Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140307


Dossier : T­970­08

 

Référence : 2014 CF 6

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ACTION IN REM ET IN PERSONAM EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

 

 

ENTRE :

OCEANEX INC.

demanderesse

et

PRAXAIR CANADA INC.,
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE CONTENEUR‑CITERNE « C‑156 » À BORD DU NAVIRE NM « CABOT »
ET LE CONTENEUR‑CITERNE « C‑156 »
À BORD DU NAVIRE « CABOT »

défendeurs

ET ENTRE :

PRAXAIR CANADA INC.

demanderesse reconventionnelle

et

OCEANEX INC.

défenderesse reconventionnelle

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]               La présente affaire porte sur une fuite d’oxygène liquide provenant d’un conteneur‑citerne cryogénique à bord du navire à moteur Cabot. En conséquence de cette fuite, une partie du pont et du bordé de coque du Cabot est devenue extrêmement fragile et s’est rompue. Le propriétaire du navire, Oceanex, a intenté une action in rem et in personam pour le coût des réparations et la perte de revenu net engendrée par le temps d’immobilisation pendant ces dernières. Le défendeur et baillaire du conteneur­citerne, Praxair, allègue que la fuite a été provoquée par la manutention brutale et inadéquate du conteneur par Oceanex ou par ceux dont il est responsable. Praxair a présenté une demande reconventionnelle pour le coût des réparations.

 

[2]               Le 11 décembre 2007, le Cabot a appareillé de Montréal à destination de St. John’s, Terre‑Neuve, avec à son bord un chargement mixte de matériel roulant et de conteneurs. Tout s’est bien passé jusqu’à ce qu’un bruit assourdissant inhabituel retentisse lors des opérations de manutention de la cargaison à St. John’s, le 15 décembre au petit matin.

 

[3]               Le matelot de vigie du navire, qui se trouvait alors à l’avant du pont découvert, a cru qu’un conteneur venait peut-être d’être échappé. Il n’a cependant rien aperçu d’anormal à terre. L’officier de quart et des débardeurs qui travaillaient en bas, dans la partie arrière du pont principal, qui – le Cabot étant un navire‑roulier – s’étend sur toute la longueur du compartiment à marchandises, ont entendu le bruit qui venait de l’avant. En arrivant sous la travée no 2, ils ont constaté la présence de fissures si importantes, dans le bordé du pont découvert, qu’ils pouvaient voir le ciel au travers. Une substance semblable à de la neige tombait du bordé et grésillait lorsqu’elle atterrissait sur le pont principal. Ils ont également constaté la présence d’une fissure dans le bordé de muraille qui s’ouvrait et se refermait sur une largeur allant jusqu’à deux pouces.

 

[4]               L’officier a alors appelé le matelot de vigie sur le pont découvert. Celui-ci s’est rendu à la travée no 2, où il a vu qu’une substance tombait par des fissures dans le bordé de pont.

 

[5]               Le navire a aussitôt été évacué. Personne n’a été blessé. Les opérations de manutention de la cargaison ont été interrompues. Pour éviter que les fissures ne se propagent, l’équipage du navire a percé des trous aux extrémités de celles-ci. Le capitaine a réglé le ballast de manière à réduire la largeur des fissures au minimum. Il s’avère que le conteneur­citerne de 20 pieds du défendeur, qui était rempli d’oxygène liquide et se trouvait dans la travée no 2, venait tout juste d’être débarqué. On pouvait d’ailleurs le voir qui déversait son contenu sur le quai. Il a alors été déplacé vers une partie isolée du terminal portuaire.

 

[6]               Une substance ayant l’apparence de glace recouvrait le pont découvert aux environs de l’endroit où le conteneur-citerne était arrimé. Comme le confirme le rapport de métallurgie préparé par MM. Éric Duchene et Gilles L’Espérance, de l’École Polytechnique de Montréal, la cause probable des fissures du bordé du Cabot est attribuable au fait que le bordé est devenu extrêmement fragile après être entré en contact avec l’oxygène liquide, lequel bout à une température de ‑196 degrés Celsius. Telle est également ma conclusion.

 

[7]               Comme il n’était alors plus en état de prendre la mer, le Cabot a été réparé immédiatement à St. John’s. Son propriétaire, Oceanex, a intenté cette action in personam contre Praxair, qui détenait le conteneur‑citerne en vertu d’un bail net consenti par Neptune Leasing Inc., et in rem contre le conteneur-citerne lui-même. La réclamation vise le coût des réparations, les frais directs qui y sont liés, ainsi que la perte de revenu net attribuable au fait que le Cabot n’a pu être utilisé pour commercer pendant quelque neuf jours. Bien que le conteneur-citerne ait été signifié in rem, il n’a jamais été saisi. Il a finalement été retourné à ses propriétaires aux États‑Unis, sur consentement, et il serait maintenant utilisé à des fins commerciales. Praxair s’est engagé à assumer toute responsabilité in rem qu’il pourrait y avoir, de sorte que, à tous égards, l’action in rem n’a désormais plus d’objet.

 

[8]               Comme je l’ai mentionné, Praxair nie toute responsabilité et présente, à titre de baillaire, une demande reconventionnelle pour les dommages au conteneur, comme l’y autorise The Winkfield, [1902] P 42, 9 Asp MLC 259, [1900-3] All ER Rep 346.

 

[9]               La Cour est appelée à élucider, si elle le peut, la raison pour laquelle le conteneur couramment désigné comme le C156 a eu une fuite, et à déterminer les conséquences juridiques de cet incident.

 

[10]           Il existe deux théories principales divergentes : d’une part, Oceanex soutient qu’au moins un des robinets se trouvant derrière les portes du compartiment aménagé sur le côté du conteneur-citerne n’était pas suffisamment serré pour résister aux rigueurs normales du transport par eau. La thèse d’Oceanex est étayée par le fait que deux robinets avaient fui quelque deux mois plus tôt, mais que seul un des deux était bien serré. D’autre part, la prémisse de Praxair repose sur le fait que les longerons inférieurs du cadre du conteneur-citerne ont été déformés par un mouvement latéral vers la droite, ce qui aurait entraîné un désalignement de la tuyauterie et exercé une pression excessive sur les divers robinets à l’origine de la fuite. Les longerons étaient déformés parce que le conteneur-citerne aurait soit été échappé ou déposé brusquement alors qu’il était sous la garde d’Oceanex ou de ses sous‑traitants.

 

[11]           Dans l’éventualité où la cause de la fuite ne peut être établie selon la prépondérance des probabilités, les deux parties s’en remettent à la charge de la preuve.

 

[12]           Je décrirai d’abord le conteneur-citerne, puis je scinderai l’historique des évènements en trois parties : les antécédents du conteneur-citerne avant le fatidique voyage 48 lors duquel une fuite d’oxygène liquide s’est répandue sur le pont du Cabot, le voyage 48 en soi, puis les inspections et les essais subséquents. Une fois que la cause de la fuite aura été établie, je traiterai plus en détail des rapports juridiques entre les parties, des dommages‑intérêts, des intérêts et des dépens.

 

TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphes

I. Conteneur-citerne C156

13-17

II. Antécédents du conteneur-citerne avant le voyage

18-22

III. La fuite d’octobre

23-25

IV. Le passage de l’azote à l’oxygène

26-27

V. Voyage 48

28-34

VI. Inspection à St. John’s

35-45

VII. L’inspection à Oakville

46-54

VIII. Essais et inspection chez Citernes Bédard

55-56

IX. Essais et inspection chez CVA

57-60

X. Essais et inspection chez le Groupe Laganière

61-63

XI. Contestations concernant les témoins experts

64-76

XII. La cause de la fuite

77-81

XIII. Le contrat entre Oceanex et Praxair

82-87

XIV. Responsabilité de Praxair

88-102

XV. Dommages­intérêts d’Oceanex

103-120

XVI. Intérêts

121

XVII. Dépens

122

 

 

I.  Conteneur-citerne C156

 

[13]           Le conteneur C156 est un conteneur-citerne cryogénique portatif multimodal de 20 pieds construit au Texas en 2005 par Cryogenic Vessel Alternatives, Inc. Son client était Neptune Leasing Inc. La citerne comme telle est un cylindre de 20 pieds monté dans un cadre de conteneur standard de quelque 20 pieds de longueur, huit pieds de largeur et huit pieds six pouces de hauteur. Le cadre est doté de huit montants d’angle en acier robuste, également appelés montants de coin, qui se prolongent légèrement au-delà des longerons.

 

[14]           Des gaz sous forme liquide, comme de l’oxygène, de l’azote et de l’argon, sont transportés dans une enceinte interne pressurisée. Divers matériaux isolants aident à maintenir les températures extrêmement basses requises, mais la principale méthode utilisée pour maintenir des températures aussi froides pendant une longue période de temps consiste à créer un vide entre l’enceinte intérieure et l’enveloppe extérieure. Le conteneur-citerne a été conçu pour conserver de l’azote liquide pendant un maximum de 66 jours ou de l’oxygène liquide jusqu’à 97 jours.

 

[15]           Une batterie de tuyaux et de robinets aux fonctions diverses se trouve derrière les trois portes du compartiment aménagé d’un côté de la citerne, sur la moitié inférieure de l’enveloppe extérieure. De l’autre côté, la citerne comporte une série d’ailettes à l’intérieur desquelles il est possible de faire circuler le liquide décanté de l’enceinte intérieure pour en augmenter la température et lui rendre sa forme gazeuse naturelle. Lorsque le gaz est réintroduit dans l’enceinte intérieure, cela fait grimper la pression interne et facilite l’évacuation du contenu. Des soupapes de sûreté semblables à celle d’un autocuiseur se trouvent au sommet de l’une des extrémités de la citerne. Ces soupapes sont conçues pour permettre au gaz contenu dans la citerne de s’échapper si la pression dans l’enceinte intérieure venait à dépasser 144 lb/po2. La citerne est également dotée d’une plaque maintenue en place par dépression et servant à indiquer que l’espace compris entre l’enceinte intérieure et l’enveloppe extérieure est sous vide.

