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Date : 20140314

 

Dossier :

IMM-4388-13

 

Référence : 2014 CF 249

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2014

En présence de monsieur le juge Roy

 

ENTRE :

YILMAZ INCE

CIGDEM INCE

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

vu la demande présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) contestant une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) du 16 mai 2013 selon laquelle les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi;

 

APRÈS avoir examiné le dossier du tribunal et entendu les parties;

APRÈS avoir examiné la jurisprudence soumise par les parties;

 

[1]               La Cour rejette la demande de contrôle judiciaire pour les motifs suivants.

 

[2]               Les demandeurs, qui sont mari et femme, sont des citoyens de la Turquie appartenant à la minorité kurde et pratiquant la religion Alevi. Ils sont mariés depuis avril 2010.

 

[3]               Ils ont obtenu des visas de visiteur pour les États-Unis en janvier et en février 2012. Quelques mois plus tard, le 15 juin 2012, les demandeurs ont quitté la Turquie en direction des États-Unis et sont arrivés à New York. Quatre jours plus tard, ils sont partis de New York pour se rendre à Plattsburg, dans l’État de New York. Ils ont traversé la frontière à Lacolle (Québec), au Canada, le 22 juin 2012 et demandé l’asile quatre jours plus tard, le 26 juin 2012.

 

[4]               La SPR a conclu que la question à trancher consistait à savoir si les demandeurs avaient été persécutés en Turquie. Elle a conclu que ce n’était pas le cas. De plus, la SPR a conclu qu’il n’existait pas de chance raisonnable ni de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés s’ils devaient rentrer en Turquie. En fait, ils ne seraient pas exposés à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, ce qui représente le critère à satisfaire pour déterminer qu’une personne a qualité de personne à protéger.

 

[5]               Pour tirer cette conclusion, la SPR a examiné les éléments de preuve présentés par les demandeurs qui étaient considérés comme crédibles. En fin de compte, la SPR a estimé que la discrimination et le harcèlement dont été victimes les demandeurs n’équivalaient pas à la persécution. Pour que leur demande soit accueillie, les demandeurs doivent convaincre la Cour que la décision n’est pas raisonnable parce qu’elle n’appartient pas aux solutions acceptables et rationnelles. Comme l’a écrit la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

[47]      […] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[6]               En l’espèce, les demandeurs se plaignent d’avoir subi de la discrimination et du harcèlement en raison de leur foi religieuse et du groupe ethnique auxquels ils appartiennent. La discrimination et le harcèlement ont été décrits en termes généraux, notamment un incident qui s’est produit en 2011, lorsque l’époux aurait été détenu pendant trois jours, après avoir été arrêté avec deux amis. L’épouse a, quant à elle, renvoyé au fait que, quand elle était enfant, les autorités turques ont incendié le domicile familial, en 1994. La SPR conclut que ces faits, à eux seuls, n’équivalent pas au degré de persécution qui exige, selon elle, une violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État (Hathaway, James C., The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworths, 1991, tel que cité par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). Par conséquent, la SPR décrit au paragraphe 12 le critère en ces termes :

[12]      […] Ce qui distingue la persécution (de la discrimination ou de la discrimination qui n’est pas de la persécution) est la gravité du préjudice causé. Un autre critère qui permet d’établir l’existence de la persécution est l’infliction répétée et persistante ou systématique du préjudice. L’infliction isolée d’un préjudice peut satisfaire au critère de la répétition et de l’acharnement qui est au cœur de la persécution seulement dans des circonstances exceptionnelles.

 

Par conséquent, la SPR refuse de tirer une conclusion en faveur des demandeurs.

 

[7]               L’argumentation des demandeurs dans la présente demande repose sur leur affirmation selon laquelle la SPR n’a pas pris en compte tous les éléments de preuve produits. Nul ne conteste le fait que la SPR a analysé le critère applicable comme il se devait. Les demandeurs soutiennent plutôt que le décideur a mal interprété l’ensemble de la preuve. Ils affirment aussi que la SPR a minimisé le poids d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) accordant au père de Cigdem Ince 4 000 euros en dommages moraux pour la destruction de sa maison et n’aurait pas dû considérer l’incident comme un acte de persécution indirecte à l’égard de l’un des demandeurs.

