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Dossier : T‑2293‑12

Référence : 2014 CF 215

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2014

En présence de monsieur le juge Scott

ENTRE :

PARADIS HONEY LTD.,

HONEY BEE ENTERPRISES LTD. ET

ROCKLANE APIARIES LTD.

demanderesses

(défenderesses)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

(demandeur)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.          Introduction

[1]               Le défendeur a présenté, en vertu de l’article 369 et de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les RCF], une requête visant la radiation de l’intégralité de déclaration, sans permission de la modifier, au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable.

[2]               D’entrée de jeu, la Cour a modifié l’intitulé, étant donné que la poursuite intentée par les demanderesses est fondée sur l’article 23 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50.

[3]               Le défendeur affirme que la poursuite comporte les lacunes suivantes : 

a)         elle est fondée sur la responsabilité civile délictuelle du fait d’une présumée violation de la loi, ce qui ne constitue pas un délit reconnu en droit;

b)         elle impute une responsabilité directe à l’État sans toutefois désigner nommément de préposé de l’État;

c)         les faits ne donnent pas lieu à une obligation de diligence de droit privé.

[4]               La déclaration des demanderesses vise à obtenir des dommages‑intérêts sur le fondement des éléments suivants :

1)         la négligence dont le défendeur aurait fait preuve en imposant ou en faisant respecter une interdiction d’importation au Canada de paquets d’abeilles domestiques en provenance du territoire continental des États‑Unis à compter du 31 décembre 2006 jusqu’à ce jour ou en refusant de délivrer des permis d’importation en provenance de ce territoire, violant ainsi son obligation de diligence;

2)         le défendeur aurait agi sans autorisation légale en imposant une interdiction d’importer au Canada de paquets d’abeilles domestiques en provenance du territoire continental des États‑Unis à compter du 31 décembre 2006 jusqu’à ce jour ou en refusant de délivrer des permis d’importation en provenance de ce territoire, violant ainsi son obligation de diligence et abdiquant ses pouvoirs en faveur d’un tiers, à qui il a permis illégitimement de prendre à sa place des décisions fondées sur des considérations non pertinentes.

II.        Les faits

[5]               L’importation au Canada d’abeilles vivantes en provenance des États‑Unis a été restreinte à la fin des années quatre‑vingt en raison de préoccupations au sujet de la présence d’acariens et d’autres organismes nuisibles sur les abeilles en question. À compter de cette époque et jusqu’en 2004, l’importation d’abeilles domestiques en provenance des États‑Unis (qu’il s’agisse de reines ou d’abeilles domestiques en paquets) a été frappée d’une interdiction aux termes de l’Ordonnance interdisant l’importation des abeilles domestiques 1987, DORS/87‑607 et des ordonnances qui l’ont remplacée et qui ont été prises en application du paragraphe 20(1) du Règlement sur les maladies et la protection des animaux, CRC c 296 [le RMPA], du Règlement de 1991 interdisant l’importation des abeilles domestiques, DORS/92‑24, et des règlements qui ont remplacé ce dernier règlement et qui ont été pris en application de l’article 14 de la Loi sur la santé des animaux, LC 1990, c 21 [la LSA].

[6]               Les interdictions en question avaient été imposées à la suite d’évaluations des risques effectuées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments [l’ACIA]. L’ACIA est chargée d’assurer et de contrôler l’application de la LCA (Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, LC 1997, c 6, paragraphe 4(1) [l’ACIA]). Les dernières évaluations des risques et séances de consultations de l’industrie au sujet des risques de maladie ou de présence de substances toxiques résultant de l’autorisation d’importer des abeilles vivantes des États‑Unis remontent à 2003. À l’époque, l’interdiction frappant l’importation d’abeilles vivantes en provenance des États‑Unis a été confirmée par le Règlement de 2004 interdisant l’importation des abeilles domestiques, DORS/2004‑136 [le Règlement de 2004], pris en application de l’article 14 de la LSA, sous réserve d’une exception permettant au ministre de délivrer un permis d’importation de reines.

[7]               Le ministre tient ses pouvoirs en matière de délivrance de permis de l’article 64 de la LSA et de l’article 12 et du paragraphe 160(1.1) du Règlement sur la santé des animaux, CRC, c 296 [le RSA]. Le paragraphe 160(1.1) du RSA précise que le ministre délivre tout permis ou licence exigés par le règlement s’il est d’avis que leur délivrance « n’entraînera pas ou qu’il est peu probable qu’elle entraîne l’introduction ou la propagation de vecteurs, de maladies, ou de substances toxiques au Canada ou leur introduction dans tout autre pays, en provenance du Canada » .

[8]               Entre 2004 et 2006, le ministre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 160(1.1) du RSA de délivrer des permis d’importation de reines des États‑Unis. Toutefois, l’importation d’abeilles domestiques en paquets a continué à être frappée d’une interdiction. L’interdiction prévue par le Règlement de 2004 a expiré le 31 décembre 2006 et n’a pas été renouvelée par règlement, ordonnance ou directive officielle du ministre. Malgré l’expiration de l’interdiction prévue par le Règlement de 2004, le défendeur a continué à interdire l’importation de paquets d’abeilles domestiques en provenance des États‑Unis tout en continuant à délivrer des permis pour l’importation de reines des États‑Unis en vertu du paragraphe 160(1.1) du RSA.

[9]               La demanderesse allègue que, peu après l’expiration de l’interdiction, l’importation d’abeilles domestiques en paquets en provenance des  États‑Unis était visée par le même régime administratif (articles 12 et 160 du RSA), qui régissait l’importation de reines des États‑Unis et des animaux vivants en général, mais que le défendeur a imposé une interdiction de facto malgré cette modification (déclaration du 28 décembre 2012 des demanderesses, à la page 7). Les demanderesses affirment qu’en leur interdisant et en les empêchant d’obtenir des permis d’importation de paquets d’abeilles domestiques en provenance des États‑Unis, le défendeur a manqué à son obligation de diligence et a agi sans autorisation légale.

III.       Questions en litige

A.                Est‑il évident et manifeste que le recours des demanderesses fondé sur l’absence d’autorité légale du ministre est voué à l’échec?

B.                 Est‑il évident et manifeste que le recours des demanderesses fondé sur la négligence est voué à l’échec?

C.                 Y a‑t‑il lieu d’adjuger des dépens?

IV.       Thèse des parties

A .  Thèse du défendeur

[10]           Dans les arguments qu’il a présentés en réponse, le défendeur affirme que les demanderesses ne peuvent modifier leur déclaration, étant donné que les actes de procédure sont clos depuis le 8 février 2013, date à laquelle elles ont déposé leur défense (article 202 des RCF). Le défendeur soutient que la déclaration modifiée proposée par les demanderesses est entachée d’irrégularités et qu’elle devrait être radiée ou totalement ignorée tout comme tous les paragraphes dans lesquels les demanderesses la mentionnent dans les observations écrites qu’elles ont déposées en réponse (réponse du défendeur au dossier de requête, à la page 3, paragraphe 10). Le défendeur se fonde sur les articles 200 et 202 des RCF pour dire que les demanderesses ne pouvaient modifier leurs actes de procédure de plein droit et qu’elles devaient d’abord obtenir l’autorisation de la Cour par voie de requête.

[11]           Le défendeur fait valoir que les demanderesses n’ont pas présenté de requête pour modifier leurs actes de procédure et qu’elles ne peuvent tenter de le faire en produisant une déclaration modifiée en réponse à la requête en radiation du défendeur. De plus, le défendeur affirme que les demanderesses sont irrecevables à modifier leurs actes de procédure puisque la présente affaire est une instance à gestion spéciale et que les parties ont établi le calendrier des requêtes interlocutoires lors de la conférence sur la gestion de l’instance du 1er octobre 2013. Le défendeur ajoute que les demanderesses ont admis que les modifications proposées n’étaient pas de nouvelles questions dont elles viennent tout récemment de prendre connaissance (réponse du défendeur au dossier de requête, à la page 4, paragraphe 12).

[12]           Suivant le défendeur, les demanderesses tentent de soumettre une déclaration modifiée après avoir eu l’avantage de prendre connaissance de tous les arguments présentés par le défendeur au soutien de sa requête. Le défendeur fait par ailleurs valoir que le paragraphe 75(2) des RCF interdit aux parties de modifier leurs actes de procédure au cours d’une audience et il ajoute que, comme la requête a été présentée par écrit, une audience est entamée. Le défendeur affirme que la Cour fédérale a par le passé repoussé les tentatives de modifier sans autorisation des actes de procédure en réponse à une requête en radiation et statué qu’aucune mesure susceptible de nuire aux intérêts du requérant ne peut être prise. Le défendeur s’appuie à cet égard sur une directive d’un protonotaire dans laquelle le jugement Bruce c John Northway & Sons Ltd, [1962] OWN 150 est cité. Le défendeur relève par ailleurs que les demanderesses ont invoqué l’arrêt Los Angeles Salad Company Inc c Canadian Food Inspection Agency et al, 2013 BCCA 34 [Los Angeles Salad Company], mais qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente instance et cette affaire, étant donné qu’une demande officielle d’autorisation de modification des actes de procédure y avait été présentée.

[13]           En ce qui concerne les arrêts Simon c Canada, 2011 CAF 6, au paragraphe 14, [Simon], et Collins c Canada, 2011 CAF 140, au paragraphe 26 [Collins], invoqués par les demanderesses, le défendeur fait remarquer que la procédure écrite n’était pas close dans ces affaires. Les défendeurs n’avaient pas déposé leur défense avant de présenter leur requête en radiation; par conséquent, dans ces deux affaires, les défendeurs avaient le droit de modifier leurs actes de procédure de plein droit. Enfin, le défendeur soutient que les décisions invoquées par les demanderesses ne semblent pas avoir été rendues dans le cadre d’instances à gestion spéciale, dans lesquelles les parties se seraient engagées à traiter de la question des requêtes interlocutoires à être examinées avant la requête en certification des demanderesses ou en même temps que cette requête.

[14]           Le défendeur souligne également que, contrairement à ce que prétendent les demanderesses, il n’a pas reçu la déclaration modifiée proposée le 25 septembre 2013, et que ce n’est que le 29 novembre 2013 qu’il en a pris connaissance pour la première fois, soit lorsqu’il a reçu le dossier de la requête des demanderesses en réponse à sa requête en radiation sans autorisation de modification.

[15]           À titre subsidiaire, le défendeur affirme que la déclaration modifiée des demanderesses ne peut remédier aux lacunes de leur recours fondé sur la négligence, car, si on les interprète correctement, force est de constater que ni la LSA ni le RSA ne créent d’obligation de diligence de droit privé en faveur des demanderesses à titre individuel. L’ACIA n’a d’obligation qu’envers le public dans son ensemble et non envers des citoyens à titre individuel, et les modifications proposées ne peuvent modifier l’intention du législateur à cet égard.

i.          Recours fondé sur les actes commis sans autorisation légale

[16]           Le défendeur affirme que la présente demande est vouée à l’échec parce que, depuis le 1er janvier 2007, et encore à ce jour, la loi prévoit qu’il est permis d’interdire l’importation de paquets d’abeilles domestiques en provenance des États‑Unis et de refuser de délivrer des permis autorisant leur importation. La LSA et le RSA confèrent explicitement à l’ACIA le pouvoir de décider si un « animal réglementé » peut être importé au Canada. Le défendeur affirme que ces textes législatifs interdisent de façon générale l’importation d’animaux à moins que certaines conditions ne soient réunies.

