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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20140226


Dossier :

T-558-13

Référence : 2014 CF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2014

En présence de monsieur le juge Roy

 

ENTRE :

CELSO V. GUMBOC

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, concernant une décision rendue le 5 mars 2013 par le tribunal de révision (depuis réorganisé et renommé le Tribunal de la sécurité sociale). Le demandeur se représente lui‑même, et il a réussi à faire avancer sa cause jusque devant la Cour au travers du labyrinthe que constituent les lois, les règlements et les traités applicables à sa situation.

 

[2]               M. Gumboc soutient qu’il devrait recevoir une pleine pension de sécurité de la vieillesse [SV] plutôt que 4/40ièmes de cette pleine pension. Pour parvenir à ce résultat, M. Gumboc soutient que le tribunal de révision (le tribunal) a commis deux erreurs. Premièrement, le tribunal aurait mal interprété les conditions relatives à la résidence de M. Gumboc au Canada, de sorte que le tribunal aurait conclu à tort que M. Gumboc n’avait pas droit à une pleine pension de SV. Deuxièmement, M. Gumboc soutient que l’Accord entre le Gouvernement du Canada  et le Gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/82‑105 (l’Accord Canada–É.‑U.) conclu par le Canada en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O‑9 (la LSV), permet à M. Gumboc d’invoquer les années qu’il a passées aux États‑Unis aux fins du calcul de sa pension de SV.

 

[3]               En bref, M. Gumboc a immigré au Canada en 1968, à l’âge de 38 ans. Au cours des 27 années suivantes, il a travaillé exclusivement au Canada pendant seulement 4 ans, soit de 1968 à 1972. En 1972, il a déménagé aux États‑Unis pour y exercer un emploi rémunéré. Il est devenu citoyen américain en 1978 et il touche maintenant une pension américaine. Il est revenu au Canada en 1995, à l’âge de 65 ans, et il soutient qu’il a droit à une pleine pension. Cela est évidemment contre‑intuitif, et mon examen des différents textes applicables m’a convaincu que, malheureusement pour lui, le demandeur a mal compris ces textes.

 

Historique des procédures et des faits

[4]               M. Gumboc a tenté pendant de nombreuses années de faire rajuster sa pension de SV par le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences. Dans une certaine mesure, la présente affaire est devenue une saga. Un bref résumé des procédures jusqu’à présent aidera à comprendre le contexte général.

 

[5]               La LSV prévoit le paiement d’une pleine pension au demandeur qui satisfait aux critères d’admissibilité énoncés au paragraphe 3(1). Si le demandeur n’est pas admissible à une pleine pension, la LSV prévoit la possibilité d’une pension partielle au paragraphe 3(2). Une pension partielle est calculée à raison de 1/40ième de la pleine pension pour chaque année complète de résidence au Canada après l’âge de 18 ans. La période minimale de résidence nécessaire pour être admissible à une pension partielle est de dix années de résidence au Canada. Pour déterminer la résidence, seule est prise en compte la résidence réelle, et non les périodes de présence physique au Canada.

 

[6]               Le 11 janvier 1995, le demandeur a eu 65 ans. Le 24 mai de cette année‑là, il a demandé au ministre, et plus précisément à Ressources humaines et Développement des compétences Canada [RHDCC], une pension de SV et un supplément de revenu garanti. Dans sa demande, le demandeur a indiqué que, du 21 décembre 1971 au 1er janvier 1995, il avait résidé au Canada 50 p. cent du temps et aux États‑Unis 50 p. cent du temps.

 

[7]               Le 7 juin 1995, le demandeur a avisé le ministre qu’il était un citoyen américain résidant aux États‑Unis, et sa demande a été transmise de la section de la Colombie‑Britannique à la section des opérations internationales du ministre pour être traitée. Le 25 mars 1997, un employé du ministre s’est rendu chez le demandeur pour obtenir des renseignements au sujet de sa résidence, et il a consigné ses conclusions selon lesquelles le demandeur avait résidé au Canada pendant seulement trois années complètes depuis qu’il avait immigré au pays en 1968.

 

[8]               Le 7 janvier 1999, le demandeur a communiqué avec la section des opérations internationales du ministre à Ottawa concernant son statut juridique au Canada. Le 11 novembre 1999 et le 12 avril 2000, le demandeur s’est enquis de l’état de traitement de sa demande auprès du directeur régional des programmes de sécurité du revenu.

 

[9]               Le 18 juin 2002, le ministre a avisé le demandeur que celui‑ci avait été jugé admissible à une pension partielle de SV au taux de 3/40ièmes en vertu de l’Accord Canada–É.‑U., étant donné que le demandeur avait résidé au Canada pendant trois ans (3 ans et 334 jours).

 

[10]            Le 14 septembre 2002, le demandeur a envoyé une lettre au ministre demandant le réexamen de la décision lui accordant une pension partielle de 3/40ièmes, et, le 17 janvier 2003, le demandeur a envoyé une autre lettre au ministre énonçant qu’il résidait au Canada 80 p. cent du temps et qu’il comptait plus de 20 années de résidence canadienne. En conséquence, le demandeur soutenait qu’il avait le droit de toucher une pleine pension de SV.

