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Date : 20140128


Dossier :

IMM‑12609‑12

 

Référence : 2014 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

Dossier :

IMM‑12609‑12

 

ENTRE :

XIAOYAN JIANG

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et qui concerne le défaut du défendeur d’examiner la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse dans la catégorie des investisseurs et de rendre une décision à ce sujet. La demanderesse sollicite un bref de mandamus enjoignant au défendeur d’examiner sa demande de résidence permanente et de rendre une décision définitive à ce sujet.

 

Contexte factuel

[2]               La présente demande fait partie d’un groupe de sept demandes de contrôle judiciaire concernant des demandes de résidence permanente présentées dans la catégorie des investisseurs qui ont été déposées entre juin 2009 et juin 2010 dans quatre bureaux situés à l’étranger: le consulat général du Canada à Hong Kong, le bureau des visas de Beijing, le Haut‑Commissariat du Canada à Londres et le bureau des visas de Berlin.

 

[3]               Depuis le dépôt des demandes, le réseau global de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a été restructuré et de nombreux bureaux situés à l’étranger ont été regroupés. À la fin de 2012, le consulat général du Canada à Hong‑Kong s’est vu confier l’ensemble des dossiers d’immigration présentés jusqu’alors par des gens d’affaires au bureau de Beijing (affidavit de Stephen Hum, au paragraphe 2). En avril et mai 2012, les bureaux de Berlin et de Belgrade ont été fermés et leurs dossiers ont été transférés au bureau des visas de Vienne (affidavit de Donald Gautier, au paragraphe 5). Enfin, en raison des préoccupations en matière de sécurité qui existaient au sujet du Pakistan, tous les dossiers d’immigration présentés par des gens d’affaires ont été transférés du bureau d’Islamabad au Haut‑Commissariat du Canada à Londres (affidavit de Gaynor Rent, au paragraphe 9).

 

            Changements législatifs apportés au Programme fédéral d’immigration des investisseurs

[4]               Le défendeur a reçu les sept demandes de résidence permanente en question avant que d’importants changements soient apportés au Programme fédéral d’immigration des investisseurs (PII).

 

[5]               Dans les instructions ministérielles (IM‑2) publiées le 26 juin 2010, le défendeur a déclaré que les demandes de résidence permanente des investisseurs reçues après l’entrée en vigueur des changements à venir au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) seraient traitées en parallèle avec les demandes fédérales reçues antérieurement. Les instructions ministérielles prévoyaient également une « pause administrative » et précisaient que le défendeur cesserait d’accepter des demandes présentées par des investisseurs immigrants tant que les modifications proposées au Règlement ne seraient pas effectuées (Instructions ministérielles (IM‑2), 26 juin 2010, vol 144, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2010/2010-06-26/html/notice-avis-fra.html#>).

 

[6]               Le 1er décembre 2010, la définition du mot « placement » au paragraphe 88(1) du Règlement a été modifiée en faisant passer de 400 000 $ à 800 000 $le montant du placement que le candidat investisseur devait faire pour pouvoir être considéré comme un homme d’affaires immigrant.

 

[7]               Dans le Bulletin opérationnel 252 publié le 2 décembre 2010, le défendeur a expliqué ce qui suit : « Règle générale, les bureaux des visas doivent traiter les demandes au titre du PII fédéral selon le ratio suivant : deux anciennes demandes non traitées pour une nouvelle demande reçue à compter du 1er décembre 2010. Le ratio de traitement simultané des demandes de deux anciennes demandes pour une nouvelle demande […] « (Bulletin opérationnel 252, 2 décembre 2010, en ligne : http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2010/bo252.asp). En d’autres termes, pour deux « anciennes » demandes reçues avant le 1er décembre 2010 et dont le montant du placement requis était de 400 000 $, le défendeur devait traiter une (1) « nouvelle » demande de placement de 800 000 $ reçue à compter du 1er décembre 2010.

 

[8]               Dans les instructions ministérielles (IM‑3) publiées le 1er juillet 2011, le défendeur a fixé un plafond au nombre de demandes à traiter et a prévu qu’« un maximum de 700 nouvelles demandes de la catégorie des investisseurs immigrants (fédéral) seront envisagées aux fins du traitement chaque année » (Instructions ministérielles (IM‑3), 1er juillet 2011, vol 145, no 26, en ligne : http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2011/2011-06-25/html/notice-avis-fra.html).

