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Date : 20140304

Dossier : IMM-597-13

Référence : 2014 CF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

KALMAN LASZLO FARKAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision rendue par le commissaire Ken Atkinson de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, car elle a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          La question en litige

[2]               La demande en l’espèce soulève la question en litige suivante :

a.       Les conclusions de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité et à la protection de l’État étaient‑elles déraisonnables?

 

II.        Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Hongrie d’origine ethnique rom âgé de 54 ans. Il est divorcé et il a deux filles adultes.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’il a été victime de violence verbale et de violence physique à plusieurs occasions lorsqu’il vivait en Hongrie. En octobre 2000, il a été agressé physiquement et verbalement par quatre de ses collègues de travail. Son superviseur et la police n’ont pas voulu l’aider. À l’été 2003, il a été agressé verbalement et physiquement par un groupe de six skinheads alors qu’il attendait l’autobus. Après une attente de plusieurs heures, la police a accepté sa plainte, mais elle l’a par la suite fermée au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve. En décembre 2005, son épouse et lui ont été victimes d’une agression verbale pendant qu’ils étaient au restaurant. En novembre 2008, il a été agressé par un groupe de personnes qui lui ont cassé une jambe et l’ont laissé inconscient; il a alors eu besoin d’une chirurgie. Le 24 décembre 2010, il fut poursuivi par un groupe d’environ sept personnes et, avant que le demandeur ne se sauve, le groupe lui avait lancé des jurons à caractère raciste et l’avait giflé.

 

[5]               Le 23 janvier 2011, le demandeur est arrivé au Canada et il a présenté une demande d’asile. L’époux de la fille du demandeur est mort par balle une semaine plus tard.

 

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’aurait pas une crainte fondée de persécution dans l’éventualité où il devait retourner en Hongrie. La Commission a conclu que la protection de l’État était adéquate et elle a relevé des inquiétudes concernant la crédibilité du demandeur.

 

[7]               En ce qui a trait à la crédibilité, la Commission a relevé plusieurs points problématiques. En premier lieu, le demandeur a relaté dans son témoignage que, lorsqu’il a signalé l’incident d’octobre 2000 à la police, les policiers lui avaient dit qu’ils ne pouvaient pas l’aider, parce que l’incident s’était produit à son lieu de travail. Cependant, dans le récit circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a déclaré que la police avait refusé d’accepter sa plainte. Le demandeur, lorsque confronté à cette incohérence, a déclaré qu’il avait formulé la situation différemment. La Commission n’a pas été convaincue par cette explication.

 

[8]               En ce qui concerne l’incident qui s’est produit au cours de l’été 2003, le demandeur n’a pu obtenir une copie de la plainte parce qu’il n’avait pas gardé la lettre lorsqu’il est déménagé en 2006. Dans la même veine, le demandeur a relaté que la police avait refusé de rédiger un rapport concernant l’incident de 2008 et que le département de l’hôpital où il avait été traité avait été fermé. Par conséquent, il n’a pu obtenir un rapport de police ou un rapport médical qui documentait cette agression. La Commission a rejeté cette explication, puisque la preuve documentaire indique que tous les Hongrois ont, en vertu de la loi, le droit d’obtenir des rapports médicaux et des rapports de police.

 

[9]               La Commission a aussi relevé que le demandeur avait déclaré dans le récit circonstancié de son FRP que les notes rédigées au point d’entrée ne lui avaient jamais été lues avant qu’il les signe, mais qu’il avait par la suite relaté dans son témoignage livré devant la Commission qu’on les lui avait bel et bien lues. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette incohérence, il a déclaré qu’il n’avait pas bien compris la question et qu’il n’avait pas eu une bonne nuit de sommeil à ce moment‑là, et que par conséquent, il n’avait pas corrigé cette erreur. La Commission a rejeté cette explication.

 

[10]           La Commission a aussi relevé d’autres incidents, mais elle n’a pas indiqué en quoi ceux‑ci se rapportaient à l’appréciation de la crédibilité du demandeur.

 

[11]           En ce qui a trait à la protection de l’État, la Commission se fonde sur la preuve documentaire qui démontre que la Hongrie, un État démocratique, tente de protéger les personnes d’origine ethnique rom contre la persécution.

 

[12]           La Commission fait remarquer que, bien que le demandeur se soit adressé à la police à trois occasions, les policiers s’étaient acquittés de leur tâche à chaque reprise en ce qui concerne les plaintes formulées par le demandeur.