 

[8]               En toute déférence, je conclus que la conclusion tirée par la SPR est raisonnable.

 

[9]               Il n’est pas contesté que la discrimination et le harcèlement peuvent équivaloir à de la persécution. L’effet cumulatif doit être pris en compte. Cependant, en l’espèce, il n’y a pas d’effet cumulatif équivalant à de la persécution. En fait, les demandeurs parlent de discrimination subie pendant toute leur existence malgré le fait que les deux ont fréquenté l’école, Yilmaz Ince ayant même obtenu un diplôme universitaire. Puis, Yilmaz Ince parle d’un incident spécifique qui s’est produit en 2011, et son épouse soutient que la destruction du domicile familial il y a 20 ans constituait de la persécution. Les demandeurs n’ont pas démontré que la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve produits n’équivalent pas à de la persécution n’appartient pas aux issues possibles acceptables. Le juge Simon Noël a tiré le même type de conclusion dans Smirnova c (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 347, où il a écrit aux paragraphes 24 et 25 :

[24]      En l’espèce, la SPR a tenu compte du caractère cumulatif des agressions et des injures à caractère ethnique qu’ont subies les demandeurs dans le cadre de son évaluation de la question de savoir si les traitements dont ils avaient été victimes équivalaient à de la persécution. Dans sa décision, elle évoque l’incident qui s’est produit en 1999, les divers lieux de travail de la demanderesse principale, l’incident de 2005 impliquant son superviseur et l’incident d’octobre 2008, lors duquel elle s’est querellée avec une collègue et a été battue par des nationalistes de la RNU.

 

[25]      La SPR n’a pas commis d’erreur étant donné qu’elle s’est penchée sur la question de savoir si le cumul de tous ces incidents équivalait à de la persécution, même si la crédibilité de la demanderesse principale relativement à certains de ces incidents prête flanc à la critique. En effet, elle a correctement évalué la situation des demandeurs à la lumière des concepts de discrimination et de persécution; elle a jugé que les incidents qui les ont visés constituaient de la discrimination et que le traitement qu’ils ont subi n’atteignait pas le niveau de la persécution. La conclusion tirée par la SPR fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 

 

[10]           Les incidents, si pénibles soient-ils, qui se sont produits il y a 20 ans ont une valeur probante limitée par rapport à ce que pourrait réserver l’avenir. À en croire les demandeurs, l’incendie du domicile familial il y a 20 ans serait une preuve de persécution, en soi, et vaudrait pour l’avenir. Comme on le sait, il fallait procéder à une évaluation du risque prospective, et non pas rétrospective (Ortega et al c le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 657).

 

[11]           Compte tenu de ma conclusion sur l’incendie du domicile familial, qui a eu lieu en 1994, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’examen de la notion de persécution indirecte. Qu’il suffise de dire que m’aurait satisfaite l’analyse de ma collègue la juge Cecily Strickland dans El Achkar c le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 472. Pour ce qui est de la décision de la CEDH, j’estime qu’elle n’a rien à voir en l’espèce. À mon avis, cette décision n’a aucune incidence sur l’affaire que devait trancher la SPR. Les demandeurs n’ont pas démontré que l’évaluation menée par la SPR était déraisonnable.

 

[12]           Par conséquent, la demande est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

                                                                                                                « Yvan Roy »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :

IMM-4388-13

 

INTITULÉ :

YILMAZ INCE, CIGDEM INCE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :            

                                                            Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 12 MARS 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :         

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                 LE 14 MARS 2014

 

COMPARUTIONS :

Rachel Benaroch

pour les demandeurs

 

 

Thomas Cormie

pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rachel Benaroch

Montréal (Québec)

 

pour les demandeurs

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 

 

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