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Date : 20140306

Dossier : IMM-1298-13

Référence : 2014 CF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

MILAN VAGNER, MARCELA VAGNEROVA, KVETA VAGNEROVA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par Karen J. McMillan, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2002, ch 27 (la Loi). La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs et conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          Question en litige

[2]               La Commission a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable au regard de la protection de l’État?

 

II.        Contexte

[3]               Les demandeurs sont les membres d’une famille de citoyens slovaques formée d’un père (le demandeur principal ou DP), de son épouse et de leur fille (la demanderesse mineure ou DM). Ils sont d’origine ethnique rom.

 

[4]               Selon l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (FRP) du DP, les demandeurs craignent de retourner en République slovaque à cause de plusieurs incidents de violence dont ils auraient été victimes en raison de leur origine ethnique rom.

 

[5]               En 2003, l’épouse du DP et son fils se sont fait voler, agresser et harceler à Bratislava. Ne sachant pas où trouver un poste de police, ils n’ont pas signalé l’agression.

 

[6]               En 2007, l’épouse du DP a été attaquée et s’est fait voler par quatre skinheads alors qu’elle rentrait chez elle après le travail. Elle a reconnu l’un de ses agresseurs, et celui‑ci a dit aux autres de cesser ce qu’ils faisaient. Elle ne s’est pas rendue au poste de police et a continué par la suite d’emprunter le même chemin pour rentrer chez elle après le travail. Un peu plus tard, elle a appris que l’agresseur qu’elle avait reconnu avait été emprisonné, mais elle ne savait pas si son incarcération était liée à l’agression commise contre elle.

 

[7]               En octobre 2010, le DP a été agressé par des skinheads à bord d’un train. Il a séjourné à l’hôpital pendant quatre jours des suites de l’agression. Le personnel de l’hôpital a appelé la police, mais le DP n’a pas été capable de décrire ses agresseurs aux policiers et il a seulement dit qu’ils étaient chauves. Il n’a pas eu d’autres nouvelles de la police.

 

[8]               En février 2011, la DM a fait l’objet d’une agression verbale et physique de la part de skinheads à son lieu de travail. Elle a appelé la police et des policiers se sont rendus sur les lieux, mais ses agresseurs étaient déjà partis. Elle a fait un signalement à la police et appris par un ami que la police s’était rendue chez l’un des agresseurs et lui avait donné un avertissement. Elle ne sait pas si des accusations ont été portées. Après cette agression, des croix gammées ont été peintes sur l’immeuble d’habitation où vivaient les demandeurs. La police n’a pas été appelée, et le concierge de l’appartement a recouvert les symboles de peinture.

 

[9]               Le 5 avril 2011, les demandeurs sont arrivés au Canada où ils ont demandé l’asile.

 

[10]           La question déterminante pour la Commission était celle de la protection de l’État. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[11]           En ce qui concerne l’agression survenue en octobre 2010, la Commission a conclu que la police avait fait ce qui pouvait raisonnablement être attendu dans les circonstances : elle avait interrogé le DP et demandé une description de ses agresseurs. Le DP avait été incapable de fournir une telle description, et la police n’avait pas été en mesure de pousser plus loin l’enquête.

 

[12]           En ce qui concerne l’incident de septembre 2007, la Commission a conclu que l’épouse du DP aurait dû appeler la police à la suite de l’incident, mais qu’elle ne l’avait pas fait, et elle a fait remarquer que le fait que l’agresseur que l’épouse avait reconnu avait été emprisonné plus tard montre que la police slovaque enquête sur les actes criminels qui lui sont signalés.

 

[13]           Enfin, en ce qui concerne l’incident de février 2011, la Commission fait observer que la DM a fait sa déposition à la police et que les policiers ont déclaré qu’ils feraient enquête. De plus, la DM a demandé que des agents de sécurité soient postés à son lieu de travail ou que des caméras de sécurité y soient installées, et son employeur s’est plié à ces exigences. Étant donné que les demandeurs ont quitté la République slovaque peu après l’incident, il est impossible de savoir quelles mesures les policiers ont prises pour faire avancer l’enquête.