 

[9]               Enfin, dans les instructions ministérielles (IM‑5) publiées le 2 juillet 2012, le défendeur a instauré une seconde pause administrative en ce qui concerne l’acceptation des nouvelles demandes présentées par des immigrants investisseurs. Cette pause est toujours en vigueur (Instructions ministérielles (IM‑5), 2 juillet 2012, vol 146, no 26, en ligne : < http://gazette.gc.ca/rp-pr/pl/2012/2012-06-30/html/notice-avis-fra.html#d118>).

 

La demande – IMM‑12609‑12 actuelle (Hong Kong)

[10]           La demanderesse, Xiaoyan Jiang, est citoyenne de la République populaire de Chine. Le 3 août 2009, elle a soumis une demande de résidence permanente dans la catégorie des investisseurs immigrants (PII) au consulat général du Canada à Hong‑Kong. Son époux et son fils faisaient partie de sa demande. Mme Jiang affirme que le défendeur lui a dit qu’un fois sa demande déposée, le traitement de son dossier commencerait dans un délai de 18 à 24 mois à compter d’août 2011 et que son dossier serait transmis peu de temps après.

 

[11]           Le consulat général du Canada à Hong‑Kong a un inventaire d’environ 16 000 dossiers d’investisseurs fédéraux. De ce nombre, 5 500 demandes ont été reçues en 2009 et 7 500 en 2010. L’inventaire est composé de trois cohortes : a) les dossiers soumis avant les instructions ministérielles du 26 juin 2010 (les dossiers antérieurs aux IM 2); b) les demandes soumises après les modifications apportées le 1er décembre 2010 au Règlement, mais avant la fixation du plafond prévu par les IM‑3 (les dossiers IM‑2); c) les demandes soumises après la fixation du plafond du 1er juillet 2011, mais avant la pause administrative de 2012 (les dossiers IM‑3). Les cinq demandes en cause dans la présente affaire font partie de l’inventaire du consulat général du Canada à Hong‑Kong. Les dossiers IMM‑10968‑12, IMM‑10970‑12, IMM‑10972‑12, IMM‑10978‑12 et IMM‑12609‑12 sont des dossiers antérieurs aux IM‑2. Ils ne sont donc pas visés par le doublement du montant d’investissement ou par les pauses administratives, mais ils doivent être traités en parallèle avec les « nouvelles » demandes présentées par des immigrants investisseurs selon un ratio de traitement simultané de deux anciennes demandes pour une nouvelle demande (affidavit de Stephen Hum, au paragraphe 3).

 

[12]           Compte tenu de ces faits et des niveaux d’inventaire, le vice‑consul du consulat général du Canada à Hong‑Kong s’est dit d’avis qu’il était peu probable que les cinq demandes soient traitées activement avant la fin de 2013 ou le début de 2014. Voici les renseignements qu’il a communiqués en date du 5 mars 2013 (affidavit de Stephen Hum, au paragraphe 12) :

a)      Il y a 1 175 dossiers avant celui de Jianghao He (IMM‑10968‑12) dans l’inventaire de 2009 du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI);

b)      Il y a 3 610 dossiers avant celui de Hui Zhang (IMM‑10970‑12) dans l’inventaire de 2009 du STIDI;

c)      Il y a au moins 1 175 dossiers avant celui de Jing Zhang (IMM‑10972‑12) dans l’inventaire de 2009 du STIDI (comme Mme Zhang a déménagé, il a été impossible de préciser le nombre exact de dossiers précédant le sien au moment où le défendeur a déposé ses affidavits);

d)     Il y a 1 541 dossiers avant celui de Junsong Fang (IMM‑10978‑12) dans l’inventaire de 2009 du STIDI;

e)      Il y a 1 833 dossiers avant celui de Xiaoyan Jiang (IMM‑12609‑12) dans l’inventaire de 2009 du STIDI.

 

Questions en litige

[13]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

a)            Devrait‑on contraindre le défendeur, au moyen d’un bref de mandamus ou par application de la doctrine des attentes légitimes, à évaluer le dossier de la demanderesse en fonction des critères de sélection actuels et à achever le traitement de la demande dans un délai précis?

b)            Devrait‑on interdire au défendeur, au moyen d’un bref de prohibition, d’évaluer la demande en fonction de critères de sélection plus rigoureux que ceux qui existaient lorsque le dossier a été déposé?

c)            Advenant le cas où il choisirait de ne pas achever l’examen au fond de la présente demande, le défendeur devrait‑il être condamné à verser cinq millions de dollars à la demanderesse et, le cas échéant, à ses personnes à charge?

d)           Le défendeur devrait‑il être condamné à payer des dépens élevés à la demanderesse?

