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Date : 20140310


Dossier : T‑441‑13

 

Référence : 2014 CF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2014

En présence de Mme la juge Kane

 

 

ENTRE :

HAROLD COOMBS, JOAN COOMBS

ET PERCY G. MOSSOP

 

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La Cour est saisie de l’appel de l’ordonnance, datée du 2 juillet 2013, par laquelle le protonotaire Aalto a radié l’avis de demande des demandeurs sans permission de la modifier, au motif que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie. Les demandeurs cherchent maintenant à faire annuler l’ordonnance et demandent à la Cour de procéder à un examen de novo de l’affaire. Le défendeur est d’accord pour dire que l’appel devrait être considéré comme ayant été introduit en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales.

 

[2]               Ainsi que le protonotaire l’a fait observer dans sa décision, les questions qui ont été soulevées par les demandeurs et qui font suite à une perquisition au cours de laquelle certains documents ont été saisis au 660, avenue Eglinton Est, par l’Agence du Revenu du Canada (l’ARC) ont déjà fait l’objet de cinq instances différentes qui se sont toutes soldées par un rejet.

 

[3]               Le défendeur signale qu’avec d’autres personnes, Harold Coombs a jusqu’ici introduit en tout 14 demandes et deux actions contre divers entités et organismes du gouvernement fédéral.

 

[4]               Le 12 mars 2013, les demandeurs ont, dans le dossier T‑441‑13, sollicité un jugement visant à faire déclarer illégales, en vertu des articles 8 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, la perquisition et la saisie dont ils avaient fait l’objet.

 

[5]               Le 21 octobre 2013, Harold Coombs et Joan Coombs ont saisi la Cour d’une demande (T‑1744‑13) visant à obtenir notamment une réparation pour la violation alléguée des articles 8 et 15 de la Charte et de l’article 231 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Dans le dossier T‑1744‑13, les demandeurs réclament également la restitution des documents saisis par l’ARC. Aux termes de l’ordonnance prononcée le 27 novembre 2013 par le juge Hughes, la demande T‑1744‑13 a été réunie à la demande T‑441‑13. Le défendeur a présenté une requête en vue de faire radier la demande T‑1744‑13.

 

[6]               Bien que les actions aient été réunies, une ordonnance distincte a été rendue relativement au dossier T‑1744‑13 et à d’autres demandes récentes connexes entendus ensemble le 24 février 2013.

 

[7]               Dans l’instance T‑1725‑13, introduite le 18 octobre 2013, Harold Coombs et Joan Coombs cherchent à faire annuler la décision par laquelle la Direction générale des appels de l’ARC a confirmé la nouvelle cotisation établie pour les années d’imposition comprise entre 2001 et 2007 relativement à Select Travel Inc, une société dont Harold Coombs et Joan Coombs sont les actionnaires majoritaires.

 

[8]               Dans l’instance T‑1834‑13, introduite le 7 novembre 2013, Oleg Volochkov, Anne Volochkov, John F Coombs et Harold Coombs cherchent à faire annuler une décision par laquelle la Direction générale des appels de l’ARC a confirmé la nouvelle cotisation établie pour certaines années d’imposition comprises entre 1997 et 2008 des particuliers en question et de Sun Air Travel Inc., une société dont Harold Coombs est le président, l’unique administrateur et un des actionnaires.

 

[9]               Aux termes de la directive donnée le 13 février 2014, le protonotaire Aalto a réuni les demandes T‑1725‑13 et T‑1834‑13 et a ordonné qu’elles soient entendues en même temps que la demande T‑441‑13. Les demandeurs affirment que les dossiers T‑1725‑13 et T‑1834‑13 ne sont pas simplement des demandes visant à faire annuler les décisions rendues par la Direction générale des appels de l’ARC, mais qu’elles visent à obtenir une réparation au titre de la Charte. Le défendeur a également présenté une requête visant à faire radier ces demandes.

 

[10]           Toutes les demandes en question découlent de la même série de faits, dont les détails ont déjà été exposés dans diverses ordonnances prononcées par la présente cour et par la Cour canadienne de l’impôt (la CCI).

