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Date : 20140318


Dossier : IMM-11083-12

 

Référence : 2014 CF 262

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

QUIZHEN CHEN

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               Le ministre demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] qui a accueilli l’appel interjeté par Mme Quizhen Chen contre le refus d’un agent des visas [l’agent] de délivrer un visa à sa fille, Yingying Hong, au titre de la catégorie du regroupement familial.

[2]               L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la fille au motif que celle‑ci était exclue de la catégorie du regroupement familial parce que, dans sa demande de résidence permanente, la mère n’avait pas déclaré sa fille.

 

II.        LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[3]               La loi et le règlement pertinents sont libellés ainsi :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

 

 

[…]

 

65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

 

[…]

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

 

65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]

117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

[…]

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

 

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

III.       LE CONTEXTE

[4]               Il n’est pas contesté que la défenderesse n’a pas déclaré sa fille dans sa demande de résidence permanente. La défenderesse est devenue résidente permanente en avril 2005, soit 10 ans après la naissance de sa fille en Chine, pays dans lequel celle-ci est demeurée.

 

[5]               Le 29 décembre 2010, la fille a présenté une demande de résidente permanente fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire (les CH). La demande était parrainée par sa mère, et la fille était inscrite comme enfant à charge.

 

[6]               Au début de l’année 2012, l’agent a rejeté la demande de la fille. Le fondement de la décision comporte deux volets; la fille était exclue de la catégorie du regroupement familial en raison de l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, et il n’y avait pas suffisamment de facteurs liés aux CH dans l’affaire pour renverser l’exclusion de la fille comme membre de la catégorie du regroupement familial.

 

[7]               Dans le cadre de l’appel, la SAI a décidé que la fille n’était pas membre de la catégorie du regroupement familial (une question convenue à l’audience à la SAI). Malgré cette conclusion, la SAI a alors examiné la conclusion relative aux CH et a conclu que l’agent n’avait pas appliqué le bon critère lorsqu’il a examiné l’intérêt supérieur de l’enfant, parce qu’il n’avait pas indiqué précisément l’intérêt supérieur de l’enfant. La SAI a fait droit à l’appel.

 

[8]               En dépit de la conclusion que la fille n’était pas membre de la catégorie du regroupement familial, la SAI a conclu qu’elle était compétente, en vertu de l’alinéa 67(1)a) de la LIPR, pour décider si l’appréciation des CH faite par un agent des visas avait été effectuée de façon correcte.

 

IV.       Analyse

A.        La norme de contrôle

[9]               En ce qui concerne la conclusion de la SAI relative à la compétence, la question appartient à la catégorie de questions touchant véritablement à la compétence à laquelle la Cour suprême fait référence dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, comme étant « étroite [et qui] se présente[…] rarement ». Cette conclusion met en jeu l’interprétation d’une loi d’intérêt général, et la question de savoir si la compétence est du ressort, soit de la SAI, soit de la Cour fédérale, dans le cadre du contrôle judiciaire. La norme de contrôle s’appliquant à cette question est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sidhu, 2011 CF 1056, 397 FTR 29).

 

[10]           Il a aussi été décidé que, la question de savoir si un agent a commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué le mauvais critère commandait la norme de la décision correcte (Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739).

 

[11]           Le demandeur a soulevé la question du caractère adéquat des motifs. Dans la mesure où on considère que c’est une question pertinente, ce n’est pas une question distincte, mais plutôt une question qui fait partie de l’analyse relative à la décision raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708).

 

B.        La compétence de la SAI

[12]           Selon moi, la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a supposé qu’elle avait la compétence de trancher une question portant sur une demande au titre de la catégorie du regroupement familial fondée sur des CH.