 

Dispositions applicables

[14]           L’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère au ministre le pouvoir de donner des instructions prévoyant l’ordre de traitement des demandes et précisant le nombre de demandes à traiter par an :

PARTIE 1

 

IMMIGRATION AU CANADA

 

[…]

 

Section 10

 

Dispositions générales

 

Instructions sur le traitement des demandes

 

Application

 

87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) – sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) – , aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

 

Atteinte des objectifs d’immigration

 

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

 

 

Instructions

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :

 

 

a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

 

a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui‑ci;

 

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

 

 

c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

 

 

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

[…]

PART 1

 

IMMIGRATION TO CANADA

 

 

Division 10

 

General Provisions

 

Instructions on Processing Applications and Requests

 

Application

 

87.3 (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsections 11(1) and (1.01), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), to sponsorship applications made under subsection 13(1), to applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada, to applications for work or study permits and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

 

 

 

Attainment of immigration goals

 

(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.

 

Instructions

 

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

 

[15]           Le paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés renferme les définitions suivantes qui sont importantes dans le cas qui nous occupe :

PARTIE 6

 

IMMIGRATION ÉCONOMIQUE

 

[…]

 

Section 2

 

Gens d’affaires

 

Définitions et champ d’application

 

Définitions

 

88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

 

[…]

 

« placement »

investment

« placement » Somme de 800 000 $ :

 

 

a) qu’un investisseur autre qu’un investisseur sélectionné par une province verse au mandataire pour répartition entre les fonds agréés existant au début de la période de placement et qui n’est pas remboursable pendant la période commençant le jour où un visa de résident permanent est délivré à l’investisseur et se terminant à la fin de la période de placement;

 

b) qu’un investisseur sélectionné par une province investit aux termes d’un projet de placement au sens du droit provincial et qui n’est pas remboursable pendant une période minimale de cinq ans calculée en conformité avec ce droit provincial.

 

[…]

 

« investisseur »

investor

« investisseur » Étranger qui, à la fois :

 

a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise;

 

b) a un avoir net d’au moins 1 600 000 $, qu’il a obtenu licitement;

 

c) a indiqué par écrit à l’agent qu’il a l’intention de faire ou a fait un placement.

PART 6

 

ECONOMIC CLASSES

 

 

 

Division 2

 

Business Immigrants

 

Interpretation

 

 

Definitions

 

88. (1) The definitions in this subsection apply in this Division.

 

 

“investment”

« placement »

“investment” means, in respect of an investor, a sum of $800,000 that

 

(a) in the case of an investor other than an investor selected by a province, is paid by the investor to the agent for allocation to all approved funds in existence as of the date the allocation period begins and that is not refundable during the period beginning on the day a permanent resident visa is issued to the investor and ending at the end of the allocation period; and

 

(b) in the case of an investor selected by a province, is invested by the investor in accordance with an investment proposal within the meaning of the laws of the province and is not refundable for a period of at least five years, as calculated in accordance with the laws of the province.

 

 

“investor”

« investisseur »

“investor” means a foreign national who

 

(a) has business experience;

 

 

(b) has a legally obtained net worth of at least $1,600,000; and

 

(c) indicates in writing to an officer that they intend to make or have made an investment.

 

Analyse

[16]           La Cour est d’avis que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait droit à un bref de mandamus.

 

Affidavits de la demanderesse

[17]           L’affidavit de Danilo Almacén peut être admis en preuve, mais on ne peut lui accorder que très peu de poids, étant donné qu’on n’y trouve que des renseignements d’ordre général portant sur des questions générales (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20, [2012] ACF no 93 [AUCC]).