 

[16]           Un bac d’égouttement fixé aux longerons inférieurs, sous les portes du compartiment, sert à recueillir toute fuite mineure provenant des divers robinets et à empêcher que les saletés présentes sur la route, notamment, entrent en contact avec les robinets. Ce bac n’a aucune valeur structurelle.

 

[17]           Le conteneur-citerne, de modèle no CVA-6K-144-ISO, a été conçu conformément aux recommandations de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en matière de citernes mobiles et a été approuvé par le Department of Transportation des États-Unis. L’approbation du ministère des Transports du Canada n’a été obtenue qu’après l’incident. Il n’en découle toutefois aucune conséquence juridique.

 

II.  Antécédents du conteneur-citerne avant le voyage

 

[18]           C’est en 2005 que Praxair a loué de Neptune Leasing le conteneur‑citerne désigné conteneur C156. Le conteneur-citerne était flambant neuf lorsqu’il a été livré chez Praxair, dans l’est de Montréal, à l’automne de cette même année. Praxair avait un nouveau client, à Terre‑Neuve, qui exigeait des livraisons régulières d’azote liquide. Les livraisons ont débuté en février 2006.

 

[19]           Le conteneur C156 n’a servi qu’à livrer de l’azote liquide et, plus tard, de l’oxygène liquide, à St. John’s, sur la presqu’île Avalon. Le conteneur­citerne n’a été transporté que par Oceanex, soit sur le Cabot ou sur un autre de ses navires faisant la navette entre Montréal et St. John’s.

 

[20]           Bien que Praxair et Oceanex ne s’entendent pas parfaitement sur le contenu de leur contrat, les deux parties s’accordent sur les faits. Les livraisons étaient effectuées selon la méthode domicile à quai, en partance des installations de Praxair, à Montréal, à destination du terminal d’Oceanex, à St. John’s. Les frais de port payés par Praxair comprenaient l’aller­retour depuis Montréal. Si on laisse de côté le transport initial, au sujet duquel les souvenirs des parties ne sont pas très clairs, l’entente était qu’au retour de St. John’s, le conteneur­citerne vide était entreposé sans frais supplémentaires au terminal exploité par Empire Stevedoring, entreprise de manutention employée par Oceanex. Lorsque Praxair avait besoin du conteneur­citerne, un représentant de l’entreprise téléphonait chez Oceanex, lequel envoyait un châssis­cabine, à ses propres frais, au terminal d’Empire. Empire utilisait alors un chariot à prise par le haut pour placer le conteneur­citerne sur le camion, puis le camionneur se rendait chez Praxair, où il attendait que la citerne soit remplie avant de retourner au terminal d’Empire. Selon l’avancement du chargement, le conteneur­citerne était soit placé à bord directement depuis le camion ou déposé dans une zone du terminal réservée aux marchandises dangereuses jusqu’à ce qu’un chariot à prise par le haut l’apporte le long du navire.

 

[21]           Empire chargeait alors le conteneur­citerne sur le navire à l’aide d’un portique et le plaçait sur les dispositifs de verrouillage désignés à bord. La réglementation exige que le conteneur­citerne soit toujours arrimé sur le pont.

 

[22]           Après un voyage 65 heures environ, selon les conditions météorologiques, le navire accostait à St. John’s, où le conteneur­citerne était débarqué au terminal d’Oceanex, par ses propres débardeurs, au moyen d’une grue. Ensuite, le conteneur­citerne était soit placé directement sur un châssis­cabine de Quinnsway Transport, l’entreprise de camionnage de Praxair, ou était débarqué à terre en attendant l’arrivée du camion de Quinnsway. Quinnsway se chargeait alors de livrer la marchandise chez Praxair ou chez les clients de Praxair. En temps normal, le conteneur­citerne vide était ensuite rapporté au terminal d’Oceanex, où les débardeurs le déchargeaient du camion et le plaçaient directement sur un navire pour le voyage de retour ou le posaient à terre en attendant l’arrivée du navire.

 

III.  La fuite d’octobre

 

[23]           Vers la fin août 2007, le conteneur C156 a été expédié de Montréal, à destination de St. John’s, avec une cargaison d’azote liquide. Le conteneur­citerne est demeuré dans la région de St. John’s, partiellement rempli, pendant quelque temps. Le 12 octobre 2007, une fuite s’est produite dans le bas du compartiment à tuyauterie du conteneur C156, qui se trouvait alors chez Quinnsway depuis trois semaines environ. De l’azote liquide s’est écoulé du compartiment et s’est répandu au sol. Il y avait un nuage de brouillard considérable. Les portes du compartiment ont éventuellement été ouvertes et une soupape de mise à l’air libre a été ouverte pour abaisser la pression dans la citerne, qui était de 144 lb/po2 avec 40 po de liquide. À la lumière des témoignages des deux premières personnes à être intervenues sur les lieux et de Dave Harbec, directeur des transports de Praxair pour la région de l’Est, qui répondait constamment au téléphone et prenait des notes ponctuelles, et d’après les photographies qui ont été prises, je conclus que la fuite provenait de « robinets coupe­feu » à deux ressorts. M. Daniel Axworthy, un technicien en entretien et réparation de Praxair, a été dépêché d’Halifax pour examiner la situation. On lui dit qu’un seul robinet coupe­feu avait fui. Il s’est donc contenté de resserrer ou « visser » l’écrou de ce robinet coupe­feu.

 

[24]           Les robinets coupe­feu sont dotés d’un élément fusible qui fond à une température relativement basse. Ils servent à sceller le réservoir si un incendie se déclenche à proximité, pour éviter que les gaz liquéfiés n’alimentent le feu et n’entraînent des conséquences désastreuses. Le plus gros des deux robinets, nommé V1 sur le plan de tuyauterie, mesure deux pouces de diamètre. Le plus petit robinet, d’un diamètre d’un pouce et appelé robinet V2, se trouve à la droite de l’autre. Ces deux robinets se distinguent facilement des autres robinets par leur actionneur en forme de champignon jaune. M. Axworthy se souvient de n’avoir serré que l’écrou du robinet V1.

 

[25]           Oceanex n’a pas été informé de cet incident.

 

IV.  Le passage de l’azote à l’oxygène

 

[26]           Le conteneur­citerne C156 a été retourné à Montréal le 22 octobre 2007. Entre­temps, la nature de la demande des produits de Praxair à Terre­Neuve avait changé. Le conteneur­citerne C156 a donc été converti afin de transporter de l’oxygène, plutôt que de l’azote. Pour ce faire, les raccords de remplissage en laiton devaient être remplacés. Les raccords utilisés pour l’oxygène diffèrent de ceux employés pour l’azote afin d’éviter la livraison du mauvais produit, car cela pourrait avoir des conséquences mortelles. Les raccords utilisés pour l’oxygène sont plus gros.

 

[27]           Cette conversion a été effectuée par l’un des mécaniciens de Praxair, M. Pierre Lallemant. Avant de procéder à la conversion, M. Lallemant a mis l’enceinte intérieure sous pression et n’a trouvé aucun signe de fuite. Il a ensuite changé les raccords, ce qui a exigé quelques manipulations de sa part, car il ne disposait pas de toutes les pièces nécessaires. Plus particulièrement, il a constaté qu’un boulon en U inversé, qui raccordait le bac d’égouttement, le longeron inférieur du cadre et la tuyauterie, était fissuré. Après avoir installé les plus gros raccords d’oxygène, M. Lallemant a tenté de forcer en place le boulon en U, mais la pièce s’est cassée en deux. Le support qui se trouve sous les gros raccords de remplissage se présente en deux parties pour s’adapter à diverses tailles de raccords. Ce support a donc dû être réglé. M. Lallemant croyait néanmoins que la tuyauterie était fixée solidement. Une partie des travaux a exigé l’utilisation d’une clé de trois pieds, ce qui a fait l’objet de longues discussions de la part des experts.

 

V.  Voyage 48

 

[28]           Comme les avis des experts avaient été échangés plus de deux ans avant le procès, et étant donné qu’Oceanex a à juste titre estimé que selon la thèse de l’expert de Praxair, Keith Hall, le conteneur­citerne C156 avait été échappé ou déposé brusquement dans le cadre du voyage 48, ce voyage a été décrit dans ses moindres détails. Le camionneur qui est allé chercher le conteneur­citerne vide chez Empire et qui l’a rapporté chez Praxair, où il a été rempli par le même M. Lallemant, les divers débardeurs qui ont réceptionné le conteneur au terminal et qui l’ont chargé et arrimé à bord du navire, de même que les membres d’équipage qui ont décrit le voyage calme, ont tous livré un témoignage détaillé, tout comme les débardeurs de St. John’s.

 

[29]           M. Lallemant a décrit la procédure de remplissage du conteneur­citerne. Le châssis­cabine s’est rendu au poste de remplissage. Les roues du camion ont été calées. Comme le châssis n’était fait que d’un cadre, il aurait été possible d’inspecter le dessous du conteneur­citerne. Cependant, M. Lallemant n’en a examiné ni le dessus, ni le dessous. Il s’est contenté de marcher autour du conteneur­citerne pour déceler tout dommage apparent et a vérifié que la plaque de mise sous vide était en place. On lui aurait fait comprendre qu’il ne devait pas se soucier de toute bosselure de moins de deux pouces et demi à trois pouces. M. Lallemant croit qu’il existe une directive écrite à cet effet, mais rien de tel n’a été produit par les témoins de Praxair.

 

[30]           M. Lallemant a ensuite fermé les portes du compartiment et échangé des documents avec le conducteur du camion. Par inadvertance, M. Lallemant a indiqué que la citerne contenait de l’azote liquide, mais la plaque­étiquette requise précisait qu’il s’agissait d’oxygène liquide, et Oceanex était consciente que le conteneur­citerne devait transporter de l’oxygène liquide. Cela ne porte pas à conséquence. Le reçu d’échange de matériel est conforme, mais n’est pas pertinent, car tout dommage à la tuyauterie aurait été dissimulé.

