzese, citoyen italien, est un résident permanent du Canada. Il a d’abord immigré au Canada le 3 mai 1974. Il est retourné en Italie en 1977 et a fait de nombreux allers et retours entre l’Italie et le Canada depuis cette date. Il est revenu au Canada le 12 décembre 2009 avec l’intention de s’y établir. Son épouse, Carla Calabro, est citoyenne canadienne. Il a cinq enfants adultes, dont certains habitent le Canada et d’autres, l’Italie.

 

[4]               En 2008, M. Bruzzese a été accusé en Italie d’association à l’organisation criminelle des Rizzuto. Au terme d’un procès, il a été acquitté. Le juge du procès a cependant souligné à l’audience que M. Bruzzese était sans aucun doute associé à la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta. Des accusations ont par la suite été déposées contre M. Bruzzese sur le fondement de ses liens avec la ‘Ndrangheta. En septembre 2010, les autorités italiennes ont lancé contre lui un mandat d’arrestation en vertu de l’article 416‑bis du Code criminel italien (Codice penale), qui traite de la criminalité associée à la mafia.

 

[5]               Selon un document d’Europol (‘NDRANGHETA – Criminal Structure of the Calabrese Mafia, dossier de la demande IMM‑7176‑13, page 294), la ‘Ndrangheta est une organisation criminelle puissante qui est très impliquée dans le trafic de drogues, le blanchiment d’argent, le trucage d’appels d’offres, l’extorsion, le prêt usuraire, le trafic d’armes et la prostitution. La ‘Ndrangheta se sert de l’intimidation pour asseoir son pouvoir, menace la santé, les biens et les intérêts économiques des gens et n’hésite pas à tuer ceux qui refusent de collaborer avec elle. Elle a établi de nombreuses sections locales (« locali ») dans le monde et elle en compterait un certain nombre au Canada, principalement dans la région du Grand Toronto.

 

[6]               Le 21 août 2013, un rapport a été établi en vertu de l’article 44 de la LIPR; il y était allégué que M. Bruzzese était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR pour appartenance à la ‘Ndrangheta, une organisation criminelle. Le rapport a été transmis à la Section de l’immigration. Le 22 août 2013, un mandat a été lancé en vue de l’arrestation de M. Bruzzese et, le 23 août 2013, M. Bruzzese a été arrêté et détenu par les autorités de l’immigration parce qu’il était peu probable qu’il comparaisse et qu’il semblait constituer un danger pour le public. Comme il a été mentionné précédemment, M. Bruzzese a fait jusqu’à présent l’objet de six contrôles des motifs de détention.

 

2.         Décisions faisant l’objet du contrôle

[7]               Comme il a été mentionné précédemment, les contrôles judiciaires du demandeur visés en l’espèce ont trait aux décisions rendues lors des contrôles des motifs de détention des 7 jours et des 30 jours. Dans la mesure où ces décisions s’appuient énormément sur le premier contrôle des motifs de détention, soit celui qui a été effectué dans les 48 heures, il convient de résumer aussi cette décision. Il sera aussi traité brièvement des trois derniers contrôles des motifs de détention.

 

            ‑           Contrôle des motifs de détention des 48 heures (16 septembre 2013)

[8]               La commissaire Kohler a ordonné le maintien en détention du demandeur au motif qu’il constituait un danger pour le public et qu’il était peu probable qu’il comparaisse en vue de son renvoi. Concernant l’aspect danger, la commissaire a accepté, selon la prépondérance des probabilités, la description de la ‘Ndrangheta comme organisation criminelle au sens de l’article 467.1 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Elle a aussi conclu que M. Bruzzese était associé à cette organisation pour les raisons suivantes : il faisait l’objet d’accusations en Italie pour association avec une organisation mafieuse, un mandat d’arrestation a été lancé contre lui, son fils a été reconnu coupable d’association avec la mafia et sa fille est mariée à un homme qui occuperait un poste important dans la ‘Ndrangheta, un juge italien a trouvé des éléments de preuve convaincants selon lesquels M. Bruzzese jouait un rôle actif dans la ‘Ndrangheta et des rencontres et des conversations de M. Bruzzese avec des membres connus de la ‘Ndrangheta ont été filmées et enregistrées.

 

[9]               La commissaire Kohler a aussi souligné que le contexte de la vie de M. Bruzzese au Canada faisait croire à une association avec une organisation criminelle : il a reconnu sous serment que ses enfants apportaient périodiquement d’Italie d’importantes sommes d’argent comptant au lieu d’utiliser le virement télégraphique ou électronique de fonds; il a aussi reconnu au cours de son témoignage qu’il conduisait une BMW immatriculée au nom d’une autre personne, mais dont il ignorait le nom de famille; il a allégué que des médicaments prescrits à une autre personne étaient les siens; il a acheté au Canada une maison d’une valeur de 600 000 $ avec un de ses fils malgré qu’il ait déclaré à l’audience qu’il ne gagnait pas suffisamment d’argent au Canada pour produire une déclaration de revenus; enfin, selon un article de presse, un juge italien a décrit une cachette extrêmement bien dissimulée dans la maison de M. Bruzzese en Italie. La commissaire Kohler a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, tous ces éléments de preuve démontraient que M. Bruzzese était associé à une organisation criminelle.

 

[10]           La commissaire Kohler a aussi conclu qu’il était probable que le demandeur comparaisse à son enquête, mais qu’il ne se présenterait probablement pas si une mesure de renvoi était prise contre lui. M. Bruzzese est visé par un mandat d’arrestation lancé contre lui en Italie. Étant donné que l’accusation d’association à une organisation mafieuse (article 416‑bis du Code criminel italien) n’a pas d’équivalent en droit canadien, le Canada ne l’extraderait pas. Par conséquent, l’enquête est le seul obstacle qui subsiste entre M. Bruzzese et le système judiciaire italien; comme l’a souligné la commissaire Kohler, l’enjeu est important, mais les avantages sont énormes : c’est pourquoi il comparaîtra probablement à son enquête. Par contre, M. Bruzzese pourrait être considéré comme une personne qui fuit la justice, car il a probablement appris, en prenant connaissance des conclusions du juge à son procès antérieur, que les autorités avaient l’intention de poursuivre leur enquête à son sujet et il savait que des accusations au criminel seraient par la suite déposées contre lui en Italie; cependant, il a décidé de ne pas retourner en Italie pour y répondre. La commissaire Kohler était d’avis que l’alinéa 245a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR) a un champ d’application suffisamment large pour englober une personne qui a fui un pays parce qu’elle savait qu’une enquête en cours pourrait la lier à des activités criminelles. C’est ce qui a amené la commissaire Kohler à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que M. Bruzzese ne comparaîtrait probablement pas en vue de son renvoi.

 

[11]           La commissaire de la SI a aussi conclu que M. Bruzzese avait trompé les fonctionnaires canadiens au sujet des accusations criminelles qui pesaient contre lui en Italie de même que de l’endroit où se trouvait son passeport. Sur sa demande de modification des conditions de séjour ou de prorogation du séjour au Canada, M. Bruzzese n’a pas révélé l’existence des accusations au criminel qui pèsent contre lui en Italie. Peu de valeur a été accordée au fait qu’il avait remis son passeport le premier jour de cette audience étant donné que ce dernier expirait le 4 novembre 2013, qu’il n’a pas besoin de passeport s’il entre dans la clandestinité et qu’une personne associée à une organisation criminelle peut facilement obtenir un passeport frauduleusement.

 

[12]           La commissaire Kohler a aussi conclu que M. Bruzzese devait être détenu sur‑le‑champ afin de garantir sa présence en cas de renvoi, si cette mesure était exigée. Elle estimait qu’au moment où serait rendue la décision à la suite de l’enquête, M. Bruzzese aurait déjà fait des préparatifs et serait entré dans la clandestinité par crainte d’une décision défavorable. Étant donné son association à une organisation criminelle, il aurait eu accès à d’énormes ressources qui l’auraient aidé à rembourser des cautionnements perdus pour manquement aux conditions imposées et à échapper aux autorités.