 

[18]           À l’audience, la demanderesse a également soumis des notes succinctes versées au STIDI qui, selon ce qui a été allégué, ne faisaient pas fait partie du dossier du tribunal. La raison en est, suivant le défendeur, qu’on est en train d’abandonner le STIDI et que les notes versées au dossier sont transférées dans le nouveau Système mondial de gestion des cas (le SMGC). Les notes versées au STIDI seront donc transférées dans le nouveau SMGC. Une fois qu’un dossier du STIDI est transféré au SMGC, le dossier du STIDI est fermé et aucun nouveau renseignement n’y est inscrit. Les notes versées au SMGC ne renferment donc que les renseignements les plus récents (lettre du défendeur, en réponse à la demande de la Cour, 18 décembre 2013). Après avoir néanmoins examiné le contenu des notes versées au STIDI, la Cour est d’avis que leur contenu est susceptible de confirmer la « date de transmission » qui a été communiquée à la demanderesse, mais qu’elles ne peuvent servir à étayer l’argument central de la demanderesse en ce qui concerne les présumés « engagements » pris quant au traitement ou aux délais de traitement estimés. De plus, étant donné qu’aucune décision n’a encore été arrêtée dans le dossier de la demanderesse, aucun motif n’a pu encore être communiqué. Là encore, la Cour peut tenir compte de ce document, dont l’utilité est toutefois limitée.

 

L’« argument Québec »

[19]           La demanderesse a informé la Cour à l’audience qu’elle ne donnerait pas suite à l’« argument Québec ».

 

[20]           La Cour examine maintenant les questions précises posées dans la présente affaire.

 

a)   Devrait‑on contraindre le défendeur, au moyen d’un bref de mandamus ou par application de la doctrine des attentes légitimes, à évaluer le dossier de la demanderesse en fonction des critères de sélection actuels et à achever le traitement de la demande dans un délai précis?

[21]           La demanderesse affirme que la Cour devrait contraindre le défendeur à achever le traitement de son dossier dans un délai déterminé, étant donné que la demanderesse satisfait aux exigences lui permettant d’obtenir un bref de mandamus ou de bénéficier de la doctrine des attentes légitimes.

 

[22]           La demanderesse demande essentiellement à la Cour d’ordonner au défendeur d’examiner sa demande PII en fonction des délais qui auraient été communiqués au moment du dépôt de sa demande et en conformité avec les critères de sélection qui étaient en vigueur au moment du dépôt de sa demande.

 

[23]           Le bref de mandamus est une mesure discrétionnaire de réparation en equity. Voici les conditions préalables à respecter pour pouvoir obtenir un bref de mandamus qui ont été énoncées dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA), [1993] ACF no 1098, conf. par [1994] 3 RCS 1100 [Apotex] :

a)                  il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

b)                  l’obligation doit exister envers le requérant;

c)                  il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

d)                 l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire;

e)                  le requérant n’a aucun autre recours;

f)                   l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

g)                  en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

h)                  compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[24]           Dans le jugement Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CF 1re inst), [1999] 2 CF 33, [1998] ACF no 1553 (QL) [Conille], notre Cour a déclaré que les conditions suivantes devaient être réunies pour que soit présumé déraisonnable le délai d’exécution d’une obligation prévue par la loi :

a)         le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

b)         le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;

c)         l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

 

La question à laquelle la Cour doit répondre est donc celle de savoir si le délai allégué par la demanderesse est plus long que ce que la nature du processus exigeait et, dans l’affirmative, si ce délai a été justifié.

 

La demanderesse est d’avis que le défendeur n’a pas respecté son « engagement de traiter sa demande » et qu’il n’a pas entrepris le traitement de son dossier dans les délais qu’il avait communiqués à la demanderesse lors du dépôt de la demande. La demanderesse ajoute que, dans ses réponses aux demandes de renseignements que la demanderesse lui a présentées en vertu de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, le défendeur ne motive pas sa décision de ne pas entamer le traitement du dossier à la date à laquelle il était censé le faire.

 

[25]           La demanderesse cite le jugement Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758, [2012] ACF no 683 (QL) [Liang], une affaire qui présente des similitudes avec la présente espèce, mais qui s’en distingue sur certains aspects clés.

 

[26]           Dans l’affaire Liang, M. Liang et Mme Gurung, qui avaient été choisis comme représentants de deux groupes de personnes qui avaient présenté des demandes de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF) – par opposition à la catégorie des investisseurs – sollicitaient des ordonnances de mandamus obligeant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à traiter leur demande de résidence permanente. Les instructions ministérielles adoptées en vertu de l’article 87.1 de la Loi qui avaient eu pour effet de modifier les critères de sélection et d’établir l’ordre de priorité de traitement des demandes s’appliquaient aux nouvelles demandes déposées après le 27 février 2008. Dans le cas qui nous occupe, les Instructions s’appliquaient aux demandes déjà existantes qui devaient être traitées en parallèle.

