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Date : 20140305


Dossier :

T‑1204‑12

 

Référence : 2014 CF 213

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

 

 

 

ENTRE :

BLAINE COMMANDANT, DARREL BRUCE DECAIRE, GEORGE FRANCIS DECAIRE, ELIZABETH BELLA ROBERTS, SCOTT SAHANATIEN, LAWRENCE SCHELL, NEIL SCHELL, RONALD STRENGTH, CALVIN WHITE ET MICHAEL DEWASHA

 

demandeurs

et

BILL HAY, SHIRLEY HAY, DAN STOCK ET STUART LANE

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La présente demande a trait à un différend sur la gouvernance au sein de la Première Nation des Mohawks de Wahta (la Première Nation).

 

[2]               Les éléments essentiels du différend sont les suivants. À la suite d’une élection tenue en mars 2011, le gouvernement de la Première Nation a été composé du chef Blaine Commandant, l’un des demandeurs dans le cadre de la présente demande, ainsi que de quatre conseillers, qui sont les défendeurs en l’espèce. En octobre 2011, les quatre conseillers ont voté, conformément aux Election Rules and Regulations approuvés le 8 janvier 2011 (le Règlement sur les élections), la destitution du chef Commandant parce qu’il n’avait pas assisté à trois réunions consécutives du Conseil. M. Commandant n’a pas contesté la décision des conseillers par voie de contrôle judiciaire, et on n’a pas procédé non plus à une élection partielle pour combler le poste de chef, comme l’exigeait le Règlement sur les élections, en raison de l’incertitude quant à la question de savoir quels membres de la Première Nation étaient habilités à voter. En juin 2012, par suite d’une pétition signée par 50 pour cent plus un des électeurs ayant voté au scrutin de mars 2011, une élection a été tenue et les conseillers ont été destitués conformément au Règlement sur les élections. Ces derniers n’ont toutefois pas accepté les résultats du vote de sorte que, le 21 juin 2012, les demandeurs ont introduit la présente demande afin de contester le pouvoir des conseillers de rester en poste.

 

[3]               Malgré la profonde mésentente qui a régné pendant les mois qui ont précédé l’audience relative à la présente demande, les parties sont finalement parvenues à un règlement. Peu après le début de l’audience et avec mes encouragements, les parties et leurs avocats ont travaillé de concert pour en arriver, après de nombreuses heures d’efforts, à une solution juste à laquelle tout le monde a souscrit. L’entente de règlement conclue (l’entente) est jointe à titre d’ANNEXE aux présents motifs. Il est tout à l’honneur des parties qu’elles en soient arrivées à un règlement en engageant des négociations de bonne foi et sans recourir à la médiation.

 

[4]               Comme les parties sont parvenues à cette entente, aucune conclusion sur le fond n’a été tirée dans le cadre de la demande. On a lu les conditions de l’entente à l’audience, dont la suivante : [traduction] « La demande sera rejetée avec dépens, qui devront être adjugés par la Cour ». Pour clarifier les choses, les parties conviennent que ce n’est pas ce qui est écrit dans l’entente, libellée comme suit : [traduction] « La demande est rejetée avec dépens, payables aux défendeurs, qui devront être adjugés par la Cour ». La différence entre les deux énoncés soulève la question de savoir si j’ai le pouvoir discrétionnaire d’adjuger ou non les dépens.

 

[5]               Conformément à l’entente, la demande est rejetée et la question en suspens des dépens est réglée par les présents motifs de l’ordonnance et ordonnance. Dans le cadre de la présente demande qui a donné lieu à plusieurs requêtes, deux ordonnances ont été rendues en vue de reporter la décision sur les dépens en attendant l’issue de la demande, et, dans une autre ordonnance, la Cour a déclaré que [traduction] « les dépens suivront l’issue de la cause ». Puisque la demande s’est réglée par une entente, je conclus que l’examen de ces ordonnances doit faire partie des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance.