 

[11]            Le 12 juin 2003, le ministre a répondu aux lettres du demandeur du 14 septembre 2002 et du 17 janvier 2003, en informant le demandeur que la décision initiale était maintenue quant à l’octroi d’une pension partielle sur le fondement du fait qu’au cours de la période de février 1972 à la date à laquelle il était devenu admissible à une pension de SV, la résidence physique principale du demandeur avait été aux États‑Unis. Cependant, le ministre avait révisé le calcul de la résidence canadienne du demandeur, et il l’avait recalculée comme étant quatre années entières au lieu de trois. Cette nouvelle décision a donné lieu à un paiement rétroactif pour la période de février 1995 à juin 2003.

 

[12]           Le 29 mai 2004, le demandeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du 12 juin 2003 auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision [BCTR]. Le 8 septembre 2004, le BCTR a informé le demandeur qu’il ne pouvait se saisir de son appel parce que le bureau avait reçu sa lettre d’appel bien après l’expiration du délai de 90 jours.

 

[13]           Le 23 février 2009, le demandeur a présenté une nouvelle demande fondée sur ses cotisations au régime de sécurité sociale aux Philippines, son pays d’origine, où il avait résidé de 1930 à 1968, avant de déménager au Canada. Le demandeur a produit de la documentation au soutien de cette demande avec une lettre datée du 8 avril 2009.

 

[14]           Le 24 septembre 2009, le demandeur a reçu une réponse du ministre l’informant que sa demande n’avait pas été approuvée parce que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité à une pension en vertu de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et la République des Philippines, TR/97‑32 (l’Accord Canada‑Philippines).

 

[15]            Le demandeur a envoyé des lettres au ministre le 2 octobre, le 7 octobre, le 2 novembre et le 26 novembre 2009, demandant un réexamen de la décision du 24 septembre 2009 et alléguant que l’agent qui avait rendu cette décision avait commis une erreur. Plus précisément, le demandeur soutenait qu’il avait le droit de se voir reconnaître 14 années de résidence au Canada, ce qui satisferait à l’exigence d’un minimum de 10 années et le rendrait donc admissible, à son avis, à une pleine pension de vieillesse. Cet argument était fondé sur les cotisations du demandeur au Régime de pensions du Canada [RPC] et les cotisations de l’épouse du demandeur au RPC. Le demandeur soutenait également qu’il satisfaisait aux exigences de l’Accord Canada‑Philippines.

 

[16]           Le 29 décembre 2009, le demandeur a reçu une réponse du ministre refusant sa demande. Une pleine pension de SV ne pouvait pas être approuvée parce que la somme des périodes où le demandeur avait résidé au Canada après l’âge de 18 ans et des périodes pertinentes aux Philippines après l’âge de 18 ans était en‑deçà du seuil minimal de dix années.

 

[17]           En outre, le ministre confirmait que le demandeur avait droit à une pension partielle correspondant à 4/40ièmes d’une pleine pension, compte tenu des années de résidence du demandeur au Canada.

 

[18]           Le 2 mars 2010, le demandeur a interjeté un appel auprès du BCTR en vertu du paragraphe 28(1) de la LSV, en indiquant qu’il souhaitait porter la décision du ministre du 29 décembre 2009 en appel devant un tribunal.

 

[19]           Le tribunal a conclu que, compte tenu de la preuve de l’établissement du demandeur aux États‑Unis, le demandeur n’avait pas été un résident du Canada pendant la période allant du 1er février 1972 jusqu’à son 65e anniversaire pour l’application des critères d’admissibilité à une pension de SV.

 

[20]           Pour ce qui concerne l’applicabilité de l’Accord Canada–É.‑U., le tribunal a statué que, puisque le demandeur avait cotisé au programme de sécurité sociale des États‑Unis [SSÉU] du 1er février 1972 au 31 décembre 1982 et qu’il était assujetti aux lois américaines, il serait traité comme un non‑résident du Canada durant cette période pour l’application de la LSV, en vertu de l’article VI(3) de l’Accord :

Article VI

  (3) Sauf disposition contraire du présent article, lorsqu’une personne mentionnée à l’article V(2) est assujettie aux lois des États‑Unis au cours d’une période quelconque de résidence sur le territoire du Canada, ladite période – en ce qui a trait à cette personne, à son conjoint et aux personnes à sa charge qui demeurent avec elle et qui ne sont ni salariés ni travailleurs autonomes au cours de cette période – ne sera pas considérée comme période de résidence au Canada aux fins de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

 

Article VI

  (3) Except as otherwise provided in this Article, where a person referred to in Article V(2) is subject to United States laws during any period of residence in the territory of Canada, that period, in respect of that person, his spouse and dependants who reside with him and who are not employed or self‑employed during that period, shall not be treated as residence in Canada for the purposes of the Old Age Security Act.

 

 

[21]           Le tribunal a également conclu que la somme des années de cotisation du demandeur au régime de sécurité sociale des Philippines d’avril 1964 à décembre 1967 et des quatre années de résidence du demandeur au Canada n’atteignait pas les dix années requises de résidence canadienne combinée. Le demandeur ne pouvait donc pas invoquer l’Accord Canada‑Philippines pour faire augmenter ses prestations de SV.

