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Date : 20140305

Dossier : IMM-773-13

Référence : 2014 CF 214

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

RICARDO STEVENSON BEST

(ALIAS RICARDO STEVENS BEST)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision rendue par le commissaire Paul Ariemma de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, ayant conclu qu’il n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          Question en litige

[2]               La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

II.        Contexte factuel

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Barbade. Il est homosexuel et séropositif.

 

[4]               Dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels [FRP], le demandeur fournit des détails au sujet de sa vie à la Barbade en tant qu’homosexuel. Il a découvert son homosexualité à l’âge de 11 ans, mais déclare qu’il n’a pas été capable de vivre ouvertement par crainte d’être victime de violence physique et verbale. À l’adolescence, il a commencé à se rendre dans des fêtes privées organisées pour la communauté gaie.

 

[5]               En 1991, un groupe d’hommes s’est mis à lui proférer des insultes homophobes et lui a lancé une bouteille. En 1999, le demandeur est devenu annonceur à la radio, animateur de sa propre émission. En 2001, il a commencé à organiser chez lui des fêtes privées pour la communauté gaie de la Barbade.

 

[6]               En 2004, une chronique à potins parue dans le journal Daily Nation [l’article] a fortement laissé sous-entendre que le demandeur était gai. Ce dernier allègue que cet article lui a fait perdre son emploi comme acteur prêtant sa voix dans des publicités de bières, et son emploi à la station de radio. Depuis, le demandeur travaille comme maître de cérémonie et hôte dans des fêtes privées organisées pour la communauté gaie, mais, depuis que l’article a été publié et que sa sexualité est devenue connue, sa situation professionnelle est devenue plus fragile, n’obtenant souvent que des emplois à court terme. De plus, à la suite de la publication de l’article, il a plusieurs fois été victime de violence verbale et fait l’objet de nombreux commérages.

 

[7]               En novembre 2006, le demandeur a été expulsé de sa résidence, un fait qu’il attribue aux rumeurs voulant qu’il organise des fêtes privées pour la communauté gaie. Lors de la dernière fête organisée, la police a fait irruption chez lui et a pris en note les noms et les adresses des invités. Le demandeur allègue que cela a été fait à des fins d’intimidation.

 

[8]               De 2006 à 2011, le demandeur s’est rendu dans différents pays, notamment plusieurs fois au Canada, mais il n’a pas présenté de demande d’asile. Il allègue qu’il ignorait qu’il était possible de demander l’asile au Canada sur le fondement de l’orientation sexuelle jusqu’à ce qu’un ami lui en parle en 2011. Le 22 août 2011, le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada.

 

[9]               La Commission a conclu que la discrimination et le harcèlement dont le demandeur a été victime ne constituaient pas de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi et ne le font pas non plus tomber sous le coup de l’article 97.

 

[10]           La Commission a reconnu que le demandeur est homosexuel et que l’homosexualité est illégale à la Barbade, mais elle fait mention d’un rapport publié par le Département d’État américain qui indique que la loi est rarement appliquée. Elle a aussi conclu que le demandeur a fait l’objet de discrimination et de harcèlement dans une certaine mesure, mais qu’il a eu du succès à titre d’entrepreneur, de propriétaire de bar, de personnalité à la radio et à la télévision de même que de maître de cérémonie jusqu’en mai 2011, soit juste avant de présenter une demande d’asile au Canada.

 

[11]           Estimant que l’article était au cœur de la demande d’asile du demandeur et qu’il aurait été l’élément qui l’avait incité à quitter le pays, la Commission souligne que le demandeur n’a pas présenté cet article à l’audience. La Commission fait par ailleurs remarquer que le demandeur, après la publication de l’article, a visité le Canada en 2007, 2008, 2010 et 2011, avant de présenter une demande d’asile. De 2008 à 2010, il s’est aussi rendu à Sainte-Lucie, au Guyana et à Saint‑Martin. La Commission a par conséquent conclu que les retours répétés du demandeur à la Barbade démontrent qu’il n’éprouvait pas de crainte subjective de persécution.

