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Date : 20140220


Dossier : T-2084-12

Référence : 2014 CF 157

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Montréal (Québec), le 20 février 2014

 

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

 

ENTRE :

 

UNITED AIRLINES, INC.

 

demanderesse

 

et

 

 

 

JEREMY COOPERSTOCK

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le défendeur se pourvoit en appel de la décision du 3 janvier 2014 rendue par le protonotaire Richard Morneau. Celui-ci a refusé d’ordonner la modification ou la suppression des paragraphes h) et 31 de la déclaration amendée, lesquels sont les suivants :

[TRADUCTION]
La demanderesse, United Airlines, Inc., réclame :

 

h) des dommages-intérêts, des bénéfices et des dommages-intérêts préétablis, ou des sommes sous l’un quelconque ou plusieurs de ces chefs ou sous d’autres chefs de dommages, selon ce que la demanderesse pourrait décider après enquête;

 

 

31. Par suite des activités susmentionnées du défendeur, la demanderesse a subi et continue de subir des dommages importants tandis que le défendeur a réalisé et continue de réaliser des gains illicites.

 

[2]               Après l’interrogatoire préalable du défendeur, celui-ci a été avisé, le 25 novembre 2013, relativement à un refus de la part de la demanderesse de répondre à certaines questions au sujet des dommages allégués, que la demanderesse [TRADUCTION] « ne sollicitera pas de réparation pécuniaire dans la présente instance pour atteinte à ses droits ».

 

[3]               Le défendeur voulait que la déclaration soit modifiée de manière à indiquer qu’il n’y aurait pas d’autres demandes de dommages-intérêts dans l’action pour violation du droit d’auteur, usurpation de marque de commerce et commercialisation trompeuse. Évidemment, le reste de l’action repose sur les mêmes fondements. En fait, la demanderesse continue de soutenir qu’elle subit des dommages. Elle précise cependant qu’elle ne demandera pas de réparation pécuniaire à l’égard de ces dommages allégués.

 

[4]               Le protonotaire Morneau, chargé de la gestion de l’instance en l’espèce aux termes de l’ordonnance du 6 février 2013 du juge en chef de la Cour, a rejeté la demande du 13 décembre 2013 du défendeur, présentée sous la forme d’une demande de directives et d’intervention, visant à faire modifier la déclaration par la suppression des paragraphes h) et 31 de la déclaration amendée. Le protonotaire a affirmé qu’[TRADUCTION] « [] il n’[était] point besoin de modifier la déclaration de la demanderesse », étant donné que les avocats de la demanderesse avaient confirmé par lettre à la Cour datée du 17 décembre 2013 que [TRADUCTION] « [] la demanderesse a décidé de ne pas demander de réparation pécuniaire au procès, réduisant ainsi le nombre des questions qui seront en litige au procès [] ».

 

[5]               En outre, le protonotaire Morneau a rejeté la demande du défendeur d’adjuger des [TRADUCTION] « dépens pour frais inutiles » en sa faveur. Selon ce que je comprends, il s’agit des frais engagés par le défendeur en rapport avec la partie de l’interrogatoire préalable qui concernait la question des dommages et qui a amené la demanderesse à affirmer que des dommages-intérêts pécuniaires ne seraient pas réclamés. Le défendeur soutient que ces frais ont été engagés inutilement.

 

[6]               C’est cette ordonnance du 3 janvier 2014 du protonotaire Morneau qui a été portée en appel en vertu de l’article 51 des Règles. Par directive donnée le 6 février 2014, la juge Catherine Kane a conclu, à la demande de la demanderesse, que la tenue d’une audience était justifiée. Cette audience a eu lieu le 18 février 2014.

 

[7]               Un juge de la Cour reprend l’examen de l’ordonnance d’un protonotaire uniquement si la question soulevée est déterminante ou si l’ordonnance est manifestement erronée. Le deuxième volet de ce critère exige qu’il soit démontré que le pouvoir discrétionnaire a été exercé sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c Apotex Inc., 2003 CAF 488; [2004] 2 RCF 459).

 

[8]               Le défendeur n’a pas fait cette démonstration. Même si j’avais repris l’examen, j’en serais arrivé à la même conclusion que le protonotaire et j’aurais exercé le pouvoir discrétionnaire comme il l’a fait.

 

[9]               Contrairement à la prétention du défendeur selon laquelle celui-ci demandait simplement une directive au protonotaire Morneau, le défendeur demandait en fait au protonotaire d’intervenir sur ces questions – une modification de la déclaration modifiée, l’adjudication des dépens (pour [TRADUCTION] « frais inutiles », selon l’expression employée par le défendeur) et l’utilisation d’un format de fichier précis. Le défendeur a eu gain de cause sur le troisième point. Pour ce qui concerne les deux premiers, il a présenté ses arguments. Le protonotaire a répondu à la demande d’intervention présentée par le défendeur.