 

[22]           Pour ce motif, le tribunal a rejeté l’appel le 27 septembre 2011.

 

[23]           Le 17 avril 2012, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du 27 septembre 2011 du tribunal. Les parties ont signé un jugement sur consentement le 27 août 2012 convenant que le tribunal avait commis une erreur lorsqu’il avait conclu que l’article VI(3) de l’Accord Canada–É.‑U. s’appliquait au demandeur, car l’Article VI(3) s’applique seulement aux travailleurs détachés – ce qui n’était pas le cas du demandeur – selon l’article V(2) de l’Accord :

Article V

  (2) a) Lorsqu’un salarié est assujetti aux lois de l’un des États contractants relativement à un travail accompli pour un employeur ayant un lieu d’affaires dans le territoire de cet État contractant, et est ensuite tenu par cet employeur de travailler dans le territoire de l’autre État contractant, ledit salarié est assujetti aux seules lois du premier État contractant en ce qui a trait à ce travail, tout comme si ce dernier était exécuté dans le territoire du premier État contractant. La phrase précédente s’applique à condition que la période de travail dans le territoire de l’autre État contractant ne dépasse pas 60 mois.

 

Article V

  (2) (a) Where an employed person is covered under the laws of one of the Contracting States in respect of work performed for an employer having a place of business in the territory of that Contracting State and is then required by that employer to work in the territory of the other Contracting State, the person shall be subject to the laws of only the first Contracting State in respect of that work, as if it were performed in the territory of the first Contracting State. The preceding sentence shall apply provided that the period of work in the territory of the other Contracting State does not exceed 60 months.

 

 

[24]           Ainsi, le tribunal avait commis une erreur lorsqu’il avait conclu, sur le fondement de l’article VI(3), que le demandeur avait été un non‑résident du Canada pendant la période de 1972 à 1982 pour l’application des critères d’admissibilité à une pension de SV. Le 31 août 2012, la Cour fédérale a renvoyé l’affaire au tribunal pour nouvelle décision.

 

[25]           Le 5 mars 2013, le tribunal a rejeté l’appel du demandeur, au motif que celui‑ci ne satisfaisait pas aux exigences applicables en matière de résidence pour être admissible à une pleine pension de SV, et qu’il avait droit à une pension partielle de 4/40ièmes.

 

[26]           Le 4 avril 2013, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal du 5 mars, saisissant ainsi de nouveau la Cour fédérale de la question. Selon ce que je comprends, la contestation concerne maintenant uniquement la période ultérieure à l’immigration de M. Gumboc au Canada, et en particulier l’application de l’Accord Canada–É.‑U. à son cas. Il n’est tenu aucun compte de la période d’emploi du demandeur aux Philippines.

 

Les faits

[27]           Les faits de la présente affaire ne sont pas controversés à ce stade‑ci. Le différend concerne la question de savoir si, compte tenu de ces faits, le demandeur peut obtenir la réparation qu’il demande.

 

[28]           Le demandeur est né aux Philippines le 11 janvier 1930. Il est arrivé au Canada en qualité de résident permanent le 2 février 1968, et il a résidé en Alberta pendant six mois. En juillet 1968, il a déménagé à Cranbrook, en Colombie‑Britannique, où il a résidé jusqu’en décembre 1970. En janvier 1971, il a déménagé à Surrey, en Colombie‑Britannique.

 

[29]           Le 21 décembre 1971, il a commencé à résider à temps partiel aux États‑Unis. Le degré de transition de sa résidence aux États‑Unis est une question litigieuse en l’espèce. L’épouse et les enfants du demandeur sont demeurés au Canada. Son épouse a travaillé à Surrey et dans l’état de Washington.

 

[30]           De 1968 à 1972, le demandeur a cotisé au RPC. De 1972 à 1982, il a cotisé au programme de SSÉU. De 1983 à 1994, il a cotisé à la fois au RPC et au programme de SSÉU. En 1995, il a cotisé uniquement au RPC lorsqu’il est revenu au Canada.

 

[31]           Le demandeur a travaillé aux États‑Unis à partir de 1972, a acheté une maison aux États‑Unis en 1975 et a souscrit une assurance médicale aux États‑Unis. Sa carte de citoyenneté américaine a été délivrée le 22 mai 1978.

 

[32]            Le demandeur est devenu un citoyen canadien le 4 mai 1998.

 

La norme de contrôle

[33]           Comme on peut le comprendre, le demandeur n’a pas formulé d’observations au sujet de la norme de contrôle applicable dans le cadre des contrôles judiciaires de ce genre. En fait, il a semblé plaider sa cause en tenant pour acquis que la décision du tribunal était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[34]           Tel qu’il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], « [i]l n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle » (au paragraphe 57). La détermination de la résidence pour établir le droit à une pension de SV et la détermination du montant de cette pension, le cas échéant, sont toutes deux susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singer c Canada (Procureur général du Canada), 2010 CF 607). Dans la mesure où le tribunal a dû interpréter sa propre loi pour arriver à une solution, la norme de la décision raisonnable s’applique également (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 au paragraphe 34; Rogers Communications Inc. c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 RCS 283).