[17]           Le défendeur affirme que, même si la thèse des demanderesses suivant laquelle l’ACIA a agi sans autorisation légale était interprétée comme une allégation que l’ACIA n’a pas agi conformément à la loi et au règlement qui l’habilitent à agir, cette prétention équivaudrait à alléguer qu’il y a eu manquement à une obligation prévue par la loi, ce qui ne constitue pas une cause d’action reconnue en droit (Holland c Saskatchewan, 2008 CSC 42, aux paragraphes 7, 8, 9 et 11 [Holland]). Le défendeur affirme également que les conséquences civiles de la violation d’une loi sont subsumées sous les règles de droit en matière de négligence (R c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205, au paragraphe 37 [Saskatchewan Wheat Pool]). Je traiterai de cet aspect de l’action des demanderesses dans le cadre de l’analyse de l’obligation de diligence.

ii.         Réclamation fondée sur la négligence

[18]           Le défendeur affirme que la LSA et le RSA n’imposent pas à l’ACIA une obligation de diligence prima facie de protéger les demanderesses de pertes économiques lorsqu’elle s’acquitte des obligations que lui impose la Loi ou et qu’elle exerce les pouvoirs que lui confère la Loi en matière d’importation d’animaux au Canada. Le défendeur soutient que l’objectif d’intérêt public du régime législatif, qui consiste à protéger la santé des animaux, n’est pas compatible avec l’obligation de droit privé de protéger les intérêts économiques et commerciaux privés des particuliers. Le défendeur soutient par ailleurs que les actes allégués dans la demande ne témoignent pas de l’existence du niveau ou du type d’interaction jugé nécessaire pour que les tribunaux concluent à l’existence de liens étroits et directs entre l’autorité de réglementation et le demandeur. Enfin, le défendeur affirme qu’on a affaire à des décisions de politique générale fondamentale du gouvernement et que la perspective d’une responsabilité indéterminée aurait pour effet d’annihiler même une obligation de diligence prima facie, si tant est qu’une telle obligation existe.

[19]           Le défendeur expose brièvement l’analyse permettant de conclure à la responsabilité de l’État pour négligence. Le point de départ consiste à se demander s’il existe des catégories analogues d’affaires dans lesquelles l’existence d’une telle obligation a été reconnue (Childs c Desormeaux, 2006 CSC 18, au paragraphe 15 [Childs]). Si les faits permettent de conclure que la demande peut être classée dans une catégorie déjà définie par la jurisprudence, l’existence d’une obligation de diligence a alors été démontrée et il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse plus loin. S’il n’existe pas de cas analogues, il faut se demander si une nouvelle obligation de diligence, de nature à engager la responsabilité civile délictuelle de l’État, peut être reconnue dans les circonstances, en fonction du critère à deux étapes énoncé dans l’arrêt Anns c Merton London Borough Council, [1978] AC 728 [Anns].

Le critère applicable

[20]           À la première étape de ce critère, il faut se demander si les faits révèlent l’existence d’un lien suffisamment étroit et direct entre les parties pour obliger l’une d’elles à faire preuve d’une diligence raisonnable pour éviter de causer, de façon prévisible, une perte ou un préjudice à l’autre partie. La prévisibilité est tributaire de l’existence d’un lien suffisamment étroit et direct ou d’un lien de proximité suffisant (R c Imperial Tobacco Canada Ltd., 2011 CSC 42, au paragraphe 41 [Imperial Tobacco], et Cooper c Hobart, 2001 CSC 79, au paragraphe 32 [Cooper]). Dans l’arrêt Imperial Tobacco, la Cour suprême a précisé que le lien de proximité peut tirer son origine soit de l’intention du législateur, soit d’une série d’interactions précises entre l’autorité de réglementation et le demandeur, ou à la fois de rapports entre les parties et d’obligations imposées à l’État par la Loi. La Cour déclare ce qui suit, aux paragraphes 44, 45 et 46 :

44. Selon l’argument avancé dans la première catégorie de cas, la loi elle‑même crée un rapport de proximité de nature privée qui donne lieu à une obligation de diligence prima facie. Il peut être difficile d’arriver au constat qu’une loi crée un lien suffisamment étroit pour donner lieu à une obligation de diligence. Certaines lois peuvent imposer à des représentants de l’État des obligations envers des demandeurs en particulier, mais plus souvent, les lois visent des objectifs d’intérêt public, tels la réglementation d’une industrie (Cooper), ou le retrait d’un enfant d’un milieu qui lui est préjudiciable (Syl Apps). Dans ces circonstances, il peut être difficile d’inférer que le législateur entendait créer des obligations de droit privé envers des demandeurs.  Il est encore plus difficile d’inférer cette intention si l’établissement d’une obligation de nature privée irait à l’encontre des obligations d’une autorité publique envers la population : voir notamment Cooper et Syl Apps. Tel qu’il est mentionné dans Syl Apps, « [u]n conflit entre l’obligation de diligence revendiquée et une obligation primordiale de nature publique ou imposée par la loi peut constituer une raison de principe impérieuse pour refuser de conclure à la proximité » (par. 28; voir aussi Fullowka c. Pinkerton’s of Canada Ltd., 2010 CSC 5, [2010] 1 R.C.S. 132, par. 39).

45.       Dans la deuxième catégorie de cas, on prétend que le lien étroit essentiel à l’obligation de diligence de nature privée tire son origine d’une série de rapports précis entre le gouvernement et le demandeur. On fait valoir dans ces cas que le gouvernement, de par sa conduite, a tissé avec le demandeur un lien suffisamment spécial pour établir la proximité nécessaire à une obligation de diligence. Dans ces cas, les lois applicables restent pertinentes pour l’analyse. Par exemple, si un constat de proximité allait à l’encontre du devoir général de nature publique imposé par la loi à l’État, le tribunal peut conclure que cette proximité n’existe pas : Syl Apps; voir aussi Heaslip Estate c. Mansfield Ski Club Inc., 2009 ONCA 594, 96 O.R. (3d) 401. Cependant, ce sont les rapports précis entre l’organisme gouvernemental et le demandeur qui font naître une obligation de diligence dans un cas de ce genre.

46.       Enfin, il est possible d’imaginer une action mettant en cause un lien étroit qui se fonde à la fois sur les rapports entre les parties et sur les obligations imposées au gouvernement par la loi.

Si l’on conclut à l’existence d’un tel lien de proximité, il y a obligation de diligence prima facie.

[21]           Lorsque le tribunal conclut à l’existence d’une obligation de diligence prima facie, la seconde étape consiste à se demander si des considérations de politique générales empêchent de reconnaître cette obligation (Childs, précité, au paragraphe 13, et Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 39).

Affaires analogues

[22]           Le défendeur affirme qu’il n’existe pas d’affaire analogue dans laquelle un tribunal aurait déjà reconnu que l’État est assujetti à une obligation de diligence de droit privé l’obligeant à tenir compte des intérêts économiques particuliers d’un individu lorsqu’il prend la décision de politique générale fondamentale d’interdire l’importation d’animaux au Canada sous le régime de la LSA et du RSA. Il n’existe pas non plus d’affaires analogues reconnaissant que l’ACIA est assujettie à ce type d’obligation lorsqu’elle se prononce sur l’opportunité de délivrer ou non des permis d’importation d’animaux en vertu de cette législation.

[23]           Le défendeur invoque plutôt la décision Berg c Saskatchewan, 2003 SKQB 456 [Berg], dans laquelle il a été jugé qu’il n’existait pas de lien de proximité dans une situation qui, à son avis, ressemble à la présente. Dans cette décision, des permis d’importation de wapitis avaient été refusés parce qu’on craignait que leur importation entraîne l’introduction de maladies en Saskatchewan au sens de la Wildlife Act, 1997, SS 1997, c W‑13.11 (maintenant abrogée) [la Wildlife Act 1997]. Dans cette affaire, le demandeur alléguait qu’on avait fait preuve de négligence en imposant l’interdiction étant donné que cela avait été fait sans avoir d’abord vérifié les circonstances factuelles, et qu’il n’existait pas de motif raisonnable de croire que les animaux étaient ou seraient infectés. L’État a conclu que les intérêts économiques d’un groupe restreint de personnes qui avait pu subir des conséquences de l’application de la Wildlife Act 1997, devaient être subordonnés à l’objectif supérieur de la loi, qui visait l’intérêt du public en général. La Cour a également déclaré que la loi ne s’intéressait pas aux répercussions économiques du régime de délivrance des permis (Berg, précitée, au paragraphe 76). Le défendeur affirme que cette décision est déterminante, compte tenu de la similitude des allégations et des régimes législatifs.

[24]           Le défendeur invoque aussi l’arrêt River Valley Poultry Farm Ltd c Canada (Attorney General), 2009 ONCA 326 [River Valley], dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario a analysé l’objet et l’intention de la LSA et conclu qu’elle ne créait pas d’obligation de diligence de droit privé protégeant les intérêts économiques des producteurs demandeurs (River Valley, aux paragraphes 66 à 83).

[25]           Le défendeur établit une distinction entre la présente espèce et les affaires Adams c Borrel, 2008 NBCA 62 [Adams], et Sauer c Canada (Attorney General), 2007 ONCA 454 [Sauer], auxquelles les demanderesses font référence. Dans ces arrêts, il a été jugé, selon le cas, que l’État était assujetti à une obligation de diligence de droit privé ou plutôt qu’il était clair et évident, d’après les régimes législatifs en cause, qu’il n’existait aucune obligation de diligence. Le défendeur soutient que le régime législatif, les actions reprochées et les rapports entre l’autorité de réglementation et les demandeurs dans ces affaires ne sont pas analogues à ceux en cause en l’espèce. Dans l’arrêt Adams, la Cour a estimé que le régime visait à protéger une catégorie restreinte de producteurs plutôt que le public en général (Adams, au paragraphe 44). Dans l’arrêt Sauer, l’acte reproché était le défaut de prendre des mesures appropriées pour empêcher l’éclosion d’une maladie au sein du troupeau des demanderesses par des aliments pour animaux contaminés.

[26]           Comme aucun tribunal n’a reconnu l’existence d’une obligation de diligence dans une affaire semblable à la présente, le défendeur affirme qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Anns, précité.

Application du critère de l’arrêt Anns aux faits de l’espèce

a)      Première étape : le lien de proximité
1)         Intention du législateur

[27]           Suivant le défendeur, les faits allégués en l’espèce relèvent du mandat de l’autorité de réglementation et, par conséquent, le constat qu’il existe un lien suffisamment étroit doit découler des lois applicables (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 49, et Cooper, précité, au paragraphe 43).

[28]           Le défendeur souient que la LSA et le RSA n’imposent à l’ACIA que des obligations envers le public en général dans l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs réglementaires. Conclure que le législateur voulait assujettir l’ACIA à l’obligation de protéger les intérêts économiques des individus qui souhaitent utiliser des animaux importés à des fins commerciales irait à l’encontre de l’intention du législateur de confier à l’ACIA de vastes pouvoirs réglementaires en vue de protéger la santé des animaux dans l’intérêt public.

[29]           Le défendeur soutient que l’époque qui nous intéresse dans la présente demande commence en 2007 et se termine à la date à laquelle la demande a été déposée, et qu’il suffit donc d’interpréter les versions de la LSA et du RSA en vigueur après 2007.

[30]           L’interprétation d’un régime législatif joue un rôle central lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un rapport de proximité suffisant entre les parties. Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Nielson c Kamloops (Ville), [1984] 2 RCS 2, dans lequel la Cour suprême du Canada a jugé qu’une perte économique ne donne lieu à une indemnisation que si, selon l’interprétation de la loi, il s’agit d’un type de perte que la loi vise à prévenir (aux pages 27 et 28).

[31]           Le défendeur allègue que la LSA impose des obligations et des interdictions aux personnes se trouvant dans des situations dans lesquelles on soupçonne ou constate que des animaux sont contaminés et que la LSA confère à l’autorité de réglementation le pouvoir de prendre des mesures compatibles avec la sécurité publique en vue de remédier à toute situation dangereuse ou de réduire les risques que constitue pour la vie, la santé, les biens ou l’environnement la présence d’une maladie (LSA, précité, articles 22 à 28). Le défendeur affirme que les dispositions générales de la LSA et du RSA visent à protéger la santé des animaux. Quant aux dispositions précises réglementant l’importation des paquets d’abeilles domestiques que l’on trouve dans la LSA, le RSA et le Document de référence relatif à l’importation, le défendeur affirme qu’ils ne permettent pas de conclure que le législateur avait l’intention de créer une obligation de diligence de droit privé.