 

[11]           Le contexte qui suit résume l’objet du présent appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision du protonotaire Aalto.

 

Le contexte

[12]           L’ARC a dépêché une équipe chargée de mener une perquisition au 660, avenue Eglinton Est, à Toronto, le 20 septembre 2006, conformément à un mandat de perquisition décerné en vertu du Code criminel par la Cour de justice de l’Ontario le 14 septembre 2006 (le mandat de perquisition). Les demandeurs allèguent, le défendeur a reconnu et la CCI a déjà conclu que le nom d’un des membres de l’équipe qui a exécuté le mandat de perquisition, John Legros, ne figurait pas sur le mandat de perquisition. John Legros a aidé à l’exécution de la perquisition et de la saisie en transportant des boîtes. Les demandeurs allèguent que M. Legros a saisi des documents qui ne figuraient pas dans l’inventaire des documents fournis par l’ARC. L’ARC a remis aux demandeurs un inventaire détaillé. Les demandeurs allèguent que les documents, qui, selon ce qu’ils prétendent, ne se trouvent plus dans leurs bureaux, ne sont pas mentionnés dans l’inventaire de l’ARC, que ces documents doivent avoir été pris par M. John Legros et qu’il s’agit par conséquent d’une saisie illégale. L’auteure de l’affidavit de l’ARC, Lynn Watson, qui était l’enquêtrice principale chargée de la perquisition des locaux des demandeurs, a attesté que tous les documents saisis avaient été transportés dans les bureaux de l’ARC et qu’ils figuraient tous dans l’inventaire.

[13]           En ce qui concerne le mandat de perquisition, il y a lieu de signaler que, le 16 avril 2007, Harold Coombs a introduit une demande (T‑742‑07) cherchant à faire annuler par la présente cour le mandat de perquisition et de récupérer tous les documents et biens qui avaient été saisis au 660, avenue Eglinton Est. Le 18 juin 2007, le protonotaire Aalto a radié la demande T‑742‑07, au motif que la Cour n’avait pas compétence pour annuler le mandat de perquisition ou pour ordonner la restitution des pièces et documents saisis aux termes de celui‑ci.

 

[14]           Le ou vers le 30 mars 2009, le juge Gans de la Cour supérieure de justice a prononcé une ordonnance enjoignant à l’ARC de retenir les documents saisis [traduction] « jusqu’à l’expiration de tout délai d’appel relatif à toute instance introduite devant une juridiction fiscale civile ». Le 10 octobre 2013, l’ARC a adressé à Harold Coombs une lettre l’informant qu’elle s’apprêtait à demander à la Cour supérieure de justice une ordonnance de restitution des documents saisis. Cette lettre comprend un inventaire des documents saisis ainsi que le nom de la personne ayant saisi chaque article.

 

[15]           À l’audience du 24 février 2014, relativement aux dossiers T‑ 441‑13, T‑1744‑13, T‑1725‑13 et T‑1834‑13, M. Coombs a reconnu que l’ARC avait effectivement fait des efforts pour que les documents lui soient restitués en introduisant les instances judiciaires appropriées. Il a toutefois ajouté qu’il ne récupérerait que les documents mentionnés dans l’inventaire de l’ARC, et non ceux qui, selon ce qu’il affirme, sont manquants et que, par conséquent, il n’était pas intéressé à ce que les documents figurant dans l’inventaire lui soient restitués.

 

[16]           Le 12 mars 2013, les demandeurs ont introduit l’instance T‑441‑13, qui fait l’objet du présent appel, dans laquelle ils sollicitent l’annulation [traduction] « de la perquisition et de la saisie illégales » menées le 20 septembre 2006, au motif que John Gargos, qui n’était pas nommé dans le mandat de perquisition, avait saisi des documents ce jour‑là. Les demandeurs allèguent que la perquisition viole les droits que leur reconnaissent les articles 8 et 15 de la Charte canadienne et que le tribunal devrait leur accorder une réparation au titre de l’article 24 de la Charte. Les demandeurs demandent aussi à la présente cour qu’elle ordonne que les appels soient entendus sur preuve commune.