 

[35]           La norme de la décision raisonnable commande de la retenue à l’égard de la décision du tribunal, de sorte qu’une cour siégeant en révision n’interviendra pas si la décision rendue appartient aux issues possibles acceptables. Il est peut‑être utile de reproduire le paragraphe 47 souvent cité de l’arrêt Dunsmuir :

[47]     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Questions en litige

[36]            Voici les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.    Le demandeur satisfait‑il aux exigences en matière de résidence énoncées au paragraphe 3(1) de la LSV de sorte qu’il est admissible à une pleine pension de SV?

 

2.      Si le demandeur ne satisfait pas à ces exigences en matière de résidence, l’Accord Canada–É.‑U. rend‑il le demandeur admissible à une pension de SV?

 

Analyse

[37]           Le demandeur formule deux arguments. Le premier est qu’il a satisfait aux exigences en matière de résidence malgré le fait qu’il a travaillé aux États‑Unis pendant longtemps. Selon cet argument, le demandeur résidait au Canada parce qu’il passait un temps appréciable au Canada, notamment la plupart des fins de semaine et des jours fériés.

 

[38]           L’argument principal semble être devenu la compréhension du demandeur des dispositions législatives et réglementaires et de l’Accord Canada–É.‑U. applicables aux cas semblables au sien.

 

[39]           Selon le demandeur, les articles VIII et IX de l’Accord lui confèrent la résidence au Canada requise pour lui donner droit à une pleine pension. Il soutient qu’il a droit à une pleine pension au Canada en vertu de l’article VIII.

 

[40]           En ce qui concerne l’Accord, le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a appliqué l’article VI(6) à toutes les années au cours desquelles le demandeur avait cotisé au programme de SSÉU. Le demandeur soutient que cette disposition ne devrait pas être appliquée aux années 1973 à 1982 parce qu’au cours de cette période, le demandeur a cotisé uniquement au programme de SSÉU, et non au RPC.

 

[41]           Le demandeur ajoute que les années 1973 à 1982 devraient plutôt être comptées comme des périodes de résidence canadienne en vertu des articles VIII(1)a), (1)b) et (2)a) et des articles IX(1) et (2) de l’Accord Canada–É.‑U. À l’audience devant la Cour, le demandeur a insisté pour dire que l’article IX(2) était déterminant en l’espèce.

 

[42]           Une fois ces dispositions lues dans leur contexte et bien comprises, j’ai peur que la seule conclusion qui puisse être tirée est que M. Gumboc a eu ce à quoi il avait droit en vertu de la loi. Une partie de la difficulté découle de la distinction qui doit être faite entre le droit à une pension et la façon dont elle est calculée. Malheureusement, la présente affaire est devenue une saga parce que le demandeur prend hors de leur contexte des mots figurant dans des textes juridiques complexes. Une lecture des articles VIII et IX dans leur contexte mène à des conclusions différentes.

 

[43]           Avant de traiter de ce qui semble être devenu l’argument principal du demandeur, il convient de traiter d’abord de l’argument relatif à la résidence au Canada en fonction uniquement de la LSV et de ses règlements d’application. Pour être admissible à une pleine pension de SV, un demandeur doit satisfaire aux exigences énoncées au paragraphe 3(1) de la LSV :

  3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

 

a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977;

 

b) celles qui, à la fois :

(i)                  sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt‑cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix‑huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

(ii)                ont au moins soixante‑cinq ans,

 

(iii)              ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix‑huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

 

 

 

 

 

c) celles qui, à la fois :

(i)                 n’avaient pas la qualité de pensionné au 1er juillet 1977,

(ii)               ont au moins soixante‑cinq ans,

 

(iii)             ont, après l’âge de dix‑huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

 

  3. (1) Subject to this Act and the regulations, a full monthly pension may be paid to

 

 

(a) every person who was a pensioner on July 1, 1977;

 

(b) every person who

(ii)               on July 1, 1977 was not a pensioner but had attained twenty‑five years of age and resided in Canada or, if that person did not reside in Canada, had resided in Canada for any period after attaining eighteen years of age or possessed a valid immigration visa,

(iii)              has attained sixty‑five years of age, and

(iv)              has resided in Canada for the ten years immediately preceding the day on which that person’s application is approved or, if that person has not so resided, has, after attaining eighteen years of age, been present in Canada prior to those ten years for an aggregate period at least equal to three times the aggregate periods of absence from Canada during those ten years, and has resided in Canada for at least one year immediately preceding the day on which that person’s application is approved; and

 

(c) every person who

(i)                 was not a pensioner on July 1, 1977,

(ii)                has attained sixty‑five years of age, and

(iii)              has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least forty years.

 

[44]           Dans le cas du demandeur, celui‑ci ne peut avoir droit à une pleine pension que s’il satisfait aux exigences de l’alinéa b); ainsi, il aurait fallu que le demandeur réside au Canada du 11 janvier 1985 au 10 janvier 1995 (les dix années précédant immédiatement le jour où il a eu 65 ans); ou du 11 janvier 1994 au 10 janvier 1995 (l’année précédant le jour où il a eu 65 ans) et entre le moment où il a eu 18 ans et le 10 janvier 1985, pour un période totale correspondant à au moins trois fois le total des périodes qu’il a passées à l’étranger entre le 11 janvier 1985 et le 10 janvier 1995.