[32]           Ainsi, l’article 14 de la LSA prévoit que le ministre peut, par règlement, interdire l’importation d’animaux au Canada pour prévenir l’introduction ou la propagation au Canada d’une maladie ou d’une substance toxique. L’article 12 du RSA interdit de façon générale l’importation d’animaux réglementés, sauf si certaines conditions sont remplies, notamment si un permis a été délivré. Voici ces dispositions :

Article 14 de la LSA :

14.       Le ministre peut, par règlement, interdire l’importation d’animaux ou de choses soit sur tout ou partie du territoire canadien, soit à certains points d’entrée seulement; l’interdiction, qui peut être générale ou viser uniquement des provenances précises, est en vigueur le temps qu’il juge nécessaire pour prévenir l’introduction ou la propagation au Canada d’une maladie ou d’une substance toxique.

Article 12 du RSA:

12. (1) Sous réserve de l’article 51, il est interdit d’importer un animal réglementé, sauf en conformité avec :

a) soit un permis délivré par le ministre en vertu de l’article 160;

b) soit les paragraphes (2) à (6) et les dispositions applicables énoncées dans le document de référence.

Le paragraphe 160(1.1) du RSA, dans sa rédaction en vigueur à l’époque en cause, prévoyait une exception dans le cas des interdictions à l’importation. Il était ainsi libellé :

160. (1.1) Sous réserve de l’alinéa 37(1)b) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, le ministre délivre tout permis ou licence exigé par le présent règlement s’il est d’avis que, autant qu’il sache, l’activité visée par le permis ou la licence n’entraînera pas ou qu’il est peu probable qu’elle entraîne l’introduction ou la propagation de vecteurs, de maladies, ou de substances toxiques au Canada ou leur introduction dans tout autre pays, en provenance du Canada.

[33]           Le défendeur affirme que, si le ministre ou l’ACIA ne sont pas convaincus, au mieux de leur connaissance, qu’il n’y a pas de risque de propagation de maladie, ils ne sont pas autorisés à délivrer un permis d’importation d’animaux au Canada, étant donné que le législateur a conféré au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire en vue de donner effet à l’obligation publique de protéger la santé animale au Canada. Les obligations publiques de cet ordre ne visent pas à protéger les intérêts privés de certains particuliers, et ils ne donnent pas lieu à une obligation de diligence de droit privé (Wellington c Ontario, 2011 ONCA 274, au paragraphe 44). Le défendeur conteste l’argument des demanderesses suivant lequel le RSA exige que la décision de délivrer ou non un permis soit fondée sur une évaluation formelle du risque menée par l’ACIA. Le défendeur affirme que la LSA et le RSA ne renferment aucune disposition exigeant de procéder à l’évaluation des risques que comporte l’importation d’animaux réglementés et qu’ils ne restreignent ou ne prescrivent pas le type de renseignements sur lesquels le ministre ou l’ACIA doivent fonder leur avis. Le défendeur relève également que ni le paragraphe 160(1.1) du RSA, ni la LSA et le RSA en général, n’oblige le ministre ou l’ACIA à tenir compte des intérêts privés, commerciaux ou économiques des divers intervenants de l’industrie lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire.

[34]           Suivant le défendeur, la LSA envisage la possibilité que des intervenants de l’industrie subissent des pertes économiques en raison de l’obligation de se conformer aux lois, ou de leur mise en application, et la LSA prévoit dans certains cas, une indemnisation. Le défendeur soutient qu’il ressort à l’évidence de ce régime d’indemnisation que le législateur n’avait pas l’intention de créer une obligation de diligence de droit privé.

[35]           Le défendeur invoque également l’article 50 de la LSA qui prévoit la non‑responsabilité de Sa Majesté ou la restriction de sa responsabilité pour les pertes et dommages entraînés par l’exécution des obligations découlant de la LSA Et du RSA. Il a été question de l’immunité légale dont jouit l’État dans l’arrêt River Valley, précité, dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que lorsque cette immunité était prise en compte à la lumière de l’objectif visé par la LSA, force était de constater que le rapport de proximité exigé n’était pas présent (au paragraphe 83). Dans cet arrêt, la Cour a également établi une distinction entre l’affaire dont elle était saisie et l’affaire Adams, précitée, dans laquelle le tribunal a conclu à l’existence d’une obligation de diligence prima facie envers les producteurs de pommes de terre. La Cour a conclu que, contrairement à celui de la Loi sur la protection des végétaux, LC 1990, c 22, le libellé de la LSA ne permettait de conclure que le législateur avait voulu défendre les intérêts des agriculteurs (au paragraphe 81).

[36]           Le défendeur affirme que, étant donné qu’elle est saisie d’une requête en radiation, la Cour n’est pas obligée de tenir pour avérées les allégations de droit contenues au paragraphe 25 de la déclaration des demanderesses portant sur ce qu’a été l’objectif déclaré des restrictions à l’importation des abeilles. Le défendeur signale également qu’on ne trouve dans le régime législatif aucune indication permettant de conclure à une intention de défendre les intérêts économiques de l’industrie. Même si l’on devait accepter que le régime législatif a pour objet de défendre les intérêts économiques de l’industrie canadienne de l’apiculture, le défendeur soutient que le choix politique qui a été fait en ce qui concerne la défense des intérêts en question s’est matérialisé par l’interdiction d’importer au Canada des animaux susceptibles d’être contaminés. Par ailleurs, même si l’on estimait, suivant une interprétation libérale, que la loi vise à défendre les intérêts économiques de l’industrie apicole canadienne, on ne pourrait pour autant en conclure que le législateur avait l’intention de protéger les intérêts économiques individuels des intervenants de l’industrie, dont font partie les demanderesses. (River Valley, précité, aux paragraphes 66 à 73, et Berg, précitée, aux paragraphes 76 à 77).

[37]           Dans sa réplique, le défendeur réfute également l’argument des demanderesses suivant lequel le régime législatif s’intéresse principalement aux intérêts économiques de l’industrie. Après avoir fait observer que ce ne sont pas tous les insectes qui sont réglementés par la LSA, le défendeur souligne que les abeilles domestiques le sont, parce qu’elles génèrent un produit destiné à la consommation humaine, mais également en raison des effets qu’elles peuvent avoir sur la santé humaine et sur l’ensemble du secteur agricole. L’autorité de réglementation doit trouver un équilibre entre des intérêts divergents lorsqu’il s’acquitte de ses fonctions et il doit tenir compte de l’intérêt primordial que constituent les préoccupations du public en ce qui concerne la santé des animaux et la prévention des maladies animales au Canada.

[38]           Quant au fait que les demanderesses tablent sur les Résumés de l’étude d’impact de la réglementation [les REIR] d’une façon que le défendeur qualifie d’exclusive, le défendeur affirme que les REIR en question sont associés à des règlements qui n’étaient plus en vigueur à l’époque visée par le recours des demanderesses. Le défendeur affirme que, la période pertinente, s’étend du 1er janvier 2007 au 28 décembre 2012, de sorte que les REIR n’étaient pas pertinents, étant donné qu’ils ne visaient pas cette période. De plus, bien que les tribunaux aient par le passé tenu compte des REIR pour interpréter des lois, le défendeur souligne que la législation déléguée doit être interprétée d’une manière qui soit conforme avec l’objectif général de la loi habilitante, en l’occurrence, la LSA (Bristol‑Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, au paragraphe 38 [Bristol‑Myers]).

[39]           Le défendeur souligne que les REIR sur lesquels les demanderesses se fondent n’appuient pas leur argument que la LSA et le RSA ont pour objet de protéger les intérêts économiques de l’industrie. Le défendeur soutient en effet que les REIR invoqués par les demanderesses témoignent du souci de protéger l’intérêt public, qui va bien au‑delà de l’intérêt de l’industrie apicole, et il s’appuie plus particulièrement sur le REIR du 12 décembre 1991 dans lequel il est déclaré que le règlement vise à contrôler l’importation des animaux au Canada pour prévenir l’introduction de maladies.

 

2)         Interactions entre les parties

[40]           Le défendeur affirme que l’arrêt Imperial Tobacco, précité, pose le principe qu’il y a lieu de tenir compte des lois habilitantes pour analyser les interactions entre les parties (paragraphe 45). Le défendeur affirme qu’aucune interaction spécifique entre l’ACIA et les demanderesses n’a été alléguée dans la demande et qu’en plus, les demanderesses n’ont pas allégué qu’elles avaient déjà demandé un permis en vue d’importer des abeilles en paquets en provenance des États‑Unis. Les seules interactions invoquées dans la déclaration concernent « l’industrie » et, plus précisément, des consultations et des rapports annuels sur la santé des abeilles canadiennes. Le défendeur estime qu’en l’espèce, les interactions en question ne constituent pas un lien suffisamment étroit et direct avec les demanderesses. Il cite l’arrêt Imperial Tobacco suivant lequel le critère du lien de proximité exige qu’il y ait eu une série de rapports précis démontrant que « le gouvernement, de par sa conduite, a tissé avec le demandeur un lien suffisamment spécial pour établir la proximité nécessaire à une obligation de diligence »  (au paragraphe 45).

[41]           Le défendeur s’appuie également sur l’arrêt Taylor c Canada (Attorney General), 2012 ONCA 479, aux paragraphes 94, 95 et 97, dans lequel il a été jugé que, suivant la jurisprudence prédominante, il faut procéder à une analyse détaillée du lien de proximité au lieu de se contenter de simples affirmations catégoriques comme cela a été fait dans l’arrêt Sauer, précité. Dans l’affaire Sauer, les nombreuses « déclarations publiques » portant sur l’intention de protéger les éleveurs avaient été considérées comme suffisantes pour conclure qu’il n’était pas clair et évident que la prétention relative à l’existence d’une obligation de diligence prima facie ne serait pas retenue. Toutefois, dans des arrêts subséquents tels que Imperial Tobacco et Attis c Canada (Ministre de la Santé), 2008 ONCA 660 [Attis], les tribunaux se sont penchés plus en détail sur cette obligation. Dans l’arrêt Attis, la Cour d’appel de l’Ontario a établi une distinction entre les mesures prises dans l’intérêt public par des autorités réglementaires gouvernementales et les situations dans lesquelles ces mêmes autorités interagissent directement avec des individus précis et identifiables (au paragraphe 65). Lorsque le contrôle réglementaire sur un produit était assuré au moyen d’une politique visant l’intérêt du public, les tribunaux ont estimé qu’il n’existait pas de liens étroits et directs avec des personnes déterminées, même si la politique en question pouvait avoir des incidences sur certains individus. 

[42]           En somme, le défendeur affirme que, telle qu’elle est formulée, la demande n’établit pas l’existence d’un lien étroit et direct entre l’ACIA et les apiculteurs commerciaux.

b)     Seconde étape : les considérations de politique générale

[43]           Le défendeur affirme que, si la Cour conclut à l’existence d’une obligation de diligence prima facie, des considérations de politique générale viennent l’annihiler. Selon le défendeur, il existe en l’espèce deux considérations de politique générale prédominantes qui justifient la suppression de cette obligation : 1) le risque d’imposer une responsabilité indéterminée; 2) l’immunité dont bénéficient les décisions de politique générale fondamentale du gouvernement.