 

[31]           Le 25 octobre 2007, de l’oxygène liquide a été expédié de Montréal dans le conteneur C156, lequel est revenu à destination le 12 novembre 2007. Le conteneur a été réexpédié le 15 novembre 2007 et est revenu le 26 novembre 2007. Les deux allers­retours se sont déroulés sans incident.

 

[32]           Je suis convaincu que la déformation des longerons inférieurs du conteneur­citerne, qui a eu pour effet de désaligner la tuyauterie, ne s’est pas produite pendant le voyage 48 ni dans le cadre de celui­ci. Comme nous le verrons, cette déformation devait avoir eu lieu au moins deux mois plus tôt.

 

[33]           Deux incidents dignes de mention se sont produits pendant le voyage. Le premier est qu’en effectuant une ronde avant l’arrivée du navire à St. John’s, le second capitaine a remarqué que de la fumée s’échappait d’une soupape de sûreté sur l’extrémité supérieure du conteneur­citerne C156. Cependant, il s’agit là d’un événement courant. En effet, les mouvements normaux du navire auraient très bien pu contribuer à faire grimper la pression dans la citerne. Il n’en fit pas grand cas et j’en ferai de même.

 

[34]           Le deuxième incident digne de mention est que l’un des débardeurs occupés à désarrimer la cargaison avant le débarquement a vu une substance vitreuse sur le pont découvert, dans les environs du conteneur C156. Il n’en fit pas grand cas et ne l’a pas signalé. Cela a pu se produire quelques heures avant que le conteneur C156 ne soit débarqué. Cependant, rien n’indique que cela aurait changé quoi que ce soit si le déversement s’était produit plus tôt.

 

VI.  Inspection à St. John’s

 

[35]           L’incident s’est produit peu avant 4 h, heure locale. M. Larry Gosling, contremaître de quai d’Oceanex, a été joint par téléphone à son domicile vers 4 h 15 et il est arrivé sur le quai une demi­heure plus tard. Il s’est d’abord entretenu avec le capitaine, qui lui a indiqué que les opérations de manutention de la cargaison avaient été interrompues parce qu’il avait réglé le ballast pour essayer de refermer les fissures dans le bordé de coque et de les éloigner le plus possible de la ligne de flottaison.

 

[36]           Vers 7 h, le camionneur de Quinnsway, Dean Simms, est arrivé sur les lieux et il a forcé deux des trois portes du compartiment. M. Simms, qui avait reçu une formation de Praxair, a été en mesure de repérer le robinet coupe­feu duquel fuyaient deux filets de liquide en continu. Comme le confirme une photographie prise par M. Gosling, la fuite émanait du plus gros des deux robinets coupe­feu, soit le robinet V1 que M. Axworthy avait resserré deux mois plus tôt. Cependant, bien qu’il n’en soit pas entièrement certain, M. Gosling croit que le plus petit robinet coupe­feu fuyait également. M. Simms, quant à lui, ne peut dire avec certitude si le petit robinet fuyait. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que robinet V2 fuyait également. M. Simms a ouvert un robinet pour mettre la citerne hors pression, mais le déversement s’est néanmoins poursuivi pendant des heures. Un examen subséquent a démontré qu’aucun tuyau n’était rompu.

 

[37]           Il y avait du givre partout à l’intérieur du compartiment. Comme l’a plus tard expliqué l’expert d’Oceanex, M. John Davis, le givre était composé de vapeur d’eau et non d’oxygène liquide. Étant donné la différence entre la température ambiante et celle de l’oxygène liquide, il est normal qu’il se forme de la condensation. Ce phénomène est semblable à ce qui se produit lorsqu’on sort une bouteille de liquide d’un réfrigérateur par une journée chaude.

 

[38]           M. Dave Harbec dirigeait les opérations de Praxair depuis Montréal. Toutes les autorités compétentes ont été informées de ce qui se passait. M. Harbec était en communication constante avec M. Axworthy, qui demeurait dans la région d’Halifax, et avec M. Keith Pike, directeur territorial de Praxair pour Terre‑Neuve. M. Pike a été dépêché sur les lieux. Selon le registre de sécurité, il est arrivé sur les lieux à 9 h 9. Il notait la pression et les niveaux de liquide relevés sur les indicateurs et relayait ensuite l’information à M. Harbec. Lorsque la fuite a cessé, M. Axworthy a indiqué quels outils seraient nécessaires pour serrer l’écrou de presse­garniture. M. Pike pense avoir resserré le gros robinet V1 en forme de champignon, mais il n’en est pas absolument certain.

 

[39]           Le conteneur­citerne C156 a été examiné le jour même et les jours suivants, une fois chez Praxair. Les services de M. William Maybee, ingénieur et expert maritime, ont été retenus par Oceanex pour évaluer les dommages causés au navire et examiner le conteneur C156. M. Maybee ne prétend pas posséder de connaissances spécialisées en matière de réservoirs cryogéniques, mais a eu l’occasion, au fil des ans, de constater les dommages subis par divers navires et leurs cargaisons. Je l’ai autorisé à témoigner à titre d’expert en raison de son expérience en tant qu’inspecteur de navires et de sa formation d’ingénieur.

 

[40]           Les services de M. Robert Hollings ont été retenus par Praxair. M. Hollings est également un inspecteur de navires d’expérience, mais il n’a pas été appelé à témoigner à titre d’expert.

 

[41]           Ils ont tous deux pris un grand nombre de photographies qui se sont avérées utiles pour comprendre la structure du conteneur­citerne et l’emplacement des divers robinets. Cependant, étant donné que le compartiment avait fui pendant plusieurs heures avant que les portes n’en soient ouvertes, mais que la fuite avait cessé avant leurs inspections, ces photographies, contrairement à celles de M. Gosling, ne permettent pas de déterminer la source des fuites initiales.

 

[42]           Le 27 décembre, une fois le conteneur­citerne vidé et dégivré, M. Maybee a constaté que la partie inférieure du compartiment à tuyauterie était bosselée et déformée. La déformation à laquelle il fait référence se trouve sur le bac d’égouttement, à environ trois pieds du longeron du cadre du conteneur­citerne lui­même. Cette déformation n’était pas visible lorsque le conteneur­citerne se trouvait au sol ou sur une remorque à plateau. M. Maybee estime qu’aucun des dommages relevés sur le compartiment à robinets, qu’il considère comme des dommages mineurs, n’a contribué à la fuite. Il était d’avis que la fuite de décembre était attribuable à un serrage insuffisant ou inadéquat de l’écrou de presse­garniture d’un des deux robinets coupe­feu ou des deux. Il s’agissait là d’une inférence de sa part, puisqu’il estimait que les défauts présents sur le conteneur­citerne lui­même n’étaient pas un facteur causal.

 

[43]           M. Hollings, qui possède également une formation d’ingénieur, a inspecté le conteneur pour la première fois après que ce dernier ait été déplacé, avec l’autorisation de Transports Canada, chez Praxair à Mount Pearl. M. Hollings n’est pas un spécialiste des réservoirs cryogéniques, à l’instar de M. Maybee, mais il travaille comme inspecteur de navires depuis de nombreuses années. Il a également constaté que le dessous du bac d’égouttement était déformé, ce qu’il a initialement attribué à une usure normale.

 

[44]           M. Harbec est arrivé sur les lieux le 27 décembre. En présence de MM. Maybee et Hollings, il s’est servi d’un vacuomètre Hastings pour relever la pression dans l’espace sous vide. Le robinet situé entre la citerne et le thermocouple n’était pas aussi serré que l’aurait souhaité M. Harbec, mais personne n’a suggéré que cela ait joué un rôle dans la fuite. Le vacuomètre indiquait un Torr, alors que le niveau préférable serait de 0,01 à 0,1 Torr ou de 10 à 100 micromètres de mercure. M. Harbec craignait que le vide n’ait été compromis. Lorsque cela se produit, l’espace compris entre l’enceinte intérieure et l’enveloppe extérieure commence à se rapprocher de la température ambiante, ce qui fait aussi monter la température dans l’enceinte intérieure, provoquant par le fait même l’ébullition de l’oxygène liquide, qui entraîne à son tour une augmentation de pression.

 

[45]           Praxair a décidé d’apporter la citerne dans ses installations d’Oakville, en Ontario, où elle pourrait être adéquatement examinée à l’intérieur. À ce stade, Oceanex avait déjà décidé de ne plus transporter les produits de Praxair. Par conséquent, le conteneur­citerne a été transporté par voie routière jusqu’à Port Aux Basques, où il a été embarqué sur un traversier de Marine Atlantique à destination de North Sydney. De là, le conteneur­citerne a été transporté par camion jusqu’à Oakville.

 

VII.  L’inspection à Oakville

 

[46]           Le conteneur­citerne a été retiré de son cadre et examiné à l’intérieur, dans les locaux de Praxair à Oakville, les 8 et 9 janvier 2008. Comme Praxair craignait toujours que le vide du conteneur C156 ait été compromis et que l’entreprise n’était pas autorisée à exécuter les travaux supplémentaires requis, il fut décidé que le conteneur serait envoyé chez Citernes Bédard, à Montréal. Cela dit, le conteneur a été soigneusement examiné par le personnel de Praxair, M. Keith Hall, un représentant du fabricant, MM. Maybee et Glenn Buck au nom d’Oceanex, de même que par un représentant de Transports Canada, qui était préoccupé par le fait que le conteneur ne possédait pas l’approbation réglementaire canadienne.