 

[45]           Le premier obstacle que le demandeur devait franchir était la question de sa résidence. L’alinéa 21(1)a) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, CRC, c 1246 (le RSV) énonce qu’une personne réside au Canada si elle vit ordinairement dans une région du Canada :

  21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada;

 

  21. (1) For the purposes of the Act and these Regulations,

(a) a person resides in Canada if he makes his home and ordinarily lives in any part of Canada;

 

[46]           Il s’agit évidemment d’une question de fait qui doit être tranchée en fonction des circonstances particulières (Perera c Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), [1994] ACF no 351, (1994) 75 FTR 310 [Perera]) et des éléments de preuve présentés par le demandeur au soutien de sa demande de pension. Le fardeau de preuve incombe au demandeur.

 

[47]           Le tribunal a statué que le demandeur n’avait pas vécu ordinairement au Canada et n’y avait pas établi sa demeure entre 1972 et 1994, étant donné les éléments de preuve suivants concernant l’établissement du demandeur aux États‑Unis :

1.         Le demandeur a cotisé au régime de SSÉU pendant 23 ans.

2.         Il n’a jamais eu un passeport canadien depuis qu’il a immigré au Canada en 1968 ni, évidemment, après 1972.

3.         Il a acheté une maison aux États‑Unis.

4.         Il a souscrit une assurance‑santé aux États‑Unis.

5.         Il a obtenu la citoyenneté américaine en 1978.

6.         Il n’a obtenu la citoyenneté canadienne qu’en 1998.

 

M. Gumboc a soutenu tout au long de l’instance qu’il avait résidé au Canada parce qu’il revenait régulièrement au Canada, où sa famille conservait une maison. Cependant, il a été établi que le demandeur ne faisait pas la navette entre l’état de Washington et le Canada, où il venait plutôt en visite. Chaque fois qu’il venait au Canada, il présentait sa carte de séjour aux États‑Unis ou sa carte de citoyenneté américaine à partir de 1978. D’ailleurs, le demandeur a gagné sa vie principalement aux États‑Unis durant toute la période. Ces conclusions sont très factuelles, et une cour de révision doit faire preuve d’une grande retenue à leur égard. La Cour n’infirmera ces conclusions que si elles sont déraisonnables.

 

[48]           Ces éléments de preuve ont amené le tribunal à conclure que le demandeur avait vécu ordinairement aux États‑Unis, où il avait établi sa demeure entre février 1972 et décembre 1994, de sorte qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence énoncées au paragraphe 3(1) de la LSV. Cette conclusion de fait a été tirée systématiquement tout au long de la saga, et elle me paraît raisonnable au vu des éléments de preuve dont je dispose. Il s’agissait d’une issue possible acceptable au regard des faits et du droit.

 

[49]           L’Accord Canada–É.‑U. n’aide pas lui non plus M. Gumboc à obtenir une pleine pension. Cependant, comme nous le verrons, l’Accord a rendu M. Gumboc admissible à une pension partielle, qui a été établie à 4/40ièmes d’une pleine pension.

 

[50]           En ce qui concerne l’applicabilité de l’Accord Canada–É.‑U., l’article V(1) de l’Accord énonce qu’un salarié est assujetti aux lois d’un pays seulement, soit le pays où il travaille. Des cotisations sont payables uniquement au régime de sécurité sociale de ce pays au titre du travail en question :

Article V

  (1) Sauf disposition contraire du présent article, le salarié qui travaille dans le territoire de l’un des États contractants sera assujetti, en ce qui a trait à ce travail, aux seules lois dudit État contractant.

 

Article V

  (1) Except as otherwise provided in this Article, an employed person who works in the territory of one of the Contracting States shall, in respect of that work, be subject to the laws of only that Contracting State.

 

 

[51]            Le paragraphe 21(5.3) du RSV énonce que la personne assujettie aux lois d’un autre pays est réputée être un non‑résident du Canada pour l’application de la LSV :

  21. (5.3) Lorsque, aux termes d’un accord conclu en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi, une personne est assujettie aux lois d’un pays étranger, elle est réputée, pour l’application de la Loi et du présent règlement, ne pas être un résident du Canada.

 

  21. (5.3) Where, by virtue of an agreement entered into under subsection 40(1) of the Act, a person is subject to the legislation of a country other than Canada, that person shall, for the purposes of the Act and these Regulations, be deemed not to be resident in Canada.

 

[52]           Lues ensemble, ces dispositions confirment que, lorsqu’il travaille aux États‑Unis, le demandeur ne peut pas, pour l’application de la LSV, soutenir qu’il est un résident canadien, peu importe les attaches qu’il peut avoir maintenues au Canada. En somme, étant donné qu’il travaille aux États‑Unis et qu’il est assujetti aux lois américaines en matière de sécurité sociale, M. Gumboc est réputé être un non‑résident du Canada.