1)         La responsabilité indéterminée

[44]           Conclure qu’elle était tenue envers les demanderesses à une obligation de diligence de protéger leurs intérêts économiques privés exposerait l’ACIA à une responsabilité indéterminée à l’égard d’un nombre indéterminé de personnes (Cooper, précité, au paragraphe 37, et Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd c Saint John Shipbuilding Ltd, [1997], 3 RCS 1210, au paragraphe 62 [Bow Valley Husky]). Le défendeur affirme qu’il faut avoir une raison logique de reconnaître une obligation de diligence envers certaines personnes et non d’autres, et qu’il n’y en a pas en l’espèce. Le défendeur signale que, si l’on reconnaissait cette obligation de diligence, l’ACIA serait aussi tenue à une obligation de diligence similaire envers d’autres personnes œuvrant dans d’autres secteurs de l’économie. Dans l’arrêt Attis, précité, il a été jugé que la perspective d’une responsabilité indéterminée faisait en sorte qu’il y avait lieu d’écarter l’idée d’imposer une responsabilité à l’État. Comme la LSA et le RSA ne visent pas uniquement l’industrie apicole canadienne et que le régime en cause ne se limite pas à la réglementation de l’importation d’un seul type d’animaux, le défendeur n’a aucun contrôle sur le nombre ou le type d’individus ou d’industries qui s’intéresse à l’importation de divers animaux au Canada à des fins commerciales ou à d’autres fins et elle n’a donc aucun contrôle sur la nature et la portée des pertes qui pourraient en découler.

[45]           Dans sa réponse, le défendeur signale que, dans leur déclaration modifiée proposée, les demanderesses soutiennent qu’il y a d’autres secteurs de l’industrie qui possèdent des intérêts différents en ce qui concerne l’interdiction d’importation (paragraphe 26 d.1 de la déclaration modifiée proposée). Suivant le défendeur, ce faisant, les demanderesses confirment en fait son argument que la reconnaissance de l’existence d’une obligation de diligence de droit privé visant à protéger les intérêts économiques privés de chacun des intervenants de l’industrie créerait des conflits d’obligations intenables, et ce, aux dépens de la santé des animaux. Le défendeur cite l’arrêt Bow Valley Husky, dans lequel la Cour suprême déclare, au paragraphe 64 :

Quelque chose doit permettre au tribunal de conclure pour des raisons de principe que telle catégorie de personnes peut être indemnisée et que telle autre ne peut l’être : quelque chose doit justifier de tracer la ligne de démarcation à un endroit plutôt qu’à un autre.

[46]           Le défendeur soutient que l’on ne trouve, ni dans la déclaration modifiée proposée des demanderesses, ni ailleurs, la raison logique recherchée.

[47]           Le défendeur réfute l’argument des demanderesses suivant lequel le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de délivrer des permis d’importation s’il est convaincu que les conditions énumérées au paragraphe 160(1.1) du RSA, modifié en 2012, sont réunies. Le défendeur soutient que cela équivaut à alléguer qu’il y a eu violation d’un devoir légal. Il affirme également que ces allégations devraient être examinées dans le cadre d’un contrôle judiciaire et il fait référence à cet égard aux arrêts Holland et Saskatchewan Wheat Pool, précités.

 

2)         Immunité

[48]           Suivant le défendeur, dans leur action, les demanderesses s’attaquent à des décisions de politique pures qui ne peuvent faire l’objet d’une action en responsabilité. Les décisions de nature politique, sociale ou économique ne donnent pas lieu à une obligation de diligence de droit privé (voir A.O Farms Inc c Canada, [2000] ACF no 1771 [A.O Farms]). Le défendeur se réfère à l’arrêt Berg, précitée, dans lequel la Cour a conclu que l’interdiction absolue qui avait été imposée dans cette affaire constituait une décision de politique qui ne donnait pas lieu à une obligation de diligence (au paragraphe 78). Comme la décision était d’ordre général, qu’elle ne visait pas une personne en particulier, et qu’elle était fondée sur des considérations d’intérêt public plutôt que sur les faits propres à un individu déterminé, elle a été considérée comme une décision prise dans le cadre d’une fonction législative (Berg, précitée, au paragraphe 76).

[49]           Dans sa réponse, le défendeur réfute l’allégation des demanderesses suivant laquelle les décisions de nature réglementaire de l’État n’ont pas été prises de bonne foi en l’espèce. Le défendeur signale que de telles allégations équivalent à une accusation de faute ou d’abus dans l’exercice d’une charge publique et que dans un tel cas il faut établir l’identité du préposé de l’État qui en serait l’auteur. Le défendeur affirme que le défaut d’établir l’identité du préposé de l’État concerné porte un coup fatal à cette prétention, invoquant à l’appui de son argument les arrêts Administration portuaire de St. John’s c Adventure Tours Inc., 2011 CAF 198, et Collins, invoqué par les demanderesses, au paragraphe 33.

[50]           Le défendeur répond à la prétention des demanderesses suivant laquelle l’autorité de réglementation a refusé d’actualiser ces renseignements sur les ravageurs de l’abeille domestique sans l’approbation du Conseil canadien du miel [CCM]. Les demanderesses affirment que le CCM est dominé par certains intérêts apicoles commerciaux et que cette situation leur nuit (paragraphes 26 c.(vi), 26 d.1 et 26 d.2 de la déclaration modifiée proposée). Le défendeur invoque la décision A.O Farms, précitée, dans laquelle notre Cour a expliqué que l’État avait un devoir envers le public, mais qu’il s’agit d’un devoir à l’endroit de l’ensemble du public et non d’une obligation individuelle à l’endroit de chacun de ses membres. Par conséquent, ceux qui estiment que ce devoir n’a pas été rempli correctement doivent s’exprimer en ce sens au moment du scrutin et non devant les tribunaux (A.O Farms, au paragraphe 11).

B.   Thèse des demanderesses

[51]           Les demanderesses invoquent les articles 3 et 23 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, précités, à l’appui de leur demande fondée sur la négligence. Elles affirment que le défendeur était tenu envers elles à une obligation de diligence en ce qui concerne les restrictions qu’il a imposées à l’importation des abeilles domestiques en provenance des États‑Unis, obligation qu’il a violée le 1er janvier 2007, ou vers cette date, et qu’il continue à violer depuis. Elles soutiennent que le défendeur refuse d’examiner les demandes d’importation de paquets d’abeilles domestiques des États‑Unis et de se prononcer sur celles‑ci, imposant ainsi une interdiction de facto à l’importation de paquets d’abeilles domestiques. Elles allèguent également que le défendeur savait ou aurait dû savoir que sa négligence et le maintien illicite de l’interdiction causeraient des dommages et des pertes aux demanderesses, qui comptent sur l’importation des paquets en question pour soutenir et développer leurs activités et leur entreprise apicoles (déclaration du 28 décembre 2012 des demanderesses, au paragraphe 29).

[52]           Les demanderesses font valoir que, si la Cour estime qu’il y a lieu de radier un acte de procédure, elle doit déterminer si l’acte de procédure en question peut être corrigé en permettant à l’intéressé de modifier ses actes de procédure (Simon, précité, au paragraphe 14). L’autorisation de modifier doit être accordée, à moins que le vice ne puisse être corrigé par une modification (Collins, précité, au paragraphe 26).

i.          Réclamation fondée sur les actes commis sans autorisation légale

[53]           Dans leur déclaration modifiée, les demanderesses ont supprimé les allégations portant que le défendeur avait agi sans autorisation légale.

ii.         Réclamation fondée sur la négligence

Affaires analogues

[54]           Les demanderesses affirment qu’il existe des catégories d’affaires analogues dans lesquelles les tribunaux ont reconnu qu’il existait une obligation de diligence. Elles se fondent sur l’arrêt Adams, précité, aux paragraphes 43 et 44, dan lesquels la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a conclu que la Couronne fédérale avait une obligation de diligence prima facie envers les producteurs de pommes de terre du Nouveau‑Brunswick en raison de la Loi sur la protection des végétaux. Elles affirment que les REIR expriment une intention similaire du législateur et qu’il suffit par conséquent d’établir l’existence d’une obligation de diligence.

[55]           Les demanderesses s’appuient sur l’arrêt Sauer, précité, dans lequel l’État avait fait des déclarations publiques au sujet de la protection des intérêts économiques des éleveurs de bovins ontariens, démontrant ainsi l’existence d’une obligation de diligence prima facie. Les demanderesses affirment qu’en l’espèce, les déclarations et les agissements de l’État permettent à plus forte raison de conclure qu’elle était assujettie à une telle obligation envers elles. Elles réfutent également l’argument du défendeur suivant lequel, dans l’arrêt Taylor, précité, la Cour d’appel semble s’être dissociée de l’arrêt Sauer. Elles soutiennent que la Cour d’appel n’a pas écarté l’arrêt Sauer, mais a plutôt précisé qu’elle n’acceptait pas l’idée suivant laquelle l’obligation de diligence de l’État pouvait reposer entièrement [traduction« sur la reconnaissance publique, par une autorité de réglementation, de ses fonctions publiques envers les personnes visées par ses actes » . La Cour a toutefois conclu qu’elles pouvaient faire partie du [traduction] « cadre factuel » (Taylor, aux paragraphes 94 à 97).

[56]           Les demanderesses répondent également à la thèse du défendeur voulant que leur relation avec l’État s’apparentait davantage à celle qu’avaient les parties dans les affaires Berg, River Valley et Los Angeles Salad Company. Elles soutiennent que ces trois affaires portaient sur une négligence commise dans le cadre d’une inspection et qu’elles visaient donc une situation entièrement différente. Dans ces décisions, il a été conclu que l’autorité de réglementation avait une obligation fondamentale qui entrait en conflit avec le devoir de protéger les intérêts économiques des producteurs faisant l’objet d’une inspection (Berg, au paragraphe 76; River Valley, au paragraphe 67; Los Angeles Salad Company, au paragraphe 55). Les demanderesses soutiennent qu’en l’espèce, l’objectif déclaré du régime législatif et les interactions entre les parties démontrent que l’obligation imposée au défendeur en ce qui concerne la réglementation de l’importation des abeilles domestiques visait à protéger les intérêts des apiculteurs commerciaux. Cette obligation devait, à l’occasion, céder le pas devant les intérêts de l’industrie apicole commerciale dans son ensemble, mais [traduction« le public n’a qu’un intérêt secondaire en ce qui concerne les facteurs qui concernent les abeilles »  (dossier de requête des demanderesses à la page 22).

[57]           Les demanderesses affirment également qu’il n’existe pas dans la loi de disposition législative prévoyant une immunité qui protège le défendeur lorsqu’il refuse ou néglige de mettre en application son propre régime légal ou qu’il agit à des fins irrégulières en dehors du cadre prévu par le régime législatif. Les demanderesses concluent que, même si la Cour devait en arriver à la conclusion que la LSA et le RSA imposent une obligation générale d’agir dans l’intérêt du public, celle‑ci n’entrerait pas en conflit avec l’obligation de réglementer l’importation des abeilles domestiques dans l’intérêt des apiculteurs commerciaux et de l’industrie en général.

[58]           Les demanderesses affirment qu’il existe des décisions dans lesquelles les tribunaux ont conclu à l’existence d’une obligation de diligence en se fondant sur des rapports semblables à ceux en cause en l’espèce, tout en reconnaissant que la jurisprudence est variée et que leur cas ne relève pas nécessairement d’une catégorie bien établie (dossier de requête des demanderesses, au paragraphe 30). Les demanderesses ont donc eu recours au critère en deux étapes de l’arrêt Anns en vue de démontrer qu’il est possible d’établir l’existence d’une obligation de diligence prima facie, et qu’il n’existe aucune raison de principe valable d’écarter cette obligation.

Application du critère de l’arrêt Anns aux faits en litige

a)         Première étape : la proximité
1)         Intention du législateur

[59]           Les demanderesses affirment qu’un REIR a été publié en même temps qu’une modification apportée au RSA et qu’il ressort des documents en question que la LSA et le RSA visent à protéger les intérêts économiques des apiculteurs commerciaux et de l’industrie (Règlement sur la santé des animaux, modification et REIR, Gazette du Canada, Partie  II, Vol. 126, no 1 à la page 71, recueil des sources citées des demanderesses, onglet 1). Les demanderesses soutiennent que les REIR donnent des indices de l’intention du législateur et elles invoquent l’arrêt Bayer Inc c Canada (Procureur général) (1999), 166 FTR 160, au paragraphe 7 [Bayer], à l’appui de cette proposition.

