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Date : 20130317


Dossier :

T-937-13

 

Référence : 2014 CF 260

Ottawa (Ontario), le 17 mars, 2014

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

FRANÇOIS MÉNARD

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision au troisième palier du processus de grief établit en vertu de l’article 74 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement] et de l’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi]. La décision en l’espèce a été rendue le 18 mars 2013 par la sous-commissaire principale du Service correctionnel du Canada [le SCC]. Dans sa décision, la sous-commissaire a rejeté le grief du demandeur et a refusé de retirer de son dossier une mention indiquant qu’il avait été associé aux Hell’s Angels et connu comme leur médecin « spécial ».

 

[2]               Pour les raisons énoncées ci-dessous, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Le contexte factuel

 

[3]               Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après 12 ans pour meurtre au second degré ainsi qu’à une seconde peine de 17 ans d’emprisonnement à purger concurremment avec possibilité de libération conditionnelle à la moitié de sa peine pour un homicide involontaire coupable.

 

[4]               Au mois de mai 2005, après la première condamnation du demandeur, le SCC a fait les évaluations nécessaires pour produire la cote de sécurité applicable à celui-ci, laquelle était nécessaire pour le transférer dans un pénitencier approprié. Pour ce faire, le SCC a recueilli des renseignements de diverses sources, y compris la Sûreté du Québec [la SQ]. Le 25 mai 2005, le SCC a informé le demandeur par écrit qu’il avait été identifié comme une « Relation des Hell’s Angels Québec, connu comme médecin “spécial” des Hell’s Angels », dans un document intitulé « Fiche d’information identification d’un délinquant appartenant ou associé à une organisation criminelle ». Selon ladite fiche, la SQ était la source de ces informations. Plus précisément, les renseignements obtenus de la SQ indiquaient que le demandeur a été identifié comme médecin spécial des Hell’s Angels par une source sûre, qu’il a été remarqué par la SQ que le demandeur fréquentait assidûment un ou plusieurs autres membres ou associés connus des Hell’s Angels, qu’il y avait des preuves écrites, électroniques ou photographiques tangibles qui montrent ou permettent de croire que le demandeur était un membre ou associé des Hell’s Angels et qui a fait lui-même un aveu d’être membre ou associé aux Hell’s Angels.

 

[5]               Dès la réception de ce document, le demandeur a nié par écrit toute association avec les Hell’s Angels mis à part le fait d’avoir traité quelques membres de ce groupe à titre de médecin, tout comme il avait aussi traité d’autres membres de la société comme des avocats et des Chevaliers de Colomb.

 

[6]               Le 20 mai 2008, le SCC a décidé que le demandeur serait désormais considéré comme n’étant plus affilié aux Hell’s Angels. Cette décision a été communiquée au demandeur dans un document, la « Fiche d’information cessation d’appartenance ou d’association à une organisation criminelle ». Dans ladite fiche, le SCC offre les motifs suivants pour justifier la « désaffiliation » du demandeur à l’égard des Hell’s Angels :

Depuis bientôt 3 ans Ménard est dans un secteur à contact restreint, il n’habite plus dans le secteur où se trouvent en majorité les sympathisants de ce gang. Aucun contact téléphonique ou courrier entre les parties. Des vérifications au niveau de la SQ et du SPVM ont été faites et aucune information ne confirme des liens entre Ménard et les Hell’s Angels.

 

 

 

[7]               Bien qu’il ne le considérait plus comme affilié aux Hell’s Angels, le SCC a tout de même continué à faire référence à l’affiliation passée du demandeur avec ce groupe dans d’autres documents figurant dans son dossier carcéral. C’est pourquoi le demandeur s’estime toujours concerné par les enjeux soulevés dans la présente demande, et ce, même s’il n’est plus considéré comme affilié à l’organisation criminelle.

[8]               Le 23 mai 2012, le demandeur a déposé une plainte auprès de son agent de libération conditionnelle dans laquelle il demandait que son dossier carcéral soit corrigé et que la mention de son association avec les Hell’s Angels soit retirée aux endroits où elle apparaissait dans son dossier. Il demandait aussi la communication des renseignements que le SCC a obtenus de la SQ et qui avaient mené le SCC à conclure, en 2005, que le demandeur était affilié avec les Hell’s Angels.