 

[6]               Lorsque les parties ont conclu l’entente, l’avocate des demandeurs a déclaré que ses clients ne demandaient pas d’adjudication de dépens. L’avocat des défendeurs a toutefois déclaré que ses clients demandaient quant à eux qu’on leur adjuge les dépens.

 

I.          Critère à appliquer pour régler la question des dépens

[7]               Aux paragraphes 14, 21 et 22 de la décision Randall c Première nation Caldwell de la Pointe Pelée, 2006 CF 1054 (Randall), le protonotaire Lafrenière donne une mise en garde que j’estime pertinente pour la présente affaire :

Le résultat de la procédure compte habituellement beaucoup puisque, en règle générale, les dépens suivent l’issue de la cause : Merck & Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 82 C.P.R. (3d) 457 (C.F. 1re inst.), à la page 464. Cependant, quand le jugement rendu favorise également les deux parties, aucune ordonnance portant adjudication des dépens ne devrait normalement être rendue : Lubrizol Corp. c. Cie pétrolière impériale ltée (1996), 67 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), à la page 25.

 

[…]

 

La Cour doit également être attentive à l’effet de douche froide qu’auraient des dépens adjugés contre une partie après une médiation. Il est maintenant largement accepté que les conférences de règlement des litiges jouent un rôle important dans le processus de règlement des litiges. Un règlement faisant suite à une médiation peut produire des solutions dépassant celles dont disposent les tribunaux. Toutefois, le processus de médiation ne peut être couronné de succès que si les parties y croient.

 

Le litige entre les demandeurs et le conseil de bande a forcé une décision sur un certain nombre de questions latentes et a résulté en un règlement négocié, qui sans aucun doute contribuera à améliorer l’environnement et l’harmonie dans la communauté, ce qui est à l’honneur de toutes les parties.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Je crois que le message véhiculé par la mise en garde est que l’avantage tiré de la conclusion d’un règlement disparaîtra si l’on adjuge des dépens, parce qu’il y a fort à parier que cela aura pour effet de faire se prolonger le différend qui a fait l’objet d’un règlement, car l’adjudication de dépens sera perçue comme un gain alors qu’il n’était censé n’y avoir ni gagnant ni perdant.

 

[8]               Dans la décision Première nation des Mohawks d’Akwesasne c Canada ((Ressources humaines et Développement social)), 2010 CF 754, (Mohawks d’Akwesasne), le juge Lemieux cite avec approbation la mise en garde du protonotaire Lafrenière, en confirmant toutefois, au paragraphe 12, la règle générale voulant que, même si un règlement met fin au litige, des dépens peuvent être adjugés dans certaines circonstances :

La Cour peut toutefois adjuger des dépens en fonction de la conduite des parties pendant le litige, en se demandant par exemple (1) s’il était raisonnable pour une partie de soulever, poursuivre ou contester une allégation ou une question, (2) si une partie a poursuivi ou défendu une cause ou une allégation ou question particulière comme il convenait, (3) si une partie a exagéré ses prétentions ou soulevé une défense sans fondement et (4) si une partie a à juste titre concédé certains points ou abandonné des allégations au cours de la communication préalable (paragraphe 18).

 

À mon avis, on pourrait probablement appliquer facilement la règle générale dans le cas du règlement d’un différend commercial par exemple, mais il est extrêmement difficile, en pratique, de l’appliquer équitablement au règlement d’un différend sur la gouvernance au sein d’une Première Nation.

 

[9]               Un facteur peu commun milite toutefois en l’espèce en faveur du règlement d’un tel différend : la volonté de respecter la valeur culturelle voulant que l’équilibre dans la collectivité soit rétabli. Compte tenu de ce principe supérieur, il ne serait pas opportun de faire se prolonger un tel litige après l’obtention d’un règlement par une demande de dépens, puisque le différend sur la gouvernance qui vient d’être réglé ne le serait alors plus, et l’équilibre ne serait pas recouvré.