 

[13]           Les cautions proposées ont été refusées. M. Savarino, petit‑neveu de M. Bruzzese, était prêt à verser 50 000 $ comptant et 40 000 $ à certaines conditions. Il n’avait jamais parlé à M. Bruzzese au téléphone avant sa détention et il le rencontre seulement à l’occasion le dimanche à la maison de sa grand‑mère. Il ne savait pas très bien où vivait M. Bruzzese et il n’avait qu’une vague idée des problèmes juridiques de ce dernier en Italie. M. Savarino soutenait être un proche de Carlo, fils de M. Bruzzese, mais il n’était pas en mesure de dire si Carlo devait répondre à des accusations en Italie ou s’il y avait été déclaré coupable d’un crime. Pour encadrer M. Bruzzese, M. Savarino avait l’intention de se rendre chez lui et de l’emmener manger à l’occasion, espérant ainsi déceler un changement dans les habitudes de M. Bruzzese et agir en conséquence. La commissaire Kohler n’a pas considéré M. Savarino comme une caution acceptable. En effet, ce dernier n’entretenait pas une relation suffisamment étroite avec M. Bruzzese dans le contexte d’une ordonnance de mise en liberté. M. Savarino a fait preuve d’une certaine indifférence relativement à la gravité des allégations pesant contre M. Bruzzese et il n’a pas démontré qu’il était réellement en mesure d’encadrer le demandeur. Le respect que lui inspirait son grand‑oncle, un aîné, ne permettait pas de croire qu’il pourrait garantir que M. Bruzzese respecterait les conditions de sa mise en liberté.

 

[14]           L’épouse de M. Bruzzese, Mme Calabro, était prête à déposer un cautionnement de 10 000 $ en espèces. Elle ignorait bien des choses des activités de son mari. Elle ne pouvait pas se rappeler si elle avait un droit de propriété sur la maison familiale au Canada. Elle ignorait que M. Bruzzese et son fils Carlo avaient acheté une maison ensemble. Elle ne savait pas non plus quelles cartes de crédit possédait son mari ni de quelle façon il remboursait l’hypothèque. Elle ignorait le nom de la personne qui est propriétaire de la voiture que M. Bruzzese conduit ou les noms des entreprises pour lesquelles il travaille. Mme Calabro n’a pas fourni les mêmes renseignements que son mari à l’égard des sommes d’argent que leurs enfants leur envoyaient de l’Italie. Elle savait que M. Bruzzese avait fait l’objet d’accusations en Italie en 2008, mais elle ignorait l’existence des accusations les plus récentes ou du mandat d’arrestation qui le visaient. Mme Calabro a expliqué qu’elle ne lit pas les documents qu’elle signe, car elle fait confiance à son mari. Pour garantir que M. Bruzzese ne s’enfuirait pas, elle a déclaré qu’elle lui téléphonerait pour vérifier à quel moment il rentrerait à la maison et, s’il ne répondait pas, elle essaierait de le joindre par l’intermédiaire de membres de la famille. La commissaire Kohler a estimé que Mme Calabro ne serait pas une caution efficace étant donné qu’elle n’était pas en mesure de bien encadrer son mari, sans compter la question du danger pour le public. Même si son mari a déclaré qu’elle participait à la prise de décisions, ce n’est pas ce qui ressortait du témoignage de l’épouse. En effet, elle ignorait bien des choses au sujet des activités de son mari. Elle ne peut tout simplement pas modifier cette relation et devenir soudainement la patronne de son mari pour l’encadrer efficacement. Elle accepterait la décision de son mari de demeurer au Canada et de ne pas quitter le pays lorsqu’il serait tenu de le faire. Elle est tout à fait dévouée à M. Bruzzese et à la famille, et elle ne téléphonerait pas à la police pour l’aider à retrouver M. Bruzzese.

 

[15]           La troisième caution qui a témoigné devant la commissaire Kohler est M. Giuseppe Bruzzese, neveu de M. Bruzzese. Il était prêt à déposer 50 000 $ en espèces et 25 000 $ de façon conditionnelle. Il n’avait rencontré M. Bruzzese qu’une seule fois au cours de l’année précédente et s’était rendu une fois à la maison de M. Bruzzese. Il ignorait que M. Bruzzese avait des problèmes judiciaires et que les autorités italiennes le recherchaient jusqu’à ce que l’avocat de M. Bruzzese au Canada le lui apprenne. La commissaire Kohler a jugé qu’il était impossible de lui faire confiance étant donné qu’il n’avait pas respecté la directive simple de ne pas parler de son témoignage avec l’une des autres cautions proposées ou avec quiconque.

 

            ‑           Deuxième contrôle des motifs de détention (4 octobre 2013)

[16]           Lors du contrôle des motifs de détention des 7 jours, le commissaire Stratigopoulos a ordonné le maintien en détention du demandeur parce qu’il constituait un danger pour le public et qu’il était peu probable qu’il comparaisse en vue de l’exécution de la mesure de renvoi qui le vise (voir la page 12 de la décision du 4 octobre [traduction] « Ayant conclu qu’il subsiste, comme l’a indiqué la commissaire Kohler, des risques en matière de sécurité et, dans une mesure moindre, de fuite, ... »). De nouveaux éléments de preuve ont été présentés par les deux parties dans ce contrôle des motifs de détention. Il a été confirmé que M. Bruzzese n’avait pas de casier judiciaire en Italie et qu’aucune procédure judiciaire ou criminelle n’était dirigée contre lui dans la ville de Locri, située dans la province de Reggio de Calabre. Le ministre a réfuté cette prétention en expliquant que si aucune accusation ne pesait contre M. Bruzzese à Locri, il faisait l’objet d’accusations et de procédures judiciaires ailleurs en Italie. Le ministre a aussi présenté l’enregistrement audio (sur CD) d’une entrevue avec un agent de police italien dans laquelle on apprend que M. Bruzzese joue un rôle dans la ‘Ndrangheta. Le conseil de M. Bruzzese a fait état de problèmes de traduction du fichier audio. Après avoir souligné que les plaintes relatives à la traduction provenaient de personnes qui ne parlent pas italien, le tribunal a décidé d’accepter en preuve le CD.

 

[17]           Le commissaire Stratigopoulos a souscrit à l’avis de la commissaire Kohler qu’il était probable que M. Bruzzese comparaisse pour son enquête. Il a souligné que M. Bruzzese n’avait jamais cherché à échapper aux autorités de l’immigration au Canada et qu’il ne semblait pas se cacher au moment de son arrestation. Il n’a pas accepté comme une évidence le fait que M. Bruzzese serait un fugitif parce qu’il ressort de l’enregistrement audio que l’agent de police italien n’a pas clairement affirmé que M. Bruzzese était au courant de l’existence de l’enquête et qu’il avait fui le pays pour cette raison. Certaines préoccupations subsistaient quant à un risque de fuite, mais le tribunal a estimé que ces risques pouvaient être atténués par l’utilisation d’un système de surveillance par GPS, laissant entendre qu’il pourrait s’agir d’une solution de rechange à la détention. Cependant, le commissaire a conclu que même si les risques de fuite étaient moindres, ils subsistaient.

 

[18]           Le tribunal a conclu aussi que la proposition de mise en liberté n’éliminerait pas les inquiétudes au sujet du danger pour le public. En effet, le tribunal a estimé que le CD fournissait amplement de preuves concernant les risques que présente la ‘Ndrangheta et le fait qu’elle est active au Canada. Même si rien ne démontre que M. Bruzzese ait déjà fait l’objet d’une déclaration de culpabilité ou qu’il ait été impliqué dans des infractions à caractère violent, ces éléments ne sont pas des préalables nécessaires d’une conclusion de dangerosité. Selon certains éléments de preuve fournis par les autorités italiennes, le demandeur est un dirigeant important de la ‘Ndrangheta en Italie et il fait l’objet dans ce pays d’accusations graves liées à sa participation présumée aux activités du groupe; de plus, selon des dossiers de surveillance et d’écoute téléphonique, il a discuté d’affaires de la ‘Ndrangheta avec d’autres membres de l’organisation. Son fils Carlo a déjà été condamné par la justice et sa fille est mariée à un homme qui serait un membre important de la ‘Ndrangheta. Le commissaire Stratigopoulos a conclu que tous ces éléments étayaient l’allégation selon laquelle M. Bruzzese était associé à la ‘Ndrangheta. Il a aussi estimé qu’il n’existait pas suffisamment de renseignements pour conclure que la solution de rechange à la détention que M. Bruzzese proposait atténuerait les risques que présenterait sa libération.

 

            ‑           Troisième contrôle des motifs de détention (1er novembre 2013)

[19]           Aucun élément de preuve nouveau n’a été soumis à la commissaire Funston, qui a décidé de maintenir en détention M. Bruzzese. La commissaire de la SI a rejeté l’argument selon lequel il fallait qu’une personne ait un casier judiciaire ou une propension à la violence pour être considérée comme un danger pour le public étant donné que la dangerosité pouvait être démontrée à partir de n’importe lequel des facteurs énumérés à l’article 246 du RIPR. La ‘Ndrangheta est une organisation criminelle qui exerce des activités au Canada et il est évident que les activités d’un tel groupe entraînent nécessairement un danger pour le public.