 

[27]           Il vaut également la peine de signaler que, contrairement aux faits de l’affaire Liang, sur laquelle la demanderesse se fonde, les lignes directrices et les règlements qui s’appliquent à la présente demande ne donnent pas d’estimation en ce qui concerne les délais de traitement. Dans l’affaire Liang, les demandes étaient divisées en deux groupes : le premier groupe comprenait les demandes qui avaient été présentées avant les grands changements apportés à la Loi et le délai écoulé depuis leur dépôt variait entre quatre ans et demi et neuf ans. Le second groupe comprenait les demandes qui avaient été déposées après la publication des instructions ministérielles et qui étaient en instance depuis une période de deux à quatre ans. Les instructions ministérielles prévoyaient que, dans les cas des demandes du second groupe, « une décision sera prise [...] dans environ six à douze mois » (Liang, précité, au paragraphe 29). Dans la présente demande, rien ne permet de penser que de tels délais se sont écoulés ou que les délais estimés qui auraient été donnés n’ont pas été respectés. Par conséquent, à défaut d’éléments de preuve corroborant le délai de traitement estimé des dossiers, l’absence d’estimations gouvernementales officielles et les délais relativement courts écoulés depuis l’expiration des présumés délais de traitement, il y a lieu d’établir une distinction entre l’affaire Liang et la présente espèce.

 

[28]           La demanderesse affirme que les délais de traitement s’expliquent en réalité par l’adoption des nouveaux critères de sélection, par les quotas et par les priorités de traitement qui ont été établis dans les instructions ministérielles IM‑2 et IMI3, ainsi que dans le Bulletin opérationnel 252. La Cour peut comprendre que la demanderesse soit insatisfaite du régime actuel applicable au PII en raison du rang qui lui a été attribué dans l’ordre de traitement des dossiers, mais ce régime a été adopté légalement et mis en œuvre en tenant pleinement compte de la loi, et plus particulièrement des pouvoirs que le législateur fédéral a prévus au nouvel article 87.3 de la Loi. De plus, l’argument de la demanderesse en ce qui concerne l’abandon des demandes en cours relève de la pure spéculation et aucun élément de preuve n’a convaincu la Cour du contraire.

 

[29]           Qui plus est, cette conclusion va dans le sens des décisions déjà rendues par notre Cour au sujet du traitement prioritaire. Dans l’affaire Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159, aux paragraphes 36, 37, 53 et 54, [2006] ACF no 1458 (QL) [Vaziri], le ministre avait établi un rapport entre les demandes présentées par des immigrants économiques et celles provenant de tous les autres immigrants, et il avait accordé la priorité aux conjoints et aux enfants à charge faisant partie de la catégorie du regroupement familial, ce qui avait eu pour effet de retarder considérablement le traitement de la demande de parrainage du demandeur. La Cour a conclu qu’il importait d’adopter une interprétation large lorsqu’il s’agit de déterminer si le délai de traitement d’une demande avait été plus long que ce que la nature du processus exigeait, d’autant plus que le Canada reçoit plus de demandes qu’il peut en accepter. Alors que le jugement Vaziri ne faisait que suggérer un pouvoir en la matière, l’article 87.3 de la Loi prévoit maintenant un pouvoir explicite à cet égard.

 

Attentes légitimes

[30]           La demanderesse n’a pas convaincu notre Cour que la doctrine des attentes légitimes s’appliquait en l’espèce.

 

[31]           La doctrine des attentes légitimes s’applique lorsque des affirmations ont été faites au demandeur en ce qui concerne la procédure qui sera suivie. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a récemment fait observer dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 68, [2011] 2 RCS 504 :

[68] Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur. La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire.

                                                                        [Renvois omis.]

 

[32]           La Cour conclut que la preuve versée au dossier ne permet pas d’affirmer que le défendeur a fait des affirmations « claires, nettes et explicites » de nature procédurale à la demanderesse. Comme nous l’avons déjà mentionné, la demanderesse n’a pas démontré de façon satisfaisante que les présumées estimations en matière de traitement lui avaient effectivement été communiquées. Aucun autre élément de preuve ne nous a été présenté à ce sujet.