 

[14]           La Commission a interrogé le DP au sujet de la façon dont il perçoit la protection de l’État en République slovaque. Le DP a déclaré dans son témoignage que les policiers n’offrent pas leur aide aux Roms parce qu’ils ne veulent pas leur venir en aide. La Commission a conclu que cette réponse n’est guère convaincante, car aucun des incidents signalés par les demandeurs n’était corroboré et n’allait dans le sens de la preuve documentaire.

 

[15]           La Commission a reconnu qu’il est fait état de renseignements selon lesquels les Roms ont subi à grande échelle de l’intolérance, de la discrimination et de la persécution en République slovaque. Ceux‑ci comprennent des agressions violentes commises contre les Roms par des groupes néonazis, la protection inefficace de la police et de la discrimination relativement aux soins de santé, à l’éducation, au logement et à l’emploi.

 

[16]           Cependant, la Commission a constaté que le gouvernement slovaque avait pris des mesures pour remédier à ces lacunes et que des progrès sont observés. La Commission cite le troisième rapport du Conseil de l’Europe sur la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales, qui décrit les progrès réalisés par la République slovaque au chapitre de la protection des minorités.

 

[17]           En ce qui concerne la police, la Commission fait observer que le gouvernement a déployé des efforts pour remédier à la violence et à la discrimination à l’endroit des Roms et d’autres minorités. Ces efforts comprennent la surveillance des activités extrémistes par une unité policière spéciale et les conseils sur les questions liées aux minorités prodigués à la police par une commission. De plus, la Commission constate que les lois slovaques sont appliquées peu importe la race, qu’une initiative de sensibilisation faisant intervenir 231 « policiers spécialistes des Roms » a été mise en œuvre et que les intervenants passent 70 p. 100 de leur temps dans les collectivités roms pour accroître la confiance. Enfin, le Code pénal a été modifié en 2009 et il assure désormais une protection améliorée contre les crimes à caractère raciste.

 

[18]           La principale conclusion de la Commission quant au fait que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État est que les demandeurs n’ont pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour se prévaloir de la protection de l’État.

 

III.       Norme de contrôle

[19]           Les parties n’ont pas expressément abordé la question de la norme de contrôle applicable; or, la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62; Hippolyte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82, aux paragraphes 22 à 24).

 

IV.       Analyse

[20]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en laissant entendre que les demandeurs auraient dû demander la protection au‑delà de la police et en affirmant que les demandeurs avaient subi de la discrimination, mais pas de la persécution (Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, aux paragraphes 23 et 24, 28 à 30, 34, 37 et al).

 

[21]           En outre, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en concluant que le fait que des policiers ont dressé un rapport sans mener d’enquête en bonne et due forme constitue une protection adéquate (Biro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1120, aux paragraphes 26 à 28), et allèguent que la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs auraient dû solliciter la protection de la police, étant donné que la protection de la police ne leur avait pas été offerte dans le passé (Sebok c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1107, aux paragraphes 23 à 25).

 

[22]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur en concluant que le dossier documentaire montre que la protection de l’État est offerte en République slovaque, car, selon la preuve documentaire mentionnée par la Commission aux paragraphes 14, 20, 21, 22 et 24, les Roms en République slovaque font de plus en plus l’objet d’agressions fondées sur la race, des cas d’abus par les forces policières contre des Roms sont toujours signalés, les représentants de ce pays n’ont pas déployé les efforts nécessaires pour freiner l’augmentation des comportements racistes dans ce pays, et les juges manquent de formation relativement aux dispositions législatives concernant l’extrémisme. Les demandeurs font valoir que cela est d’autant plus vrai qu’ils ont eux‑mêmes été jugés crédibles par la Commission. Par conséquent, la Commission n’a pas évalué correctement l’efficacité opérationnelle des mécanismes de protection mis en place par la République slovaque.

 

[23]           Les demandeurs affirment en outre que la Commission a laissé de côté des éléments de preuve, particulièrement les témoignages présentés de vive voix par les demandeurs, diverses observations faites par la Commission aux paragraphes 14, 20, 21, 22 et 24 de la décision, le fait que les policiers sont souvent des agents de persécution, la preuve documentaire présentée par le conseil des demandeurs et la preuve documentaire fournie par la Commission.