 

[47]           Les parties ont tenu pour acquis que le conteneur­citerne n’avait subi aucun dommage pendant son transit de Terre‑Neuve à Oakville. Des photographies prises à Oakville ont été montrées à M. Lallemant, qui confirme que celles­ci reflètent l’état du conteneur­citerne au moment où il a été rempli à Montréal avant d’être embarqué sur le Cabot pour le voyage 48. À la lumière de ces photographies et de leur comparaison avec celles qui ont été prises à St. John’s lors du déversement d’octobre 2007, la conclusion des parties, selon laquelle le conteneur C156 n’aurait subi aucun dommage pendant son transit de Terre­Neuve à Oakville, est bien fondée.

 

[48]           Bien qu’il s’agisse ici véritablement d’un cas où une image vaut mille mots, les défauts, pour ainsi dire, se trouvaient derrière et sous la porte centrale du compartiment à tuyauterie.

 

[49]           Les deux robinets coupe­feu (remplissage/vidange et admission/accumulation de pression) étaient ouverts. À coup sûr, M. Lallemant n’y avait pas touché. Praxair est d’avis que les robinets coupe­feu demeuraient ouverts en tout temps et que les écrous n’étaient resserrés qu’en cas de fuite.

 

[50]           Le boulon en U inversé en bronze qui retenait les raccords de remplissage et de vidange était cassé en deux dans la partie supérieure du U inversé. Selon M. Lallemant, ce bris s’est produit lors de la conversion de la citerne qui avait pour but de passer de l’azote à l’oxygène.

 

[51]           Le support boulonné à deux pièces chevauchantes auquel le boulon en U était fixé était fortement déformé.

 

[52]           Une marque de frottement d’au moins un demi­pouce de long, laissée par le collier Stauff en plastique vert servant à fixer la tuyauterie à l’enveloppe extérieure, indiquait un déplacement du collier ou de la tuyauterie. Il y avait un léger flambage sur le dessus du tuyau raccordé au robinet V1.

 

[53]           Le dessous du bac d’égouttement était plié vers le haut sous le boulon cassé du raccord de remplissage situé dans le compartiment à tuyauterie.

 

[54]           Le longeron inférieur du cadre du conteneur­citerne était cambré vers le haut, sous la porte centrale du compartiment, tout comme le longeron de l’autre côté du conteneur. Cette cambrure mesurait environ cinq huitièmes de pouce de haut et était aussi légèrement arquée vers l’intérieur. Le cadre aurait pu être déformé davantage, pour ensuite se redresser partiellement jusqu’à l’état observé. Cependant, la position des montants d’angle était toujours conforme aux normes ISO, ce qui signifie que le conteneur pouvait être posé sur les dispositifs de verrouillage d’un navire ou d’un châssis sans aucune difficulté.

 

VIII.  Essais et inspection chez Citernes Bédard

 

[55]           Le conteneur­citerne C156 est arrivé chez Citernes Bédard, à Montréal, le 13 mars 2008. Divers essais ont été effectués au cours des quelques mois qui suivirent. La citerne a été remplie d’azote liquide au moyen d’un dispositif spécial qui évitait de devoir remplacer les raccords pour ce faire, puis a été laissée dans le parc de Bédard. Somme toute, on a estimé que la citerne était en bon état. Le 15 octobre 2008, on a noté que la pression dans la citerne était de 148 lb/po2 et que cette dernière se dégazait. Le 27 octobre 2008, il ne restait plus d’azote dans la citerne et la dépression était nulle. Personne n’en fit grand cas étant donné que la citerne n’était conçue pour contenir de l’azote liquide que pendant un maximum de 66 jours. Le fait est que la citerne se dégazait; elle ne fuyait pas.

 

[56]           Plus tard, le conteneur­citerne C156 a été rapatrié au parc de Praxair à Montréal. Oceanex a retenu les services de M. Jean‑René Dumont, un chimiste possédant de l’expérience avec la tuyauterie, le 6 et 7 avril 2009. En présence de représentants de Praxair et d’un expert, M. Dumont a retiré le plus petit robinet coupe­feu, soit le robinet V2, ainsi que le boulon en U inversé cassé. Il a essayé sans succès de démonter le robinet V1. D’un commun accord, ces pièces ont été confiées à la garde d’Hayes Stuart, une entreprise d’inspection de navires.

 

IX.  Essais et inspection chez CVA

 

[57]           À ce stade, des dispositions avaient été prises par Praxair pour renvoyer le conteneur­citerne chez son propriétaire. Praxair a donc expédié le conteneur C156 au fabricant, Cryogenic Vessel Alternatives (CVA), à Mont Belvieu, au Texas, pour qu’il soit remis à neuf. Le conteneur­citerne a été inspecté le 8 juin 2009 et les jours suivants par M. Keith Hall et d’autres personnes, dont Mme Tracy MacDonald, l’ingénieur de distribution de Praxair et M. Éric Turpin, expert de Silver Clims qui représentait Oceanex. M. Turpin n’a pas témoigné et son rapport n’a pas été produit. Cependant, un certain nombre de témoins ont fait référence aux photographies qu’il avait prises. D’autres pièces du conteneur ont été découpées et renvoyées à Montréal, dont le robinet coupe­feu V1, certaines parties du bac d’égouttement et certaines parties des longerons inférieurs horizontaux avant et arrière du cadre du conteneur­citerne.

 

[58]           Quelques points de rouille ont été relevés sur les longerons inférieurs du cadre, sous le compartiment à tuyauterie. M. Hall est d’avis que la rouille n’avait rien à voir avec les dommages, mais qu’elle pourrait provenir des supports de traverses du châssis d’une remorque sur laquelle le conteneur aurait été déposé. Cette rouille ne semble pas avoir été décelée à Oakville. Quoi qu’il en soit, la rouille s’est peut­être produite lors du déplacement du conteneur par camion vers Oakville, lors de son envoi subséquent à Montréal ou lors de son transport final jusqu’au Texas, au sujet duquel aucun détail n’a été fourni.

 

[59]           Le dessus du tuyau de deux pouces raccordé au robinet coupe­feu V1 présentait un léger flambage, immédiatement à gauche du collier de fixation Stauff en plastique vert. Puisqu’à cela s’ajoutent les marques de frottement laissées par le collier en plastique vert qui ont été relevées précédemment, M. Hall estime que le tuyau a été forcé à glisser dans le collier. Cette conclusion a été remise en question par M. John Davis, l’expert d’Oceanex. Puisqu’aucun expert n’a suggéré que ce flambage était de quelque façon que ce soit un facteur causal, et étant donné les travaux subséquents réalisés à proximité par M. Dumont, je n’ai pas à me demander si ce flambage a été causé par M. Lallemant lorsqu’il a remplacé les raccords en laiton, ou s’il en est autrement.

 

[60]           Une petite fuite a été décelée dans le joint en époxy du robinet de dépression, soit le seul robinet se trouvant derrière la porte de gauche du compartiment. Deux des quatre boulons de fixation du robinet étaient desserrés. M. Hall suggère que cela pourrait être attribuable aux essais de vide exécutés après l’incident. La fissuration de l’époxy sur les filets de l’orifice d’aspiration du robinet de vidange pourrait être le résultat du froid extrême causé par la fuite dans le compartiment à tuyauterie. En tout cas, personne n’a suggéré que la fissuration de l’époxy se serait produite en premier, ce qui aurait compromis le vide et, par le fait même, réchauffé l’oxygène jusqu’à son point d’ébullition, causant ainsi une augmentation de pression importante.

 

X.  Essais et inspection chez le Groupe Laganière

 

[61]           Le 31 mai 2011, près de deux ans plus tard, M. John Davis, un ingénieur en mécanique qui a témoigné à titre d’expert pour le compte d’Oceanex, a procédé à l’inspection visuelle, chez Empire Stevedoring, des composants qui avaient été retirés du conteneur­citerne C156 au Texas et envoyés à Montréal.

 

[62]           Le jour suivant, M. Davis a procédé à une inspection visuelle du robinet coupe­feu V1, qu’il a également soumis à un essai en pression au garage du Groupe Laganière, à Montréal. Ces travaux ont été effectués en présence de M. Dumont et de Mme MacDonald de Praxair, de même que des avocats d’Oceanex et de Praxair. Les résultats de l’inspection suggèrent que le robinet était en bon état. M. Davis a cependant noté qu’il ne fallait que peu de pression pour desserrer l’écrou et provoquer une fuite.

 

[63]           M. Dumont a soumis le robinet coupe­feu V2 à un essai de pression le 16 juin 2011. Encore une fois, il n’y avait rien d’anormal à signaler.

 

XI.  Contestations concernant les témoins experts

 

[64]           Oceanex a fait valoir que je ne devais même pas entendre la preuve de Keith Hall, un expert appelé par Praxair. Elle ne conteste pas ses qualifications, mais est d’avis qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’il livre un témoignage objectif puisqu’il était directeur de l’ingénierie chez Cryogenic Vessel Alternatives, entreprise qui a construit le C156, et qu’il était toujours en relation d’affaires avec Praxair, même après avoir changé d’entreprise.

 

[65]           John Davis, un ingénieur mécanique, était le principal témoin expert appelé par Oceanex. Praxair n’a pas contesté son expertise en tant que telle, mais a rappelé qu’il n’était pas un spécialiste des réservoirs cryogéniques. M. Davis a témoigné après M. Hall. Lors des plaidoiries présentées à la fin de l’audience, Praxair a soutenu que le témoignage de M. Davis ne pouvait être pris en compte qu’en rapport avec la demande reconventionnelle de Praxair, et non avec la demande d’Oceanex.

 

[66]           Pour ce qui est de M. Hall, j’ai rendu une ordonnance écrite indiquant que j’entendrais son témoignage.

 

[67]           Un certain nombre de décisions ont été invoquées, en particulier l’avis dissident du juge en chef MacDonald de la Cour d’appel de Nouvelle­Écosse dans Abbott and Haliburton Co. Ltd. White Burgess Langille Inman (c.o.b. WBLI Chartered Accountants), 2013 NSCA 66, 361 DLR (4th) 659, [2013] NSJ no 259 (QL). Cependant, j’estime que la décision de la majorité était plus conforme à la jurisprudence qui enseigne que le témoignage d’un expert par ailleurs qualifié doit généralement être entendu avant de décider, le cas échéant, du poids à lui accorder. D’ailleurs, des démarches sont faites pour saisir la Cour suprême de l’affaire.