 

[10]           Suivant son ordonnance, le protonotaire admet la position de la demanderesse selon laquelle la question sera traitée dans le mémoire que la demanderesse produira aux fins de la conférence préparatoire au procès. En fait, la demanderesse n’a pas renié son engagement à répondre à des questions lors de l’interrogatoire préalable visant à obtenir de plus amples précisions au sujet des dommages lorsqu’elle a confirmé qu’elle ne demandera pas de réparation pécuniaire; la demanderesse a répété cet engagement à de nombreuses occasions au cours de l’audience. Le protonotaire a convenu que la demanderesse ne serait pas condamnée aux dépens en raison des frais engagés inutilement puisque [TRADUCTION] « ce sont la conduite et les réponses données lors de l’interrogatoire préalable du défendeur qui ont amené la demanderesse à ne pas réclamer d’autres dommages-intérêts dans la déclaration ». Autrement dit, il n’y a eu aucuns frais inutiles.

 

[11]           Je ne vois pas en quoi la question soulevée peut être considérée comme ayant une influence déterminante sur l’issue du principal en l’espèce. Cette question est tout au plus accessoire à ce stade-ci (Seanautic Marine Inc. c Jofor Export Inc., 2012 CF 328). D’ailleurs, le défendeur ne semble pas s’appuyer sur ce volet du critère et insiste plutôt pour dire que l’ordonnance est manifestement erronée parce qu’elle est fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits. Cependant, le fardeau de preuve à cet égard n’est pas léger, surtout compte tenu de la jurisprudence qui confirme la réticence à s’immiscer dans des décisions statuant sur des questions non déterminantes rendues par un protonotaire agissant comme juge chargé de la gestion de l’instance (Conseil Mushegowuk c Canada (Procureur général), 2011 CAF 133; Apotex inc. c Lundbeck Canada Inc., 2008 CAF 265; Constant c Canada, 2012 CAF 89).

 

[12]           Je ne vois pas quel principe a été violé ni comment on peut affirmer que le protonotaire a mal apprécié les faits. L’argument selon lequel les paragraphes h) et 31 créent de la confusion et laissent planer une incertitude quant aux moyens de défense que le défendeur doit établir pour faire rejeter l’action n’est pas convaincant. Si c’est là le « principe » que le protonotaire a mal saisi, le défendeur rate la cible. Pour ce qui concerne la mauvaise appréciation des faits, le défendeur soutient que le protonotaire ne disposait pas d’une transcription de l’interrogatoire préalable. Or, le défendeur n’explique pas en quoi cela pourrait constituer une mauvaise appréciation des faits au regard de la question très simple que le protonotaire devait trancher à ce stade de l’instance.

 

[13]           S’agissant de la question du mauvais principe, le défendeur a tenté de lire ensemble les articles 182 (contenu – notamment d’une déclaration) et 221 (requête en radiation) des Règles pour soutenir qu’il s’en dégage un principe voulant qu’une déclaration doive être modifiée lorsqu’il appert qu’un des éléments qui la composent sera exclu du débat. Or, non seulement le protonotaire n’a-t-il pas statué sur une requête en radiation dans sa décision, que le défendeur n’avait pas présentée au départ, mais aucune source n’a été citée qui tendrait à indiquer que de tels principes existent. Le protonotaire ne peut avoir appliqué un mauvais principe si ce principe n’existe pas. Le défendeur soutient que la déclaration aurait dû être modifiée. Ce désir ne crée toutefois pas une obligation.

 

[14]           S’agissant de la question des frais engagés par le défendeur, celui-ci soutient que l’article 402 des Règles permet que des dépens lui soient adjugés. Dans ses observations écrites, le défendeur a fait référence à l’objet de la règle en question, affirmant qu’elle pouvait être employée [TRADUCTION] « par analogie » dans sa réponse du 31 janvier 2014. Le texte de la règle vise les actions, demandes, appels et requêtes qui ont fait l’objet d’un désistement ou qui ont été abandonnés. À l’évidence, l’action n’a pas fait l’objet d’un désistement (article 165 des Règles). L’article 402 des Règles ne s’applique aucunement en l’espèce, ni par analogie ni autrement. Qui plus est, les interrogatoires et communications préalables visent à accroître l’efficacité du procès en cernant les questions en litige et, idéalement, en permettant de ne retenir que les questions qui méritent d’être examinées au procès (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2010 CAF 142). Si l’article 402 des Règles devait être appliqué comme le défendeur le préconise, cela ne pourrait que tendre à dissuader les parties de recourir aux interrogatoires préalables pour circonscrire les questions en litige.