 

[10]           Je suis donc d’avis qu’en raison de la nature particulière d’un différend sur la gouvernance concernant les Premières Nations, chaque partie devrait payer ses propres dépens après l’obtention d’un règlement, que ce soit par médiation ou au moyen de négociations directes, à moins qu’il n’existe une raison claire et sérieuse qui justifie l’adjudication de dépens. Comme l’a constaté la Cour dans la décision Mohawks d’Akwesasne, les raisons sérieuses peuvent être très variées : en effet, elles peuvent aller des actions déraisonnables et des erreurs commises au cours du litige jusqu’aux comportements répréhensibles et inacceptables.

 

II.        Application du critère au présent différend sur les dépens

[11]           Alors que les demandeurs ne sollicitent pas de dépens, les défendeurs demandent à la Cour leur adjuger des dépens sur une base de pleine indemnité, à savoir un montant de 531 236,44 $, au motif que l’avocate des demandeurs, en suivant les instructions de ses clients, se serait comportée de manière inacceptable et répréhensible pendant le déroulement du litige.

 

[12]           Les différends sur la gouvernance au sein des collectivités sont toujours importants, car les enjeux sont grands. Chaque partie à un différend est donc disposée à y consacrer beaucoup de temps, d’énergie et d’argent pour avoir gain de cause. La méthode utilisée devant une question particulière doit toutefois s’accompagner de choix réalistes. De prime abord, il peut sembler valoir la peine d’investir sans compter pour défendre une certaine position à l’égard d’une question donnée, et ce, sans une mûre réflexion sur la question de savoir si les coûts élevés qui y sont associés en valent la peine. Par la suite, la partie qui défend une position avec vigueur se heurte habituellement à une forte opposition, de sorte que le conflit persiste et les frais élevés qui y sont associés continuent de s’additionner. Souvent, on perd de vue le bien‑être de la collectivité dans les choix qui sont faits. À mon avis, c’est ce qu’ont vécu les deux parties au présent différend avant qu’elles ne concluent l’entente, et je sais par expérience que cela n’a rien d’inhabituel.

 

[13]           Au vu des arguments présentés sur les dépens, j’estime qu’il existe trois facteurs pertinents dont il faut tenir compte pour parvenir à des conclusions à cet égard en l’espèce.

 

            A.  Mesures de réparation sollicitées

[14]           Le principal argument avancé par les défendeurs à l’appui de leur demande de dépens a trait aux mesures de réparation sollicitées par les demandeurs dans le cadre de la présente demande :

[traduction]

(i) une déclaration, de la nature d’un quo warranto, portant que les défendeurs ont cessé d’être des conseillers de la bande des Mohawks de Wahta;

 

(ii) une ordonnance prévoyant la tenue rapide d’une élection partielle pour le choix du chef et des conseillers de la bande des Mohawks de Wahta, élection à laquelle le demandeur Blaine Commandant pourra poser sa candidature comme chef;

 

(iii) une ordonnance d’adjudication des dépens;

 

(iv) toute autre ordonnance qu’il semblera juste à l’honorable Cour de rendre.

 

[15]           Vu le résultat du scrutin tenu par suite d’une pétition et de son non‑respect par les conseillers dont on a déjà parlé, on comprend aisément que l’objet premier de la présente demande était de faire déclarer par la Cour que, par suite de l’élection, les conseillers n’avaient plus le pouvoir de gouverner. En réponse à la demande, les conseillers défendeurs devaient démontrer qu’on ne pouvait se fonder sur le scrutin tenu par suite de la pétition pour rendre une ordonnance de destitution. Les défendeurs ont fait valoir à cette fin que le processus entourant la tenue d’un scrutin par pétition était entaché d’irrégularités. Par conséquent, la demande visait clairement la qualité de cette élection.