 

[20]           La preuve dont disposait la commissaire Funston – décision d’une cour de justice italienne et articles de presse citant des tribunaux judiciaires et des organismes d’exécution de la loi, des documents relatifs à des enquêtes menées par la police italienne sur la ‘Ndrangheta et le mandat d’arrestation visant M. Bruzzese pour association mafieuse en Italie – était suffisante pour démontrer l’association du demandeur avec la ‘Ndrangheta. Ces éléments de preuve ont été contestés, mais le tribunal n’a pas reçu d’éléments de preuve qui auraient permis de remettre en cause l’équité ou l’intégrité du système judiciaire italien. Elle estimait que M. Bruzzese n’aurait pas fait l’objet du mandat d’arrestation lancé en vertu de l’article 416‑bis en l’absence d’éléments de preuve suffisamment convaincants d’une association avec une organisation criminelle.

 

[21]           Il y avait d’autres indices de l’association de M. Bruzzese avec la ‘Ndrangheta : la conclusion à laquelle est parvenu le juge italien Montoni en 2009 (que M. Bruzzese était associé à une organisation criminelle) ainsi que la preuve relative à la situation personnelle de M. Bruzzese – la source de ses fonds au Canada, le fait qu’il conduisait une BMW immatriculée au nom d’une autre personne, la prise de médicaments prescrits à une autre personne, le fait qu’une cachette avait été trouvée dans sa maison en Italie et les liens entre d’autres membres de sa famille et le crime organisé. Tous ces éléments étayent la conclusion, tirée selon la prépondérance des probabilités, que M. Bruzzese est susceptible de constituer un danger actuel et futur pour le public.

 

[22]           La commissaire Funston a souscrit aux conclusions de la commissaire Kohler relatives aux trois premières cautions proposées par le demandeur, soulignant que, lors du contrôle des 30 jours, rien de ce qu’elle avait entendu n’était susceptible de démontrer que ces cautions étaient acceptables. La commissaire de la SI a aussi déclaré être en désaccord avec le commissaire Stratigopoulos de la SI et elle a souscrit à la conclusion de la commissaire Kohler de la SI selon laquelle M. Bruzzese fuit la justice. Les graves accusations qui pèsent contre le demandeur en Italie l’ont fortement incité à demeurer au Canada et ont rendu moins probable sa comparution en vue d’un renvoi. La commissaire Funston a souligné que la surveillance par GPS pourrait constituer une solution de rechange à la détention, mais elle a jugé que ce n’était pas une option en l’espèce étant donné que les cautions proposées n’étaient pas acceptables.

 

            ‑           Quatrième contrôle des motifs de détention (10 décembre 2013)

[23]           Aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé et la commissaire Beecham a ordonné le maintien en détention de M. Bruzzese, concluant que ce dernier constituait un danger pour le public et qu’il était susceptible de s’enfuir. La commissaire Beecham a conclu qu’il risquait de s’enfuir parce qu’il était visé par un mandat d’arrestation en vigueur en Italie, où il est recherché pour répondre à des accusations. Cette situation pourrait très bien avoir des effets sur le désir de M. Bruzzese de se présenter volontairement en vue d’un renvoi possible si une mesure de renvoi était prise. Elle a souligné que, selon certaines allégations, M. Bruzzese est un membre important d’une organisation criminelle qui aide des personnes à fuir la justice et abrite des fugitifs, ce qui permet à des membres de cette organisation de disparaître de la circulation.

 

[24]           La commissaire a encore une fois tenu compte de la condamnation du fils de M. Bruzzese, du mariage de sa fille à un dirigeant de l’organisation et du fait qu’il avait accès à d’importantes sommes d’argent. La commissaire Beecham a aussi mentionné le manque de crédibilité du demandeur étant donné qu’il conduit la voiture d’une autre personne, prend des médicaments prescrits à une autre personne et a fourni des renseignements inexacts lorsqu’il a fait une demande de statut au Canada.

 

[25]           En ce qui concerne le danger pour le public, la commissaire était convaincue, selon sa propre évaluation de l’ensemble de la preuve, que les arguments du demandeur ne lui permettaient pas de réfuter la preuve prima facie fournie par le ministre. Elle a aussi souligné le fait que les arguments présentés par le demandeur le 28 novembre 2013 ne sont pas nouveaux et qu’ils ne se distinguent que très peu des arguments présentés lors des examens antérieurs.

 

[26]           La commissaire Beecham a soutenu que le facteur énoncé à l’alinéa 246b) du RIPR est celui qu’il faut prendre en compte pour décider si le demandeur constitue un danger pour le public vu son association à une organisation criminelle. Il est donc important de déterminer si la ‘Ndrangheta est ou non une organisation criminelle. La commissaire a estimé qu’elle disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la ‘Ndrangheta est une organisation ou un groupe composé de plusieurs personnes qui se livrent à des crimes économiques et financiers, au trafic de la drogue, au blanchiment d’argent, au soutien à ceux qui fuient la loi, etc. Elle a aussi conclu que l’alinéa 246b) du RIPR n’exige pas qu’une personne soit jugée complice d’un crime pour être considérée comme un danger pour le public. Selon la preuve dont elle disposait, la commissaire Beecham a conclu que M. Bruzzese est intégré à un groupe criminel et qu’il n’y est pas simplement associé de loin.

 

[27]           La commissaire a aussi examiné la solution de rechange à la détention, c.‑à‑d. les quatre cautions et la surveillance électronique, et a conclu qu’aucun renseignement supplémentaire n’avait été fourni pour l’amener à s’écarter des décisions antérieures. Elle a souligné que la SI est tenue de veiller à ce qu’une caution soit à la fois en mesure de fournir une garantie et d’offrir un encadrement. Ne pas le faire équivaudrait à renoncer à ses responsabilités. Or, aucune des cautions potentielles ne possédait ces qualités. La SI estimait aussi que la surveillance par GPS ne réussirait pas à empêcher le demandeur de rétablir ses liens et réseaux avec la ‘Ndrangheta.

 

[28]           En ce qui concerne la durée de la période de détention, la commissaire a conclu que le demandeur n’avait été détenu que pendant trois mois et demi, que le délai relatif à la communication de documents était compréhensible parce que le ministre devait obtenir et traduire les documents en provenance d’Italie et que les personnes détenues ont droit à des procédures d’enquête accélérées. Par conséquent, la durée de la détention n’a pas été considérée comme un argument à l’appui de la libération.

 

            ‑           Cinquième contrôle des motifs de détention (14 janvier 2014)

[29]           La commissaire Lori Del Duca a confirmé les décisions des commissaires antérieurs. La commissaire Del Duca a souligné que rien ne démontrait que M. Bruzzese avait fait l’objet de déclarations de culpabilité et d’accusations relatives au trafic de la drogue, à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada. Cependant, sur le fondement des éléments de preuve qu’elle jugeait crédibles et dignes de foi et qu’avaient pris en compte les membres des formations antérieures du tribunal, la commissaire Del Duca a conclu que M. Bruzzese était associé à une organisation criminelle et qu’il constituait toujours un danger pour le public au sens de l’alinéa 246b) du RIPR.

 

[30]           La commissaire a aussi conclu qu’il existait toujours un risque que M. Bruzzese cherche à fuir la justice. Elle s’est appuyée sur les conclusions précédentes selon lesquelles M. Bruzzese est un fugitif et elle a tiré des inférences négatives de son mode de vie au Canada, comme les commissaires précédents. Étant donné qu’aucun motif clair et convaincant ne lui avait été fourni pour l’amener à écarter la conclusion de risque de fuite formulée et invoquée par les commissaires précédents, la commissaire Del Duca était donc convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Bruzzese présenterait un risque de fuite s’il était libéré.

 

[31]           La commissaire Del Duca a ensuite évalué les autres cautions proposées et le montant total des cautionnements fournis et a souligné que la somme de quelque 400 000 $ qui était offerte constitue un montant très élevé dans la plupart des cas; cependant, en l’espèce, cette somme n’a pas l’importance qu’elle revêtirait dans des circonstances habituelles. En effet, le tribunal a été influencé par la preuve documentaire révélant que la ‘Ndrangheta fournit argent, abri et respect aux fugitifs; dans ce contexte, cette somme qui semble élevée à première vue ne l’est pas vraiment. Le tribunal a aussi souligné que les cautions ne connaissaient pas bien M. Bruzzese et ne pouvaient pas l’encadrer efficacement.

 

            ‑           Sixième contrôle des motifs de détention (7 février 2014)

[32]           Après avoir entendu les conseils des deux parties, le commissaire Young a décidé de maintenir la détention. Aucun nouvel élément de preuve n’a été soumis, mais le conseil du demandeur ont formulé trois arguments : 1) la commissaire Kohler aurait dû parler d’un [traduction] « juge d’instruction » plutôt que d’un [traduction] « juge »; 2) le mandat d’arrestation doit être exécuté dans un délai de deux ans; or, aucune mesure n’a encore été prise; et 3) aucune preuve n’a été fournie à l’appui des observations antérieures du ministre concernant les écoutes électroniques; le poids accordé à cette preuve devrait donc s’atténuer avec le temps et le fardeau du ministre devrait augmenter, en ce sens qu’il devra étayer ses prétentions.