 

[17]           Le 18 juin 2013, le défendeur a présenté une requête en vue de faire radier la demande T‑441‑13. Le 2 juillet 2013, le protonotaire Aalto a radié la demande T‑441‑13, au motif que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie, qu’elle constituait un abus de procédure et qu’elle était futile et vexatoire.

 

La décision – l’ordonnance du protonotaire Aalto

[18]           Voici comment le protonotaire résume les réparations sollicitées :

[traduction]

La présente demande cherche à obtenir un jugement déclaratoire à la suite d’une perquisition et d’une saisie prétendues illégales qui ont été menées par des représentants de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) qui, selon ce qu’allèguent les demandeurs, constituaient un déni de justice fondamentale lors de l’audience tenue par la Cour canadienne de l’impôt (la CCI) en 2008. Plus précisément, les demandeurs allèguent que les appels entendus par la CCI dans les dossiers 2005‑3602 (IT), 2005‑3623 (IT) et 2005‑4191 (IT) constituaient une violation de la Charte des droits et libertés (la Charte).

 

[19]           Le protonotaire a résumé l’argumentation des demandeurs, qui est identique aux arguments et à la thèse formulés à l’audience du 24 février 2014. Cette argumentation est la suivante : la perquisition était illégale, parce qu’une personne qui n’était pas nommée dans le mandat a participé à la perquisition et que des documents qui ont depuis disparu ne figurent pas dans l’inventaire fourni par l’ARC; la seule conclusion possible est donc que des documents qui ne figurent pas dans l’inventaire ont été pris par John Gagros, la personne qui n’était pas nommée. Le protonotaire a signalé que les demandeurs avaient porté plainte à l’ARC.

 

[20]           Le protonotaire a cité la décision rendue par la CCI dans l’affaire Coombs c La Reine, 2008 CCI 289, 2008 DTC 4004, au paragraphe 104 (Coombs CCI) :

[104]  Durant cette audience, le juge Bowie a indiqué qu’il existait des procédures judiciaires permettant aux appelants dont les appels étaient alors régis par la procédure générale d’obtenir des documents. L’avocate de la Couronne a aussi mentionné que le Code criminel permettait d’obtenir des documents. Les appelants avaient amplement de temps pour régler cette question avant le procès, et ils ont choisi de ne pas le faire.

 

[21]           Le protonotaire a également fait observer que la décision de la CCI avait été portée en appel et que la Cour d’appel avait cité et approuvé le passage précité avant de rejeter l’appel pour cause de retard (Coombs c Canada (Procureur général), 2009 CAF 74, 387 NR 361, au paragraphe 10 (Coombs CAF)).

 

[22]           Le protonotaire a examiné l’argument des demandeurs suivant lequel la présente demande était différente, étant donné que le paragraphe 24(1) de la Charte y était invoqué. Le protonotaire a toutefois conclu que cet argument était vain, parce que le bien‑fondé du mandat de perquisition et de son exécution avait déjà été tranché par la Cour dans des instances antérieures, tandis que le paragraphe 24(1) de la Charte est une disposition réparatrice qui n’entre en jeu que s’il y a eu violation de droits garantis par la Charte.

 

[23]           Le protonotaire a fait remarquer que la prétention des demandeurs équivalait en fait à une attaque indirecte de la décision rendue en 2008 par la CCI, ce qui déborde le cadre de la compétence de la présente cour. Le protonotaire a conclu que la demande en l’espèce n’avait aucune chance d’être accueillie, qu’elle était vexatoire et futile et qu’elle équivalait à un abus de procédure :

[traduction]

M. Coombs affirme que la présente affaire est différente, étant donné que le paragraphe 24(1) de la Charte est invoqué et que les deux autres demandeurs n’étaient pas partie aux demandes antérieures. Le paragraphe 24(1) de la Charte n’est d’aucune utilité pour les demandeurs. Cette disposition porte sur les réparations qui peuvent être accordées en cas de violation de droits garantis par la Charte. La question du bien‑fondé des mandats de perquisition et de leur exécution a déjà été tranchée par la Cour dans d’autres instances. La présente demande est simplement une variation sur un thème bien connu.