 

[24]           Enfin, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en ne traitant pas de la « tendance [de la République slovaque] à être incapable » d’offrir une protection aux demandeurs.

 

[25]           Malgré les observations des demandeurs, j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[26]           Bon nombre des arguments des demandeurs ne sont pas corroborés par la preuve dont je dispose. Le fait de demander la protection au‑delà de celle de la police n’était pas en cause en l’espèce; la Commission s’exprimait en termes généraux aux paragraphes 15 et 20 de la décision. Contrairement à ce que les demandeurs affirment, la Commission a également fait état de la persécution au paragraphe 20. De plus, affirmer que la Commission a conclu que la protection de l’État était adéquate parce que la police n’avait pas mené d’enquête ne m’apparaît pas comme une interprétation juste des paragraphes 16 et 17 de la décision de la Commission. La Commission a conclu que la police avait mené l’enquête jusqu’où elle le pouvait, ou que les demandeurs n’avaient pas su si la police avait mené une enquête et que, par conséquent, les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer que la protection de l’État n’était pas adéquate. La Commission n’a pas laissé de côté des éléments de preuve; les observations des demandeurs constituent une invitation à soupeser de nouveau la preuve.

 

[27]           Si le défendeur a raison d’affirmer que la Commission a déclaré qu’elle a examiné l’ensemble de la preuve documentaire et conclu qu’elle estime que la protection de l’État est adéquate « sur le plan opérationnel », en somme, très peu d’éléments de preuve laissent penser qu’elle l’a fait. Plus particulièrement, le défendeur reconnaît l’élément de preuve cité au paragraphe 14 selon lequel « le climat raciste s’exacerbe » en République slovaque et les Roms ont été « victimes de violence ». Cependant, même si l’analyse que la Commission a faite sur ce point était faible, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État puisqu’ils n’avaient pas sollicité la protection de l’État. Les demandeurs n’ont pas signalé certains incidents à la police, ils lui ont fourni des informations insuffisantes relativement à d’autres incidents de sorte que les policiers n’ont pu mener d’enquête, et ils ne sont pas restés en République slovaque assez longtemps pour connaître les résultats de l’enquête policière au sujet de l’incident de 2011.

 

[28]           Si les demandeurs ne sont pas tenus de mettre leur vie en danger pour démontrer l’inefficacité de la protection de l’État (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 48), il est bien établi en droit que les demandeurs d’asile doivent s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’ils n’étaient pas tenus de solliciter la protection de l’État avant de demander l’asile (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 66, au paragraphe 12; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 57).

 

[29]           Même si les demandeurs citent les paragraphes 70 à 74 de la décision Cervenakova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 525 [Cervenakova] comme exemple d’une analyse tout aussi inadéquate du caractère satisfaisant des efforts concrets de protection déployés par l’État en République slovaque, chaque affaire est jugée d’après les faits qui lui sont propres, tels qu’ils sont établis par la preuve. Dans Cervenakova, précitée, le juge James Russel n’a pas tiré de conclusion quant au caractère raisonnable des efforts déployés par la demanderesse pour obtenir la protection de l’État. Dans cette décision, il est mentionné au paragraphe 6 que la police a explicitement refusé d’aider la demanderesse et, au paragraphe 9, que la demanderesse n’a pas pu obtenir des soins médicaux adéquats. De tels refus ne sont pas en cause en l’espèce.

 

[30]           Dans l’ensemble, compte tenu de la preuve dont disposait la Commission, il était raisonnable de conclure que les demandeurs n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État. Étant donné que les demandeurs n’ont pas pu réfuter la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante, la décision était, dans son ensemble, raisonnable (Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 26 et 28).


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1298-13

 

INTITULÉ :                                      Vagner et al. c.
MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 mars 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dushahi Sribavan

 

POUR LES DEMANDEURS

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROCCO GALATI LAW FIRM

SOCIÉTÉ PROFESSIONNELLE

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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