[60]           Les demanderesses citent également d’autres REIR, dont celui qui accompagnait l’interdiction imposée par règlement en 1986 à l importation d’abeilles domestiques provenant des États‑Unis, dans lequel il était déclaré que la « […] la survie de l’ensemble du secteur est en jeu […] » .Elles signalent qu’il n’y est pas fait mention de la population en général (Ordonnance interdisant l’importation des abeilles domestiques, modifications de 1986, aux pages 314‑315, recueil des sources citées des demanderesses, onglet 3). Suivant les demanderesses, le REIR reconnaît à maintes reprises que la LSA et le RSA ont pour objet d’empêcher l’introduction de maladies qui auraient des conséquences graves, notamment sur le plan économique, en ce qui concerne l’industrie agricole (recueil des sources citées des demanderesses, onglets 8 à 12).

[61]           Se fondant sur le REIR, les demanderesses affirment que le régime législatif avait pour objet, en ce qui concerne l’importation des abeilles domestiques, de protéger la viabilité économique de l’industrie apicole commerciale.

[62]           Les demanderesses mentionnent les règlements pris par le défendeur et soutiennent qu’il y était déclaré que la question de l’importation d’abeilles en provenance des États‑Unis serait évaluée chaque année. Cette évaluation régulière visait à s’assurer que l’interdiction de l’importation était toujours justifiée.

[63]           Les demanderesses affirment que le régime législatif démontre qu’il existe un lien de proximité entre les parties.

2)         Interactions entre les parties

[64]           Les demanderesses soutiennent qu’il ressort de leurs actes de procédure et du REIR que le défendeur a collaboré avec les apiculteurs commerciaux et les a régulièrement consultés pour justifier sa politique en matière d’importation avant le 31 décembre 2006. Les demanderesses affirment que le défendeur a maintenu après cette date ses liens étroits et directs avec l’industrie. Elles affirment également que le défendeur a délégué ses pouvoirs à certains apiculteurs commerciaux, ce qui aurait permis à ces derniers de contrôler l’application des importations américaines. Les demanderesses ont conclu que ces rapports avec un secteur de l’industrie permettent de conclure à l’existence d’un lien de proximité « étroit et direct » et démontrent l’existence d’une obligation de diligence prima facie. Elles soutiennent que cette proximité constitue un élément de l’obligation de diligence et de la violation qu’elles allèguent (dossier de requête des demanderesses, page 18, par. 50).

b)         Deuxième étape : considérations de politique générale

[65]           Les demanderesses signalent que la principale question qui se pose, à ce stade‑ci, est celle de savoir si l’obligation de diligence que l’on souhaite imposer rendrait le gouvernement responsable d’une décision de politique qui n’entraîne en principe pas sa responsabilité (Cooper, précité, aux paragraphes 37 et 38). Toutefois, cette décision ne doit être [traduction« ni irrationnelle ni entachée de mauvaise foi »  (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 76, et Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, à la page 140).

[66]           Elles invoquent également l’arrêt Brown c Colombie‑Britannique, [1994] 1 RCS 420 [Brown] dans lequel la Cour suprême du Canada a précisé ce qui distingue les simples décisions opérationnelles des véritables décisions de politique générale. Les véritables décisions de politique générale sont « habituellement dictées par des considérations ou des contraintes d’ordre financier, économique, social et politique »  (Brown, à la page 441), tandis que les décisions opérationnelles  concernent « l’exécution ou l’implantation d’une politique » (Brown, à la page 441). Elles invoquent également cet arrêt parce que la Cour suprême y déclare que la passivité non motivée ou mal motivée ne peut être considérée comme une décision de politique prise dans l’exercice de bonne foi d’un pouvoir discrétionnaire. La Cour suprême déclare, à la page 436 :

Lorsque les autorités publiques n’ont même pas examiné la question de savoir si les mesures nécessaires devaient être prises ou du moins, si elles ne l’ont pas fait de bonne foi, il semble évident que, pour cette raison précise, elles n’ont pas fait preuve de diligence raisonnable.

[67]           Les demanderesses affirment que, dans le cas qui nous occupe, le régime législatif applicable à compter du 31 décembre 2006 ne concernait pas l’élaboration de politiques, mais plutôt la mise en application concrète d’une politique. Elles affirment que l’on peut soutenir qu’en prenant des ordonnances et des règlements qui emportaient une interdiction d’importation des abeilles en paquets, le ministre s’est livré à une élaboration de politiques. Le ministre devait également trouver un équilibre entre, d’une part, les préoccupations d’ordre économique, social et politique des groupes d’apiculteurs et, d’autre part, celles de l’industrie apicole commerciale dans son ensemble. Toutefois, après l’expiration de l’interdiction, les demandes de permis d’importation présentées par les apiculteurs commerciaux individuels ont été examinées au cas par cas en vertu des articles 12 et 161 du RSA.

[68]           Les demanderesses affirment que, comme les décisions ont été prises au cas par cas, on ne pouvait les qualifier de « décisions de politique générale fondamentale » échappant à toute intervention. Elles soutiennent également que les conditions énumérées au paragraphe 160(1.1) du RSA ne prévoient pas la mise en balance de considérations économiques, sociales et politiques, étant donné que le ministre était autorisé – et qu’il a par la suite été obligé – de délivrer des permis d’importation s’il était convaincu que les conditions énumérées à cet article étaient réunies.

[69]           Les demanderesses répondent à l’argument du défendeur selon lequel il s’agit de décisions de politique générale parce qu’elles découlent de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, comme le démontre la présence du mot « peut » au paragraphe 160(1.1) avant la modification apportée au règlement en décembre 2012. Les demanderesses se fondent sur l’arrêt Imperial Tobacco, dans lequel la Cour suprême a jugé que le fait qu’une décision soit discrétionnaire n’en fait pas nécessairement une décision de politique générale (Imperial Tobacco, aux paragraphes 84 et 88).

[70]           Les demanderesses affirment également que, si l’on devait qualifier les mesures prises par le défendeur après le 31 décembre 2006 de mesures visant l’établissement de politiques, le pouvoir de ce faire a été mal exercé parce que le défendeur a abdiqué son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’industrie, laquelle a dicté la disponibilité des abeilles domestiques en paquets en fonction de ses propres besoins, besoins qui débordaient le cadre du régime législatif. Les demanderesses affirment qu’un groupe faisant partie de l’industrie apicole commerciale s’est vu conférer le pouvoir de déterminer dans quel cas il était possible de lever l’interdiction relative à l’importation en actualisant leur évaluation des risques et que ce groupe a refusé d’accorder des approbations pour des raisons qui lui étaient propres (dossier de la requête de la demanderesse, à la page 8, paragraphe 15).

[71]           Les demanderesses invoquent l’arrêt Sauer, précité, ainsi que l’arrêt Fullowka c Pinkerton’s of Canada Ltd, 2010 CSC 5 [Pinkerton’s], dans lequel, soutiennent‑elles, la Cour suprême a jugé que l’obligation de diligence prima facie n’était pas écartée par l’obligation générale de l’autorité réglementaire de prendre des règlements dans l’intérêt du public, ni par un conflit d’obligations, réel ou éventuel, ni par le fait qu’il faut toujours procéder à une analyse comparative des différents facteurs (Pinkerton’s, aux paragraphes 72 et 73).

[72]           Elles affirment qu’elles ne contestent pas le pouvoir du défendeur de prendre des décisions en vertu du paragraphe 160(1.1) du RSA en raison d’un risque de maladie chez des animaux; elles contestent plutôt le défaut ou le refus du défendeur de prendre de telles décisions (dossier de requête des demanderesses, au paragraphe 91).

[73]           Les demanderesses affirment également que l’obligation de diligence que l’on tente d’imposer aux apiculteurs commerciaux individuels n’entrerait pas en conflit avec les obligations qu’a le défendeur envers l’industrie dans son ensemble en ce qui concerne la prévention des maladies animales. En fait, cette obligation n’entrerait en conflit avec aucune autre obligation fondamentale parce que l’obligation principale du défendeur est de réglementer tant les apiculteurs commerciaux que l’industrie dans son ensemble et que toute obligation du défendeur envers le public est secondaire et ne comporte pas l’examen de considérations concurrentes.

1)         Responsabilité indéterminée

[74]           Les demanderesses affirment que le fait de conclure que le défendeur était tenu à une obligation de diligence ne risque pas de créer une responsabilité indéterminée, étant donné que les apiculteurs commerciaux seraient les seules parties visées. Il n’y a aucun risque que le défendeur soit assujetti à une obligation envers le public en général. Elles affirment que leur situation s’apparente à celle des producteurs de pommes de terre dans l’affaire Adams, qui constituaient une catégorie limitée d’éventuels demandeurs et non le public en général (Adams, au paragraphe 45).

[75]           Elles font également référence à l’arrêt Pinkerton’s, dans lequel la Cour suprême a expliqué que le principe de la responsabilité indéterminée était étroitement lié à la question de la proximité. La question qui se pose est celle de savoir si le lien allégué comporte suffisamment de caractéristiques particulières pour faire en sorte que l’imposition de l’obligation de diligence proposée ne crée pas une responsabilité indéterminée (Pinkerton’s, au paragraphe 70). Les demanderesses allèguent que, dans le cas qui nous occupe, des caractéristiques particulières telles le fait que dans le cadre du régime de permis d’importation les décisions sont prises au cas par cas ainsi que le fait que le défendeur affirme que la réglementation vise à défendre les intérêts économiques des apiculteurs et qu’il a des interactions constantes avec ces derniers, limitent la responsabilité du défendeur. Ainsi, cette responsabilité se limiterait aux personnes à qui le défendeur a fait de telles déclarations et avec qui il a eu des interactions, en l’occurrence, les apiculteurs commerciaux.

[76]           Les demanderesses réfutent l’argument du défendeur suivant lequel une demande relative à des pertes purement économiques donne lieu à une responsabilité indéterminée. Les demanderesses invoquent l’arrêt Pinkerton’s pour soutenir qu’un recours concernant une perte purement économique n’emporte pas automatiquement une responsabilité indéterminée (Pinkerton’s, au paragraphe 70). Elles affirment que le défendeur savait à quel groupe il avait affaire et qu’il était conscient du caractère spécifique des pertes subies par les personnes victimes de ses actions ou de ses inactions entachées de négligence.

[77]           Les demanderesses concluent en affirmant qu’il incombe au défendeur de démontrer qu’il est évident et manifeste que l’obligation de diligence prima facie est annihilée par des considérations de politique et que, s’il néglige de le faire, la Cour n’a pas à pousser plus loin son analyse (Sauer, précité, au paragraphe 63).

2)         Immunité

[78]           Les arguments formulés par les demanderesses au sujet de la question de l’immunité se retrouvent aux paragraphes 66 à 74 de la présente ordonnance. Elles affirment qu’il n’existe aucune disposition législative à ce sujet et que les décisions qui ont été prises n’étaient pas des décisions de politique générale, et que ces décisions n’ont pas été prises de bonne foi.

V.        Analyse

Critère applicable en matière de requêtes en radiation

[79]           Les parties sont d’accord pour dire que, saisie d’une requête en radiation, la Cour doit tenir les faits allégués pour avérés et présumer que la demanderesse sera en mesure d’établir ses allégations sauf si celles‑ci ne peuvent manifestement pas être prouvées (Imperial Tobacco, précité, aux paragraphes 17 et 22 à 24).