 

Une partie de la réparation sollicitée dans l’avis de demande constitue en fait une attaque indirecte de la décision de 2008 de la CCI. Or, cette décision a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, qui l’a rejetée. La présente cour n’a pas compétence pour examiner la décision en question de la CCI. Les questions portant sur les mandats de perquisition ont déjà été examinées, et le présent avis de demande constitue un abus de procédure et un recours futile et vexatoire. La demande doit être rejetée. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai examiné attentivement le dossier de requête des demandeurs ainsi que leurs arguments écrits. Ils ne sont cependant pas convaincants. Ainsi que le défendeur l’a souligné dans ses observations écrites, il existe de nombreux précédents qui confirment la raison pour laquelle la présente demande n’a aucune chance d’être accueillie et doit être rejetée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

La thèse des demandeurs

[24]           Les demandeurs affirment que l’ordonnance par laquelle leur demande de contrôle judiciaire a été radiée devrait être annulée, parce qu’elle concernait des questions qui revêtaient une importance cruciale quant à l’issue de l’affaire et qu’elle était fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits (Canada c Aqua‑Gem Investments Ltd, [1993] 2 CF 425, [1993] ACF no 103 (CAF) (Aqua‑Gem)).

 

[25]           Les demandeurs affirment que le protonotaire a commis une erreur de droit et qu’il n’a pas tenu compte du fait que le libellé du paragraphe 24(1) est suffisamment large pour englober des dommages-intérêts pour violation de leurs droits (Vancouver (Ville) v Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 RCS 28 (Ward)). Les demandeurs affirment donc que le protonotaire a commis une erreur en concluant que le paragraphe 24(1) de la Charte ne s’appliquait pas. Les demandeurs affirment également que la CCI n’a pas compétence pour accorder la réparation sollicitée dans la présente demande et que, par conséquent, la Cour fédérale devrait se déclarer compétente à cet égard.

 

[26]           Les demandeurs affirment également que le protonotaire a outrepassé la compétence que lui confère l’alinéa 50(1)f) des Règles des Cours fédérales en tranchant des questions qui ont trait à l’article 7 de la Charte et portent sur leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne. Les demandeurs affirment que leurs allégations et les éléments de preuve qu’ils ont présentés démontrent de façon évidente que leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne était compromis. Bien que les demandeurs reconnaissent que leur liberté ne soit plus en danger, étant donné qu’aucune procédure criminelle n’a été engagée, ils soutiennent que leur liberté a été compromise en raison de l’incertitude créée par l’éventualité qu’il y ait des poursuites criminelles et du temps qui s’est écoulé avant qu’ils reçoivent des renseignements au sujet des personnes ayant participé à la perquisition.

 

[27]           Les demandeurs affirment également que le protonotaire a commis une erreur de droit en se fondant sur l’affidavit de Maria Vojnovic, parce qu’aucun élément de preuve ne doit être présenté à l’appui d’une requête en radiation d’un avis de demande (Jodhan c Canada (Procureur général), 2008 CF 781, 330 FTR 226, au paragraphe 16).

 

[28]           Les demandeurs affirment que l’on ne doit recourir à une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, étant donné que la justice est mieux servie si l’on permet au juge chargé d’instruire la demande de traiter de toutes les questions qui sont soulevées, et ce, compte tenu du fait que l’instruction d’une demande de contrôle judiciaire se déroule à peu près de la même façon qu’une requête en radiation d’un avis de demande, c’est‑à‑dire, en ce sens que la preuve se fait au moyen d’affidavit et que l’argumentation est présentée devant un juge (Eidsvik c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2011 CF 940, [2011] ACF no 1165, aux paragraphes 24 et 25, citant l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588, [1994] ACF no 1629 (CAF) (David Bull); Amnesty International Canada c Canada (Procureur général), 2007 CF 1147, 320 FTR 236 (Amnisty). Les demandeurs affirment qu’il n’existe en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait de radier leur demande à cette étape‑ci.