 

[53]           En ce qui concerne les périodes au cours desquelles le demandeur a travaillé à la fois aux États‑Unis et au Canada, l’article VI(6) de l’Accord Canada–É.‑U. énonce que les personnes qui vivent aux États‑Unis et qui exercent une activité reconnue comme emploi ou travail autonome à la fois aux États‑Unis et au Canada ne sont pas traitées comme des résidents du Canada pour l’application de la LSV :

 

Article VI

  (6) Dans le cas d’une personne mentionnée au paragraphe (4) ou (5) du présent article, qui exerce une activité reconnue comme emploi ou travail autonome aux termes des lois des États‑Unis, et qui exerce simultanément d’autres activités reconnues comme emploi ou travail autonome aux termes du Régime de pensions du Canada ou du régime général de pensions d’une province, la période d’emploi ou de travail autonome en question ne sera pas considérée comme période de résidence aux fins de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

 

Article VI

  (6) If a person referred to in paragraph (4) or (5) of this Article performs services which are covered as employment or self‑employment under United States laws and simultaneously performs other services which are covered as employment or self‑employment under the Canada Pension Plan or a comprehensive pension plan of a province, that period of employment or self‑employment shall not be treated as a period of residence for the purposes of the Old Age Security Act.

 

[54]            Par conséquent, la période de 1983 à 1994, au cours de laquelle le demandeur résidait aux États‑Unis et exerçait une activité reconnue comme emploi aussi bien aux États‑Unis qu’au Canada, ne peut pas être prise en compte aux fins de déterminer si le demandeur a droit à une pension de SV. Ainsi, la période au cours de laquelle le demandeur vivait aux États‑Unis et travaillait aussi bien aux États‑Unis qu’au Canada a été exclue, premièrement par l’article V(1) de l’Accord Canada–É.‑U. et par le paragraphe 21(5.3) du RSV et, deuxièmement, par l’article VI(6) de l’Accord. En l’espèce, le demandeur n’était pas un résident canadien selon le RSV ainsi que selon l’Accord Canada–É.‑U.

 

[55]           Cependant, l’Accord Canada–É.‑U. aide le demandeur à être déclaré admissible à une pension partielle conformément au paragraphe 3(2) de la LSV :

  3. (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois :

a) ont au moins soixante‑cinq ans;

 

b) ont, après l’âge de dix‑huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

  3. (2) Subject to this Act and the regulations, a partial monthly pension may be paid for any month in a payment quarter to every person who is not eligible for a full monthly pension under subsection (1) and

(a) has attained sixty‑five years of age; and

 

(b) has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least ten years but less than forty years and, where that aggregate period is less than twenty years, was resident in Canada on the day preceding the day on which that person’s application is approved.

 

 

À première vue, selon le paragraphe 3(2), M. Gumboc ne devrait toucher aucune pension puisqu’il n’a pas résidé au Canada pendant dix ans. C’est à cette conclusion que mène l’application de l’article 21 du RSV, mais également l’application de l’Accord Canada–É.‑U. Pour que le demandeur soit admissible à une pension partielle, il faut faire appel à un autre texte, soit l’article VIII.

 

[56]           En vertu de l’article VIII de l’Accord, les demandeurs qui n’ont pas accumulé le nombre requis d’années de résidence peuvent devenir admissibles à une pension partielle en utilisant leurs périodes de couverture aux États‑Unis pour établir une résidence théorique au Canada. Le demandeur soutient, sans tenir compte de l’article VIII ni de l’article IX(1), que l’article IX(2), au contraire, lui donne droit à une pleine pension. Ces deux articles sont ainsi rédigés :

Article VIII

  (1) a)  Lorsqu’une personne n’a pas droit au versement d’une prestation faute de périodes de résidence suffisantes en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, ou de périodes de couverture en vertu du Régime de pensions du Canada, le droit de ladite personne au versement de ladite prestation, sous réserve de l’alinéa (l)b), est déterminé par la totalisation de ces périodes et de celles précisées au paragraphe (2), pour autant que les périodes ne se chevauchent pas.

  b) En appliquant l’alinéa (l)a) du présent article à la Loi sur la sécurité de la vieillesse :

(i) seules les périodes de résidence au Canada ayant pris fin le 1er janvier 1952 ou après cette date, y compris les périodes considérées comme telles aux termes de l’article VI du présent Accord, seront prises en compte; et

(ii) lorsque la durée totale de ces périodes de résidence est inférieure à un an et que, en ne tenant compte que de ces périodes, aucun droit à une prestation n’existe en vertu de cette loi, l’organisme du Canada ne sera pas tenu de verser une prestation relativement à ces périodes en vertu du présent Accord.

 

  (2) a) Pour établir le droit au versement d’une prestation en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, un trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis crédité le 1er janvier 1952 ou après cette date et après l’âge auquel les périodes de résidence au Canada sont comptabilisées aux fins de cette loi sera compté comme trois mois de résidence au Canada.

 

Article VIII

  (1) (a) If a person is not entitled to the payment of a benefit because he or she has not accumulated sufficient periods of residence under the Old Age Security Act, or periods of coverage under the Canada Pension Plan, the entitlement of that person to the payment of that benefit shall, subject to sub‑paragraph (1)(b), be determined by totalizing these periods and those specified in paragraph (2), provided that the periods do not overlap.

 

  (b) In the application of sub‑paragraph (l)(a) of this Article to the Old Age Security Act:

 

(i) only periods of residence in Canada completed on or after January 1, 1952, including periods deemed as such under Article VI of this Agreement, shall be taken into account; and

(ii) if the total duration of those periods of residence is less than one year and if, taking into account only those periods, no right to a benefit exists under that Act, the agency of Canada shall not be required to pay a benefit in respect of those periods by virtue of this Agreement.