 

[33]           Le tribunal a conclu que l’article de presse mentionnant le [traduction] « juge » plutôt que le [traduction] « juge d’instruction » ne constituait qu’un des éléments d’information qui ont mené aux conclusions que M. Bruzzese est associé à une organisation criminelle. La distinction entre un juge et un juge d’instruction n’est pas suffisante pour constituer un motif impérieux de revoir la décision et la déclaration du juge Montoni n’était que l’un des nombreux éléments de preuve sur lesquels était fondée la conclusion antérieure d’association à une organisation criminelle. En ce qui concerne le mandat d’arrestation, le tribunal a souligné que cette question avait été examinée en profondeur par la commissaire Beecham et que rien ne justifiait la révision de sa décision; en effet, le mandat d’arrestation constituait encore une preuve de l’association de M. Bruzzese avec la ‘Ndrangheta. En ce qui a trait à l’écoute électronique, le commissaire Young a souligné qu’il aurait été préférable que le contenu des écoutes électroniques et du mandat d’arrestation ait été traduit, mais il a conclu que cette omission n’était pas déterminante étant donné que le ministre avait fourni par la suite des renseignements qui confirmaient l’allégation formulée au sujet de ces écoutes électroniques.

 

[34]           Concernant maintenant la faible probabilité que le demandeur se présente, le commissaire de la SI a souligné que peu d’éléments avaient été soulevés au cours de ce contrôle des motifs de détention. Le fait que M. Bruzzese a déclaré qu’il ne s’enfuirait pas ne l’emporte pas sur les autres conclusions relatives à son manque de franchise antérieur dans ses relations avec les autorités et à l’impression créée par son mode de vie au Canada. Le tribunal était aussi convaincu que les examens antérieurs avaient correctement mené à la conclusion que les cautions n’étaient pas acceptables étant donné que celles qui étaient proposées ne connaissaient même pas les problèmes de M. Bruzzese. Selon le commissaire, ces éléments tendaient clairement à indiquer que les cautions ne seraient pas en mesure d’encadrer le demandeur et d’apaiser les inquiétudes relatives à la sécurité du public.

 

[35]           Enfin, le commissaire Young a souligné que, jusqu’à présent, la période de détention n’avait pas été longue et qu’elle s’explique par un certain nombre de facteurs et la complexité de l’affaire. Il a souligné que le conseil du demandeur n’était pas libre pour une enquête à une date antérieure et que la date de l’enquête avait été fixée au 15 avril 2014.

 

3.         Questions en litige

[36]           La Cour doit chercher à savoir en l’espèce si les décisions de la Section de l’immigration sont raisonnables. Cette question peut être subdivisée en trois sous‑questions : les divers commissaires ont‑ils commis des erreurs 1) en estimant que le demandeur constitue un danger pour le public? 2) en décidant qu’il était peu vraisemblable qu’il se présente en vue de son renvoi éventuel? 3) en évaluant les autres facteurs, soit la durée de la période de détention et l’existence de solutions de rechange à la détention?

 

[37]           Étant donné que toutes les décisions s’appuient en grande partie sur la décision rendue lors du premier contrôle des motifs de détention et qu’elles suivent plus ou moins le même raisonnement, elles seront examinées collectivement, sans référence à l’une d’entre elles en particulier, sauf lorsqu’il convient de le faire.

 

4.         Cadre législatif s’appliquant aux contrôles des motifs de détention

[38]           L’article 55 de la LIPR autorise un agent d’exécution de la loi à détenir un résident permanent ou un étranger uniquement s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire, qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi. L’article 245 du RIPR énumère les facteurs à prendre en compte pour décider si une personne visée par une mesure de renvoi du Canada se soustraira vraisemblablement à son renvoi, dont la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale (alinéa 245a)) et le fait de s’être dérobé à des contrôles des autorités de l’immigration (alinéa 245e)).

 

[39]           L’article 246 du RIPR énonce les critères permettant de conclure à l’existence d’un danger pour le public. Ils comprennent l’association d’une personne à une organisation criminelle (alinéa 246b)).

 

[40]           Comme c’est le cas de l’ensemble des dispositions de la LIPR et du RIPR, les articles cités doivent être interprétés et appliqués en fonction des objectifs de la LIPR. La Cour suprême a par ailleurs déclaré, dans Medovarski c Canada (MCI), 2005 CSC 51, au paragraphe 10, que ces objectifs « traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi ».

 

[41]           La LIPR prévoit un contrôle indépendant et impartial de la détention par la Section de l’immigration (article 54). Les contrôles de la détention ont lieu 48 heures, 7 jours et 30 jours après le début de la détention, puis tous les 30 jours par la suite (paragraphes 57(1) et (2)). La Section de l’immigration doit prononcer la mise en liberté, sauf si elle est convaincue que la personne constitue entre autres un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi (paragraphes 58(1) et (2)). Dans le cadre d’un contrôle des motifs de détention, la personne peut être représentée par un conseiller juridique ou un autre conseil (article 167), obtenir la communication des arguments présentés contre elle ou contre‑interroger les témoins du ministre, convoquer ses propres témoins et contester les motifs de la détention (articles 26 et 32 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229).

 

5.         Norme de contrôle

[42]           La Cour suprême du Canada a décidé, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans chaque instance. Si la question de la norme de contrôle applicable à une question donnée dont est saisie la cour de révision est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, elle peut adopter cette norme de contrôle. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision entreprend une analyse complète en vue de déterminer la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

 

[43]           Il a été établi dans la jurisprudence que les décisions de la SI relatives à des contrôles de la détention sont des décisions fondées sur des faits à l’égard desquels il faut faire preuve de retenue : voir Tursunbayev c Canada (MSPPS), 2012 CF 504 [Tursunbayev]; Canada (MCI) c B046, 2011 CF 877; Canada (MCI) c Li, 2008 CF 949, Canada (MCI) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 [Thanabalasingham]. La norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable. En vertu de cette norme, les décisions d’un tribunal de la SI devraient être modifiées que si le raisonnement était erroné et que la décision qui en résulte ne fait pas partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[44]           Le conseil du demandeur a tenté de faire valoir que l’interprétation à donner à l’alinéa 246b) du RIPR et, plus particulièrement, à ce qui doit être considéré comme une « association » à une organisation criminelle, est une pure question de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Je ne partage pas son avis. Lorsqu’ils interprètent les critères pertinents qui régissent les contrôles des motifs de détention, les commissaires de la SI appliquent de toute évidence leur loi habilitante et les règlements pris en vertu de cette dernière; il faut donc faire preuve d’une grande retenue : Dunsmuir, au paragraphe 54; Smith c Alliance Pipeline Limited, 2011 CSC 7, au paragraphe 26. En ce qui a trait à l’application de ce critère à la situation particulière de M. Bruzzese, il s’agit nettement d’une question mixte de fait et de droit qui est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[45]           Il ressort aussi clairement de la jurisprudence que même si chaque commissaire de la SI est tenu d’examiner l’affaire de nouveau, il doit avoir des motifs impérieux de s’écarter des décisions des formations antérieures du tribunal. Il incombe toujours au ministre de démontrer que le maintien en détention est justifié, mais ce fardeau peut rapidement être déplacé si les décisions antérieures confirmant le maintien en détention sont jugées convaincantes par le commissaire de la SI qui effectue le contrôle : Thanabalasingham, aux paragraphes 9, 10 et 16.

 

6.         Analyse

a)         Les commissaires de la SI ont‑ils commis une erreur en concluant que le demandeur constituait un danger pour le public?

[46]           Selon le conseil du demandeur, lorsqu’il a fallu se prononcer sur la question de savoir si M. Bruzzese constituait ou non un danger pour le public, tous les commissaires ont évalué les renseignements sur la ‘Ndrangheta et l’association de M. Bruzzese à l’organisation, mais ils n’ont pas cherché à savoir si M. Bruzzese constituait un danger pour le public. En d’autres termes, tous les commissaires ont supposé que M. Bruzzese est un danger pour le public étant donné que son association à une organisation criminelle avait été établie. Or, selon le conseil, une telle supposition est erronée : l’appartenance ou l’association à une organisation criminelle n’est pas une indication à première vue que la personne constitue un danger pour le public, mais seulement un facteur qui doit être pris en compte dans le cadre de cette évaluation aux termes de l’article 246 du RIPR. Le demandeur allègue de plus que l’expression « danger pour le public » n’est pas définie dans la loi et que les tribunaux ont estimé qu’il s’agissait d’une évaluation individuelle fondée sur les faits de chacune des affaires. Même si, dans certains cas, l’association à une organisation criminelle peut être suffisante pour conclure qu’une personne est un danger pour le public, cette conclusion ne peut pas être tirée automatiquement.