 

[13]           La compétence de la SAI est énoncée à l’article 63. Le paragraphe 63(1) confère à la SAI la compétence d’entendre l’appel interjeté contre la décision de ne pas délivrer de visa de résidence permanente à l’étranger qui en fait la demande au titre de la catégorie du regroupement familial. Les autres motifs de compétence ont trait aux demandes présentées par des résidents permanents, des personnes protégées, ou le ministre relativement à l’enquête ou à l’obligation de résidence. Par conséquent, la SAI n’a pas la compétence d’entendre l’appel interjeté contre les décisions rejetant les demandes de résidence permanente présentées au titre de la catégorie du recoupement familial; ces décisions sont susceptibles d’autorisation et de contrôle par la Cour fédérale.

 

[14]           L’article 65 restreint la compétence de la SAI quant aux demandes de résidence permanente présentées au titre de la catégorie du regroupement familial. Les circonstances d’ordre humanitaire ne peuvent être prises en considération par la SAI que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de la catégorie du regroupement familial et que le répondant a bien qualité de « répondant » au sens que cette catégorie donne à ce terme. Si ces deux conditions ne sont pas réunies, l’article 65 exclut la compétence de la SAI à traiter de circonstances d’ordre humanitaire. Il n’y a pas d’autre fondement pour la compétence de la SAI relativement aux circonstances d’ordre humanitaire.

 

[15]           Bien que le terme « circonstances » ne soit pas défini, il s’agit logiquement de questions qui, dans une situation où il existe des CH, doivent être prises en compte. C’est un terme large qui comprend non seulement les faits ou les facteurs, mais également les faits ou le droit et le droit. Il vise à englober l’ensemble de l’analyse des CH.

 

[16]           Le paragraphe 67(1) énonce les motifs sur la base desquels la SAI peut faire droit à l’appel. L’alinéa 67(1)a) sur lequel la SAI s’est fondée pour justifier sa compétence dispose que la SAI peut faire droit à un appel lorsqu’elle est convaincue que la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait.

 

[17]           La SAI a conclu que malgré cette [traduction] « exclusion » de sa compétence, le paragraphe 67(1) lui conférait une [traduction] « inclusion » afin qu’elle puisse traiter de ces questions, du moins en droit, dans le cadre d’une décision de refus à un étranger du visa de résident permanent.

 

[18]           Humblement, je ne peux pas interpréter le paragraphe 67(1) de la même façon que la SAI. L’article 67 ne confère pas compétence à la SAI, mais il énonce plutôt la norme de contrôle. Si la SAI avait compétence pour examiner une question de droit (en l’espèce, le critère juridique applicable) sur le fondement de l’alinéa 67(1)a), elle aurait de la même façon la compétence (et la responsabilité) d’examiner les questions de fait et les questions mixtes de faits et de droit. Une telle interprétation viderait grandement l’[traduction]« exclusion » contenue à l’article 65 de son sens. Selon cette interprétation, les circonstances d’ordre humanitaire seraient exclues dans la présente affaire par application de l’article 65; cependant, toutes les questions de droit, les questions de fait, et les questions mixtes de fait et de droit seraient ramenées dans le champ de compétence de la SAI par l’alinéa 67(1)a).

 

[19]           Il y a eu des efforts donnant à penser que c’est uniquement si un enfant était concerné que la SAI aurait la compétence pour se livrer à une analyse des CH. Toutefois, ce point de vue aurait l’effet de faire d’une personne qui n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial, une personne appartenant à cette catégorie, si cette personne est un enfant.

 

[20]           L’intention du législateur à l’article 65 était de restreindre la compétence de la SAI dans les cas de circonstances d’ordre humanitaire pour les personnes qui ne sont pas membres de la catégorie du regroupement familial. Les efforts visant à nier cette restriction de compétence ne sont pas cohérents avec l’intention qui ressort de l’article 65.

L’article 67 s’applique toujours aux demandeurs qui présentent une demande au titre de la catégorie du regroupement familial. Si on accordait la compétence à la SAI pour la lui retirer par la suite et ensuite la lui redonner, cela mènerait à une complexité injustifiée relativement à la même question.