 

[13]           La Commission a aussi relevé que le demandeur s’était plaint de la difficulté de trouver un l’emploi entre septembre 2009 jusqu’à janvier 2011. Cependant, la Commission n’a pas conclu que le demandeur avait été victime de discrimination en matière d’emploi, puisque la situation économique en Hongrie était mauvaise au cours des dernières années et que le demandeur a travaillé de façon continue entre 1980 et 2009. Dans la même veine, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de preuve convaincante étayant que le demandeur vivait dans des logements inadéquats ou qu’il ne bénéficiait pas de soins médicaux appropriés en raison de son origine ethnique.

 

III.       La norme de contrôle applicable

[14]           La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62; Hippolyte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82, aux paragraphes 22 à 24).

 

IV.       Analyse

[15]           Je juge déraisonnable la manière dont la Commission a apprécié les questions relatives à la crédibilité et celles concernant la protection de l’État.

 

[16]           Malgré le manque de preuve corroborante au sujet de l’incident de 2008 rapporté par le demandeur et l’incohérence entre le récit circonstancié du FRP du demandeur et les notes prises au point d’entrée, les conclusions globales de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ne possèdent pas les attributs de l’intelligibilité et elles ne sont pas justifiées.

 

[17]           En ce qui concerne l’incident s’étant produit en 2008, la Commission a déclaré au paragraphe 19 qu’« [i]l est par conséquent difficile de déterminer exactement la façon dont ces événements se sont déroulés ». Cela donne à penser que la Commission n’acceptait pas que les incidents décrits par le demandeur se soient produits ou, à tout le moins, qu’elle n’était pas convaincue en ce qui a trait aux détails cet incident. Au paragraphe 23, la Commission a déclaré qu’« [e]n raison de ces contradictions, j’estime qu’il n’est pas crédible que le demandeur d’asile ait eu une crainte subjective lorsqu’il est arrivé au Canada ». Cela donne à penser que la Commission ne croit pas que les incidents décrits par le demandeur ou une partie de ceux-ci se soient produits. Cependant, au paragraphe 34, lors de son analyse relative à la protection de l’État, la Commission aborde en profondeur, et reconnaît implicitement, le récit du demandeur quant aux incidents en question; or, si l’on se fie à ce qu’elle avait écrit quelques paragraphes précédemment, elle l’aurait possiblement rejeté pour des motifs liés à la crédibilité.

 

[18]           Les propos du juge Robert Mainville dans la décision Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, au paragraphe 31, sont à propos :

En d’autres mots, sauf dans des cas exceptionnels, on ne devrait pas procéder à l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État sans avoir au préalable établi l’existence d’une crainte subjective de persécution. Le tribunal responsable des questions de fait devrait donc analyser la question de la crainte subjective de persécution, ou autrement dit, se prononcer sur la crédibilité du demandeur d’asile et sur la vraisemblance de son récit, avant d’aborder le volet de la crainte objective, ce dernier volet comprenant une analyse de la disponibilité de la protection de l’État.

 

[19]           Je conclus que la Commission n’a pas tiré une conclusion claire en ce qui a trait à la crédibilité du demandeur.

 

[20]           Bien que les conclusions de la Commission soient fondées en ce qui a trait aux incidents s’étant produits en 2003 et en 2008, je ne comprends pas comment la Commission pourrait conclure que le demandeur avait reçu l’aide de la police en ce qui a trait à l’incident s’étant produit en 2000. Il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure que la protection de l’État est adéquate dans un cas où la police avait dit au demandeur que le fait d’être battu au travail est une question qui relève du milieu de travail. Le fait que la Commission n’a pas formulé de manière claire ses conclusions en matière de crédibilité aggrave davantage l’analyse déraisonnable qu’elle a faite à l’égard de cet incident.

 

[21]           De plus, l’analyse effectuée par la Commission quant aux renseignements objectifs sur la situation dans le pays en ce qui concerne le caractère adéquat de la protection de l’État est insuffisante. Comme le demandeur le décrit à juste titre, la Commission a mal cité, ou omis de tenir compte, d’éléments de preuve importants dans un des cas et elle a renvoyé à des éléments de preuve périmés dans un autre, en plus de citer un important nombre d’initiatives générales à grande échelle déployées par le gouvernement hongrois qui n’ont absolument rien à voir avec le problème de violence à caractère racial auquel était confronté le demandeur. Effectivement, l’un des organismes clés mentionnés par la Commission au paragraphe 35 de la décision, soit le commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques, n’existe plus depuis 2012.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande est accueillie; l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-597-13

 

INTITULÉ :                                      Farkas c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 4 mars 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aadil Mangalji

 

POUR LE DEMANDEUR

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Long Mangalji LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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