 

[47]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que chacun des facteurs énumérés à l’article 246 du RIPR constitue un motif suffisant qui permet de conclure qu’une personne est un danger pour le public. La liste des facteurs qui y sont énumérés est très détaillée et elle reflète l’engagement du gouvernement à « promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité » (alinéa 3(1)i) de la LIPR). Par conséquent, une personne dont l’association à une organisation criminelle a été démontrée peut être considérée, selon la prépondérance des probabilités, comme un danger pour le public sans qu’il y ait obligation d’effectuer une évaluation supplémentaire comme ce serait le cas, par exemple, pour une personne déclarée coupable au Canada de trafic, d’importation et d’exportation ou de production d’une drogue contrôlée. Quoi qu’il en soit, les organisations criminelles constituent en elles‑mêmes un danger pour le public, comme nous l’avons tous constaté lorsqu’une guerre a éclaté entre des bandes de motards criminalisées dans les grandes villes de notre pays. La commissaire Kohler a fait état dans sa décision de certains éléments de preuve selon lesquels la ‘Ndrangheta infiltre les milieux d’affaires et les milieux politiques et évite de troubler l’ordre public, préférant fonctionner par la menace et la coercition. Le fait que rien ne démontre que M. Bruzzese se soit livré personnellement à des agissements violents au Canada n’est pas pertinent parce que ce n’est tout simplement pas le critère à appliquer. Ni l’article 244 ni l’article 246 du RIPR ne prévoient que la perpétration d’actes violents constitue une condition nécessaire de la détention d’une personne considérée comme un danger pour le public; en effet, une bonne partie des activités énumérées aux alinéas 246c) à g) du RIPR ne concernent pas la violence et l’alinéa 246b) n’exige pas comme préalable la perpétration d’un crime (tout comme les alinéas 246d) à g)). Ordonner à d’autres personnes de commettre des crimes n’est pas moins dangereux que la perpétration des crimes elle‑même.

 

[48]           Le demandeur ne conteste pas le fait que la ‘Ndrangheta soit une organisation criminelle. La véritable question en l’espèce était de savoir si la preuve démontrait que M. Bruzzese était associé à la ‘Ndrangheta. La preuve soumise aux commissaires de la SI confirme la conclusion que M. Bruzzese est associé à la ‘Ndrangheta, mais elle donne aussi à penser qu’il en est un des dirigeants.

 

[49]           Le conseil du demandeur a soutenu que les renseignements dont disposait la Section de l’immigration ne constituaient pas des éléments de preuve suffisants pour étayer la conclusion que M. Bruzzese est associé à un groupe criminel. Par exemple, le mandat d’arrestation lancé en Italie ne constituerait pas nécessairement la preuve de l’association du demandeur à une organisation criminelle. En effet, non seulement le mandat d’arrestation n’a jamais été produit devant les commissaires de la SI, mais encore il a expiré sans que des mesures aient été prises pour qu’un procès ait lieu. De plus, le critère pour conclure à une association à une organisation criminelle en droit italien semble être l’existence d’une « certaine contribution », alors que le critère relatif à la complicité appliqué au Canada exige une « contribution importante ».

 

[50]           Je suis d’accord avec le demandeur qu’il aurait été préférable que le mandat d’arrestation lui‑même soit produit au cours des premiers contrôles des motifs de détention. Mais il est bien établi en droit que les règles de preuve qui s’appliquent à la SI ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent à un tribunal judiciaire. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’est pas liée par des règles de preuve juridiques ou techniques; elle peut par conséquent s’appuyer sur des éléments de preuve directs et indirects (Bailey c Canada (MCI), 2008 CF 938), sur une preuve par ouï‑dire (Temahagali c Canada (MCI), 2000 CanLII 16771) et, de façon générale, sur une preuve crédible et digne de foi, même si elle pourrait ne pas être admissible dans le cadre d’une procédure judiciaire au civil ou au criminel (Re Jaballah, 2003 CFPI 640).

 

[51]           L’existence du mandat d’arrestation a été confirmée par diverses sources, y compris un article du Toronto Star, un agent de police italien et l’avocat de M. Bruzzese en Italie, qui en a produit une copie accompagnée d’extraits traduits. Ce mandat d’arrestation a été lancé par le juge des enquêtes préliminaires de la cour de Reggio de Calabre à l’encontre de M. Bruzzese en septembre 2010, pour infraction d’« association à une organisation mafieuse »; il prévoit la détention d’un certain nombre de personnes à titre préventif.

 

[52]           Le mandat d’arrestation pourrait étayer la conclusion selon laquelle M. Bruzzese est associé à la ‘Ndrangheta. Le fait que ce mandat est expiré – une question de droit étranger sur laquelle la Cour ne peut pas se prononcer en l’absence d’une preuve d’expert – n’est pas important. Je souligne que la commissaire Beecham a conclu dans sa décision du 10 décembre 2013 que le mandat d’arrestation italien demeure en vigueur. En fait, selon les documents envoyés par INTERPOL à la GRC, une instance au criminel vise encore M. Bruzzese devant la cour d’appel de Reggio de Calabre. Quoi qu’il en soit, j’estime comme le défendeur que le mandat d’arrestation fournit un indice sur l’association de M. Bruzzese à la ‘Ndrangheta. Le fait qu’un mandat d’arrestation ait été lancé révèle, à tout le moins, que les autorités italiennes avaient l’impression que la participation de M. Bruzzese aux activités de la ‘Ndrangheta pourrait justifier une mise en accusation en vertu du droit italien; il n’appartient pas à la SI ou à la Cour d’émettre des hypothèses sur les motifs pour lesquels aucune accusation n’a été portée à cet égard.

 

[53]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur selon lequel les commissaires de la SI ont commis une erreur en s’appuyant sur le mandat d’arrestation comme preuve d’une association à une organisation criminelle, étant donné que seule une certaine contribution suffit, en droit italien, pour justifier une déclaration de culpabilité à une organisation mafieuse, je le juge entièrement déplacé. Il est tout à fait exact que, dans l’arrêt Ezokola c Canada (MCI), 2013 CSC 40, la Cour suprême a conclu que la preuve d’une complicité au sens de l’article 1Fa) de la Convention relative aux réfugiés doit s’appuyer sur un critère qui exige une contribution à la fois volontaire, consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel d’un groupe. Cependant, cette exigence renforcée en matière d’intention criminelle ne s’applique pas à l’appartenance à une organisation au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Comme le soulignait le juge Russell dans la décision Chung c Canada (MCI), 2014 CF 16, au paragraphe 84 :

L’alinéa 37(1)a), quant à lui, exige uniquement que l’intéressé membre d’une organisation criminelle ait connaissance de la nature criminelle de l’organisation. Voir Stables, précité, au paragraphe 37. Rien dans l’arrêt Ezokola ne permet de penser qu’en s’exprimant ainsi, la Cour suprême visait aussi l’alinéa 37(1)a) de la Loi ou voulait modifier le principe juridique circonscrit et appliqué dans cette affaire. Le demandeur soutient que l’arrêt Ezokola devrait être appliqué en l’espèce, mais je ne puis me rallier à son argument d’équivalence entre l’article IFa) de la Convention relative aux réfugiés et l’alinéa 37(1)a) de la Loi, parce que le libellé des deux dispositions est différent et qu’il ressort clairement que les exigences relatives à la connaissance ne sont pas les mêmes.

 

[54]           Fait plus important encore, la Cour n’est pas invitée à décider si les commissaires de la SI ont commis une erreur en jugeant M. Bruzzese interdit de territoire; en effet, les décisions contestées visaient uniquement le maintien en détention de M. Bruzzese, et les questions de savoir s’il constituait un danger pour le public et s’il risquait de fuir la justice. L’alinéa 246b) du RIPR ne précise pas la nature de l’association à une organisation criminelle et nous ne connaissons pas non plus l’étendue de la contribution de M. Bruzzese à la ‘Ndrangheta qui a permis aux autorités de lancer le mandat d’arrestation en Italie. Dans ces circonstances, les commissaires de la SI pouvaient à bon droit s’appuyer sur l’existence de ce mandat d’arrestation comme indice de l’association à une organisation criminelle.

 

[55]           De plus, la conclusion d’association à une organisation criminelle n’est pas fondée uniquement sur le mandat d’arrestation. En effet, les déclarations faites par le juge Montoni dans une autre instance ont aussi été mentionnées; selon l’article du Toronto Star, le juge Montoni a déclaré que M. Bruzzese [traduction] « avait des liens très étroits avec le crime organisé en Italie et au Canada » et qu’« il faisait assurément partie de la mafia calabraise ». Le même article cite un procureur selon qui M. Bruzzese est considéré comme un [traduction] « fugitif visé par des accusations d’association mafieuse » en Italie. De plus, un agent de police italien a déclaré, dans une téléconférence organisée avec des membres de la GRC et de l’ASFC, que les tribunaux avaient conclu que M. Bruzzese était [traduction] « un des principaux dirigeants » de la ‘Ndrangheta.