 

b)  Devrait‑on interdire au défendeur, au moyen d’un bref de prohibition, d’évaluer la demande en fonction de critères de sélection plus rigoureux que ceux qui existaient lorsque le dossier a été déposé?

[33]           La Cour conclut que la demanderesse ne satisfait pas aux conditions lui permettant d’obtenir un bref de prohibition.

 

[34]           La demanderesse exhorte notre Cour à délivrer un bref de prohibition en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. La Cour rappelle que le bref de prohibition a pour objet d’empêcher les organismes administratifs d’outrepasser les pouvoirs qui leur ont été conférés ou d’accomplir des actes qui débordent le cadre de leur compétence (Nagalingam c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection publique, 2012 CF 362, au paragraphe 18, [2012] ACF no 390 (QL) [Nagalingam]; voir également Société canadienne de la Croix‑Rouge c Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang – la Commission Krever), [1997] 2 CF 36, au paragraphe 25, [1997] ACF no 17(QL)).

 

[35]           On ne trouve au dossier aucun élément de preuve permettant de penser que le défendeur a l’intention de recourir à des critères différents de ceux qui existaient au moment du dépôt des demandes. L’argument formulé par la demanderesse à cet égard demeure spéculatif et doit par conséquent être rejeté.

 

c)  Advenant le cas où il choisirait de ne pas achever l’examen au fond de la présente demande, le défendeur devrait‑il être condamné à verser cinq millions de dollars à la demanderesse et, le cas échéant, à ses personnes à charge?

[36]           La Cour est d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée et qu’il n’est donc pas nécessaire de décider si une telle réparation devrait être accordée.

 

d)  Le défendeur devrait‑il être condamné à payer des dépens élevés à la demanderesse?

[37]           Les circonstances de la présente affaire ne justifient pas de condamner le défendeur à un montant important de dépens et la Cour refuse donc d’examiner cette question.

 

[38]           Pour tous ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Questions à certifier

[39]           À la clôture de l’audience, le 17 décembre 2013, la Cour a accordé à l’avocat de la demanderesse la possibilité de lui proposer des questions à certifier. Le 23 décembre 2013, l’avocat de la demanderesse a soumis pas moins de vingt et une questions à certifier.

 

[40]           La Cour rappelle que les questions dont on propose la certification doivent transcender les intérêts des parties en litige, aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou de portée générale et être déterminantes quant à l’issue de l’appel.

 

[41]           Les questions à certifier soumises par l’avocat de la demanderesse reviennent à plaider de nouveau ce qui a été débattu à l’audience que notre Cour a tenue le 17 décembre 2013. En un mot, il ne s’agit pas de savoir si le ministre peut fixer ou non des priorités. Le paragraphe 87(3) de la Loi est clair : le législateur a conféré ce pouvoir au ministre

 

[42]           Les questions dont la demanderesse propose la certification sont spéculatives, elles débordent le cadre de la présente affaire et elles reposent, non pas sur les questions de droit soulevées par la présente demande, mais sur des considérations d’ordre public.

 

[43]           Toutefois, l’avocat du défendeur a, le 2 janvier 2014, proposé deux questions à certifier. Après examen, la Cour certifie la question suivante :

Les personnes qui subissent un long délai d’attente avant que leur demande d’immigration présentée dans la catégorie des investisseurs ne soit examinée en raison des conséquences des cibles annuelles et des instructions ministérielles données en vertu de l’article 87.3 de la LIPR ont‑elles droit à un bref de mandamus pour contraindre le ministre à traiter leur demande sans délai?


JUGEMENT

LA COUR :

1.         REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire;

2.         CERTIFIE la question suivante :

Les personnes qui subissent un long délai d’attente avant que leur demande d’immigration présentée dans la catégorie des investisseurs ne soit examinée en raison des conséquences des cibles annuelles et des instructions ministérielles données en vertu de l’article 87.3 de la LIPR ont‑elles droit à un bref de mandamus pour contraindre le ministre à traiter leur demande sans délai?

 

 

3.         N’ADJUGE aucuns dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM‑12609‑12

 

INTITULÉ :

XIAOYAN JIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            le 17 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 28 JANVIER 20114

COMPARUTIONS :

Timothy E. Leahy

POUR LA demanderesse

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Forefront Migration Ltd.

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

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