 

[68]           M. Hall s’est avéré être un excellent témoin objectif. Il est évident que sa première opinion, émise le 15 janvier 2008 à la suite de son inspection à Oakville, était prématurée. On ne l’avait pas informé que deux robinets coupe­feu du conteneur­citerne C156 avaient fui pendant plusieurs heures en octobre 2007. Il était et demeure d’avis que le conteneur a été échappé ou déposé brusquement sur un élément surélevé qui aurait forcé la tuyauterie vers le haut et la droite. Cela dit, le passage suivant est encore plus éloquent :

[traduction] Pour la plupart des robinets cryogéniques, la fuite occasionnelle des garnitures est complètement normale. Je n’ai jamais entendu parler d’une fuite de garniture catastrophique qui se serait produite rapidement dans des circonstances normales. Une garniture peut fuir un peu et quand l’opérateur s’en aperçoit, il utilise une clé pour resserrer un tout petit peu l’écrou de presse­garniture. Il ne faut pas trop serrer l’écrou de presse­garniture, sinon le robinet ne fonctionnera plus (la tige de manœuvre ne sera pas en mesure de tourner dans la garniture surcomprimée). Puisque le conteneur n’était pas endommagé lorsqu’il a été expédié et étant donné que la zone endommagée sur le conteneur­citerne se trouve directement sous le circuit de tuyauteries, dont le robinet coupe­feu fait partie, il est évident que l’impact subi par le conteneur­citerne (lequel a probablement été échappé sur quelque chose) est ce qui a causé la fuite importante de la garniture du robinet coupe­feu.

 

[C’est moi qui souligne.]

 

 

[69]           Après avoir vu les photographies prises immédiatement après le déversement d’octobre 2007 et avoir pris des mesures à partir de celles‑ci, M. Hall avait la ferme conviction que le cadre du conteneur présentait une déformation à l’époque et qu’une inspection minutieuse aurait pu en révéler la présence. Je suis d’accord avec lui et telle est également ma conclusion.

 

[70]           En ce qui concerne M. Davis, je dois dire qu’il possédait des connaissances générales de premier ordre en matière de robinetterie et de tuyauterie. Il a su sans difficulté fournir des explications concernant le plan de tuyauterie. Son opinion fut très utile.

 

[71]           Selon Praxair, le témoignage de M. Davis ne peut servir à étayer les arguments qu’Oceanex fait valoir contre elle, et à cet égard elle invoque un certain nombre de décisions, notamment celle du juge Pelletier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Halford c Seedhawk Inc, 2003 CFPI 141, [2003] ACF no 237 (QL). Ces décisions concernent la production d’une preuve d’expert en réponse. Le juge Pelletier a cité un certain nombre de décisions qui enseignent que le demandeur doit en premier lieu présenter toute sa preuve, et non pas la scinder de manière à invoquer dans un premier temps une preuve prima facie, et par la suite de tenter de produire d’autres éléments de preuve après avoir entendu le défendeur.

 

[72]           Ce principe doit être mis en contexte. En l’espèce, nous sommes saisis d’une demande et d’une demande reconventionnelle fondées sur des éléments de preuve communs. Bien que l’ordre dans lequel les témoins seraient appelés à témoigner ait donné lieu à quelques manœuvres, le calendrier a été modifié pour composer avec l’horaire de M. Hall. Par ailleurs, dans sa dernière proposition concernant l’ordre des témoins soumise dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance, Oceanex a indiqué que hormis le fait que le témoignage de M. Hall serait entendu avant celui de M. Davis, le calendrier final était laissé à la discrétion de la Cour.

 

[73]           Comme il a été mentionné précédemment, les rapports d’experts avaient été déposés plus de deux ans avant le procès. Oceanex ne scindait pas sa preuve. Ce qui était nouveau, c’est que M. Davis a témoigné après avoir entendu M. Lallemant, alors que M. Hall a été appelé avant. Cela a amené M. Davis à témoigner au sujet du flambage sur le tuyau à proximité du robinet coupe­feu V1, ce que j’estime, de toute façon, non pertinent.

 

[74]           En outre, parce que cela convenait mieux à son emploi du temps, M. Arthur Lavigne, l’expert­comptable appelé par Praxair, a été entendu avant Mme Lynda Boisvert, l’experte­comptable d’Oceanex. Le fait que Mme Boisvert se soit contentée de s’en tenir au rapport d’expert qu’elle a déposé et qu’elle ne commente pas le témoignage de M. Lavigne n’est pas pertinent. En fait, son rapport n’était pas présenté en contre­preuve, ce qui aurait très bien pu mener à l’argument voulant que Oceanex scindait sa preuve.

 

[75]           Praxair n’a pu invoquer aucun préjudice lié au fait que M. Hall ait été entendu avant M. Davis et, quoi qu’il en soit, le premier a été rappelé pour commenter le témoignage du second. Tout au long du procès, j’ai signalé plusieurs fois que chaque partie aurait toutes les occasions possibles de dire ce qu’elle jugeait nécessaire, et peut­être davantage.

 

[76]           À mon avis, la décision la plus pertinente est celle du juge en chef Richard dans Elders Grain Co Ltd c Ralph Misener (Navire), 2005 CAF 139, [2005] 3 RCF 367, conf. par [2005] AMC 1241, [2005] ACF no 612 (QL), dans laquelle il déclarait :

[64]      Le juge de première instance a examiné et rejeté les arguments des avocats des appelantes selon lesquels leur demande et la demande reconventionnelle des intimés devraient être traitées comme deux instances distinctes dans le cadre de la même audience. Après avoir soupesé les observations des deux parties, il a également décidé de ne pas accorder aux appelantes l’autorisation de présenter le rapport de leur expert en contre­preuve.

 

[65]      Le juge de première instance avait le pouvoir discrétionnaire de décider de l’ordre de présentation de la preuve et de refuser d’accorder l’autorisation de présenter la contre­preuve d’un expert au procès. En outre, c’est pour des raisons d’économie judiciaire que la demande et la demande reconventionnelle ont été entendues ensemble, la preuve étant commune aux deux. Il était toujours loisible aux appelantes de demander que les deux demandes soient entendues séparément si elles le jugeaient nécessaire.

 

[66]      Selon le dossier, le juge de première instance a exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, rien ne justifie une modification de sa décision.

 

 

XII.  La cause de la fuite

 

[77]           Pour comprendre pourquoi les robinets coupe­feu ont fui, il faut tenir compte de leur construction. Ils sont constitués d’une tige dans un chapeau. L’espace entre les deux pièces est scellée dans sa partie supérieure, sous l’actionneur jaune en forme de champignon, par une série d’anneaux de Téflon comprimés par le serrage de l’écrou de presse­garniture. Le chapeau et la tige sont tous deux reliés à un obturateur à bille qui tourne facilement de 90 degrés d’un côté comme de l’autre pour s’ouvrir et se refermer.

 

[78]           Si le chapeau est poussé d’un côté, la tige l’est également. Selon M. Davis, l’intégrité de la garniture ne devrait cependant pas être atteinte. Bien que M. Hall soit essentiellement d’accord avec ce propos, il soutient que la tige ne peut se déplacer tout à fait autant que le chapeau, et que, par conséquent, la garniture qui se trouve entre les deux pièces peut se déformer et entraîner une fuite entre la tige et le chapeau. À température ambiante, lorsqu’il n’y a pas de fuite, la garniture reprend sa forme d’origine.

 

[79]           Si l’écrou de presse­garniture n’est pas suffisamment serré, du liquide viendra remplir l’espace entre le chapeau et la tige. Lorsqu’elle est exposée à un gaz liquéfié, la garniture rétrécit plus rapidement que le chapeau, ce qui entraîne l’accumulation d’une petite quantité d’oxygène liquide qui fuira à défaut de pouvoir s’évaporer immédiatement. De plus, si les robinets coupe­feu devaient demeurer ouverts contrairement aux directives du fabricant, ce qui était le cas, toute la citerne serait alors sujette à une fuite, car le tuyau relié au robinet de remplissage C1 passe près du robinet coupe­feu V1.

 

[80]           À mon avis, les robinets coupe­feu V1 et V2 ont fui, en décembre 2007, parce qu’ils n’étaient pas suffisamment serrés. De fait, la preuve, y compris le témoignage de M. Davis, démontre qu’il est difficile de placer une clé sur les écrous de presse­garniture situés sous les actionneurs en forme de champignon. Nulle déformation de la tuyauterie n’a provoqué la fuite et, quoi qu’il en soit, aurait été facile à prévenir.

 

[81]           Il existe deux autres faits troublants qui ne peuvent être attribués à Oceanex. D’abord, une des deux soupapes de sûreté était réglée à 200 lb/po2 plutôt qu’à 144 lb/po2. Aucune explication n’a été fournie à ce sujet. L’enceinte intérieure ne pouvait vraisemblablement être dégazée de façon aussi efficace. Ensuite, les ailettes situées de l’autre côté du conteneur­citerne C156 étaient recouvertes de givre, ce qui laisse croire que la pression augmentait dans la citerne alors que Praxair essayait de la mettre hors pression. Encore une fois, aucune explication n’a été donnée.

 

XIII.  Le contrat entre Oceanex et Praxair

 

[82]           Le seul point qui a posé problème entre les parties était le taux de fret. Les autres conditions d’Oceanex ont été acceptées. De plus, Praxair a acquitté les factures que lui a présentées Oceanex. Le contrat réside dans la cotation tarifaire incorporant le tarif d’Oceanex et le récépissé non négociable. Cette cotation stipulait spécifiquement que le chargement n’était visé ni par les Règles de La Haye­Visby ni par les Règles de Hambourg. Aucun connaissement n’a été délivré.