 

[56]           Le conseil du demandeur s’est opposé à l’utilisation de ces éléments de preuve, soutenant qu’ils n’étaient pas fiables. Je suis tout à fait d’avis qu’il aurait été nettement préférable d’avoir accès à une traduction intégrale de la décision publiée par le juge Montoni, même si je sais bien que cette décision semble plutôt longue. Pour ce motif, ce serait évidemment une erreur que d’accorder trop de valeur à cette décision ou de se fier exclusivement à cette preuve. Cependant, cela ne veut pas dire que les commissaires de la SI n’auraient pas dû en tenir compte au moment d’évaluer la question de savoir si M. Bruzzese est associé à la ‘Ndrangheta.

 

[57]           Il est bien sûr vrai que des articles de presse ne peuvent pas être considérés devant une cour de justice comme la preuve de faits précis au sujet d’incidents précis, que l’auteur d’un article ne peut pas être contre‑interrogé et que les nouvelles sont parfois inexactes, peu fiables et fondées sur le ouï‑dire. Cependant, l’article du Toronto Star repose sur une recherche fouillée et il cite les autorités italiennes et des décisions judiciaires italiennes. Le demandeur n’a pas jugé bon de réfuter les renseignements qui y sont rapportés et il n’a pas non plus souligné d’erreurs factuelles, sauf de façon indirecte. Le journaliste qui a rédigé l’article a communiqué avec le demandeur pour l’interroger et ce dernier a refusé de participer à une entrevue. Dans ces circonstances, les commissaires de la SI pouvaient valablement utiliser cet article pour tirer une conclusion d’association à une organisation criminelle.

 

[58]           M. Bruzzese a aussi été observé en train de discuter d’affaires de la ‘Ndrangheta avec d’autres membres de cette organisation. L’article du Toronto Star fait état d’écoutes électroniques réalisées par la police italienne dans lesquelles M. Bruzzese discute amicalement avec Vito Rizzuto, le dirigeant mafieux le plus puissant du Canada. Il a aussi été filmé secrètement par la police italienne, toujours selon le même article, pendant que lui‑même et de nombreuses personnes soupçonnées d’appartenir à la mafia rencontraient le chef de la ‘Ndrangheta. Il a rencontré cet homme deux fois en août 2009 pour discuter de désaccords et de conflits internes complexes opposant divers clans. Le contenu des écoutes téléphoniques figurerait dans une décision de 271 pages du juge Montoni dont le Toronto Star et Radio‑Canada ont obtenu copie.

 

[59]           Le dossier contient aussi un rapport du groupe opérationnel spécial des Carabinieri daté du 31 janvier 2012, qui expose en détail les activités de surveillance de M. Bruzzese, donne le nom de l’agent des Carabinieri qui effectuait la surveillance à telle ou à telle époque, identifie les personnes qui se trouvaient avec M. Bruzzese dans chaque cas et énumère les sanctions au criminel et au civil que le groupe opérationnel avait à l’esprit lorsqu’il effectuait la surveillance. Enfin, l’agent des Carabinieri interrogé par l’ASFC et la GRC confirme que les autorités italiennes possèdent des enregistrements qui démontrent le rôle de M. Bruzzese à des paliers supérieurs de l’organisation et fournit des renseignements précis tirés de certaines de ces conversations.

 

[60]           Le conseil du demandeur s’est aussi opposé au dépôt de cette preuve parce que l’entrevue avec l’agent de police italien, qui se trouvait sur un support CD, n’avait pas été transcrite et qu’elle soulevait des problèmes de traduction. En ce qui a trait au rapport du groupe opérationnel spécial des Carabinieri, le conseil a fait valoir qu’il ne pouvait pas être considéré comme crédible et digne de foi étant donné qu’il n’était pas signé, que son auteur n’était pas connu, que le nom d’aucune source n’était mentionné et qu’il n’était pas expliqué pourquoi il était rédigé en anglais. De plus, les rapports de police ne peuvent pas être considérés comme des éléments de preuve fiables et crédibles à moins d’être corroborés par d’autres éléments de preuve qui seraient eux‑mêmes fiables et crédibles.

 

[61]           Au risque de me répéter, je reconnais que les résultats des activités de surveillance et d’écoute électronique auraient pu être plus fiables. Même si j’admets que le ministre peut choisir la façon de plaider sa cause et les éléments de preuve qu’il fait valoir, c’est à ses propres risques qu’il prend la décision de ne pas déposer la preuve la meilleure et la plus fiable. En même temps, il est possible de s’imaginer que la transcription et la traduction de ces documents pourraient représenter un projet de grande ampleur. De plus, le demandeur ne souligne aucun problème précis relatif à la traduction et il n’a pas offert le témoignage d’un interprète indépendant et compétent de son choix pour étayer son allégation selon laquelle l’interprétation de l’entrevue avec l’agent des Carabinieri était déficiente. Le sommaire des faits établi par le groupe opérationnel spécial des Carabinieri semble être un document officiel et le nom d’un [traduction] « commandant » figure sur la première page. L’allégation selon laquelle il aurait dû être transmis en italien accompagné d’une version anglaise n’est pas du tout appuyée. À sa face même, ce document semble provenir de sources autorisées et son contenu semble être exact et valide; les commissaires de la SI pouvaient donc invoquer ce document ainsi que sur l’entrevue avec l’agent des Carabinieri comme éléments de preuve supplémentaire de l’association de M. Bruzzese à la ‘Ndrangheta.

 

[62]           Si on la considère dans son ensemble, la preuve dont disposaient les divers commissaires de la SI était suffisamment fiable et digne de foi pour justifier la conclusion, selon la prépondérance des probabilités, que M. Bruzzese était associé à une organisation criminelle. Aucun élément de preuve n’a été déposé pour réfuter les faits suivants : M. Bruzzese est visé par des accusations en Italie, un  mandat d’arrestation a été lancé contre lui, le juge Montoni a conclu qu’il jouait un rôle important dans le crime organisé et M. Bruzzese a été surpris lors d’opérations de surveillance et d’écoute électronique en train de discuter d’affaires de la ‘Ndrangheta avec d’autres membres de cette organisation. Ces conclusions sont étayées par un certain nombre de sources, dont chacune pourrait, isolément, être jugée déficiente à certains égards, mais qui, dans l’ensemble, sont plus que suffisantes, selon la norme de la décision raisonnable, pour fonder la conclusion des six commissaires de la SI à l’origine des contrôles des motifs de la détention de M. Bruzzese qu’il constitue un danger pour le public.

 

[63]           Même si j’acceptais l’argument selon lequel la jurisprudence invoquée par le conseil du demandeur, qui a pourtant été élaborée dans un contexte différent, s’applique à la disposition sur le « danger pour le public » relative à la détention et confirme la nécessité d’une évaluation individuelle, cette évaluation a été réalisée par les divers commissaires de la SI qui ont effectué le contrôle des motifs de la détention du demandeur. Non seulement ils se sont appuyés sur les problèmes judiciaires de M. Bruzzese en Italie, mais encore ils ont tenu compte des particularités de son mode de vie au Canada afin d’évaluer son profil et de décider s’il est ou non associé à une organisation criminelle.

 

[64]           Les commissaires de la SI ont souligné que le mode de vie de M. Bruzzese fait de lui une personne qui vit dans l’ombre de la société. Il reçoit périodiquement d’importantes sommes d’argent en espèces en provenance de l’Italie qui sont transportées jusqu’ici par des membres de sa famille plutôt que d’être envoyées par virement électronique ou télégraphique. Il conduit une voiture immatriculée au nom d’une autre personne, qu’il ne pouvait même pas identifier. Il prend des médicaments prescrits à une autre personne. Il a aussi été souligné que son fils avait été reconnu coupable d’association avec une organisation mafieuse et que sa fille est mariée à un homme qui serait un haut dirigeant de la ‘Ndrangheta. Même si ces facteurs ne suffisaient pas en l’absence d’éléments de preuve provenant de l’Italie pour conclure que M. Bruzzese est associé à une organisation criminelle, ils tracent le portrait d’un mode de vie qui n’est pas incompatible avec une association de cette nature.

 

[65]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que les commissaires de la SI pouvaient décider de façon raisonnable que M. Bruzzese constitue un danger pour le public au sens de l’article 55 de la LIPR et de l’alinéa 246b) du RIPR.

 

b)         Les commissaires de la SI ont‑ils commis une erreur en présumant que M. Bruzzese se soustrairait vraisemblablement au renvoi?