[80]           L’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable : « […] la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours. »  [Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 17.] Ce n’est que si la déclaration « est vouée à l’échec parce qu’elle contient un “vice fondamental” »  que la Cour fera droit à la requête en radiation (Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69, au paragraphe 15). Enfin, il est également important de souligner que la Cour n’a pas à anticiper ce que la preuve qui sera produite permettra ou non d’établir (Imperial Tobacco, au paragraphe 23).

[81]           La Cour fera droit à la requête du défendeur pour les motifs qui suivent.

La déclaration modifiée

[82]           La Cour doit tout d’abord examiner la déclaration modifiée que les demanderesses ont déposée avec leur dossier de requête en réponse à la requête en radiation. L’article 75 des RCF est clair : les demanderesses auraient dû soumettre à la Cour une requête visant à obtenir l’autorisation de modifier leur déclaration, étant donné que le défendeur avait déjà déposé sa défense le 8 février 2013. Comme il s’agit d’une instance à gestion spéciale, il incombait aux demanderesses d’informer la Cour de leur intention de modifier leurs actes de procédure. Au cours de la conférence de gestion de l’instance qui a eu lieu le 1er octobre 2013 et à la suite de laquelle la Cour a établi un échéancier relatif au dépôt de la requête du défendeur à la lumière des observations formulées par les deux parties, les demanderesses n’ont jamais mentionné leur intention de modifier leur déclaration. Comme il s’agit d’une instance à gestion spéciale, après avoir reçu signification de la requête en radiation du défendeur, les demanderesses pouvaient encore demander à la Cour de modifier l’échéancier pour se conformer aux Règles de la Cour et pour déposer une requête en modification.

[83]           Dans l’arrêt Canderel Ltd c Canada, [1994] 1 CF 3, la Cour d’appel fédérale a décidé qu’une modification devait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu que cette autorisation ne cause pas à la partie adverse une injustice que l’octroi de dépens ne pourrait réparer. La Cour a pris connaissance de la déclaration modifiée, et il ressort de celle‑ci que toutes les modifications concernent des faits qui étaient bien connus des demanderesses avant le 1er octobre 2013. Après avoir examiné les modifications proposées, la Cour n’est pas convaincue qu’elles permettraient de corriger les lacunes fondamentales dont la déclaration est entachée ou qu’elles permettraient d’établir l’existence d’un lien de proximité même si elles étaient autorisées. De plus, les demanderesses auraient dû exposer les faits avec exactitude, comme la Cour d’appel l’a expliqué dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c Apotex Inc, 2011 CAF 34, au paragraphe 28. Par conséquent, la Cour radie les paragraphes 5, 14, 15, 16, 23, 24, 25, 49, 50 et 72 à 86 des observations déposées en réponse par les demanderesses.

[84]           La Cour estime que les modifications doivent être radiées, mais les arguments qu’elles renferment seront quand même examinés pour s’assurer que même en l’absence de radiation la réclamation des demanderesses serait rejetée.

A.        Est‑il évident et manifeste que le recours des demanderesses fondé sur l’absence d’autorité légale du ministre est voué à l’échec?

[85]           Les demanderesses affirment que le défendeur a agi sans autorisation légale et qu’il a manqué à l’obligation de diligence à laquelle il était tenu envers les apiculteurs commerciaux entre le 1er janvier 2007 et le 28 décembre 2012 en refusant ou en négligeant de prendre des décisions de bonne foi en réponse aux demandes de permis d’importation d’abeilles domestiques en paquets en provenance des États‑Unis. La Cour doit examiner en vertu de quel pouvoir le défendeur a agi pour déterminer, en premier lieu, s’il existait une loi habilitante et, en second lieu, l’étendue de l’obligation à laquelle le défendeur était, le cas échéant, tenu envers les demanderesses.

[86]           Les pouvoirs légaux qui nous intéressent sont énoncés à l’article 14 de la LSA, au paragraphe 4(1) de l’ACIA et à l’article 12 et au paragraphe 160(1.1) du RSA. Il ressort à l’évidence de ces dispositions que l’ACIA était expressément habilitée à prendre des décisions portant sur l’importation d’animaux réglementés au Canada, y compris les abeilles domestiques en paquets. Même s’ils étaient prouvés, les faits allégués par les demanderesses à l’appui de leur demande ne leur permettraient pas d’obtenir gain de cause parce qu’il est de jurisprudence constante qu’un manquement à une obligation légale ne constitue pas une négligence (Holland, précité, aux paragraphes 7, 8, 9 et 11). La responsabilité civile de l’État n’est engagée, aux termes de l’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, précité, qu’en cas de faute commise par l’un de ses préposés. Toutefois, la demande impute une responsabilité directe à l’État sans toutefois désigner nommément de préposé de l’État; elle ne révèle donc pas l’existence d’une cause d’action valable.

[87]           La Cour relève par ailleurs que, dans leur déclaration modifiée, les demanderesses ont supprimé leurs allégations suivant lesquelles le défendeur avait agi sans autorisation légale.

B.        Est‑il évident et manifeste que le recours des demanderesses fondé sur la négligence est voué à l’échec?

[88]           Dans leur déclaration, les demanderesses allèguent, aux paragraphes 24 à 28 :

[traduction]

24. Les demanderesses invoquent la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50, et plus particulièrement les articles 3 et 23 de cette loi.

25. L’objectif déclaré des restrictions imposées, par règlement ou dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, concernant l’importation d’abeilles en provenance des États‑Unis est et a toujours été de promouvoir la santé et de défendre les intérêts de l’industrie apicole canadienne et des apiculteurs canadiens en les protégeant contre les risques associés à l’importation d’abeilles des États‑Unis. De même, l’objectif déclaré de l’exception à l’interdiction prévue dans le Règlement de 2004 dans le cas des reines est d’aider l’industrie apicole canadienne et les apiculteurs canadiens en leur donnant accès à de meilleurs approvisionnements en reines pour leur permettre de regarnir leur stock d’abeilles après les pertes hivernales. Conformément à cet objectif déclaré, l’État a mené des consultations auprès des intervenants de l’industrie relativement aux restrictions proposées.

26. Le défendeur était tenu à une obligation de diligence envers les demanderesses et envers le groupe visé relativement aux restrictions à l’importation d’abeilles domestiques en provenance des États‑Unis. Cette obligation de diligence découlait notamment de ce qui suit :

a. l’objectif implicite et explicite de la LSA et de ses règlements d’application, dont le RSA et le Règlement de 2004, en l’occurrence de réglementer l’importation des abeilles pour le bien et les intérêts économiques des apiculteurs canadiens et de l’industrie apicole canadienne;

b. les déclarations répétées de l’État aux intervenants de l’industrie apicole canadienne suivant lesquelles elle réglementait l’importation des abeilles en vue de protéger l’industrie apicole et en particulier, la viabilité économique de l’industrie apicole;

c. les mesures prises par l’État relativement à l’importation d’abeilles vivantes des États‑Unis, et notamment l’interdiction et l’assouplissement partiel de cette interdiction apporté par le Règlement de 2004 interdisant l’importation des abeilles domestiques visant principalement à favoriser et à protéger la viabilité de l’industrie apicole;

d. le fait que l’État était au courant des difficultés économiques avec lesquelles certains apiculteurs et régions apicoles étaient aux prises par suite du maintien de l’interdiction en question;

e. les mesures prises par l’État pour atténuer les difficultés subies par certains apiculteurs et régions apicoles notamment en assouplissant en partie en 2004 l’interdiction frappant l’importation des reines en provenance des États‑Unis;

f. les consultations poussées menées par l’État avec l’industrie apicole et les apiculteurs au sujet de la politique d’importation des abeilles des États‑Unis;

g. d’autres facteurs qui peuvent s’avérer pertinents.

27. L’État était tenu à une obligation de diligence envers chacune des demanderesses et envers le groupe visé en ce qui concerne les restrictions frappant l’importation d’abeilles domestiques des États‑Unis. Elle devait ainsi notamment :

a. prendre des mesures raisonnables pour éviter de causer des préjudices économiques prévisibles et d’autres types de dommages aux demanderesses et au groupe visé sans justification légale;

b. ne pas maintenir l’interdiction après 2006 sans autorisation légale ou objectif licite;

c. refuser de façon déraisonnable ou sans autorisation légale ou objectif licite de délivrer aux demanderesses ou au groupe visé des permis d’importation d’abeilles en paquets en provenance des États‑Unis;

d. prendre des mesures raisonnables pour déterminer en temps utile à la lumière de renseignements pertinents, s’il y avait lieu d’autoriser l’importation d’abeilles en paquets en provenance des États‑Unis;

e. procéder en temps utile à des contrôles, enquêtes, recherches et évaluations de l’industrie apicole au Canada pour déterminer s’il y avait lieu d’autoriser l’importation d’abeilles en paquets en provenance des États‑Unis;

f. ne pas imposer une interdiction générale quant à l’importation d’abeilles en paquets en provenance des États‑Unis sous le couvert de son pouvoir discrétionnaire ministériel;

g. ne pas abdiquer les obligations que lui imposent la LSA et le RSA, mais exercer son jugement et son pouvoir discrétionnaire personnels;

28. L’État a manqué à son obligation de diligence envers la demanderesse et le groupe visé à compter du 1er janvier 2007 :

a. en maintenant de façon irrégulière et sans autorisation légale l’interdiction après l’expiration du Règlement de 2004, le 31 décembre 2006;

b. en refusant de façon irrégulière et de façon catégorique, sans autorisation légale, de permettre aux demanderesses et au groupe visé de demander et d’obtenir des permis d’importation d’abeilles en paquets en provenance des États‑Unis;

c. en déclarant aux demanderesses et au groupe visé que les demandes de permis d’importation d’abeilles en paquets en provenance des États‑Unis ne seraient pas examinées ou seraient automatiquement refusées;

d. en fondant ses décisions de maintenir l’interdiction sur des renseignements périmés et inexacts, et notamment sur une évaluation des risques remontant à 2003;

e. en ne procédant pas en temps utile à des contrôles, enquêtes, recherches, évaluations et consultations pour vérifier la nécessité de maintenir l’interdiction;

f. en ne procédant et en n’obtenant pas une évaluation des risques actuels en ce qui concerne l’importation des abeilles en paquets en provenance des  États‑Unis;

g. en exerçant à mauvais escient ou en négligeant d’exercer ses responsabilités ministérielles et ses pouvoirs discrétionnaires prévus par la LSA et le RSA en ce qui concerne l’autorisation ou l’interdiction d’importer des abeilles en paquets en provenance des  États‑Unis;

h. en abdiquant son obligation de procéder à une évaluation régulière et opportune des risques et d’exercer son jugement personnel en ce qui concerne l’autorisation ou l’interdiction d’importer des abeilles en paquets en provenance des États‑Unis.

Affaires analogues

[89]           Les parties sont d’accord pour dire que le point de départ consiste à déterminer s’il existe des affaires semblables dans lesquelles les tribunaux ont reconnu l’existence d’une obligation de diligence (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 37). Les demanderesses ont reconnu ce qui suit, au paragraphe 30 de leur mémoire :

[traduction] Bien que dans certaines décisions, les tribunaux ont conclu à l’existence d’une obligation de diligence en présence d’un lien semblable à celui qui est invoqué dans le cas qui nous occupe, la jurisprudence est flottante et on peut douter que la relation alléguée en l’espèce relève d’une catégorie « établie » qui confirme ou exclut l’existence de l’obligation de diligence.

Les demanderesses affirment par conséquent que la question ne peut être tranchée qu’au procès.

[90]           Même s’il est vrai qu’il n’existe pas de décision ayant jugé que la LSA et le RSA imposent à l’ACIA une obligation de diligence de droit privé selon laquelle elle doit prendre en compte les effets économiques entraînés par une décision d’accorder ou de refuser un permis d’importation, il existe des affaires analogues, qui toutefois reposent sur des lois et des régimes réglementaires différents.