 

[9]               Le 7 juin 2012, le demandeur a reçu une réponse à sa plainte lui indiquant que le SCC ne pouvait reculer dans le temps et modifier des documents ayant été produits selon les informations disponibles à l’époque. De plus, dans sa réponse le SCC invitait le demandeur également à communiquer directement avec la SQ pour obtenir de cette dernière l’information et les précisions voulues puisque le SCC, n’ayant « aucune autorité sur eux », n’était pas en mesure de le faire.

 

[10]           Par la suite, le demandeur a déposé un grief au premier palier de la procédure de grief établie en vertu de l’article 74 du Règlement. Le 2 août 2012, on a rejeté son grief en précisant que les renseignements concernant son affiliation avec les Hell’s Angels en 2005 n’étaient pas erronés et qu’ils ne seraient pas supprimés. De plus, la réponse indiquait que le SCC ne pouvait remettre au demandeur une déclaration d’une source sûre afin de protéger ladite source. Quant au rapport reçu de la SQ, le SCC affirme qu’il ne le détient pas à l’établissement. Pour ce qui est de son aveu, le SCC confirme qu’il n’a pas de documents à cet effet. 

 

[11]           Le demandeur a porté son grief au deuxième palier, réitérant sa position. Le 13 septembre 2012, on a de nouveau rejeté son grief, en précisant une fois de plus que le demandeur doit s’adresser à la SQ pour obtenir les renseignements le concernant, que cette information a été considérée entre le 25 mai 2005 et le 20 mai 2008 et que, s’il estime que cette information est erronée, il doit présenter à son agent de libération conditionnelle une demande de correction.

 

[12]           Le demandeur a ensuite porté son grief au troisième palier de la procédure de grief. Le 18 mars 2013, son grief est rejeté dans la décision qui est le sujet de la présente demande de contrôle judiciaire. Dans cette décision, la sous-commissaire a d’abord résumé la plainte initiale du demandeur, notant qu’il prétendait n’avoir jamais eu de relation avec les Hell’s Angels et n’avoir jamais été leur médecin « spécial ». Elle a ensuite passé en revue l’historique du dossier et a résumé les décisions antérieures rendues relativement à sa plainte ainsi que celles des premier et deuxième paliers de la procédure de grief. Par la suite, la sous-commissaire a fait référence au paragraphe 2 de la Directive du commissaire (DC) 568-3 (2008-07-11), Identification et gestion des organisations criminelles, qui reconnaît qu’une association avec une organisation criminelle pose un risque important et une menace sérieuse à la gestion et au fonctionnement sûrs, ordonnés et efficients des établissements carcéraux et est ainsi un renseignement important à recueillir. La sous-commissaire principale a réitéré que le dossier du demandeur ne soulevait pas de motifs raisonnables de croire que la validité et la fiabilité des renseignements provenant de la SQ seraient douteuses. Elle a ainsi conclu que le grief du demandeur devait être rejeté. Elle a offert d’autres raisons pour son rejet, tel le fait que le demandeur n’a pas suivi la bonne procédure pour obtenir une correction de son dossier carcéral et que son grief a été déposé de façon tardive.

 

[13]           Puisqu’une lecture des différentes réponses du SCC ne permettait pas de relever de façon précise quels renseignements figuraient dans les dossiers, l’avocat du défendeur a déposé un affidavit d’un adjoint juridique qui joignait comme pièce une lettre de M. Daniel Mélançon, le gestionnaire principal de projets au SCC pour la région du Québec. Dans sa lettre, M. Mélançon confirmait que le SCC ne possédait actuellement pas de rapport de la SQ concernant l’affiliation criminelle du demandeur. Ainsi, même si de tels documents existaient, ils ne seraient plus en la possession du SCC. Il semble donc que les seuls documents que le SCC possède à l’heure actuelle, relativement à l’affiliation criminelle passée du demandeur, se limitent aux fiches, déjà communiquées au demandeur, dans lesquelles le SCC a résumé les renseignements fournis par la SQ.

 

Questions en litige et la norme de contrôle

 

[14]           Deux questions en litige ont été élaborées par les parties dans leurs mémoires et dans les plaidoiries orales de leurs procureurs, soit :

1.         Le SCC a-t-il l’obligation de fournir au demandeur les informations provenant de la SQ concernant l’association de celui-ci aux Hell’s Angels?

2.         Est-ce que la sous-commissaire du SCC a erré en refusant de retirer du dossier carcéral du demandeur la mention concernant son affiliation avec les Hell’s Angels, laquelle a été communiquée au demandeur dans la « Fiche d’information identification d’un délinquant appartenant ou associé à une organisation criminelle », datée du 28 mai 2005?