 

[16]           Les demandeurs n’ont toutefois pas uniquement cherché à obtenir la destitution des défendeurs dans la demande. Comme nous l’avons vu, la Première Nation n’a pas tenu d’élection partielle pour combler le poste vacant de chef, comme l’exige pourtant le Règlement sur les élections. Il appert que, si les demandeurs avaient obtenu la délivrance d’un quo warranto, ils auraient ensuite voulu obtenir la deuxième mesure de réparation sollicitée, une ordonnance prévoyant la tenue d’une élection partielle en vue de combler non seulement les postes des défendeurs mais aussi celui de chef qui était vacant. Or, il appert aussi à la lecture de la deuxième mesure sollicitée que la demande avait aussi comme objectif crucial de fournir à M. Commandant l’occasion de retrouver son poste de chef, et ce, en tentant de faire réviser et rectifier la décision – non contestée par voie de contrôle judiciaire – de le destituer.

 

[17]           M. Schindler, le précédent avocat des demandeurs, a rédigé et déposé la demande. Cherchant à faire réviser la destitution de M. Commandant, il a invoqué les motifs suivants, qui reposent sur l’affidavit déposé par M. Commandant à l’appui de la demande :

[traduction]

6. Le demandeur Blaine Commandant a été chef des Mohawks de Wahta sans interruption de 1999 au 27 octobre 2011. À cette dernière date, les défendeurs, agissant en tant que Conseil des Mohawks de Wahta, ont déclaré vacant le poste de chef au motif que le chef Commandant n’avait pas assisté à trois réunions consécutives du Conseil.

 

6. Le demandeur Blaine Commandant avait un motif valable pour ne pas assister aux trois réunions, et on ne l’a pas avisé de la résolution que le Conseil envisageait d’adopter en vue de déclarer vacant le poste de chef.

 

7. Le demandeur Blaine Commandant n’a pas alors demandé le contrôle judiciaire de la prétendue déclaration de vacance de son poste parce qu’il ne pouvait travailler avec les membres actuels du Conseil et que la destitution de ceux‑ci était une condition préalable à toute tentative de sa part de réintégration ou de réélection comme chef des Mohawks de Wahta.

 

8. Les demandeurs se fondent sur les articles 18 (1) et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

Le passage suivant de l’affidavit du 15 juin 2012 de M. Commandant, déposé à l’appui de la demande, démontre clairement son intérêt dans la demande :

[traduction]

38. Agissant comme si la déclaration de vacance de mon poste de chef était valide, les défendeurs, agissant en tant que Conseil des Mohawks de Wahta, ont en janvier et en février 2012 informé, au moyen de bulletins, la collectivité de la tenue d’un scrutin le 21 avril 2012 pour le choix d’un chef. Ils ont toutefois informé la collectivité plus tard, le 12 avril 2012, soit après la date limite de dépôt des candidatures, que le scrutin prévu était annulé; aucune date n’a été fixée pour la tenue d’un nouveau scrutin.

 

39. Par conséquent, étant donné la prétendue vacance du poste de chef et la pétition publique destituant les quatre conseillers, il n’y a plus d’élu qui puisse prendre en charge les affaires de la collectivité avant la tenue d’une élection partielle pour désigner un chef et les conseillers.

 

40. Je suis prêt à assumer cette responsabilité en attendant la tenue de l’élection partielle requise, où je veux pouvoir me porter candidat. Pour ce motif, je soumets le présent affidavit au soutien d’une demande de déclaration portant que les postes des quatre conseillers élus en mars 2011 sont vacants et que ma prétendue destitution, découlant de la résolution du 27 octobre 2011, est nulle et sans effet. Je soumets aussi l’affidavit au soutien d’une demande d’ordonnance prévoyant la tenue, dès que les règles relatives aux élections le permettront, d’un nouveau scrutin en vue du choix d’un chef et de conseillers, et au soutien, à titre de mesure de réparation provisoire, d’une demande d’ordonnance interdisant aux quatre conseillers et à l’administrateur nommé par eux d’exercer un quelconque pouvoir lié à leur charge, tout en me confiant la responsabilité d’administrer les affaires des Mohawks de Wahta en attendant l’instruction de la demande.