 

La thèse du défendeur

[29]           En réponse à l’argument du demandeur suivant lequel le protonotaire a outrepassé sa compétence en rendant une ordonnance « concernant la mise en liberté ou l’incarcération d’une personne » contrairement à l’alinéa 50(1)f) des Règles des Cours fédérales, le défendeur affirme que la requête des demandeurs ne tombe sous le coup d’aucune des exceptions énumérées au paragraphe 50(1) des Règles. Par conséquent, le protonotaire Aalto a agi dans les limites de sa compétence en rendant l’ordonnance radiant la demande.

 

[30]           Le défendeur affirme également que rien ne permet d’annuler ou de modifier l’ordonnance du protonotaire au titre de l’article 399 des Règles, qui permet à une partie de présenter une requête en vue de faire annuler ou modifier une ordonnance rendue sur requête ex parte. Dans le cas qui nous occupe, le défendeur signale que la requête a été jugée sur dossier et que les deux parties ont déposé des pièces.

 

[31]           Malgré le fait que les demandeurs n’ont pas cité la bonne disposition des Règles, le défendeur convient que c’est l’article 51 des Règles qui doit être invoqué pour interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire.

 

[32]           Le défendeur affirme que le protonotaire n’a pas fondé sa décision sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. Le défendeur soutient que le protonotaire a estimé à bon droit que les demandeurs cherchaient en réalité à obtenir un jugement déclarant qu’ils avaient été victimes d’un déni de justice naturelle de la part de la CCI, ce qui revient à attaquer indirectement les conclusions de la CCI qui ont été confirmées par la Cour d’appel. Le défendeur affirme également que le paragraphe 24(1) de la Charte ne s’applique pas en l’espèce, étant donné que le bien‑fondé du mandat de perquisition et de son exécution a déjà été jugé dans des instances judiciaires antérieures.

 

[33]           Le défendeur affirme que le protonotaire a compétence pour radier une demande de contrôle judiciaire, dès lors que cette demande n’a de toute évidence « aucune chance d’être accueillie » (David Bull, précité, au paragraphe 15).

 

[34]           Le défendeur signale que la présente cour a déjà radié cinq demandes présentées par Harold Coombs pour défaut de compétence.

 

Les questions en litige

[35]           Les questions en litige en l’espèce sont celle de savoir si la décision du protonotaire Aalto devrait être annulée, au motif qu’il n’a pas appliqué le bon critère juridique pour décider s’il y avait lieu de radier la demande de contrôle judiciaire des demandeurs, et, si la décision est annulée, celle de savoir si, dans le cadre d’un examen de novo, la Cour devrait rejeter la requête en radiation du défendeur et ordonner l’instruction de la demande sur le fond.

 

La norme de contrôle de la décision du protonotaire

[36]           Dans Apotex Inc c Eli Lilly Canada Inc, 2013 CAF 45, 444 NR 103, au paragraphe 4, la Cour d’appel a confirmé la norme de contrôle antérieurement établie dans l’arrêt Canada c Aqua‑Gem Investments Ltd, [1993] 2 CF 425, [1993] ACF no 103 (CAF), et reprise au paragraphe 19 de l’arrêt Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459 (autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2004] SCCA no 80) :

Il est bien établi en droit qu’un juge siégeant en appel ne doit pas modifier l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire, sauf si :

 

a)         l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits;

 

b)         le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond.

 

(Z. I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18, qui renvoie à l’arrêt Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), aux pages 462 et 463.)

 

[37]           Les demandeurs affirment que les questions en litige ont une influence déterminante sur la décision finale quand au fond et que l’ordonnance du protonotaire était erronée.