 

[83]           Le récépissé non négociable stipule que le contrat est régi par le droit maritime canadien. La clause 11 porte sur les marchandises dangereuses. En voici le libellé :

[traduction] Aucune marchandise dangereuse, inflammable, contaminante, polluante, poussiéreuse, congelée, dommageable, susceptible d’être endommagée par d’autres biens ou marchandises ou pouvant le devenir (y compris les matières radioactives) ne doit être confiée au transporteur aux fins de transport sans son consentement exprès par écrit. Le marchand doit s’assurer que la nature de telles marchandises est clairement indiquée sur l’extérieur de tout emballage et conteneur qui en contient. Si de telles marchandises sont remises au transporteur sans son consentement écrit, celles­ci peuvent à tout moment être détruites, cédées, abandonnées ou rendues inoffensives, et ce, sans indemnité pour le marchand et sous réserve des droits du transporteur au paiement du fret. Le marchand reconnaît que le transporteur ne possède aucune connaissance réelle des caractéristiques des marchandises et stipule que celui­ci n’a aucune obligation de s’en informer. Qu’il ait connaissance ou non de la nature ou du contenu des marchandises, le marchand devra indemniser le transporteur de toutes réclamations, pertes, dépenses et dommages découlant de la réception ou du transport de telles marchandises ou de tout délai à cet égard, et rembourser au transporteur toutes dépenses, réclamations et pertes et tous frais et dommages‑intérêts qui en découlent.

 

[C’est moi qui souligne.]

 

 

[84]           La clause 11 n’a aucune application directe. L’oxygène liquide est intrinsèquement dangereux, comme le savaient Praxair et Oceanex, qui ont expressément consenti par écrit à le transporter.

 

[85]           Nonobstant l’exclusion contractuelle des Règles de La Haye­Visby, Oceanex fait valoir qu’elles continuent de s’appliquer pour des raisons d’intérêt public : elle s’appuie à cet égard sur l’arrêt Wells Fargo Equipment Finance Company c MLT3 (La), 2013 CAF 96, 359 DLR (4th) 561, [2013] ACF no 380 (QL). Elle soutient que la section 6 de l’article IV des Règles, qui figure à l’annexe 4 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, prévoit que si des marchandises dangereuses sont chargées sans que le transporteur en connaisse la nature, le chargeur est responsable « de tout dommage et dépenses provenant ou résultant directement ou indirectement […] » [non souligné dans l’original].

 

[86]           L’arrêt Wells Fargo ne défend pas la proposition avancée par Oceanex. Cette affaire concernait un contrat s’apparentant à un contrat d’affrètement par charte­partie. Le paragraphe 43(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime indique très clairement que les Règles de La Haye­Visby s’appliquent au Cabotage, à moins que, comme en l’espèce, aucun connaissement n’ait été délivré et que le contrat stipule que les Règles sont inapplicables.

 

[87]           De toute façon, comme nous le verrons, il n’est pas nécessaire de considérer la question des dommages indirects.

 

XIV.  Responsabilité de Praxair

 

[88]           Les décisions invoquées en ce qui a trait aux marchandises dangereuses ne sont pas vraiment pertinentes puisqu’elles concernent des chargements qui ne seraient pas considérés comme intrinsèquement dangereux. La question qui se posait dans ces affaires était de savoir si l’expéditeur était responsable en vertu des Règles de La Haye­Visby ou de la common law, même s’il ignorait que les marchandises étaient dangereuses.

 

[89]           Dans Giannis NK (Effort Shipping Co Ltd) c Linden Management SA et al, [1998] 1 Lloyd’s Rep 337, la Chambre des Lords a examiné le cas d’un chargement d’arachides infesté de trogodermes; un autre chargement avait d’ailleurs été contaminé et a dû être détruit. Par conséquent, l’opération de fumigation avait retardé le navire.

 

[90]           La Chambre des Lords a estimé que les marchandises dangereuses au sens des Règles de La Haye ne se limitaient pas aux articles inflammables, explosifs et autres du même genre. En l’absence du consentement éclairé du transporteur, l’expéditeur était en principe responsable de tous les dommages et dépenses résultant directement ou indirectement dudit chargement.

 

[91]           Lord Lloyd a ajouté dans une remarque incidente que la responsabilité des expéditeurs ne dépendait pas de ce qu’ils savaient ou étaient en mesure de savoir, et que le résultat serait le même que leur responsabilité découle d’une condition implicite en common law ou de la section 6 de l’article IV des Règles de La Haye. Elle fait entrer en jeu le principe de la responsabilité stricte.

 

[92]           Dans Elders Grain Co c Ralph Misener (Navire), 2003 CF 837, [2003] ACF no 073 (QL), conf. par 2005 CAF 139, [2005] ACF no 612 (QL), précitée, des cargaisons de granulé de luzerne ont pris feu durant le débarquement, probablement à cause de la combustion spontanée. Les cargaisons de granulés de luzerne sont dangereuses, car elles peuvent prendre feu si elles sont mal entreposées.

 

[93]           Le commentaire le plus pertinent est celui du juge Nadon, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans la décision Industries Perlite Inc c Marina Di Alimuri (Le), [1996] 2 CF 426, [1995] ACF no 1650 (QL). Il s’agissait d’une cargaison de mousse de tourbe, matière qui peut devenir dangereuse si elle est mouillée, et donc trop lourde, à l’embarquement. Le juge déclarait au paragraphe 98 :

La responsabilité pour les dommages causés par un sinistre dû à l’embarquement d’une cargaison dangereuse est modifiée lorsque le transporteur, les membres de l’équipage ou les armateurs connaissent la nature dangereuse de la cargaison, ou auraient raisonnablement dû la connaître. Comme le montre la jurisprudence, cette exception est fondée sur l’hypothèse selon laquelle un transporteur qui connaît la nature dangereuse de la cargaison qu’il a acceptée consent à assumer certains risques liés à cette cargaison ou accepte de le faire. Autrement dit, lorsqu’il est indiqué que le transporteur a été informé des dangers liés à une cargaison, ou si ces dangers sont évidents, et que le transporteur accepte la cargaison en connaissance de cause, le principe général énoncé ci­dessus est faussé. Dès lors, quelle que soit la garantie (absolue ou conditionnelle) donnée par le chargeur quant au caractère approprié des marchandises pour le transport, la responsabilité pour les dommages qui découle [sic] d’une « cargaison dangereuse » est jugée d’après une échelle variable qui dépend entièrement de la connaissance, ou de la connaissance réputée, du transporteur.

 

[94]           L’oxygène liquide et le nitrogène liquide sont visés par la Loi sur le transport des marchandises dangereuses de 1992 et le règlement pris en vertu de cette loi. Entre autres choses, la cargaison doit être convenablement placardée, ce qui était le cas en l’espèce. Les gaz liquéfiés relèvent de la classe 2 de la Loi. Aux termes de l’article 5.4 du Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, l’expéditeur doit veiller au « chargement et [à] l’arrimage de marchandises dangereuses dans des contenants […] de façon à empêcher que, dans des conditions normales de transport, les contenants et les moyens de transport ne subissent des dommages […] ».

 

[95]           De plus, en vertu de la common law ou du récépissé non négociable, le transporteur n’est pas responsable des dommages causés par un emballage défectueux. [traduction] « Nul ne peut demander d’être indemnisé pour des dommages découlant de ce qu’il a négligé de faire ce qu’il était de son devoir de faire » (Barbour c South Eastern Railway Co (1876), 34 LT 67, par Baron Cleasby, tel que cité dans Carver, Carriage by Sea, 13e édition, volume 1, paragraphe 17). Par ailleurs, la garniture défectueuse, c’est­à­dire le fait que les écrous de presse‑garniture n’étaient pas suffisamment serrés, ne pouvait être détectée par Oceanex. Les robinets coupe­feu se trouvaient derrière les portes fermées d’un compartiment. D’ailleurs, [traduction] « qui peut savoir ce qui se passe derrière des portes closes? » Quoi qu’il en soit, Oceanex n’était pas censée faire autre chose avec le conteneur que de le transporter. Elle n’a pas accepté le risque que Praxair n’agisse pas comme il se doit.

 

[96]           Par conséquent, la responsabilité de Praxair est engagée.

 

[97]           Praxair fait valoir qu’il fallait que la cambrure ou la déformation des longerons inférieurs du cadre du conteneur­citerne se soit produite alors que le conteneur était sous la garde d’Oceanex, car ni Praxair ni son entreprise de camionnage de St. John’s, Quinnsway Transport, n’ont eu l’occasion d’enlever le conteneur­citerne du châssis. Cependant, aucun élément de preuve n’a été présenté pour expliquer comment le conteneur­citerne a été expédié depuis son lieu de fabrication au Texas jusque chez Praxair à Montréal. M. Lallemant croit se rappeler qu’une grue avait été louée pour enlever le conteneur­citerne d’un camion. Le conteneur­citerne aurait ensuite été posé au sol, où il est demeuré pendant plusieurs mois. Étant donné que tous les reçus d’échange de matériel sont conformes et que M. Hollings, qui avait été engagé par Praxair, n’a rien relevé d’anormal après le déversement de décembre, on ne peut pas dire, selon la prépondérance des probabilités, que la déformation des longerons inférieurs se soit produite pendant que le conteneur­citerne était sous la garde d’Oceanex ou de ses débardeurs ou camionneurs.