 

[18]           Le 10 juillet 2012, M. Schindler a d’ailleurs déposé une requête en injonction visant à préserver les intérêts de M. Commandant et dans laquelle il sollicitait les mesures de réparation suivantes :

[traduction]

(i) une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs d’exercer tout pouvoir dévolu aux conseillers de la bande des Mohawks de Wahta, en attendant l’instruction de la présente demande ou la tenue de l’élection partielle pour le choix d’un chef et de conseillers de bande des Mohawks de Wahta, tel qu’il est demandé par les demandeurs;

 

(ii) une injonction prévoyant qu’en attendant l’instruction de la demande ou la tenue de cette élection partielle, le demandeur Blaine Commandant ait et exerce, à l’exclusion de toute autre personne, tous les pouvoirs dévolus au chef et aux conseillers de la bande des Mohawks de Wahta;

 

(iii) de manière subsidiaire, une ordonnance prévoyant, conformément à l’article 385 des Règles, l’instruction accélérée de la présente demande.

 

[19]           Une fois choisie pour remplacer M. Schindler, l’avocate actuelle des demandeurs a adopté la même position que son prédécesseur. Ainsi, dans leur mémoire des faits et du droit, daté du 28 février 2013 dont suit un extrait, les demandeurs reprennent quant au fond les mesures de réparation sollicitées dans la demande, notamment :

[traduction]

61. Les manquements à l’équité procédurale appellent la norme de contrôle de la décision correcte.

 

Basil c. Lower Nicola Indian Band, [2009] A.C.F. no 902, (juge Tremblay‑Lamer), au paragraphe 37 (Basil).

 

62. Nous soutenons par conséquent que la Cour devrait examiner la question de savoir si la décision de déclarer le poste de chef vacant, sans respecter envers le chef Commandant les obligations en matière d’équité, était correcte. La Cour devrait aussi examiner la question de savoir si la décision d’annuler la tenue de l’élection partielle spéciale pour pouvoir étudier la question du degré de sang requis par le Citizenship Code (le code de la citoyenneté) était correcte. Ces deux questions mettent en cause l’application des January 2011 Election Regulations (le règlement de 2011 sur les élections).

 

[20]           Toutefois, juste avant l’instruction de la présente demande, l’avocate des demandeurs a informé la Cour et l’avocat des défendeurs de ce qui suit, par lettre datée du 10 octobre 2013 :

[traduction]

Les dates prévues pour l’instruction de l’affaire sont le mardi 15 octobre 2013 et le mercredi 16 octobre 2013. Veuillez noter que les demandeurs ne solliciteront que les mesures de réparation exposées dans l’avis de demande, soit une déclaration de la nature d’un bref de quo warranto. Bien que les autres questions soulevées dans le mémoire des demandeurs inscrivent en contexte les mesures de réparation demandées, nous ne solliciterons aucune autre mesure que celles décrites précédemment.

 

Le 11 octobre, un avis de suivi a été envoyé :

[traduction]

Comme suite à ma lettre d’hier, veuillez noter, par souci de clarté, que les demandeurs ne solliciteront que les mesures de réparation exposées dans l’avis de demande, à savoir une déclaration de la nature d’un bref de quo warranto et une ordonnance prévoyant la tenue rapide d’une élection partielle pour combler les postes de chef et de conseillers de la bande des Mohawks de Wahta. Je m’excuse de tout malentendu.

 

Dans son affidavit sur la question des dépens souscrit le 15 janvier 2014, Mme Hensell, l’avocate des demandeurs, a formulé les explications suivantes au sujet du deuxième avis :

[traduction]

20. Pendant le déroulement de la procédure de demande, nos clients ont convenu de ne plus demander l’examen de l’admissibilité de M. Commandant comme candidat au poste de chef. Il est normal d’apporter de telles modifications mineures aux mesures de réparation demandées au cours de l’instance, et ces modifications ne constituent pas un changement de position de nos clients aux fins de la présente demande.