 

Le protonotaire n’a pas commis d’erreur

[38]           Je me suis penchée sur la question de savoir si l’ordonnance du protonotaire Aalto était entachée d’une erreur flagrante, c’est‑à‑dire s’il avait exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[39]           Le protonotaire Aalto a bien examiné et saisi les arguments des demandeurs ainsi que la prémisse sur laquelle les demandeurs se fondaient pour affirmer que les droits qui leur sont garantis par la Charte avaient été violés. Il a également appliqué le bon critère juridique. Le protonotaire n’a pas commis d’erreur, et il n’a pas fondé sa décision sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

 

[40]           Bien que la question en litige ait eu une influence déterminante sur la décision finale quand au fond, compte tenu du fait que, dès lors que la demande est radiée, le dossier est clos, le critère exige que le protonotaire ait mal exercé son pouvoir discrétionnaire. Or, ce n’est pas le cas.

 

[41]           Le protonotaire a estimé à bon droit que les demandeurs cherchaient en fait à obtenir un jugement déclarant qu’ils avaient été victimes d’un déni de justice naturelle de la part de la CCI, ce qui revient à porter une attaque indirecte contre les conclusions de la CCI, lesquelles ont été confirmées par la Cour d’appel. En fait, bien que la violation de la Charte n’ait pas été directement en cause devant la CCI, la juge Woods a néanmoins, dans la décision Coombs CCI, précitée, aux paragraphes 101 à 106, examiné des allégations concernant le bien‑fondé du mandat de perquisition et de son exécution :

[101]  Avant de conclure le prononcé des présents motifs, je tiens à faire une observation quant à une question de procédure soulevée par Harold Coombs lors de sa plaidoirie.

 

[102]  La question de procédure porte sur la saisie de documents, en septembre 2006, dans le cadre d’une enquête criminelle visant plusieurs personnes, dont Harold Coombs. Ce dernier soutient que la saisie était préjudiciable aux appelants, à l’égard des présents appels, parce qu’ils n’avaient pas eu accès aux documents nécessaires à la préparation de leurs appels.

 

[103]  À mon avis, les appelants ne peuvent pas se plaindre d’iniquité à cet égard. Je constate que la question a été soulevée lors de l’audience sur la gestion de l’instance présidée par le juge Bowie le 30 juillet 2007.

 

[104Durant cette audience, le juge Bowie a indiqué qu’il existait des procédures judiciaires permettant aux appelants dont les appels étaient alors régis par la procédure générale d’obtenir des documents. L’avocate de la Couronne a aussi mentionné que le Code criminel permettait d’obtenir des documents. Les appelants avaient amplement de temps pour régler cette question avant le procès, et ils ont choisi de ne pas le faire.

 

[105]  Harold Coombs a soutenu que ces mesures n’auraient pas été utiles parce qu’il semblerait que certains des documents ne soient plus entre les mains de la Couronne. Harold Coombs suppose qu’ils ont été pris par un représentant de l’ARC qui aurait participé illégalement à la perquisition et à la saisie. D’abord, je constate qu’il s’agit là d’une allégation qui n’a pas été confirmée par la preuve présentée en l’espèce. Ensuite, je rejette toute allégation voulant qu’un représentant de l’ARC ait caché des documents dans la présente affaire.

 

[106Je ne suis pas convaincue que la perquisition et la saisie auraient été illégales même si quelqu’un dont le nom n’apparaissait pas sur le mandat de perquisition avait été invité à y participer par la personne responsable. À ce sujet, je note l’existence de la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980 et la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse dans R. v. B., 52 C.C.C. (3d) 224.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[42]           La Cour d’appel a cité le même passage pour rejeter l’appel pour cause de retard (Coombs CAF, précité, au paragraphe 10).

 

[43]           Le protonotaire était donc justifié de tirer la conclusion à laquelle il est arrivé, en l’occurrence [traduction] « [l]es questions portant sur les mandats de perquisition ont déjà été examinées, et le présent avis de demande constitue un abus de procédure et un recours futile et vexatoire [...] » et [traduction] « [a]insi que le défendeur l’a souligné dans ces observations écrites, il existe de nombreux précédents qui confirment la raison pour laquelle la présente demande n’a aucune chance d’être accueillie et doit être rejetée ».