[91]           Après avoir examiné l’affaire Berg, invoquée par le défendeur, la Cour est d’accord pour dire que, bien qu’elle ne soit pas identique, la Wildlife Act 1997 présente effectivement d’importantes similitudes avec la LSA et le RSA en raison de certaines de ses dispositions et, surtout, de la volonté qu’y exprime le législateur. Sans être déterminante, cette affaire est donc pertinente en l’espèce. Les deux textes – le RSA et la Wildlife Act 1997 restreignent l’importation d’animaux pour éviter que les espèces se trouvant déjà sur le territoire soient contaminées par des maladies. Il faut, dans les deux cas, obtenir un permis avant de pouvoir importer des animaux. Il convient également de signaler l’objectif législatif déclaré qui vise, dans un cas comme dans l’autre, à protéger les animaux se trouvant déjà sur le territoire, principalement dans l’intérêt public.

[92]           La Cour estime que la principale conclusion tirée dans l’arrêt River Valley vaut la peine d’être examinée. La Cour d’appel de la Saskatchewan analysait l’objectif législatif de la LSA ainsi que les dispositions de cette loi relatives à l’indemnisation et à l’immunité. La Cour d’appel a conclu qu’on pouvait en inférer une absence de lien de proximité (River Valley, au paragraphe 83). Quant à l’affaire Los Angeles Salad Company, la Cour estime que l’on peut transposer en l’espèce la conclusion que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique y a tirée. La Cour d’appel a estimé que reconnaître une obligation de diligence de droit privé envers les vendeurs d’aliments contredirait l’objectif de protection de la santé des Canadiens en empêchant la vente d’aliments contaminés. La Cour d’appel a déclaré, au paragraphe 55 :

[traduction] Une telle conclusion placerait les agents chargés de l’inspection des aliments dans une position intenable en les obligeant à trouver un équilibre entre l’intérêt supérieur du public et les intérêts privés des vendeurs d’aliments, ce qui aurait un effet paralysant sur la bonne exécution de leurs fonctions.

De même , reconnaître que l’ACIA est tenue à une obligation de diligence de droit privé envers les demanderesses placerait l’organisme dans une position intenable en l’obligeant à trouver un équilibre entre, d’une part, l’intérêt supérieur du public – en empêchant l’importation d’abeilles domestiques susceptibles d’être contaminées – et, d’autre part, les intérêts privés des apiculteurs commerciaux, et aurait un effet paralysant sur la bonne exécution de ses fonctions. La Cour est d’accord avec le défendeur pour dire que les abeilles domestiques génèrent un produit destiné à la consommation humaine et qu’il est important de les protéger en raison de leur impact potentiel sur l’ensemble du secteur agricole et pour protéger la santé humaine.

[93]           La Cour est également d’accord avec le défendeur pour dire qu’il y a lieu d’établir une distinction entre les affaires Adams et Sauer et la présente espèce dans la mesure où le régime réglementaire est très différent. Dans l’arrêt Adams, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a conclu (au paragraphe 44) que la loi obligeait à protéger une catégorie restreinte de producteurs. La Cour signale par ailleurs que, dans l’arrêt River Valley, la Cour a conclu que, contrairement à la Loi sur la protection des végétaux (sur laquelle l’action était fondée dans l’affaire Adams), rien dans la LSA ne permettait de penser que le législateur avait l’intention de protéger les intérêts des agriculteurs individuels (River Valley, au paragraphe 80). Quant à l’affaire Sauer, le Canada avait publiquement reconnu qu’il avait l’obligation d’assurer la salubrité des aliments destinés au bétail. La question de l’obligation du Canada envers la population en général n’était en cause dans aucune de ces deux affaires.

[94]           En somme, il n’existe pas de décisions dans lesquelles les tribunaux ont conclu à l’existence d’une obligation de diligence de droit privé dans des circonstances semblables à celles de la présente espèce; par conséquent, la Cour doit appliquer le critère à deux volets de l’arrêt Anns.

Application du critère de l’arrêt Anns aux faits en litige

Première partie : Les faits allégués par les demanderesses révèlent‑ils l’existence d’un lien suffisamment étroit pour obliger le défendeur à prendre des mesures raisonnables pour protéger les demanderesses contre les pertes économiques prévisibles?

[95]           Dans l’arrêt Imperial Tobacco, précité, la Cour suprême a énoncé clairement le principe applicable pour établir l’existence d’un lien de proximité et, partant, d’une obligation de diligence. Dans certains cas, ce lien de proximité se trouve dans le texte même de la loi. Mais, la plupart du temps, il découle du comportement de l’État et de ses interactions avec le demandeur et est considéré comme assez étroit pour créer lien spécial suffisant pour démontrer l’existence du lien de proximité exigé pour qu’on puisse conclure à l’existence d’une obligation de diligence. Ainsi que la Cour suprême l’a expliqué, les lois habilitantes sont néanmoins importantes étant donné qu’elles peuvent comporter des dispositions susceptibles d’écarter l’obligation de diligence en raison de l’existence d’une obligation envers le public en général (Imperial Tobacco, aux paragraphes 41 à 49).

[96]           Dans le cas qui nous occupe, les demanderesses affirment que l’obligation de diligence prima facie du défendeur se dégage du régime législatif à lui seul ou de la législation et des interactions entre les demanderesses et l’État. Par conséquent, la Cour doit d’abord examiner la législation pour déterminer si le régime qu’elle met en place et ses dispositions créent une telle obligation de diligence prima facie.

[97]           Pour commencer, le titre intégral de la LSA est le suivant : « Loi concernant, d’une part, les maladies et substances toxiques pouvant affecter les animaux ou transmissibles par ceux ci aux personnes, d’autre part, la protection des animaux » , ce qui ne permet pas de conclure à l’existence d’une obligation envers un groupe particulier, mais démontre que la loi vise à protéger le public et la population animale en général. L’article 33 de la LSA concerne les pouvoirs conférés à l’ACIA. Il dispose : « L’inspecteur et l’agent d’exécution peuvent exercer, aux conditions fixées par le ministre, les pouvoirs et fonctions conférés à celui ci sous le régime de la présente loi, à l’exception des pouvoirs mentionnés [à l’article 27] » .

[98]           Les articles 5 à 21 de la LSA imposent des obligations et des interdictions aux personnes dans le cas d’animaux dont on sait qu’ils sont contaminés ou dont on soupçonne qu’ils le sont. Ils visent la lutte contre les maladies et les substances toxiques. Les articles 14 à 18 concernent l’importation d’animaux et de produits ou sous‑produits d’animaux. Enfin, les articles 22 à 28 confèrent au ministre le pouvoir de prendre les mesures compatibles « [...] avec la sécurité publique en vue de remédier à toute situation dangereuse ou de réduire les risques que constitue – ou peut normalement constituer – pour la vie, la santé, les biens ou l’environnement, la présence d’une maladie ou d’une substance toxique dans la région contrôlée »  (voir le paragraphe 27(2) de la LSA dans sa rédaction en vigueur à l’époque en cause).

[99]           Dans sa rédaction en vigueur à l’époque en cause, le paragraphe 27(3) de la LSA disposait :

Le ministre peut prendre des règlements en vue de lutter contre les maladies et les substances toxiques dans une région contrôlée ou de les en éliminer, ainsi que d’éviter leur propagation, et, notamment, pour :

a) régir ou interdire l’entrée, la sortie ou la circulation de personnes, d’animaux ou de choses, y compris les véhicules, dans cette région;

b) prévoir la subdivision de cette région en zones et la prise de mesures différentes pour chacune d’elles;

c) autoriser le traitement, la destruction ou toute autre forme de disposition d’animaux ou de choses se trouvant dans cette région ou s’y étant trouvées.

[100]       Enfin, l’article 14 de la LSA permet au ministre d’interdire par règlement l’importation d’animaux au Canada.

[101]       Pour ce qui est du RSA, son article 12 prévoit une interdiction générale d’importer des animaux réglementés, à moins que certaines conditions soient respectées. L’article 10 définit comme suit l’expression « animal réglementé » :

« animal réglementé » Œuf d’incubation, tortue terrestre ou aquatique, oiseau, abeille à miel ou mammifère […]

[102]       Les deux parties ont reconnu, dans leurs observations écrites, que la LSA et le RSA autorisent le défendeur à réglementer l’importation d’abeilles domestiques en provenance des États‑Unis. Elles divergent toutefois d’avis sur la volonté du législateur. Le défendeur affirme que le régime législatif vise principalement à confier à l’ACIA un vaste pouvoir de réglementation en vue de protéger la santé des animaux dans l’intérêt public et qu’il exclut toute obligation de protéger les intérêts économiques des personnes qui souhaitent utiliser des animaux importés dans le cadre de l’exploitation de leur entreprise commerciale.

[103]       La Cour est du même avis. Il ressort des dispositions générales en question que l’objectif visé est de protéger la santé animale et la sécurité du public. Le ministre se voit confier le pouvoir de prendre des mesures en vue de remédier à toute situation dangereuse ou de réduire les risques que constitue pour la vie, la santé, les biens et l’environnement, la présence d’une maladie. Le ministre a donc des obligations envers la population canadienne dans son ensemble, et non envers des intervenants particuliers de l’industrie comme les demanderesses. Reconnaître l’existence d’une obligation de diligence de droit privé envers l’industrie apicole et ses intérêts économiques contredirait cet objectif.

[104]       Les demanderesses adoptent le point de vue suivant lequel les ordonnances et les règlements pris avant 2007 et les REIR qui les accompagnaient démontrent de toute évidence l’existence d’une obligation de diligence, étant donné qu’ils déclarent qu’ils visent à « protéger les intérêts économiques de l’industrie ». Les demanderesses invoquent les règlements suivants à l’appui de leur thèse et font observer qu’ils ne témoignent guère du souci de protéger les intérêts du grand public :

        Ordonnance interdisant l’importation des abeilles domestiques 1988 et REIR, aux pages 355 et 356 (recueil des sources citées des demanderesses, onglet 5);

        Ordonnance interdisant l’importation des abeilles domestiques 1990 et REIR, aux pages 331 et 332 (recueil des sources citées des demanderesses, onglet 6);

        Ordonnance interdisant l’importation des abeilles domestiques 1991 et REIR, aux pages 71 à 74 (recueil des sources citées des demanderesses, onglet 7).

[105]       Les modifications que les demanderesses souhaitent apporter à leurs actes de procédure se fondent sur divers autres règlements interdisant l’importation des abeilles domestiques et sur les REIR s’y rapportant qui, selon elles, ont tous pour objectif de prévenir l’introduction de maladies qui pourraient avoir de graves conséquences économiques sur l’industrie agricole canadienne (dossier de requête des demanderesses, à la page 16, au paragraphe 44).

[106]       Le défendeur adopte le point de vue que, comme la demande vise son action ou son inaction après 2007, les règlements en question ne s’appliquaient pas et ne sont donc pas pertinents. La Cour n’est pas d’accord avec le défendeur. La décision de refuser de délivrer des permis d’importation de paquets d’abeilles domestiques après 2007 tenait notamment compte des décisions prises avant 2007. Ces décisions reposaient sur la conclusion qu’il était nécessaire de protéger la santé des abeilles canadiennes parce que les abeilles en provenance des États‑Unis étaient des vecteurs potentiels de maladies. La Cour estime que les règlements en question sont pertinents, étant donné qu’ils font partie de l’historique législatif du régime général régissant l’importation des abeilles domestiques.

[107]       La Cour est d’accord avec le défendeur pour dire que les tribunaux ont tenu compte des REIR pour interpréter des lois. Les REIR ne permettent toutefois pas de déterminer l’objet de la loi applicable et l’intention du législateur. Ce type de résumé, qui accompagne les règlements, vise à fournir des renseignements sur l’objectif et l’impact de ces règlements, sans toutefois en faire partie. Ils servent d’outils d’aide à l’interprétation des dispositions réglementaires (Bristol‑Myers, précité, au paragraphe 156, et Bayer, précité, au paragraphe 7) et, comme le défendeur l’a expliqué, il faut également lire le libellé du règlement en tenant compte de tout le contexte de sa loi habilitante (Bristol‑Myers, au paragraphe 38).