 

[98]           Les présomptions découlant de la charge de la preuve n’ont qu’une application limitée. Nul ne l’a mieux exprimé que le juge Devlin (tel était alors son titre) dans Waddle c Wallsend Shipping Ltd, [1952] 2 Lloyd’s Rep 105, à la page 139 :

[traduction] Dans une affaire où l’essentiel des faits a été mis au jour, il est sans aucun doute légitime de plaider qu’il faut trouver une cause quelconque, et donc que la cause qui paraît la mieux établie devrait être choisie. Lorsqu’on peut dire à juste titre que toutes les causes possibles ont été examinées à fond, c’est la plus forte qui doit l’emporter. Mais dans un cas où il n’existe aucune preuve directe, il n’y a pas de raison de dire que la conjecture la plus plausible doit nécessairement être la bonne explication. Il se peut bien qu’on doive constater qu’on n’en connaît pas assez sur les circonstances du sinistre pour permettre à celui qui enquête de dire comment s’est arrivé. Tout ce qu’il peut dire c’est qu’aucune théorie proposée n’a pu trouver suffisamment d’appui dans les faits pour rendre plus probable que cela soit arrivé de cette façon et non d’une autre [...].

 

La présente affaire n’est pas de celles qui peuvent être tranchées en fonction de la charge de la preuve.

 

[99]           Même si la déformation des longerons avait été un facteur causal et qu’elle avait été attribuable à Oceanex, Praxair savait depuis deux mois que le conteneur­citerne avait un problème grave. Tout ce que Praxair s’est contenté de faire, c’est de resserrer l’écrou de l’un des deux robinets coupe­feu qui fuyaient. L’incident n’a même pas été consigné. Cela n’est pas sans rappeler l’affaire The Princess Victoria, (1953) 2 Ll.L.R. 619, une décision de la Haute Cour de justice d’Irlande du Nord – Ulster.

 

[100]       Dans l’affaire The « Princess Victoria » il s’agissait de déterminer si sous le régime Merchant Shipping Acts (UK), le naufrage du navire résultait de [traduction] « la faute ou la négligence » de ses propriétaires ou de ses exploitants. La perte du navire était attribuable à l’état d’innavigabilité causé par une défectuosité des portes arrière du pont­garage. Un volume important d’eau s’était accumulé sur ce pont lors d’un incident précédent. Comme l’a déclaré le lord juge en chef MacDermott aux pages 632 et 633 :

[traduction] L’incident de 1951 ne semble pas avoir préoccupé les propriétaires. Le certificat annuel du Larne­Stranraer pour le transport de passagers a été renouvelé dans l’état même où le navire se trouvait, et il semble qu’aucune leçon n’ait été tirée en ce qui concerne sa navigabilité. L’expérience de 1951 est importante en ce qu’une très grande quantité d’eau s’était retrouvée bloquée sur le pont­garage. La Cour estime que cette situation aurait dû inciter les propriétaires à mener enquête. Ils auraient dû établir les faits le plus scrupuleusement possible; l’entrée de paquets de mer à travers l’ouverture arrière ne pouvait plus être considéré comme improbable; et ils auraient dû se donner la peine de s’interroger sur les mesures à prendre pour corriger le défaut de conception ainsi découvert.

 

[101]       Il n’est pas nécessaire de déterminer si la conception du C156 était ou non défectueuse. Pour reprendre la formule de Lord MacDermott, l’incident d’octobre 2007 aurait dû préoccuper Praxair. Il importait surtout qu’une fuite exceptionnelle ayant duré plusieurs heures était survenue. À mon avis, cette situation aurait dû inciter Praxair à mener enquête. Elle aurait dû établir les faits aussi scrupuleusement que possible; elle aurait dû réaliser qu’une fuite grave provenant des robinets cachés derrière les portes du compartiment ne pouvait plus être considérée comme improbable; et elle aurait dû s’interroger sur les mesures à prendre pour corriger le problème ainsi découvert.

 

[102]       Mme MacDonald a reconnu que Praxair était au courant que l’oxygène liquide était capable de causer la rupture de certains types d’acier. Il est donc des plus heureux que l’incident se soit produit alors que le Cabot se trouvait en sécurité à quai, car s’il avait eu lieu en mer par gros temps, il est fort probable que le navire se serait brisé en deux. Nous ne pouvons qu’espérer que les membres d’équipage auraient réussi à s’échapper à bord des canots de sauvetage à temps.

 

XV.  Dommages­intérêts d’Oceanex

 

[103]       Les dommages­intérêts auxquels Oceanex peut prétendre pour rupture de contrat sont régis par le droit maritime canadien. Celui­ci repose sur le droit contractuel anglais tel que modifié par les lois canadiennes et progressivement transformé par les tribunaux (ITO­International Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752, [1986] ACS no 38 (QL) (le Buenos Aires Maru) et Fraser River Pile & Dredge Ltd c Can­Dive Services Ltd, [1999] 3 RCS 108, [1999] ACS no 48 (QL)).

 

[104]       Les dommages­intérêts visent à mettre la demanderesse dans la position qui aurait été la sienne, n’eût été le sinistre, dans la mesure permise par la loi. La décision de principe est depuis plus de 150 ans la décision Hadley c Baxendale (1854), 9 ExCh341, 156 ER 145. Le critère permettant de déterminer si les dommages sont d’un point de vue juridique trop indirects consiste à se demander si les parties, au moment où elles ont signé le contrat, pouvaient raisonnablement envisager le type de sinistre, compte tenu des connaissances qu’elles avaient de leurs activités respectives. Il convient aussi de se référer à l’arrêt récent RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. c Merrill Lynch Canada Inc, 2008 CSC 54, [2008] 3 RCS 79, [2008] ACS no 56 (QL).

 

[105]       Comme le déclarait le juge en chef adjoint Thurlow dans la décision Bentsen Line A/S c F.F. Soucy Inc, [1978] ACF no 815 (QL), la décision de principe pour l’évaluation des dommages‑intérêts liés à l’incapacité d’un navire de se livrer au commerce est la décision Smith c McGuire (1858), 3 H&N 554, dans lequel Martin B. déclarait :

[traduction] […]Le véritable dommage résulterait­il de la perte provenant de la rupture de contrat? Il convient de le vérifier par le calcul du fret à gagner, et la déduction des frais que le propriétaire de navire aurait encourus pour le gagner; il faut également déduire ce que le navire aurait permis de gagner (le cas échéant) au cours de la période pendant laquelle le voyage se serait déroulé.

 

[106]       Si le Cabot était un navire de tramping, un vraquier ou un bateau­citerne qui pouvait être affecté au voyage ou affrété à temps pour le commerce international, la preuve d’expert aurait été produite par des courtiers maritimes connaissant bien le marché. Cependant, le Cabot effectuait un service de ligne relevant du commerce interne et limité à tous égards aux navires battant pavillon canadien. Les cargaisons n’étaient pas toutes transportées moyennant le même taux de fret.

 

[107]       Les dommages­intérêts ont d’abord été calculés par Daniel Turcotte, le contrôleur d’Oceanex. Ses calculs initiaux faisaient état d’une perte de 961 615 $. Cependant, dans la demande introductive d’instance Oceanex réclamait une somme de 946 382 $. Au stade des interrogatoires préalables, la somme réclamée est passée à 979 878 $. Lors des plaidoiries finales, après que les experts comptables eurent présenté leur preuve simultanément, la somme demandée a été réduite à 832 125,63 $; cette somme est toutefois sujette à révision en ce qui concerne les frais indirects.

 

[108]       La demande d’Oceanex a deux composantes. La première, soit le coût des réparations et les dépenses connexes, ne soulève aucune difficulté et a été admise par Praxair. C’est la deuxième composante, les pertes d’exploitation, qui pose problème. C’est sur ce point que les parties s’affrontent, sous réserve d’un réexamen des frais indirects :

CATÉGORIE DE DOMMAGES

SELON OCEANEX

SELON PRAXAIR

Coût des réparations

137 581,00 $

137 581,00 $

Frais supplémentaires de manutention

8 428,08 $

8 428,08 $

Combustible utilisé durant les réparations

29 264,00 $

29 264,00 $

Frais portuaires supplémentaires

7 522,00 $

7 522,00 $

Heures supplémentaires de l’équipage

966,97 $

966,97 $

Sous­total :

183 762,05 $

183 762,05 $

 

[109]       Oceanex exprime ses pertes et profits en EVP (équivalent 20 pieds), la longueur d’un conteneur standard. De nombreux conteneurs mesurent à présent 40, 48 et 53 pieds de longueur, de sorte que le fret d’un conteneur de 40 pieds, par exemple, correspondrait à deux EVP.

 

[110]       Pour des raisons pratiques, les chiffres sont ensuite exprimés en contribution par EVP. Cette contribution (c.­à­d. le profit net) varie évidemment en fonction des cargaisons transportées par trajet. Compte tenu des coûts fixes, la contribution ou le profit sera proportionnel à la cargaison.

 

[111]       Les calculs de M. Turcotte ont été envoyés à Deloitte en vue d’une analyse indépendante. Denis Hamel, qui travaille pour eux, a déposé un affidavit d’expert à l’égard duquel une autre de leurs comptables, Lynda Boisvert, a témoigné. M. Hamel n’a fait que remanier légèrement les calculs de M. Turcotte. Praxair a appelé un autre comptable qualifié, Arthur Lavigne. Le concept d’EVP n’a pas posé problème aux experts. Cependant, une grande partie de leurs opinions respectives ne reposait pas sur des principes comptables.

 

[112]       Les trois catégories de dommages restantes sont les suivantes : a) les dépenses liées au réacheminement de 76 conteneurs/remorques, ou 187 EVP, vers Terre­Neuve via la Nouvelle‑Écosse; b) la perte de profit sur les conteneurs qui n’ont pas été chargés en vue du trajet prévu le 19 décembre; et c) les frais indirects, les dommages généraux, la rétention des conteneurs à St. John’s, l’inspection aux fins de classification et la perte des cargaisons qui devaient être expédiées à l’ouest.