 

[15]           Ces deux questions sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. À cet égard, dans l’affaire Tehrankari c Le Procureur général du Canada, 2012 CF 332 [Tehrankari], mon collègue le juge Mosley a conclu, au para 22, que « la norme de contrôle applicable à l’interprétation de la [la Loi est] la norme de la décision correcte et que la norme serait celle de la décision raisonnable en ce qui concerne l’application de la Loi aux faits ou la décision dans son ensemble ». Dans Scarcella c Canada (Procureur général), 2009 FC 1272 [Scarcella] au paragraphe 14, la juge Snider a aussi appliqué la norme de la décision raisonnable à un contrôle judiciaire concernant la fiabilité des renseignements invoqués par le SCC lors de l’identification d’un délinquant appartenant ou associé à une organisation criminelle. Dans le même ordre d’idées, ma collègue la juge Gagné, dans Nagy c Canada (Procureur général), 2013 CF 137 [Nagy], a aussi appliqué la norme de la décision raisonnable dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire mettant en question le bien-fondé d’une décision rendue par le SCC à la suite du grief d’un détenu contestant l’assignation de sa cote de sécurité. Dans cette affaire, comme dans la présente, le demandeur prétendait que la décision du SCC se fondait sur des renseignements erronés.

 

[16]           Une cour appelée à appliquer la norme de la décision raisonnable doit faire preuve de retenue et s’en tenir principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir à cet effet Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraph 47 ; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 ; et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61).

 

Les positions des parties

 

 

[17]           Le demandeur fait valoir que la décision de la sous-commissaire est déraisonnable parce que le SCC n’aurait pas pu conclure que le demandeur est affilié aux Hell’s Angels s’il n’avait pas reçu un rapport de la SQ en ce sens, qui énonçait les divers renseignements que le SCC a résumés dans certains documents figurant dans son dossier carcéral, notamment la Fiche d’information identification d’un délinquant appartenant ou associé à une organisation qui a été remplie immédiatement après son incarcération. À ce sujet, le demandeur s’appuie sur les articles 23 et 27 de la Loi qui exigent du SCC qu’il recueille des renseignements fiables concernant la peine ou l’emprisonnement des détenus et qu’il les communique à ceux-ci. 

 

[18]           Les dispositions pertinentes des articles 23 et 27 de la Loi se lisent :

Renseignements

 

Obtention de renseignements

 

23. (1) Le Service doit, dans les meilleurs délais après la condamnation ou le transfèrement d’une personne au pénitencier, prendre toutes mesures possibles pour obtenir :

 

a) les renseignements pertinents concernant l’infraction en cause;

 

b) les renseignements personnels pertinents, notamment les antécédents sociaux, économiques et criminels, y compris comme jeune contrevenant;

 

c) les motifs donnés par le tribunal ayant prononcé la condamnation, infligé la peine ou ordonné la détention — ou par le tribunal d’appel — en ce qui touche la peine ou la détention, ainsi que les recommandations afférentes en l’espèce;

 

d) les rapports remis au tribunal concernant la condamnation, la peine ou l’incarcération;

 

e) tous autres renseignements concernant l’exécution de la peine ou de la détention, notamment les renseignements obtenus de la victime, la déclaration de la victime quant aux conséquences de l’infraction et la transcription des observations du juge qui a prononcé la peine relativement à l’admissibilité à la libération conditionnelle.

 

Accès du délinquant aux renseignements

 

(2) Le délinquant qui demande par écrit que les renseignements visés au paragraphe (1) lui soient communiqués a accès, conformément au règlement, aux renseignements qui, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l’accès à l’information, lui seraient communiqués.

 

Communication de renseignements au délinquant

 

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

 

Idem

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

 

Exception

 

(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

 

Information

 

Service to obtain certain information about offender

 

23. (1) When a person is sentenced, committed or transferred to penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to obtain, as soon as is practicable,

 

(a) relevant information about the offence;

 

(b) relevant information about the person’s personal history, including the person’s social, economic, criminal and young-offender history;

 

(c) any reasons and recommendations relating to the sentencing or committal that are given or made by

 

(i) the court that convicts, sentences or commits the person, and

 

(ii) any court that hears an appeal from the conviction, sentence or committal;

 

(d) any reports relevant to the conviction, sentence or committal that are submitted to a court mentioned in subparagraph (c)(i) or (ii); and

(e) any other information relevant to administering the sentence or committal, including existing information from the victim, the victim impact statement and the transcript of any comments made by the sentencing judge regarding parole eligibility.