 

  

(2) (a) For purposes of determining entitlement to the payment of a benefit under the Old Age Security Act, a quarter of coverage credited under United States laws on or after January 1, 1952 and after the age at which periods of residence in Canada are credited for purposes of that Act shall be considered as three months of residence in the territory of Canada.

 

Article IX

  (1) Lorsqu’une personne a droit au versement d’une pension de sécurité de la vieillesse ou d’une allocation au conjoint uniquement en application des dispositions relatives à la totalisation prévues à l’article VIII, l’organisme du Canada calcule le montant de la pension ou de l’allocation au conjoint payable à ladite personne conformément aux dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse régissant le versement d’une pension partielle ou d’une allocation au conjoint, uniquement en fonction des périodes de résidence au Canada depuis le 1er janvier 1952 ou après cette date qui peuvent être prises en compte en vertu de cette loi ou sont considérées comme telles aux termes de l’article VI du présent Accord.

  (2) Le paragraphe (1) s’applique également à une personne résidant à l’étranger qui aurait droit au versement d’une pleine pension au Canada, mais qui n’a pas résidé au Canada pendant la période de résidence minimale requise par la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour l’ouverture du droit au versement d’une pension hors du Canada.

 

Article IX

  (1) If a person is entitled to the payment of an Old Age Security pension or a spouse’s allowance solely through the application of the totalizing provisions of Article VIII, the agency of Canada shall calculate the amount of the pension or spouse’s allowance payable to that person in conformity with the provisions of the Old Age Security Act governing the payment of a partial pension or a spouse’s allowance, exclusively on the basis of the periods of residence in Canada on or after January 1, 1952 which may be considered under that Act or are deemed as such under Article VI of this Agreement.

 

 

  (2) Paragraph (1) shall also apply to a person outside Canada who would be entitled to the payment of a full pension in Canada but who has not resided in Canada for the minimum period required by the Old Age Security Act for entitlement to the payment of a pension outside Canada.

 

 

[57]           L’article VIII est utile. Lorsque l’application de la LSV mène au refus de toute pension parce qu’il n’a pas été satisfait à l’exigence de dix années de résidence, l’article VIII arrive à la rescousse en ce qu’il permet qu’une pension soit payée. Il donne à quelqu’un droit à une pension. Cependant, cet article est silencieux quant à savoir comment la pension doit être calculée. La réponse est donnée à l’article IX(1). Sans l’article VIII, M. Gumboc ne reçoit aucune pension malgré ses quatre années de résidence reconnues entre 1968 et 1972. Grâce à l’article VIII, M. Gumboc peut être admissible à une pension parce que les années qu’il a passées aux États‑Unis sont prises en compte. Cependant, les années qu’il a passées aux États‑Unis sont d’une utilité limitée puisqu’elles ne peuvent pas être prises en compte pour calculer la pension. Il y a lieu d’examiner davantage la question, d’autant plus que le demandeur a insisté pour dire que l’article IX(2) est la source d’une réparation lui donnant droit à une pleine pension.

 

[58]           M. Gumboc lit le paragraphe IX(2) isolément et considère qu’il lui donne droit à une pleine pension au Canada. Malheureusement pour lui, les deux articles, soit l’article VIII et l’article IX, doivent être lus ensemble. L’article IX(2) renvoie à l’application de l’article IX(1), qui renvoie quant à lui à l’article VIII.

 

[59]           Plus important encore, lorsqu’ils sont lus ensemble, on s’aperçoit que l’article VIII prévoit seulement l’admissibilité à une pension, tandis que l’article IX indique comment cette pension doit être calculée. Autrement dit, l’article VIII indique qui peut toucher une pension alors que l’article IX indique à combien s’élèvera cette pension. L’article IX(2), quant à lui, ne s’applique pas en l’espèce.

 

[60]           Grâce à l’article VIII, le demandeur peut invoquer le temps qu’il a passé aux États‑Unis pour satisfaire au critère d’admissibilité de la résidence au Canada. À cet égard, le demandeur a au moins les « dix ans mais moins de quarante ans » dont il est question au paragraphe 3(2) de la LSV, ce qui lui donne droit à une pension partielle. C’est toutefois tout ce que fait l’article VIII : il rend le demandeur admissible à une pension.

 

[61]           Une fois l’admissibilité établie, l’article IX indique à combien s’élèvera cette pension. Cette disposition indique clairement que la pension doit être calculée « uniquement en fonction des périodes de résidence au Canada ». En l’espèce, il s’agit seulement de quatre ans, soit de 1968 à 1972, avant que le demandeur déménage aux États‑Unis, jusqu’à son retour en 1995.

 

[62]           Le demandeur a insisté pour dire que l’article IX(2) s’appliquait et lui donnait droit à une pleine pension. Cependant, en toute déférence, l’article IX(2) énonce expressément que le calcul prévu au paragraphe (1) est applicable à « une personne résidant à l’étranger ». Or, non seulement le demandeur est au Canada, mais l’article IX(2) ramène la personne qui est à l’étranger au calcul du paragraphe (1), qui, comme nous l’avons vu, compte uniquement aux fins d’établissement d’une pension les années de résidence au Canada.