 

[21]           Une fois que la SAI décide que l’étranger n’est pas un membre de la catégorie du regroupement familial (ou le répondant n’est pas un répondant selon la définition qui en est donnée), cela met un terme à sa compétence quant à toute demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire. Le moyen d’effectuer un contrôle dans des cas comme ceux‑ci est de se tourner vers la Cour fédérale au moyen d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[22]           Une fois que la SAI a conclu que la fille de la défenderesse n’était pas membre de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d), sa compétence d’examiner la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire n’existait plus. La compétence restreinte quant aux questions d’ordre humanitaire énoncée à l’article 65 n’existait pas.

 

[23]           Les parties ont invoqué un certain nombre de décisions de la Cour qui touchaient, si elles n’en traitaient pas directement, à ces questions de compétence. Le fait que la défenderesse s’est fondée sur la décision Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 331, 214 ACWS (3d) 574, est miné par l’absence, dans cette décision, de tout débat sur la bonne interprétation de l’article 65. J’estime que le juge O’Reilly n’a pas traité de la nature et des effets de l’exclusion contenue à l’article 65.

 

[24]           Selon moi, une décision qui est la plus pertinente quant à la présente affaire est la décision rendue par le juge Shore dans Bistayan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 139, 164 ACWS (3d) 683. Sa conclusion d’absence de compétence est cohérente avec ma conclusion.

 

[25]           Par conséquent, la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle était compétente pour effectuer le contrôle de la décision de l’agent.

 

C.        L’analyse des CH

[26]           Même si j’ai commis une erreur dans la première question en litige, je conclus que l’analyse de la SAI quant à l’appréciation faite par l’agent des circonstances d’ordre humanitaire est erronée et qu’elle est déraisonnable.

 

[27]           Dans la décision Webb c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2012 CF 1060, 417 FTR 306 [Webb], le juge Mosley a tranché les questions de l’intérêt supérieur de l’enfant et des difficultés en matière de circonstances d’ordre humanitaire, et il a décidé qu’il fallait tenir compte de la réalité de la décision pour déterminer si l’intérêt supérieur avait été pris en compte, et ne pas se perdre en formules langagières (au paragraphe 11 de la décision Webb).

 

[28]           Après avoir examiné la décision de l’agent, il appert qu’il était « réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant » (aussi une formule langagière) en ce sens qu’il a traité des aspects principaux de « l’intérêt supérieur », et qu’il a rendu une décision raisonnable selon les faits de l’espèce.

 

[29]           Pour ce motif aussi, la décision de la SAI était erronée.

 

D.        Le caractère adéquat des motifs

[30]           Il n’y a rien de plus à ajouter quant à cet aspect, étant donné que le processus de raisonnement de l’agent était clair; les parties connaissaient le fondement de la décision, et celle‑ci était raisonnable, vu l’ensemble des circonstances.

 

V.        CONCLUSION

[31]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de la SAI sera annulée et la décision de l’agent des visas rétablie.

 

[32]           La défenderesse a proposé une question à certifier et le demandeur a présenté de longues observations en opposition à la certification. Le critère pour la certification a été énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 (CAF), 176 NR 4.

 

[33]           La question posée par la défenderesse traitait de dispositions et de questions qui n’étaient pas contestées, et il n’y a pas de question adéquate à certifier.

 

[34]           Bien que la question de la compétence de la SAI en vertu de l’article 65 puisse outrepasser les intérêts particuliers des parties, il ne suffit pas de statuer sur le présent contrôle judiciaire tel qu’il est présenté, en raison de la conclusion de décision correcte et de décision raisonnable en ce qui a trait aux circonstances d’ordre humanitaire.

 

[35]           Aucune question ne sera donc certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est annulée, et la décision de l’agent des visas est rétablie.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

 

IMM-11083-12

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

c

QUIZHEN CHEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)       

 

DATES DE L’AUDIENCE :          le 23 octobre 2013     

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                                         Le 18 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

David Knapp

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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