 

Access by offender

 

 

(2) Where access to the information obtained by the Service pursuant to subsection (1) is requested by the offender in writing, the offender shall be provided with access in the prescribed manner to such information as would be disclosed under the Privacy Act and the Access to Information Act.

 

Information to be given to offenders

 

27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

Idem

 

(2) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to be given reasons for a decision taken by the Service about the offender, the person or body that takes the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, forthwith after the decision is taken, all the information that was considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

Exceptions

 

(3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

 

(a) the safety of any person,

 

(b) the security of a penitentiary, or

 

(c) the conduct of any lawful investigation, the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

[19]           Le demandeur fait valoir que si le SCC n’a pas pu obtenir ou conserver le rapport de la SQ concernant ses prétendus antécédents criminels, la Cour devrait lui ordonner d’obtenir ces renseignements pertinents auprès de la SQ, en vertu du paragraphe 23(1) de la Loi et de les lui communiquer au titre des articles 23(2) ou 27(1) et (2) de la Loi.

 

[20]           Inversement, si le SCC n’obtient pas ces renseignements, le demandeur prétend que toutes les mentions de sa prétendue affiliation avec les Hell’s Angels devraient être retirées de son dossier carcéral puisqu’il n’existe pas de fondement factuel pour les justifier. Il ajoute que le refus de la sous-commissaire d’agir ainsi est déraisonnable.

 

[21]           Le demandeur invoque les décisions May c Établissement Ferndale, [2005] 3 RCS 809 et Demaria c Comité de classement des détenus, [1986] ACF no 493 A-185-86 pour justifier son droit à ces renseignements. Dans ces décisions, on a ordonné au SCC de communiquer les renseignements consultés dans le cadre de processus décisionnels liés aux cotes de sécurité des détenus.

 

[22]           Pour sa part, le défendeur fait valoir que la demande devrait être rejetée puisque rien n’oblige le SCC à recueillir des renseignements pour appuyer les mentions figurant dans les dossiers carcéraux. À cet égard, le défendeur s’appuie sur la décision Tehrankari, dans laquelle le juge Mosley a conclu à l’absence d’une telle obligation pour le SCC. De plus, le défendeur fait valoir que le simple fait que les fiches du SCC ne contiennent pas un rapport détaillé provenant de la SQ ne signifie pas pour autant que les conclusions, quant à l’affiliation passée du demandeur, doivent être retirées de son dossier. Il fait appel à cet égard aux décisions Tehrankari et Scarcella, dans lesquelles il a été décidé que des conclusions s’appuyant sur des renseignements obtenus d’organismes chargés de l’application de la Loi suffisent pour fonder des décisions carcérales du SCC.

 

Analyse

[23]           Tout d’abord, en ce qui concerne la prétention du demandeur selon laquelle le SCC est tenu d’obtenir un rapport de la SQ concernant son affiliation passée avec les Hell’s Angels, je partage l’opinion du défendeur : comme l’a confirmé la décision Tehrankari, une telle obligation n’existe pas. Dans cette affaire, le dossier carcéral de M. Tehrankari, maintenu par le SCC, contenait le résumé de 76 incidents d’inconduite en établissement dont il a été accusé lors de sa détention au Centre de détention d’Ottawa-Carleton. M. Tehrankari a fait valoir que le SCC avait l’obligation d’obtenir ces renseignements auprès de la police d’Ottawa et du Centre de détention d’Ottawa-Carleton afin qu’il puisse contester les allégations d’inconduite qu’il considérait erronées. Le juge Mosley a conclu autrement, indiquant ce qui suit au para 35 :

Monsieur Tehrankari a raison d’affirmer que le paragraphe 24(1) de [la Loi] oblige le SCC à « veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets ». Toutefois, cela ne veut pas dire que le SCC doit à nouveau faire enquête sur des renseignements obtenus de sources fiables, comme les ministères provinciaux, les services de police et les tribunaux. Le Manuel sur le règlement des plaintes et des griefs des délinquants indique que les affaires de compétence provinciale, les affaires relatives à des condamnations et à des peines infligées par les tribunaux, les affaires relatives à l’administration de la justice, y compris les tribunaux et les services de police, et les affaires relatives au traitement par des organismes autres que le SCC ne peuvent faire l’objet d’un grief dans le cadre du processus de règlements des griefs au niveau des établissements.