 

[12]           La Commission affirme que contrairement à l’allégation du demandeur selon laquelle son orientation sexuelle a été connue seulement après la publication de l’article, des éléments de preuve indiquent qu’il vivait ouvertement avant cela. Le demandeur souligne en particulier une lettre de Sylvester Shepherd, directeur de United Gays and Lesbians Against Aids Barbados (UGLAAB), indiquant que le demandeur a organisé un grand nombre de fêtes pour la communauté gaie entre 2001 et 2006 et pendant une courte période en 2007, des fêtes qui fournissaient aux membres de la communauté de personnes de même sexe un lieu où ils pouvaient socialiser ouvertement. Alors qu’elle décrivait cette lettre, la Commission a souligné que UGLAAB mène ses activités ouvertement. La Commission a conclu que cela constitue une preuve que le demandeur vivait sa vie homosexuelle ouvertement avant la publication de l’article. Aux paragraphes 25 à 27, dans le but d’étayer davantage cette conclusion, la Commission mentionne des lettres d’appui présentées par des amis, des collègues de travail et d’anciens partenaires du demandeur.

 

III.       La norme de contrôle

[13]           Les parties reconnaissent que la norme de la décision raisonnable s’applique (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 49).

 

IV.       Analyse

[14]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une grave erreur lorsqu’elle est parvenue à ses conclusions et que la décision de la Commission est déraisonnable.

 

[15]           En premier lieu, la Commission aurait ignoré cinq lettres rédigées par un ancien partenaire, deux anciens amis et deux anciens collègues de travail, qui fournissent des détails au sujet du rejet par la société et du sous-emploi dont a été victime le demandeur après que sa sexualité a été rendue publique dans un article.

 

[16]           En second lieu, le demandeur prétend que la Commission a erronément conclu que les activités du demandeur et le fait qu’il soit connu au sein de la communauté gaie signifiaient qu’il [traduction] « entretenait ouvertement un mode de vie homosexuel ». Le demandeur ainsi que bon nombre de ses lettres d’appui ont clairement indiqué que les fêtes organisées étaient des événements à caractère privé, auxquels assistaient surtout des membres de la communauté gaie, et que ces événements étaient cachés à la société environnante à la Barbade par crainte de représailles à caractère homophobe.

 

[17]           Le demandeur prétend aussi que la Commission a ignoré des éléments de preuve pertinents en omettant de décrire la preuve objective concernant la persécution systémique vécue par les homosexuels à la Barbade. Cette preuve démontre que l’homosexualité est illégale à la Barbade, qu’il n’y a aucune loi interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, et que des éléments de preuve anecdotiques confirment que la discrimination dont fait preuve la société à l’égard de l’homosexualité, y compris la violence physique et verbale, se poursuit. En ignorant des éléments de preuve qui allaient directement à l’encontre de ses conclusions, la Commission a rendu une décision déraisonnable (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 aux paragraphes 15 et 17; Hall (représenté par son tuteur à l’instance) c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 865, aux paragraphes 1 à 5).

 

[18]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en omettant de considérer et d’analyser la question à savoir si les allégations de discrimination du demandeur, prises de manière cumulative, justifiaient une conclusion que sa crainte de persécution était bien fondée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84, au paragraphe 41).

 

[19]           Qui plus est, le demandeur soutient qu’à part la mention du retard du demandeur à présenter une demande d’asile au Canada, aucune analyse n’a été faite relativement à une crainte subjective. Étant donné que ce retard à lui seul n’est pas un facteur déterminant pour l’évaluation d’une crainte subjective et que le demandeur a fourni une explication raisonnable pour justifier le retard, l’analyse de la Commission était déraisonnable (Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1291, aux paragraphes 57 à 62).

 

[20]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission n’a entrepris aucune analyse en vue d’établir s’il était un réfugié au sens de l’article 97 de la Loi (Thuraiveerasingam Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, au paragraphe 18).