CATÉGORIE DE DOMMAGES

SELON OCEANEX

SELON PRAXAIR

Réacheminement 187 EVP

184 190,58 $

néant

Perte de profit

389 173,00 $

118 912 $ à 297 517 $

Frais indirects

75 000,00 $

13 561,00 $ à 31 716,50 $

 

[113]       La question des dépenses liées au réacheminement de 76 conteneurs/remorques ou 187 EVP de Montréal vers Terre­Neuve, via la Nouvelle­Écosse par camion puis par ferry jusqu’à Terre­Neuve, pose de sérieuses difficultés. Praxair soutient que cette catégorie de dommages ne résulte pas du déversement, et qu’Oceanex a engagé ces dépenses pour des raisons commerciales et non pour satisfaire son principal client, Wal­Mart, et quelques autres. Elle aurait pu invoquer une clause de force majeure prévue dans ces contrats, car elle n’a pas été en mesure d’effectuer le voyage initialement prévu le 19 décembre. J’inclinais d’abord à penser que Praxair avait raison et qu’Oceanex n’avait pas atténué ses dommages. Après mûre réflexion, je suis parvenu cependant à la conclusion opposée.

 

[114]       Dans Carver, précité, volume 2, au paragraphe 2144, on renvoie à la décision de la Cour d’appel d’Angleterre James Finlay & Co, Ltd c NV Kwik Hoo Tong Handel Maatschappij, [1929] 1 KB 400, 32 Ll. L. Rep 245, [1928] All ER Rep 110. Dans cette affaire, la date des factures du connaissement et celle du chargement ne concordaient pas. Les acheteurs du demandeur ont refusé de prendre livraison au motif qu’ils avaient acheté des marchandises en septembre et qu’elles n’avaient pas été expédiées ce mois­là. Plutôt que de chercher à faire exécuter son contrat, le demandeur a poursuivi le transporteur défendeur. Ayant confirmé la décision du juge Wright (tel était alors son titre) qui avait siégé en première instance, le lord juge Scrutton déclarait en page 250 :

[traduction] Personnellement, je ne pense pas que celui qui a rompu son contrat puisse forcer son acheteur, qui n’a pas fait de même, à minimiser les dommages causés à celui qui a rompu le contrat, en réclamant de l’argent auquel il sait ne pas avoir droit, et à intenter des poursuites qui ruineront sa réputation dans le monde des affaires.

 

[115]       Praxair savait très bien qu’Oceanex exploitait un service de ligne régulier. Si elle y avait réfléchi, elle aurait su que la période d’expédition précédant les ventes de Noël et la semaine de soldes d’après­Noël était cruciale. Il aurait été très imprudent de la part d’Oceanex de compromettre sa relation avec Wal­Mart. Les dépenses réclamées ne sont pas trop indirectes.

 

[116]       Oceanex demande 184 190,58 $ relativement aux dépenses nettes liées au réacheminement de 76 conteneurs/remorques ou 187 EVP vers Terre­Neuve via la Nouvelle­Écosse. Ce chiffre a été obtenu en soustrayant des dépenses réellement engagées le taux de fret normal facturé à Wal‑Mart et à d’autres clients. Ce fret a été acquitté. Même si Praxair soutient que cette catégorie de dommage ne résulte pas du déversement, je l’accorderai pour les motifs que j’ai mentionnés plus haut. Cependant, comme je l’expliquerai à l’égard de la perte de profit, je soustrais 63 $ par EVP, soit 11 781 $. Par conséquent, j’accorde 172 409,58 $.

 

[117]       L’autre montant réclamé est la perte de profit sur les EVP qui n’ont pas été chargés sur le Cabot en vue du trajet prévu le 19 décembre. Comme le Cabot, à l’instar de l’Avalon, effectuait des trajets hebdomadaires entre Montréal et St. John’s, de nombreuses réservations étaient faites à la dernière minute. Par conséquent, compte tenu des autres voyages effectués, j’estime que le Cabot aurait transporté davantage que les cargaisons réservées et effectivement annulées. D’après les calculs d’Oceanex, le Cabot aurait transporté 450 EVP lors d’un trajet normal, un chiffre qui n’est pas contesté. Sur ces 450 EVP, 187 étaient expédiés par camion, ce qui en laisse 263. Cependant, lors du trajet du 28 décembre, elle en a transporté 504. Le Cabot et l’Avalon ont fait quelques échanges, mais j’estime que ce facteur est neutre. Par conséquent, après avoir soustrait les 54 EVP additionnels qui ont été transportés le 28 décembre, j’estime qu’Oceanex a perdu un revenu net de 209 EVP (450 moins 187 moins 54).

 

[118]       Les comptables calculent différemment la contribution nette par EVP. M. Lavigne, appelé par Praxair, a utilisé les chiffres du mois de décembre 2007, alors que Mme Boisvert s’est basé sur toute l’année 2007. J’ai fait comme elle, car les volumes de cargaison peuvent grandement varier au cours de l’année.

 

[119]       Oceanex calcule une contribution de 1 228 $ par EVP. Cependant, M. Lavigne, qui a étudié les chiffres de décembre 2007, parvient à une estimation inférieure de 63 $ par EVP. J’accepte les calculs de M. Lavigne sur ce point. Par conséquent, la perte de contribution par EVP s’élève à 1 165 $. Les pertes sous cette rubrique s’élèvent donc à 243 485 $.

 

[120]       Il serait inacceptable de s’engager dans des calculs encore plus laborieux. Je souscris à l’avis du lord juge Winn de la Cour d’appel d’Angleterre dans Doyle c Olby (Ironmongers) Ltd and others, [1969] All ER 119, à la page 124 :

[traduction] Je crois que la Cour dispose déjà d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de faire une évaluation en chiffres ronds. Il serait inopportun de s’engager dans un examen minutieux d’éléments particuliers à l’égard desquels il faut trouver un juste équilibre et cet exercice constituerait un emploi inacceptable du temps du tribunal et de l’argent des parties.

 

[121]       On peut dire du dernier élément qu’il s’agit d’une catégorie fourre­tout. Durant les plaidoiries, l’avocat d’Oceanex a établi le montant réclamé à 75 000 $, lequel englobe les frais indirects, les dommages généraux, la rétention des conteneurs à St. John’s, une inspection de la Société de classification pour laquelle aucune facture n’a été retrouvée, et la perte des cargaisons qui devaient être transportées vers l’ouest. Les parties s’étaient entendues sur des frais indirects représentant 10 % de leurs dommages respectifs, ce qui, dans le cas d’Oceanex, se limite à sa réclamation concernant les pertes d’exploitation.

 

[122]       Oceanex a estimé la perte du fret qui devait être transporté à l’ouest à 50 000 $. Cependant, cela ne concorde pas avec les chiffres présentés. J’estime qu’elle n’a subi aucune perte. Cela étant dit, en se fondant sur les principes comptables généraux, le témoignage d’Oceanex sur les complications liées à la rétention de l’équipement à St. John’s et la décision Société Telus Communications c Peracomo Inc., 2011 CF 494, [2011] ACF no 602 (QL), conf. par la Cour d’appel fédérale, 2012 CAF 199, [2012] ACF no 855 (QL) (décision de la Cour suprême du Canada mise en délibéré), des frais indirects de 10 % relativement à la réclamation touchant les pertes d’exploitation sont justes et raisonnables. Par conséquent, je fixe les frais indirects à 41 589,46 $, soit 10 % de 415 894,58 % (réacheminement de 172 409,58 $ et perte de profit de 243 485 $).

 

[123]       Si l’on additionne tout cela, Oceanex a droit à des dommages‑intérêts s’élevant à 641 246,09 $ :

a.                   coût des réparations, etc. : 183 762,05 $;

b.                  réacheminement : 172 409,58 $;

c.                   perte de profit : 243 485 $;

d.                  frais indirects : 41 589,46 $.

 

XVI.  Intérêts

 

[124]       Les parties se sont, de façon raisonnable, entendues sur un intérêt simple, soit un taux annuel de 5 % qui commencerait à courir pour Oceanex à partir du 18 janvier 2008.

 

XVII.  Dépens

 

[125]       Les deux parties ont demandé que la question des dépens soit mise en délibéré afin qu’elles puissent soumettre des observations une fois le jugement rendu.


JUGEMENT

            POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT;

            LA COUR STATUE que :

1.                  L’action d’Oceanex Inc. intentée contre Praxair Canada Inc. est accueillie, le montant en principal accordé étant fixé à 641 246,09 $, plus intérêt simple jusqu’à à la date du jugement à un taux annuel de 5 % commençant à courir le 18 janvier 2008. Par la suite, la créance constatée par jugement (capital et intérêt) portera intérêt au même taux.

2.                  L’action in rem à l’encontre des propriétaires et de toutes autres personnes ayant un droit sur le conteneur‑citerne « C 156 » à bord du navire NM Cabot et le conteneur‑citerne « C 156 » à bord du navire NM Cabot est rejetée en raison de son caractère théorique.

3.                  La demande reconventionnelle de Praxair Canada Inc. est rejetée.

4.                  La question des dépens sera débattue à une date ultérieure.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

T­970­08

 

INTITULÉ :

OCEANEX INC c PRAXAIR CANADA INC ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             MONTRÉAL (QUÉBEC) ET ST. JOHN’S (TERRE­NEUVE­ET­LABRADOR)

 

DATES D’AUDIENCE :               DU 21 AU 25 OCTOBRE 2013 (MONTRÉAL),
DU 29 OCTOBRE AU 1ER NOVEMBRE 2013 (ST. JOHN’S),
DU 4 AU 8 NOVEMBRE 2013 (MONTRÉAL) ET
LES 12 ET 13 NOVEMBRE 2013 (MONTRÉAL)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 7 JANVIER 2014

 

DATE DE LA MODIFICATION
DES MOTIFS :
        Le 7 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Louis Buteau

Jean­François Bilodeau

Marie­Claude Laplante

 

 

pour la demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

 

Victor de Marco

Danièle Dion

Victoria Leonidova

 

 

pour les DÉFENDEURS/
DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro

Avocats

Montréal (Québec)

et

Navilex Inc.

Saint­Lambert (Québec)

 

POUR LA demanderesse/

défenderesse RECONVENTIONNELLE

 

Brisset Bishop

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES défendeurS/

demandeurS RECONVENTIONNELS

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.