 

 

[24]           La conclusion du juge Mosley s’applique en l’espèce. Le SCC n’a pas à recueillir de renseignements auprès de la SQ pour appuyer les mentions qu’il fait dans ses fiches au sujet de l’information provenant de la SQ et portant sur l’affiliation du demandeur aux Hell’s Angels. En outre, considérant que le SCC a déjà fourni au demandeur tous les renseignements dont il dispose, comme l’indique la lettre de M. Mélançon, il n’y a aucune raison pour la Cour d’ordonner au SCC d’en produire davantage. 

 

[25]           Pour ce qui est de sa deuxième prétention, soit que le refus de la sous-commissaire de retirer les renseignements de son dossier carcéral est déraisonnable, le demandeur n’a fourni aucune preuve au-delà d’une négation systématique de son affiliation avec les Hell’s Angels. D’ailleurs, il a reconnu avoir traité plusieurs membres des Hell’s Angels au cours de sa carrière de médecin. Conséquemment, la décision de la sous-commissaire de rejeter son grief n’est pas déraisonnable, car le demandeur n’a présenté aucune preuve pour remettre en question la véracité des renseignements reçus de la SQ, qui ont effectivement été confirmés par certains éléments de preuve déposés lors de son procès et qui ont été résumés dans certains des rapports du SCC que le demandeur a déposés comme pièces jointes à son affidavit. Vu le manque de preuve fournie par le demandeur et son admission d’avoir été le médecin traitant de plusieurs membres des Hell’s Angels, il n’est pas déraisonnable de conclure, comme la sous-commissaire l’a fait, que la mention de l’association antérieure du demandeur avec les Hell’s Angels ne devrait pas être retirée de son dossier carcéral. En somme, cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[26]           À cet égard, la situation est semblable à l’affaire Scarcella, où la juge Snider a noté ce qui suit, au paragraphe 23 :

The problem with Mr. Scarcella’s position is that there is no evidence that any further information was available or that the information considered was somehow erroneous. Mr. Scarcella could have adduced further evidence to show that, while he may have been associated or involved with a criminal organization, that was no longer the case. He did not do so. Given the nature of the information and the fact that nothing new was brought forward by Mr. Scarcella, I am satisfied that the SDC was entitled to rely on information before it as “accurate, up to date and complete”. There was, on these facts, no obligation on the Service to go so far as to ask the police to re-investigate its initial opinions, or to conduct investigations on its own.

 

 

[27]           Cette demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée parce que le SCC n’a aucune obligation à chercher des renseignements ou documents supplémentaires de la SQ et la décision voulant qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que la validité et la fiabilité des renseignements provenant de la SQ seraient douteuses est raisonnable.

 

[28]           Cependant, je note, comme l’a reconnu le procureur du défendeur, qu’il demeure loisible au demandeur de prétendre, considérant le manque d’éléments de preuve à l’appui, que peu de valeur probante devrait être accordée à la conclusion selon laquelle il était à une certaine époque affilié aux Hell’s Angels si le SCC ou toute autre organisation tente de s’appuyer sur son dossier carcéral pour établir ce fait. En effet, une décision de la part du SCC ou d’autres organisations qui s’appuierait uniquement sur les renseignements du dossier carcéral du demandeur, pour établir cette association antérieure, pourrait bien être déraisonnable, comme ma collègue la juge Gagné l’a conclu dans des circonstances somme toute similaires dans l’affaire Nagy.

 

[29]           Exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je ne fais aucune adjudication quant aux dépens puisque la présente demande semble être, en partie, le résultat des réponses ambiguës du SCC aux différents paliers de la procédure de grief. En effet, cette ambiguïté a forcé l’avocat du défendeur à rechercher et à déposer la lettre de M. Mélançon pour confirmer quels renseignements provenant de la SQ le SCC avait effectivement en sa possession au sujet de la prétendue affiliation passée du demandeur avec les Hell’s Angels.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 mars 2013 par la sous-commissaire principale du Service correctionnel du Canada est rejetée. Le tout sans dépens.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            T-937-13

 

INTITULÉ :

FRANCOIS MENARD c LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 26 février, 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 17 mars, 2014

 

COMPARUTIONS :

Maxime Hébert-Lafontaine

 

Pour le demandeur

 

Nicholas Banks

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maxime Hébert-Lafontaine

Latour Lafontaine Blouin & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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