 

[21]           Dans son mémoire des arguments supplémentaires, le demandeur souligne que la Commission n’aurait pas dû tirer une conclusion défavorable du fait qu’il n’a pas demandé l’asile ailleurs (Ay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 671, aux paragraphes 39 et 40; Rajadurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 532, au paragraphe 65).

 

[22]           Le demandeur fait état du témoignage qu’il a rendu à l’audience devant la Commission, où il a expliqué la raison pour laquelle il ignorait qu’il était possible d’obtenir l’asile au Canada sur le fondement de l’orientation sexuelle. Il souligne que la Commission, dans sa décision, ne parle pas de ce témoignage.

 

[23]           J’estime que la décision de la Commission était raisonnable.

 

[24]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les éléments de preuve dont disposait la Commission ne permettent pas d’étayer sa conclusion selon laquelle il vivait ouvertement à titre d’homosexuel avant la publication de l’article. En l’absence d’une conclusion négative claire quant à sa crédibilité, les éléments de preuve présentés par le demandeur démontrent qu’il n’était pas ouvertement homosexuel, même s’il était bien connu au sein de la communauté gaie de la Barbade. Par ailleurs, même s’il est vrai que le résumé fourni par la Commission aux paragraphes 25 à 27 et au paragraphe 30 au sujet des lettres d’appui et du rapport psychologique du demandeur était bref, je n’estime pas que ces questions, prises ensemble, rendent la décision de la Commission déraisonnable.

 

[25]           Il était raisonnable de la part de la Commission d’affirmer que bien qu’il soit malheureux que le demandeur ait été victime de discrimination et de harcèlement, les éléments de preuve au sujet d’un harcèlement verbal et de commérages survenus après qu’il ait été publiquement exposé par l’article publié en 2004 ne peuvent être assimilés à la persécution décrite dans Portuondo Vasallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 673, au paragraphe 15 :

La notion de persécution n’est pas définie dans la LIPR. Dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 au paragraphe 63 (disponible sur CanLII), la Cour suprême a défini la notion de persécution comme étant une « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État. »

 

 

[26]           En outre, bien que le demandeur allègue avoir été sous-employé en raison de son orientation sexuelle, la preuve permettait à la Commission de conclure de façon raisonnable que le demandeur était capable d’avoir une vie réussie et productive à la Barbade. Par ailleurs, même si la Commission n’a pas clairement indiqué avoir pris en considération l’effet cumulatif de la persécution fondée sur ce harcèlement, il est possible de conclure raisonnablement qu’elle l’a fait (Szabados c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 719, aux paragraphes 9 et 10).

 

[27]           En ce qui concerne la preuve documentaire en l’espèce, la Commission a reconnu l’existence de preuves de discrimination et de harcèlement à l’encontre des homosexuels à la Barbade. Par conséquent, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau élevé qui lui incombait de démontrer que la Commission aurait dû faire mention d’une preuve contradictoire précise. D’autre part, la Cour suprême du Canada a clairement déclaré qu’un décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 12 et 16).

 

[28]           De plus, même si la Commission n’a pas expressément fait mention d’une preuve contradictoire, les retours répétés du demandeur à la Barbade sont suffisants pour permettre à la Commission de conclure que le demandeur n’éprouvait pas de crainte subjective (Ortiz Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1346, au paragraphe 11). Bien que le demandeur affirme à juste titre avoir fourni une explication, la Commission disposait du pouvoir discrétionnaire d’examiner et de rejeter cette explication, et la transcription de l’audience indique clairement que la Commission l’a fait (Abu Ganem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1147, au paragraphe 29).

 

[29]           Enfin, en ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel la Commission a omis d’effectuer une analyse fondée sur l’article 97, la Commission a clairement conclu au paragraphe 31 que le demandeur n’était pas visé par l’article 97. La Commission n’a pas procédé à une analyse distincte, mais la façon dont elle est parvenue à cette conclusion est clairement indiquée dans sa décision.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.                  La demande présentée par le demandeur est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-773-13

 

INTITULÉ :                                      Best c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 mars 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pablo Irribarra

 

POUR LE DEMANDEUR

Evan Duffy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan Battista LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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