 

[21]           Toutefois, étant donné l’importance qu’a toujours eue la prétention concernant la candidature dans le cadre de la présente demande, en ce qui a trait notamment à l’objectif de M. Commandant, je ne puis admettre que l’abandon de cette prétention constitue une [traduction] « modification mineure ».

 

[22]           Les prétentions présentées par M. Schindler, que l’actuelle avocate des demandeurs a continué de faire valoir, soulèvent de graves problèmes restés sans réponse.

 

[23]           Sauf avec l’autorisation de la Cour, une demande de contrôle judiciaire ne peut, aux termes de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, avoir trait qu’à une seule décision ou action. Or, on sollicite dans la présente demande plusieurs mesures de réparation qui s’entrecroisent et qui mettent en cause un certain nombre de décisions et d’actions distinctes : la destitution de M. Commandant par les conseillers; le défaut de M. Commandant de s’opposer à cette destitution par voie de contrôle judiciaire; le défaut des conseillers de tenir une élection partielle pour combler le poste de chef; la tenue d’un scrutin par pétition; le résultat de ce scrutin; le non‑respect de ce résultat par les conseillers; les efforts de M. Commandant en vue de recouvrer sa fonction de chef, bien que le Règlement sur les élections ne l’y autorise pas.

 

[24]           Sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a compétence, en vertu de l’alinéa 18(1)a), pour statuer sur le droit des conseillers de demeurer en poste et, en vertu de l’alinéa 18.1(3)a), pour ordonner la tenue d’une élection partielle lorsque les circonstances le justifient. La Cour n’a toutefois pas compétence pour déclarer que M. Commandant [traduction] « peut se porter candidat » (la prétention concernant la candidature). Seul le Règlement sur les élections de la Première Nation peut prévoir les qualifications requises pour qu’une personne puisse se porter candidat à une élection de la Première Nation des Mohawks de Wahta. De plus, comme M. Commandant a été destitué du poste de chef en octobre 2011, il ne pouvait, en vertu de l’alinéa II f) du Règlement sur les élections, se porter candidat pendant les trois années suivant cette destitution.

 

[25]           L’actuelle avocate des demandeurs et l’avocat des défendeurs auraient dû immédiatement repérer les problèmes soulevés par les demandes formulées par M. Schindler. Or, cela ne semble pas s’être produit parce que ni l’un ni l’autre n’a pris des mesures en ce sens pendant le long litige en limitant les prétentions, par exemple par le retrait de celle concernant la candidature par les demandeurs, ou par une requête en annulation de cette demande présentée par les défendeurs.

 

[26]           À mon avis, le comportement des deux parties dans le cadre de la présente demande a fait gonfler le coût de la procédure bien au‑delà de la normale et des limites que je considère comme raisonnables, et j’en attribue la responsabilité en parts égales aux deux parties.

 

[27]           Quoi qu’il en soit, je souscris à l’argument de l’avocat des défendeurs selon lequel beaucoup d’efforts ont dû être déployés pour contrer la tentative de M. Commandant de recouvrer son poste de chef. Je conclus que les demandeurs ont eu tort de poursuivre cet objectif, et que son abandon ne constitue pas un correctif approprié. Dans l’extrait de la décision Mohawks d’Akwesasne, précitée, reproduit précédemment, la Cour assimile cette erreur à une circonstance pouvant justifier l’adjudication des dépens. En effet, la Cour peut chercher à savoir « s’il était raisonnable pour une partie de soulever, poursuivre ou contester une allégation ou une question ». Je conclus qu’il existe donc une raison claire et sérieuse d’adjuger des dépens aux défendeurs pour les indemniser dans une certaine mesure des frais qu’ils ont dû inutilement engager au regard de cette question.