[66]           Le conseil du demandeur soutient que la décision de poursuivre la détention est principalement fondée sur la conclusion des commissaires de la SI selon laquelle M. Bruzzese n’a pas présenté des arguments crédibles à l’encontre des allégations formulées contre lui et n’a pas réussi à rendre crédible son affirmation qu’il respecterait les conditions de sa mise en liberté. Ni la commissaire Kohler ni les autres commissaires de la SI qui ont effectué le contrôle des motifs de la détention de M. Bruzzese n’ont tiré une conclusion générale négative quant à la crédibilité, mais ils ont quand même conclu qu’il ne se présenterait pas en vue de son renvoi s’il échouait à son enquête parce qu’il n’avait pas collaboré après avoir été interrogé au sujet de son passeport et qu’il avait menti lorsqu’il a rempli, en 2010, un formulaire en vue de l’obtention de sa carte de résident permanent. Le conseil soutient que les commissaires de la SI ont commis une erreur en formulant cette hypothèse. Non seulement les liens qu’il entretient avec sa famille et la collectivité au Canada renforceraient sa motivation à se conformer à la loi, mais l’argument selon lequel il aurait accès à des ressources qui lui permettraient d’entrer dans la clandestinité à la fin de son enquête repose entièrement sur des conjectures.

 

[67]           Je n’ai pas à décider si M. Bruzzese est un « fugitif » au sens de l’alinéa 245a) du RIPR. J’aurais tendance à être d’accord avec le commissaire Stratigopoulos, qui a estimé que la preuve est loin d’établir clairement que M. Bruzzese était au courant de l’existence d’une enquête menée à son sujet ou qu’il se serait enfui pour cette raison. Je suis loin d’être convaincu qu’une personne qui apprend après son départ l’existence d’enquêtes ou d’accusations déposées ensuite contre elle et qui refuse de retourner y répondre doit être considérée comme un fugitif. Je suis d’accord avec ma collègue la juge Mactavish selon qui la notion de « fugitif à l’égard de la justice » ne devrait pas s’appliquer uniquement aux personnes qui s’enfuient de leur pays d’origine après qu’une instance judiciaire eut été formellement introduite et elle est suffisamment large pour englober les personnes recherchées par la police dans leur pays d’origine qui étaient au courant qu’une enquête en cours pouvait les incriminer au moment où ils ont quitté le pays et qui n’ont aucunement l’intention d’y retourner de plein gré pour répondre aux accusations portées contre eux : Tursunbayev, au paragraphe 58. Cependant, en l’espèce, il n’est pas du tout établi que M. Bruzzese savait qu’il faisait l’objet d’une enquête ou qu’il était recherché par les autorités. Dans ces circonstances, j’estime que décrire M. Bruzzese comme un fugitif élargirait beaucoup trop le sens ordinaire de ce mot. Quoi qu’il en soit, aucune jurisprudence n’a été invoquée à l’appui de l’argument selon lequel le Canada s’était engagé à utiliser le processus d’expulsion pour renvoyer des personnes afin qu’elles répondent à des accusations criminelles qui ne correspondent pas à des infractions existantes dans le droit canadien.

 

[68]           Cela revient‑il à dire que les commissaires de la SI ne pouvaient pas conclure que M. Bruzzese risquait de fuir la justice? Je ne le pense pas. En effet, les facteurs énumérés aux articles 245 et 246 du RIPR qui permettent d’évaluer le risque de fuite et de danger pour le public ne sont pas exhaustifs. Ils doivent être pris en compte, mais ils n’ont pas pour objet de limiter les facteurs que la SI examine lorsqu’elle contrôle les motifs d’une détention. En l’espèce, je ne peux pas dire que la SI a effectué une inférence déraisonnable en concluant, selon la preuve au dossier, que la ‘Ndrangheta offrirait une aide presque illimitée à M. Bruzzese et rembourserait l’argent perdu par les cautions, que M. Bruzzese avait facilement accès à d’importantes sommes d’argent comptant et qu’il ferait probablement tout le nécessaire pour éviter d’être renvoyé en Italie.

 

[69]           J’estime donc que les commissaires de la SI pouvaient raisonnablement conclure que M. Bruzzese présente un risque de fuite.

 

            c)         Les commissaires de la SI ont‑ils commis une erreur en évaluant les autres facteurs?

                        ‑           Existence de solutions de rechange à la détention

[70]           Le conseil du demandeur soutient que les commissaires de la SI ont commis une erreur en estimant que toutes les garanties d’exécution et les possibilités de surveillance par GPS ne constituaient pas des solutions de rechange suffisantes pour dissiper les préoccupations en matière de danger et réduire les risques de fuite. Le demandeur soutient que les commissaires de la SI ont omis de se concentrer sur les aspects positifs comme les relations avec les membres de la famille et les sommes importantes données en garantie pour évaluer si les garanties d’exécution proposées étaient convenables et qu’ils ont omis de fournir une raison impérieuse pour justifier leur refus de suivre le commissaire Stratigopoulos de la SI qui a accepté les garanties d’exécution conjointement avec la surveillance par GPS pour atténuer les risques de fuite. Le demandeur soutient que la surveillance par GPS, combinée aux cautionnements, a été jugée acceptable dans des cas où des personnes étaient soupçonnées de terrorisme.

 

[71]           L’évaluation des garanties d’exécution relève tout à fait de la compétence et de l’expertise des commissaires de la SI. M. Bruzzese ne m’a pas convaincu que les commissaires de la SI ont commis des erreurs en évaluant si les garanties d’exécution offertes étaient convenables et si les cautionnements ou l’efficacité de la surveillance par GPS étaient suffisants.

 

[72]           La commissaire Kohler a conclu que M. Savarino, le petit‑neveu de M. Bruzzese, n’avait pas de liens suffisamment étroits avec M. Bruzzese, qu’il ne semblait pas préoccupé par la gravité des allégations des autorités canadiennes de l’immigration et des allégations des autorités italiennes relativement à des crimes commis par M. Bruzzese, et qu’il était prêt à faire n’importe quoi ou tout en son possible pour aider son oncle et la famille de son oncle. Ces éléments étaient plus que suffisants pour conclure que M. Savarino ne peut pas encadrer efficacement M. Bruzzese, et à plus forte raison qu’il n’était pas en mesure de contrebalancer le risque de danger pour le public canadien.

 

[73]           La commissaire Kohler a aussi conclu que la femme de M. Bruzzese, Mme Calabro, n’était pas en mesure d’encadrer efficacement son mari étant donné qu’elle connaissait très peu ses activités, qu’elle n’était pas informée des décisions qu’il prenait, qu’elle acceptait fort bien d’en connaître si peu, qu’elle ne savait même pas que son mari avait acheté une résidence de 600 000 $ avec son fils jusqu’à ce que le ministre le lui apprenne et qu’elle n’avait aucune idée de la situation financière de M. Bruzzese. La commissaire Kohler a conclu que Mme Calabro avait laissé M. Bruzzese contrôler la plupart des aspects de leur vie commune et qu’elle se satisfaisait de cet arrangement. Vu la situation, la commissaire Kohler pouvait raisonnablement conclure que si M. Bruzzese décidait qu’il ne voulait pas quitter le Canada, il est plus probable que le contraire qu’elle accepterait sa décision comme la meilleure dans l’intérêt supérieur de la famille.

 

[74]           En ce qui a trait à M. Giuseppe Bruzzese, le neveu du demandeur, la commissaire Kohler a conclu qu’il n’avait pas respecté ses directives de ne parler à aucune autre des cautions proposées ou à quiconque au sujet de ce qu’il avait entendu ou dit à l’audience, qu’il n’avait pas de liens étroits avec M. Bruzzese et qu’il ne s’était jamais informé des problèmes juridiques de son oncle en Italie. Dans ces circonstances, la commissaire Kohler pouvait raisonnablement inférer qu’il ne serait pas en mesure de garantir le respect par M. Bruzzese des conditions d’une ordonnance de mise en liberté.

 

[75]           Le frère de M. Bruzzese, Franco, a aussi été proposé comme caution. La commissaire Funston a souligné que, comme les autres cautions proposées, il avait peu de contacts avec M. Bruzzese, qu’il ignorait les allégations qui pesaient contre lui et que, pour ces raisons, il n’était pas en mesure de l’encadrer efficacement.

 

[76]           Dans le cadre des contrôles des motifs de détention qui ont suivi, d’autres cautions (toutes des membres de la famille) ont été suggérées et la somme totale proposée s’élève à quelque 400 000 $. Il s’agit d’un montant énorme dans la plupart des cas, mais la commissaire Del Duca a estimé, dans sa décision du 14 janvier 2014, que cette somme n’avait pas en l’espèce la signification qu’elle revêtirait habituellement. Pour tirer cette conclusion, la commissaire Del Duca s’est appuyée sur la preuve selon laquelle la ‘Ndrangheta retire d’énormes sommes de diverses activités criminelles et fournit argent, abri et respect à ses membres en fuite. La commissaire Del Duca n’a pas nié que cette famille était tissée très serré, mais elle a souligné que ses membres savent tous qu’il ne faut pas poser de questions sur les choses qui doivent rester dans l’ombre. Enfin, la commissaire Del Duca ne croyait pas que l’une des cautions ou l’ensemble d’entre elles auraient un véritable pouvoir d’encadrement sur une personne qui a des liens avec la ‘Ndrangheta, une organisation [traduction] « beaucoup plus solide que toutes ces cautions réunies » (transcription, page 12).