 

[63]           Le tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de révision, en ce sens qu’il a cerné correctement la question en litige, les dispositions législatives, le critère pertinent et la jurisprudence pertinente.

 

Conclusion

[64]           La conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur n’a pas résidé au Canada de 1972 à 1995 aux fins de déterminer son admissibilité à une pension de SV, laquelle conclusion se fondait sur la décision Perera, précitée, mais également sur les décisions Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Ding, 2005 CF 76, et De Bustamante c Canada (Procureur général), 2008 CF 1111, était justifiée, transparente et intelligible. Comme l’a souligné l’avocat du défendeur, le dossier n’indique aucune autre attache au Canada mis à part des visites régulières. Il n’y a aucune documentation susceptible d’étayer l’argument selon lequel le demandeur aurait établi sa demeure au Canada, y aurait payé ses impôts et y aurait vécu ordinairement.

 

[65]           Le tribunal a fondé sa décision sur les éléments de preuve qui indiquaient clairement que le demandeur était un résident des États‑Unis selon le sens ordinaire du mot. Les éléments de preuve démontrant que le demandeur a exercé un emploi aux États‑Unis et a cotisé au régime de SSÉU ne sont pas contestés. Le demandeur est devenu un citoyen américain en 1978. Il y a suffisamment d’éléments de preuve documentaire démontrant les attaches du demandeur aux États‑Unis, et il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve documentaire étayant la prétention du demandeur selon laquelle il était un résident du Canada. La conclusion du tribunal quant à la résidence du demandeur était donc raisonnable au regard des faits et du droit. Mais, même sans cette conclusion, il était raisonnable que le tribunal conclue que l’Accord Canada–É.‑U., à lui seul, faisait obstacle à la réparation demandée, soit une pleine pension.

 

[66]           En ce qui concerne la période de 1968 à 1972, durant laquelle le demandeur vivait au Canada, le tribunal a reconnu ces années comme fondement du calcul du montant de la pension partielle du demandeur correspondant à 4/40ièmes.

 

[67]           Cependant, pour ce qui concerne la période de 1972 à 1983, durant laquelle le demandeur vivait aux États‑Unis et cotisait au régime de SSÉU, l’article V(1) de l’Accord Canada–É.‑U. énonce qu’une personne employée aux États‑Unis doit être assujettie aux lois des États‑Unis. Le paragraphe 21(5.3) du RSV énonce que lorsqu’une personne est assujettie aux lois d’un pays autre que le Canada, cette personne est réputée ne pas être un résident du Canada pour l’application de la LSV et du RSV.

 

[68]           Concernant la période de 1983 à 1994, durant laquelle le demandeur a cotisé à la fois au RPC et au régime de SSÉU, le tribunal a appliqué l’article VI(6) de l’Accord Canada–É.‑U., qui énonce que, si des personnes vivant aux États‑Unis mais travaillant au Canada versent des cotisations au RPC et exercent en même temps une activité différente pour laquelle elles versent des cotisations obligatoires au régime de SSÉU, ces périodes ne sont pas traitées comme des périodes de résidence pour l’application de la LSV.

 

[69]           Le tribunal a conclu que ces dispositions faisaient que le demandeur n’était pas considéré comme ayant résidé au Canada pour l’application de la LSV de 1972 à 1994. Le demandeur n’a pas démontré que ces conclusions étaient déraisonnables. Ces dispositions peuvent certainement prêter à cette interprétation. D’ailleurs, aucune autre interprétation n’a été proposée. Par conséquent, le tribunal est arrivé à une conclusion raisonnable au regard des faits et du droit.

 

[70]           Ces articles ne sont pas en contradiction avec l’article VIII, qui permet la prise en compte de périodes passées aux États‑Unis aux fins de déterminer l’admissibilité à une pension partielle. D’ailleurs, ces dispositions peuvent être considérées comme se complétant les unes les autres. M. Gumboc a confirmé à l’audience qu’il reçoit une pension américaine. L’article VIII lui permet de toucher une pension canadienne, mais seulement en proportion de sa période de résidence au Canada, en application de l’article IX. Le demandeur interprète l’Accord Canada–É.‑U. comme lui donnant droit à une pleine pension canadienne, en même temps qu’il reçoit une pension américaine au titre des années qu’il a passées à travailler aux États‑Unis. Il semblerait équitable qu’une pension partielle soit payée au titre de quatre années de résidence, et l’article VIII le permet.

 

[71]           Les conclusions du tribunal étaient raisonnables, et elles tenaient compte des arguments du demandeur. Le demandeur n’a réussi à démontrer l’existence d’aucune erreur susceptible de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[72]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés en l’espèce.

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 5 mars 2013 par le tribunal de révision (depuis réorganisé et renommé le Tribunal de la sécurité sociale) est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 


DOSSIER :

T-558-13

 

INTITULÉ :

CELSO V. GUMBOC et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            le 12 septembre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 26 FÉVRIER 2014

 

 

COMPARUTIONS :

M. Celso V. Gumboc

 

 

MMichael Stevenson

 

le demandeur, agissant

pour son propre compte

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

 

le demandeur, agissant

pour son propre compte

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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