 

            B.  Conflit d’intérêts

[28]           La deuxième question soulevée quant aux dépens vient de la crainte alléguée par les défendeurs d’un conflit d’intérêts. Cette peur découlerait du fait que M. Schindler a représenté la Première Nation dans le passé et que, puisqu’il a déposé la présente demande et représenté les demandeurs contre le gouvernement actuel de la Première Nation, il a pu utiliser à mauvais escient certains renseignements confidentiels obtenus comme avocat de la Première Nation dans le cadre de la présente demande. Malgré les sérieuses assurances données par M. Schindler et par l’avocate qui le remplace auprès des demandeurs pour dissiper toute inquiétude à ce sujet, les défendeurs continuent d’insister fortement sur ce point.

 

[29]           La protonotaire Milczynski a finalement mis un terme au profond différend sur ce point par une ordonnance rendue sous toutes réserves le 4 février 2013, où aucune conclusion n’était tirée quant à l’existence dans les faits ou selon droit d’un conflit d’intérêts, ou quant à la pertinence de la crainte alléguée en regard de la demande. En l’absence de telles conclusions, je ne crois pas possible de reprocher aux demandeurs de s’être opposés avec vigueur à la position défendue avec une telle intransigeance par les défendeurs. Je conclus qu’il n’existe pas de raison claire et sérieuse d’adjuger des dépens à l’égard de cette question.

 

            C.  Volonté de recourir à la médiation

[30]           Quant au défaut des parties de convenir tôt de soumettre la demande à la médiation, on ne peut jeter aucun blâme qui justifierait l’octroi de dépens. La médiation peut être effectuée lorsque les parties sont disposées à y recourir. Quoique la Cour soit entièrement favorable à la médiation à la première occasion, si l’on ne peut y recourir alors, elle garde espoir que les parties pourront le faire plus tard lorsqu’elles seront prêtes.

 

[31]           L’expérience enseigne qu’à un certain moment les parties à un différend sur la gouvernance peuvent être disposées à s’asseoir à la même table et à régler leur différend. On doit choisir ce moment avec soin pour parvenir à un règlement. Lorsqu’on gravit les marches du palais de justice pour aller assister à une audience, cela nous fait habituellement bien saisir qu’un étranger, un juge qui ignore les choses que sait chacune des parties, va bientôt décider de ce qu’elles‑mêmes auraient pu décider précédemment. Ce qui vient alors clairement à l’esprit, d’habitude, c’est la crainte de perdre le litige plutôt que l’espoir d’avoir gain de cause. Aussi, se faire rappeler que seul le pouvoir conféré par la bonne foi, plutôt que les récriminations, permettra d’arriver à un résultat juste peut ouvrir la porte de sortie d’un litige qui, pendant si longtemps, constituait la pénible réalité. Tout cela fait émerger un moment opportun pour trouver une solution adaptée aux parties. Cela s’est produit en l’espèce lors de l’instruction de la demande.

 

[32]           Je conclus qu’il n’existe pas de raison claire et sérieuse d’adjuger des dépens à l’égard de cette question.

 

III.       Adjudication des dépens

[33]           Comme élément de l’argumentation des défendeurs sur la question des dépens, leur avocat a produit un mémoire de dépens, daté du 21 novembre 2013, faisant état de dépens admissibles réclamés au titre de la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales ainsi que de frais pour l’indemnisation [traduction] « entière », « substantielle » et « partielle » réclamés pour la réponse à toutes les questions soulevées dans la demande. Je tire trois conclusions après examen du mémoire de dépens : seuls les frais pour l’indemnisation [traduction] « partielle » de 224 080 $ réclamés sont raisonnables; s’attaquer aux difficultés soulevées par l’objectif poursuivi par les demandeurs en vue de permettre à M. Commandant de recouvrer son poste de chef a occasionné environ la moitié des frais d’indemnisation réclamés par les défendeurs; par conséquent, on pourrait évaluer à 112 040 $ les frais d’indemnisation imputables à la prétention concernant la candidature. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle on peut tenir les deux parties également responsables de l’accroissement du coût du litige, j’estime juste et équitable d’accorder aux défendeurs un montant forfaitaire de 56 020 $.