 

[77]           Je souscris à l’avis du défendeur qu’on ne peut reprocher aux commissaires de la SI de ne pas avoir ordonné la mise en liberté malgré les liens familiaux entre M. Bruzzese et les cautions proposées. En effet, il ne s’agit pas du critère approprié pour évaluer si une caution proposée est convenable; l’alinéa 47(2)b) du RIPR indique clairement que la personne qui fournit une garantie d’exécution « doit être capable de faire en sorte que la personne ou le groupe de personnes visé par la garantie respecte les conditions imposées ». Par conséquent, l’étroitesse des liens doit être évaluée en fonction de la capacité de la caution d’encadrer efficacement la personne visée et non seulement des réticences de cette dernière au regard des pertes financières que pourraient subir les membres de sa famille. En ce qui concerne ce critère, j’estime que l’évaluation effectuée par les divers commissaires de la SI des cautions suggérées par le demandeur était raisonnable.

 

[78]           Enfin, je suis aussi parvenu à la conclusion que les commissaires de la SI pouvaient décider de façon raisonnable que la surveillance par GPS n’était pas suffisante pour compenser les lacunes des cautions suggérées par le demandeur. Il est évident qu’un tel dispositif, combiné à la présence de cautions appropriées, peut parfois constituer une solution de rechange acceptable à la détention. Toutefois, en l’espèce, il y avait de bonnes raisons de conclure que ce système ne serait pas suffisant pour dissiper les préoccupations relatives au danger pour le public. Premièrement, M. Bruzzese n’a pas exposé aux commissaires de la SI une proposition globale dans le cadre de laquelle tout risque de fuite aurait pu être géré, comme cela avait été le cas dans l’affaire Tursunbayev. Il semble que le bracelet utilisé par l’entreprise dont les services étaient proposés pouvait être sectionné par des ciseaux ordinaires, qu’il aurait pu s’écouler six heures avant que les autorités soient informées en cas de défaillance du système et que la surveillance cesserait en cas de non‑paiement de la facture mensuelle. Et, ce qui est peut‑être encore plus important, le système aurait fourni des renseignements sur l’endroit où se trouve M. Bruzzese, mais non sur ses activités, sur les personnes auxquelles il parle et sur ses déclarations. Le GPS pourrait donc être vu comme une solution de rechange à la détention en ce qui a trait au risque de fuite, mais il ne suffirait pas à garantir que M. Bruzzese n’est pas mêlé aux activités criminelles de la ‘Ndrangheta, au Canada ou à l’étranger.

 

                        ‑           Durée de la détention

[79]           M. Bruzzese est détenu depuis près de sept mois. Peu importe les circonstances, je reconnais qu’il s’agit là, pour quiconque, d’une longue période de privation de liberté. Cependant, ayant pris connaissance attentivement du dossier, je ne suis pas disposé à conclure que ce facteur aurait dû jouer en faveur de la mise en liberté de M. Bruzzese.

 

[80]           Premièrement, rien ne tend à indiquer que le ministre a agi de mauvaise foi ou qu’il a trompé d’une façon ou d’une autre les commissaires de la SI en ce qui a trait à la durée probable de la détention de M. Bruzzese. Il s’agit de toute évidence d’une affaire complexe, car les principaux éléments de preuve ont été fournis par les autorités italiennes, avec les problèmes de traduction et d’interprétation qui en résultent. Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’une enquête ait lieu seulement quelques semaines après le renvoi par le ministre du rapport d’interdiction de territoire à la Section de l’immigration.

 

[81]           Rien ne prouve que le ministre a retardé la communication de documents, comme le laisse entendre le demandeur. À la lecture des transcriptions des nombreux contrôles des motifs de détention, il semble plutôt que le ministre ait progressivement fourni les éléments de preuve, au fur et à mesure qu’il y avait accès. En effet, le ministre ne peut pas être tenu responsable du délai inévitable qu’entraîne le processus d’obtention de documents d’un pays étranger de même que du temps qu’il faut consacrer à l’examen de leur pertinence et à leur traduction.

 

[82]           Le commissaire Young de la SI a aussi souligné que les dates d’enquête ont été fixées au 15 et au 25 avril 2014, ce qui permet d’entrevoir la fin de la période de détention de M. Bruzzese s’il n’est pas jugé interdit de territoire. Le conseil du demandeur a soutenu qu’il était peu probable que l’enquête se déroule à l’intérieur des deux journées qui ont été prévues à cette fin, mais il ne s’agit là que d’une hypothèse.

 

[83]           Eu égard à l’ensemble des facteurs énumérés à l’article 248 du RIPR, y compris le motif de la détention (c.‑à‑d. que M. Bruzzese risque non seulement de devenir un fugitif devant la justice, mais aussi de constituer un danger pour le public), les commissaires de la SI pouvaient conclure de façon raisonnable que les motifs de détention n’étaient pas atténués par ces facteurs.

 

7.         Conclusion

[84]           Vu les motifs qui précèdent, je conclus que les demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur doivent être rejetées. On ne m’a pas convaincu que les décisions rendues par les commissaires de la SI lors des contrôles des motifs de détention sont déraisonnables. Eu égard à l’importante déférence dont la Cour doit faire preuve à l’égard de ces décisions, je suis incapable de conclure que les décisions ne font pas partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 

[85]           Le conseil du demandeur a soulevé les deux questions suivantes aux fins de certification :

1. La conclusion d’un commissaire de la Section de l’immigration selon laquelle une personne est visée à l’alinéa 246b) du RIPR permet‑elle de trancher la question de savoir si une personne constitue un danger pour le public?

 

2. Le fait d’ignorer des renseignements potentiellement embarrassants au sujet d’un détenu, y compris des activités criminelles ou douteuses alléguées et l’existence de procédures judiciaires ou criminelles, permet‑il d’étayer une conclusion selon laquelle une caution suggérée n’est pas appropriée, malgré l’existence de liens familiaux par ailleurs étroits?

 

[86]           À mon avis, aucune de ces questions ne satisfait au critère décrit dans l’arrêt Zazai c Canada (MCI), 2004 CAF 89. En effet, il ne s’agit pas de questions graves de portée générale et elles ne permettraient pas de régler l’appel.

 

[87]           Il est évident que les facteurs énumérés à l’article 246 du RIPR peuvent en eux‑mêmes constituer une raison suffisante de conclure qu’une personne constitue un danger pour le public. Chacun des facteurs est un indice, du moins à première vue, qu’une personne constitue peut‑être un danger pour le public. Une fois que le ministre a fourni une preuve prima facie, il incombe à la personne détenue de présenter des éléments de preuve qui démontrent les raisons pour lesquelles elle ne serait quand même pas un danger pour le public. En l’espèce, les commissaires de la SI ont non seulement conclu que M. Bruzzese était associé à la ‘Ndrangheta, mais aussi que son mode de vie équivoque au Canada cadrait avec une telle association. M. Bruzzese a eu toutes les occasions voulues de contredire cette conclusion et il est impossible de soutenir qu’il a été considéré comme un danger pour le public par suite d’une application purement mécanique des facteurs énumérés à l’article 246 du RIPR. Quoi qu’il en soit, la question proposée n’aurait pas d’effet sur l’issue de l’appel étant donné que ma décision et les décisions des commissaires de la SI sont aussi fondées sur le risque de fuite que présente M. Bruzzese.

 

[88]           La seconde question proposée ne peut pas non plus être certifiée. Comme il a été mentionné précédemment, la décision relative au caractère approprié d’une personne suggérée comme caution repose essentiellement sur les faits de l’espèce et relève directement de la compétence et de l’expertise de la Section de l’immigration. En effet, ce type de question ne se prête pas à l’approche de type générique relative à une question de droit qui constitue l’essentiel du régime des questions certifiées.

 

[89]           Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

[90]           Les présents motifs seront déposés dans le dossier IMM‑7176‑13 ainsi que dans les dossiers IMM‑6541‑13, IMM‑8249‑13, IMM‑549‑14 et IMM‑934‑14.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE les présentes demandes de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :

IMM‑6541‑13, IMM‑7176‑13, IMM‑8249‑13, IMM‑549‑14 ET IMM‑934‑14

 

INTITULÉ :

CARMELO BRUZZESE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 10 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 7 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR Le demandeur

 

 

Martin Anderson

Melissa Mathieu

POUR Le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

 

 

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