 

[44]           Bien que les demandeurs affirment que, dans les instances antérieures, ils ne réclamaient pas de réparation fondée sur l’article 24 de la Charte pour violation des droits que leur garantissent les articles 8 et 15 – les demandeurs ont également mentionné que l’article 7 avait été violé –, les faits sur lesquels ils se fondent pour formuler ces allégations sont exactement les mêmes que ceux que la CCI a examinées. Les allégations de violation de la Charte découlent toutes d’allégations concernant la perquisition et la saisie de documents. La juge Woods a clairement écarté les allégations non étayées suivant lesquelles un fonctionnaire de l’ARC cachait des documents. Qui plus est, la juge Woods a fait observer que, dans l’arrêt R c Strachan, [1988] 2 RCS 980, 56 DLR (4th) 673 (Strachan), la Cour suprême du Canada avait jugé que le fait qu’une personne non désignée dans le mandat de perquisition avait participé à celle‑ci n’avait pas pour effet d’invalider le mandat ou son exécution. On a affaire à exactement les mêmes allégations et, peu importe que l’on affirme qu’il y a eu violation de la Charte ou non, ces questions ont déjà été tranchées.

 

[45]           L’argument des demandeurs suivant lequel il convient d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Strachan, au motif que, dans cette dernière, le fonctionnaire chargé de la perquisition avait tenté d’obtenir une autorisation judiciaire en informant le juge que deux autres agents y participeraient, ne change rien au fait que la Cour suprême du Canada a bien expliqué, au paragraphe 31 de sa décision :

L’exigence est respectée lorsque l’agent ou les agents nommés dans le mandat l’exécutent en personne et sont responsables du contrôle de la perquisition et de la manière dont elle est exécutée. Le recours à des assistants non nommés pour effectuer la perquisition ne viole pas l’exigence que pose le par. 10(2) dans la mesure où ils sont étroitement surveillés par l’agent ou les agents nommés. Ce sont les agents nommés qui doivent établir l’orientation générale de la perquisition et diriger tous les assistants. Si les agents nommés contrôlent vraiment la situation, s’ils participent à la perquisition et sont présents en tout temps, alors le recours à des assistants n’a pas pour effet d’invalider la perquisition ou le mandat.

 

[46]           La Cour suprême n’a pas apporté d’autres nuances à cette proposition générale.

 

[47]           Le protonotaire n’a pas commis d’erreur en permettant du défendeur de soumettre l’affidavit de Maria Vojnovic. Cet affidavit a eu simplement pour effet de porter à l’attention du protonotaire les diverses décisions et ordonnances déjà prononcées par la présente cour, la CCI et la Cour d’appel fédérale, qui sont toutes des documents publics.

 

[48]           Le protonotaire a respecté les limites de la compétence que lui confère l’article 50 des Règles des Cours fédérales. L’article 50 prévoit que le protonotaire peut rendre les ordonnances nécessaires en réponse à toute requête sauf, notamment, si la requête concerne la mise en liberté ou l’incarcération d’une personne. Bien que les demandeurs affirment que l’article 7 de la Charte a été violé et que l’on a porté atteinte à leur droit à la liberté, à la liberté et à la sécurité de leur personne, la décision du protonotaire ne se rapportait pas à la mise en liberté ou à l’incarcération des demandeurs, mais bien sur la question de savoir si la requête des demandeurs n’avait aucune chance d’être accueillie, étant donné qu’elle avait déjà été jugée par la CCI et la Cour d’appel. Dans le cas qui nous occupe, les allégations non étayées des demandeurs suivant lesquelles leur liberté est en jeu ou a déjà été en jeu, n’a pas pour effet de priver le protonotaire de la compétence que lui confère l’article 50 des Règles, compte tenu de la conclusion antérieure de la CCI suivant laquelle la perquisition n’était pas illégale et suivant laquelle les allégations n’étaient pas étayées.