 

IV.       Conclusion

[34]           J’espère sincèrement que la présente décision sur les dépens mettra fin au litige. J’encourage les demandeurs et les défendeurs à se concentrer sur l’avenir qu’ils ont pris tant de soin à tracer en concluant la très importante entente mettant un terme à la demande. Tous mes souhaits de réussite accompagnent les efforts qu’ils pourront déployer en ce sens.


 

ANNEXE

 

[traduction]

 

ENTENTE DE RÈGLEMENT

ATTENDU que les demandeurs, Blaine Commandant, Darrel Bruce DeCaire, George Francis Decaire, Elizabeth Bella Roberts, Scott Sahanatien, Lawrence Schell, Neil Schell, Ronald Strength, Calvin White et Michael Dewasha, ont présenté une demande contre les défendeurs, Bill Hay, Shirley Hay, Dan Stock et Stuart Lane, en vue d’obtenir :

 

a) une déclaration, de la nature d’un quo warranto, portant que les défendeurs ont cessé d’être des conseillers de la bande des Mohawks de Wahta;

 

b) une ordonnance prévoyant la tenue rapide d’une élection partielle pour le choix du chef et des conseillers de la bande des Mohawks de Wahta, élection à laquelle le demandeur Blaine Commandant pourra poser sa candidature comme chef;

 

c) une ordonnance d’adjudication des dépens.

 

ET ATTENDU que le demandeur Blaine Commandant admet et convient que les défendeurs, Bill Hay, Shirley Hay, Dan Stock et Stuart Lane, ont dûment et correctement appliqué dans la présente affaire les Règles et Règlement sur les élections des Mohawks de Wahta;

 

ET ATTENDU, par conséquent, que les parties aux présentes ont convenu du règlement de la présente demande aux conditions suivantes :

 

1. La demande est rejetée avec dépens, payables aux défendeurs, qui devront être adjugés par la Cour.

 

2. Blaine Commandant convient qu’après application en bonne et due forme des Règles et Règlement sur les élections des Mohawks de Wahta, il ne peut se porter candidat aux postes électifs de chef ou de conseiller des Mohawks de Wahta pendant la période de trois (3) ans qui suit la date à laquelle son poste a été déclaré vacant, soit le 24 novembre 2011.

 

3. Les défendeurs, Bill Hay, Shirley Hay, Dan Stock et Stuart Lane, conviennent que les Règles et Règlement sur les élections des Mohawks de Wahta requièrent la tenue d’une élection générale à la fin de mars 2014, et conviennent également que tous les membres satisfaisant aux critères d’admissibilité prévus dans les Règles et Règlement des Mohawks de Wahta auront le droit de se porter candidats à cette élection.

 

EN FOI DE QUOI les parties ont signé la présente entente de règlement de leur propre main ou par l’entremise de leur représentant dûment autorisé le 16 octobre 2013.

[Signatures omises.]

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE, sur consentement, que la demande soit rejetée.

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que des dépens de 56 020 $ soient adjugés aux défendeurs.

 

Aucuns dépens ne sont adjugés à l’égard de la requête en dépens.

 

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T‑1204‑12

 

INTITULÉ :

BLAINE COMMANDANT, DARREL BRUCE DECAIRE, GEORGE FRANCIS DECAIRE, ELIZABETH BELLA ROBERTS, SCOTT SAHANATIEN, LAWRENCE SCHELL, NEIL SCHELL, RONALD STRENGTH, CALVIN WHITE ET MICHAEL DEWASHA c BILL HAY, SHIRLEY HAY, DAN STOCK ET STUART LANE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LES 15 ET 16 OCTOBRE 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

                                                            LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :

                                                            LE 5 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Sarah Clarke

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Philip Healey

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hensel Barristers Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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