[108]       La Cour constate que les REIR qui accompagnent les règlements de 1996, 1998, 2000 et 2004 déclarent dans les termes les plus nets ce qui suit : « La Loi sur la santé des animaux régit l’importation des animaux au Canada afin de prévenir l’introduction de maladies qui constituent une menace pour la santé et la sécurité humaines ou qui pourraient avoir des conséquences graves sur l’industrie agricole animale canadienne » . Ces déclarations renforcent l’objectif général de la LSA qui vise l’intérêt public en général et non la protection des intérêts économiques de l’industrie apicole.

[109]       La Cour « […] ne voit pas en quoi il serait possible de transformer l’un des pouvoirs discrétionnaires du droit public du ministre, qui doivent être exercés dans l’intérêt public, en obligations de droit privé envers des personnes en particulier »  (Imperial Tobacco, au paragraphe 50). Par conséquent, la Cour ne peut conclure à l’existence d’un lien de proximité à la lumière de l’intention du législateur, et elle doit se demander si les interactions entre les parties créent un lien spécial suffisant pour établir un lien de proximité.

[110]       Il est évident aux yeux de la Cour, après avoir examiné la LSA, que cette dernière ne contient aucune disposition qui oblige le ministre à consulter les acteurs de l’industrie. Le fait que des consultations aient eu lieu ne modifie en rien l’obligation principale, en l’occurrence la protection de la santé animale au Canada et de la sécurité du public. On a tenu compte des observations faites par les intervenants de l’industrie, mais cela ne change en rien l’objectif principal de la Loi.

[111]       Les demanderesses soutiennent que les règlements et les consultations avec les acteurs de l’industrie ont créé une obligation de diligence prima facie en leur faveur, étant donné qu’on traite en détail à la page huit du REIR qui accompagnait le Règlement de 2004 sur l’importation des abeilles domestiques des coûts et des mesures permettant d’atténuer les répercussions pour l’industrie, alors que les préoccupations concernant la population en général étaient à peine mentionnées. Elles affirment également que, comme les consultations avec l’industrie se sont poursuivies après le 31 décembre 2006, les agissements du défendeur, en l’occurrence les nombreuses interactions qu’il a eues avec l’industrie, ont eu pour effet de créer un lien de proximité.

[112]       Dans l’arrêt Imperial Tobacco, la Cour suprême déclare, au paragraphe 47 :

[…] dans les cas où on affirme que le lien étroit repose sur un acte et des rapports précis, il peut être difficile de rejeter une action à ce stade.  Tant qu’il est raisonnablement possible que les rapports allégués, s’ils sont vrais, amènent à conclure à l’existence d’un lien suffisamment étroit, et que la loi n’exclut pas clairement cette possibilité, il faut permettre que l’affaire soit instruite, sous réserve de l’existence de quelque considération de politique générale susceptible d’écarter l’obligation de diligence prima facie à la deuxième étape de l’analyse.

La Cour a également expliqué qu’il devait y avoir un lien direct entre le Canada et les demanderesses, en l’occurrence, les consommateurs de cigarettes « légères ». La Cour suprême a conclu que le lien entre le Canada et les consommateurs de cigarettes légères se limitait aux déclarations que le Canada avait adressées au grand public et que le Canada n’entretenait pas de rapports spéciaux avec les membres de ce groupe. La Cour a conclu, par conséquent, que le constat qu’il s’agissait d’un lien suffisamment étroit devait découler des lois applicables (Imperial Tobacco, au paragraphe 49).

[113]       Dans l’arrêt Berg, précité, au paragraphe 75, le tribunal a déclaré ce qui suit :

[traduction] […] il n’existait aucun lien de quelque nature que ce soit entre les demandeurs et les défendeurs. Les défendeurs n’ont même pas essayé de demander un permis d’importation de wapitis et ne se sont évidemment pas vus refuser de permis […] Dans ces conditions, les défendeurs ne peuvent être assujettis à une obligation envers un groupe de personnes dont ils ignoraient l’existence.

[114]       Dans la présente affaire, la Cour constate, après avoir tenu compte des allégations contenues dans la déclaration modifiée proposée des demanderesses, que leurs allégations quant à leurs interactions avec l’industrie ne découlaient que des consultations qui avaient eu lieu en vue de vérifier s’il était nécessaire de prolonger ou non l’interdiction, et que ces allégations sont très générales. Les interactions alléguées n’ont pas eu lieu avec l’une ou l’autre des demanderesses. Tout comme dans l’affaire Berg, les demanderesses n’ont pas cherché à obtenir un permis d’importation d’abeilles domestiques en paquets et ne se sont évidemment pas vues refuser de tels permis. La Cour estime qu’il n’y a pas eu entre les parties d’interactions créant un lien spécial suffisant pour établir un lien de proximité. La Cour estime toutefois qu’il est préférable d’appliquer le second volet du critère de l’arrêt Anns, étant donné qu’elle n’est pas convaincue que cette allégation de proximité est vouée à l’échec.

Deuxième partie : l’obligation de diligence prima facie est‑elle écartée en raison de considérations de politique générale fondamentales au sens de l’arrêt Imperial Tobacco de la Cour suprême?

[115]       La Cour est d’accord avec le défendeur que le fait de conclure que celui‑ci était assujetti envers les demanderesses à une obligation de diligence l’obligeant à protéger les intérêts économiques des demanderesses l’exposerait à une responsabilité indéterminée.

[116]       Pour répondre à la question de savoir s’il existe un risque de responsabilité indéterminée, il faut se demander si la relation en question comporte suffisamment de caractéristiques particulières pour éviter que l’imposition de l’obligation de diligence proposée emporte une responsabilité indéterminée (Pinkerton’s, précité, au paragraphe 70). La Cour doit être en mesure de tracer une ligne de démarcation pour déterminer qui bénéficie du devoir de diligence et qui ne peut en bénéficier (Bow Valley Husky, précité, au paragraphe 64). La LSA et le RSA s’appliquent à la vaste majorité des intervenants de l’industrie agricole, étant donné que des animaux sont fréquemment importés pour améliorer la génétique, augmenter la productivité et améliorer les rendements. La Cour reconnaît que le nombre d’intervenants dans les secteurs agricoles qui pourraient éventuellement présenter une demande par suite de l’application de la loi est indéterminé et que ce nombre est certainement flottant et variable à l’intérieur d’un même segment du secteur agricole, comme c’est le cas en l’espèce. En conséquence, ce fait à lui seul écarte toute obligation de diligence parce qu’il place le défendeur dans une situation intenable en l’exposant à une responsabilité indéterminée. La Cour constate également que lorsque des réclamations portent sur des pertes purement économiques, le risque de responsabilité est augmenté (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 100).

[117]       La Cour conclut que la décision en cause de ne pas délivrer de permis d’importation d’abeilles domestiques en paquets après le 31 décembre 2006 est une véritable décision de politique générale, et ce, pour les raisons suivantes. Le critère à appliquer pour déterminer si une décision constitue une décision de politique générale fondamentale a été énoncé dans l’arrêt Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 90 :

[…] les décisions de « politique générale fondamentale » du gouvernement à l’égard desquelles ce dernier est soustrait aux poursuites se rapportent à une ligne de conduite et reposent sur des considérations d’intérêt public, tels des facteurs économiques, sociaux ou politiques, pourvu qu’elles ne soient ni irrationnelles ni prises de mauvaise foi. 

La Cour reconnaît par ailleurs, au paragraphe 90, que :

On peut s’attendre à ce que surviennent de temps à autre des situations délicates où il n’est pas facile de décider si le degré de « politique générale » en cause suffit à mettre une décision à l’abri de toute responsabilité pour négligence. Il serait illusoire de vouloir établir un critère absolu qui donnerait rapidement et infailliblement une réponse à l’égard de toute décision parmi la gamme infinie de celles que peuvent prendre les acteurs gouvernementaux. On pourra néanmoins facilement cerner la plupart des décisions gouvernementales qui représentent une ligne de conduite fondée sur une mise en balance de considérations économiques, sociales et politiques.

[118]       Dans le cas qui nous occupe, la décision contestée visant à [traduction] « imposer une interdiction totale quant à l’importation d’abeilles domestiques en paquets »  en provenance des États‑Unis représente une ligne de conduite ou une orientation fondée sur une mise en équilibre de considérations d’ordre public, notamment des facteurs sociaux et économiques. Cette interdiction est imposée depuis les années quatre‑vingt et est autorisée par l’article 12 du RSA, qui interdit l’importation d’animaux réglementés à moins que le ministre ne l’autorise par permis.

[119]       La Cour ne trouve pas convaincants les arguments présentés par les demanderesses au sujet de la mauvaise foi dont aurait fait preuve le défendeur. De plus, les demanderesses n’ont pas identifié de préposé de l’État; par conséquent, leur demande ne peut être considérée comme une réclamation fondée sur une faute ou un abus dans l’exercice d’une charge publique. À défaut de tel délit, la demande ne révèle aucune cause d’action valable. La décision de politique générale a été prise parce que l’on craignait pour la santé et la sécurité des Canadiens et celle des abeilles domestiques. Comme il s’agissait de questions de politique gouvernementale, la réclamation des demanderesses fondée sur la négligence est vouée à l’échec et doit donc être radiée.

[120]       Les demanderesses ont également soutenu que la défenderesse a abdiqué son pouvoir discrétionnaire en le confiant à un tiers qui n’était pas en droit de s’en acquitter. Après avoir examiné la déclaration, y compris les modifications que les demanderesses entendent y apporter, et compte tenu du fait que les demanderesses n’ont pas allégué explicitement que le défendeur n’était pas la personne qui avait pris la décision d’interdire la délivrance de permis d’importation dans le cas des abeilles domestiques en paquets, l’argument que les demanderesses tirent de la délégation, par le ministre, de ses pouvoirs à un tiers doit être rejeté.

[121]       En somme, après avoir tenu pour avérés les faits allégués et après avoir tenu pour acquis que les demanderesses sont en mesure de prouver leurs allégations, la Cour a examiné la demande fondée sur la négligence et appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Anns en tenant compte de toutes les allégations contenues dans la déclaration et dans la déclaration modifiée proposée, et en est arrivée à la conclusion qu’il y a lieu de faire droit à la requête du défendeur étant donné que les actes de procédure des demanderesses ne révèlent l’existence d’aucune cause d’action valable.

Dépens

[122]       Les demanderesses soutiennent qu’elles ne devraient pas être condamnées aux dépens en raison de l’article 334.39 des RCF, qui précise qu’aucuns dépens ne sont a contre une partie à une requête visant à faire autoriser sa demande comme recours collectif. Dans la décision Pearson c Canada, 2008 CF 1367, au paragraphe 52, la Cour fédérale a déclaré qu’une requête en radiation de la déclaration présentée avant que l’action ne soit autorisée comme recours collectif ne fait pas intervenir les règles relatives aux recours collectifs et, en particulier, l’article 334.39.

[123]       La Cour rejette par conséquent la demande et condamne les demanderesses aux dépens.

 


ORDONNANCE

LA COUR :

1.                  Accueille la requête du défendeur;

2.                  Radie la déclaration au complet sans autorisation de la modifier;

3.                  Condamne les demanderesses aux dépens.

« André F.J. Scott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T‑2293‑12

 

INTITULÉ :

PARADIS HONEY LTD., HONEY BEE ENTERPRISES LTD. ET ROCKLANE APIARIES LTD. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :                            LE JUGE SCOTT

DATE DES MOTIFS :                     LE 5 MARS 2014

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Lily L.H. Nguyen

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES)

 

Jaxine Oltean

 

POUR LE DÉFENDEUR

(DEMANDEUR)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FIELD LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa

 

POUR LE DÉFENDEUR

(DEMANDEUR)

 

 

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