 

[15]           Si j’avais conclu qu’un contrôle était justifié, j’aurais tout de même conclu que l’appel doit être rejeté. Je conviens avec le protonotaire qu’il n’est pas nécessaire de modifier la déclaration de la demanderesse étant donné la concession faite par la demanderesse au dossier et à de nombreuses occasions. Il n’y a aucune confusion, et je ne vois aucun préjudice subi par le défendeur. En vérité, le défendeur profite de la conclusion figurant au dossier selon laquelle aucune réparation pécuniaire ne sera sollicitée malgré les dommages que le défendeur prétend avoir subis. Il convient de souligner que la seule concession que la demanderesse a faite est qu’elle ne cherchera pas à quantifier les dommages subis, et partant, aucune réparation pécuniaire ne sera demandée, mais elle continuera à soutenir qu’elle a subi des dommages, puisqu’elle affirme qu’il s’agit là d’un élément essentiel de son action en commercialisation trompeuse. La concession, bien qu’elle soit importante pour le défendeur, ne change rien à la position adoptée par la demanderesse, qui estime qu’elle doit tout de même alléguer des dommages.

 

[16]           Pour ce qui concerne les frais engagés par le défendeur en raison avec de son interrogatoire préalable, ces frais n’ont pas été engagés inutilement à cause d’une erreur, par exemple. L’action n’a pas fait l’objet d’un désistement. Selon ce que je comprends de l’ordonnance du protonotaire, celui-ci refuse de condamner la demanderesse à payer des dépens [TRADUCTION] « pour frais inutiles » à ce stade-ci. Si le défendeur obtient gain de cause au final avec dépens, ceux-ci, comme tous autres dépens, pourront être adjugés à la discrétion du juge du procès.

 

[17]           En conséquence, l’appel est rejeté.

 

[18]           Les parties demandent chacune leurs dépens dans le présent appel, et le défendeur ajoute que s’il n’obtient pas gain de cause, des dépens ne devraient pas être adjugés contre lui parce qu’à son avis, le protonotaire n’a pas suffisamment motivé son ordonnance et le défendeur a soulevé un point de droit nouveau lorsqu’il a soutenu qu’une « demande retirée/abandonnée » devait être radiée.

 

[19]           À mon avis, des dépens pourraient être adjugés en l’espèce pour sanctionner une étape de l’instance qui était inutile et n’était pas justifiée. La justification donnée par le défendeur ne convainc pas la Cour. La question est loin d’avoir une influence déterminante sur l’issue du principal, et il est assez évident que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la gestion de l’instance, qui gère la présente instance depuis un an, n’était pas fondé sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits, qui, après tout, étaient d’une remarquable simplicité. Si le litige avait été autorisé à suivre son cours, la question des dommages aurait été abordée en temps opportun et il aurait été tenu compte de l’engagement de la demanderesse, consigné au dossier, à refuser de réclamer une réparation pécuniaire. La demanderesse affirme que cette position aurait été affirmée de nouveau au stade la conférence préparatoire au procès, et je n’ai aucune raison d’en douter.

 

[20]           La demanderesse a proposé un montant forfaitaire de 2000 $. À mon avis, ce montant serait trop punitif. Après tout, la Cour est seulement saisie de l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire, et non de la question de savoir de manière plus générale comment le présent litige est instruit. Un montant qui traduirait l’idée qu’il ne faut pas recourir aux procédures judiciaires à la légère aurait été plus indiqué. En revanche, une affaire qui aurait pu être tranchée sur le fondement d’observations écrites, comme le défendeur l’avait demandé, a nécessité une audience, comme l’avait demandé la demanderesse. Dans ces circonstances, je conclus qu’il ne devrait y avoir aucune adjudication de dépens.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

 

DOSSIER :

T-2084-12

 

INTITULÉ :

UNITED AIRLINES, INC. c JEREMY COOPERSTOCK

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 18 FÉVRIER 2014

 

 

motifs de l’ordonnance

et ordonnance :                                  le juge roy

 

DATE DES MOTIFS :                                 le 20 février 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Hélène D’Iorio

 

 

pour la demanderesse

 

 

Jeremy Cooperstock

 

pour le défendeeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L. s.r.l.

Montréal (Québec)

 

 

pour la demanderesse

 

 

 

 

 

 

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