 

[49]           Bien que les requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire ne devraient être présentées que dans les circonstances les plus exceptionnelles, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire qu’il n’existe pas de telles circonstances exceptionnelles en l’espèce. Les circonstances sont effectivement exceptionnelles, compte tenu de la multiplication des instances introduites par les demandeurs sur le fondement des mêmes faits, à quelque nuance près dans chaque cas, en vue de présenter chaque demande ou requête sous un jour nouveau ou différent. Les circonstances en question justifient nettement l’exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire de radier la demande. Les demandeurs invoquent la décision Amnesty, dans laquelle la juge Mactavish a résumé les principes régissant les requêtes en radiation. Ces principes ne sont pas contestés et le protonotaire les a bien appliqués. Il est vrai que d’autres facteurs sont en jeu lorsqu’on se prononce sur l’opportunité de radier un avis de demande de contrôle judiciaire plutôt qu’une déclaration.

 

[50]           Dans Amnesty, précitée, la juge Mactavish écrit ce qui suit, aux paragraphes 26 et 27 :

[26]     C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’y a pas lieu de radier une demande de contrôle judiciaire avant la tenue de l’audience sur le fond, à moins que la demande soit « manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ».

 

[27]           La Cour d’appel fédérale indique de plus que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations […], où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » : David Bull, au paragraphe 15

 

 

[51]           Le protonotaire a conclu que la demande était, sur le fond, « manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ».

 

[52]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs suivant lequel ils ont le droit de réclamer à la présente cour une réparation au titre de l’article 24 de la Charte, conformément à l’arrêt Ward de la Cour suprême du Canada, je tiens à signaler que les demandeurs ne semblent pas comprendre que les réparations prévues à l’article 24 doivent être fondées sur une violation d’un droit garanti par la Charte. Bien que les demandeurs affirment que leur demande diffère de leur demande antérieure, parce qu’ils invoquent maintenant une violation de leurs droits garantis par la Charte, je rappelle que les demandeurs se fondent, à l’appui de leur moyen tiré de la violation alléguée de la Charte, sur exactement les mêmes faits que ceux sur lesquels la Cour canadienne de l’impôt s’est fondée pour conclure qu’il n’y avait pas lieu de conclure à l’existence d’une perquisition illégale. Le protonotaire a abordé la question et a déclaré ce qui suit :

[traduction]

M. Coombs affirme que la présente affaire est différente, étant donné que le paragraphe 24(1) de la Charte est invoqué et que les deux autres demandeurs n’étaient pas partie aux demandes antérieures. Le paragraphe 24(1) de la Charte n’est d’aucune utilité pour les demandeurs. Cette disposition porte sur les réparations qui peuvent être accordées en cas de violation des droits garantis par la Charte. La question du bien‑fondé des mandats de perquisition et de leur exécution a déjà été tranchée par la Cour dans d’autres instances. La présente demande est simplement une variation sur un thème bien connu.

 

[53]           Les demandeurs n’ont pas démontré que la décision du protonotaire devait être annulée. De plus, les demandeurs nous ont soumis exactement les mêmes arguments que ceux qu’ils avaient invoqués devant le protonotaire Aalto et, en ce faisant, ont profité d’une occasion de plus de soulever les mêmes questions, comme si la Cour examinait l’affaire de novo. Si j’avais conclu que le protonotaire avait commis une erreur – ce qui n’est pas le cas – et si j’avais procédé à un examen de novo, j’en arriverais à la même conclusion : la présente demande constitue un abus de procédure et elle doit être rejetée. Bien que les demandeurs s’acharnent à explorer toutes les avenues possibles, à présenter ou à qualifier de diverses façons la même demande encore et encore, en formulant des allégations qui ont déjà été jugées, cette façon de procéder ne leur ouvre aucune nouvelle voie de recours et ne leur permet pas d’obtenir un résultat différent.

 

[54]           La demande est rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T‑441‑13

 

INTITULÉ :

HAROLD COOMBS, JOAN COOMBS ET PERCY G. MOSSOP c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 24 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

                                                            LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 10 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Harold Coombs

Joan Coombs

Percy G. Mossop

 

POUR LES demandeurs

(POUR LEUR PROPRE COMPTE)

 

Sonia Singh

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harold Coombs

Joan Coombs

Percy G. Mossop

 

POUR LES demandeurs

(POUR LEUR PROPRE COMPTE)

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

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