Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140221


Dossier :

T-770-13

 

Référence : 2014 CF 171

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

DELAPHINE BIGHETTY

 

demanderesse

et

PREMIÈRE NATION DE BARREN LANDS, CONSEILLER ROY BIGHETTY,

CONSEILLER BILLY LINKLATER, CONSEILLER ROBERT MERASTY et MICHAEL SEWAP

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          NATURE DE L’INSTANCE

[1]               Le présent contrôle judiciaire concerne la destitution d’un chef à la suite de la réception d’une pétition de la collectivité. La situation qui a motivé la décision de destitution est compliquée à différents égards, le règlement électoral applicable crée de la confusion et les interactions entre les principaux acteurs n’aident pas la collectivité. Celle-ci semble être en crise depuis plusieurs années.

 

[2]               Le comité d’appel en matière électorale de la Première Nation de Barren Lands [la bande] a décidé de destituer le chef en exercice Delaphine Bighetty [la demanderesse] de son poste en vertu du règlement électoral de la Première Nation de Barren Lands [le règlement électoral].

 

[3]               Malgré le refus de la demanderesse de reconnaître le pouvoir du comité d’appel en matière d’élections de la destituer de son poste de chef, et malgré les efforts qu’elle a déployés pour occuper le bureau de la bande, un nouveau chef a été élu par acclamation à la suite d’un processus de nomination au cours duquel la demanderesse n’a pas été nommée comme candidate pour le poste.

 

[4]               Voici les dispositions pertinentes du règlement électoral :

[TRADUCTION]

f.          « comité d’appel en matière d’élections » Les membres de la bande nommés par des membres de la bande pour surveiller et examiner les appels relatifs aux élections de la bande, les pétitions, les plaintes et les autres questions relatives au processus électoral.

 

 

COMITÉ D’APPEL EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS

 

Peuvent être nommés parmi les aînés et/ou les membres respectés de la bande. Il serait préférable que le chef et les conseillers ne siègent pas au comité. Le comité devrait compter jusqu’à sept (7) membres, dont deux (2) aînés du sénat des aînés.

 

FONCTIONS DU COMITÉ D’APPEL EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS

 

I           Le comité examine et tranche tous les appels interjetés par des membres de la bande, les protestations de conseillers démis de leurs fonctions, les démissions, toutes les pétitions de membres de la bande et toute autre question importante reliée à la bonne administration de la collectivité de la Première Nation de Barren Lands.

 

II         Le comité d’appel en matière d’élections nomme un agent électoral et un adjoint. L’agent électoral supervise et coordonne les élections, les élections partielles, les appels, les destitutions et le présent règlement, et l’agent électoral voit à la tenue des registres des procès-verbaux des comités d’appel en matière d’élections et à ce qu’ils demeurent à jour.

 

VACANCE

 

La charge de chef ou de conseiller devient vacante lorsque :

a.    la personne qui occupe cette charge

i.        est déclarée coupable d’un acte criminel

ii.      décède ou démissionne de sa charge

iii.    est ou devient inadmissible à occuper la charge en question en vertu du présent règlement

 

b.   Le comité d’appel en matière d’élections de la bande déclare dans une décision que la personne qui occupe la charge en question

i.    est inapte à continuer d’occuper cette charge parce qu’elle a été déclarée coupable d’un acte criminel et/ou est incarcérée en raison de cet acte criminel;

ii.   n’a pas assisté à trois (3) réunions régulières consécutives du conseil sans motif valable;

iii.  de l’avis du comité d’appel en matière d’élections, s’est rendue coupable de corruption en rapport avec une élection, d’avoir offert ou accepté un pot-de-vin, de malhonnêteté ou de malfaisance (méfait/inconduite) durant son mandat.

c.    Les membres de la Première Nation de Barren Lands déclarent que quiconque cesse d’occuper une charge en vertu du sous-alinéa b)(i), (ii) ou (iii) cesse d’être admissible à présenter sa candidature pour le poste de chef ou de conseiller pour une période d’au plus trois (3) ans.

 

 

APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS

 

Tout électeur ou groupe d’électeurs peut interjeter appel, à titre individuel ou au moyen d’une pétition, d’une élection si l’électeur ou le groupe d’électeurs ont des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu des irrégularités dans le déroulement de l’élection. À cette fin, l’électeur ou le groupe d’électeur, selon le cas, communiquent à l’agent électoral, par courrier recommandé ou par remise en mains propres, une pétition signée par au moins dix (10) électeurs qui ont voté à l’élection, en indiquant et en précisant les irrégularités, et l’agent électoral transmet ensuite cette pétition au comité d’appel.

 

Toute plainte concernant un conseiller doit être communiquée par écrit au comité d’appel en matière d’élections ou à l’agent électoral, suivant la nature de la plainte, et il est donné suite à chaque plainte en la consignant d’abord par écrit et en précisant les résultats et les mesures prises, lesquels sont ensuite communiqués par écrit au plaignant.

 

Le Comité d’appel en matière d’élections mène une enquête sur les irrégularités et prend ensuite les mesures qui s’imposent.

 

Si le chef ou un conseiller n’agit pas en conformité avec le présent règlement, la politique du conseil de bande ou la constitution de la bande (la politique du conseil de bande et la constitution de la bande doivent être communiquées aux conseillers et ceux-ci doivent s’y conformer, reconnaissant qu’il s’agit d’un mandat officiel donné par les membres de la Première Nation de Barren Lands), s’il est inefficace ou inefficient et s’il manque d’intérêt pour sa charge de chef ou de conseiller, selon le cas, il peut être destitué de la manière suivante :

 

a.       Une majorité simple (50 p. 100 plus un) d’électeurs qui ont voté lors de son élection signent une pétition et la communiquent à l’agent électoral en précisant le motif pour lequel ils demandent la destitution du chef ou du conseiller visé.

b.      L’agent électoral transmet la pétition au comité d’appel en matière d’élections, et si le comité est d’avis que les motifs exposés dans la pétition sont valables, il donne instruction à l’agent électoral de demander la démission du chef ou du conseiller visé. Le comité d’appel examine la pétition et décide si elle est valide. Toutes les décisions rendues par le comité d’appel sont finales.

 

Si le chef ou le conseiller visé est destitué, l’agent électoral déclenche immédiatement une élection partielle conformément au présent règlement.

 

La rédaction du règlement laisse manifestement beaucoup à désirer.

 

[5]               En bref, la demanderesse sollicite un jugement déclarant que le comité d’appel en matière d’élections a été constitué illégalement; que sa décision de destitution soit déclarée illégale et soit annulée en conséquence; que l’élection du nouveau chef soit annulée; et que la demanderesse réintègre ses fonctions de chef.

 

II.        CONTEXTE

[6]               La bande est une Première Nation et une bande au sens de la Loi sur les Indiens. À l’époque pertinente, la bande était en situation de cogestion. Son conseil de bande était composé d’un chef et de trois (3) conseillers, dont chacun était élu pour un mandat de deux (2) ans. La bande comptait environ 1100 membres, dont 400 vivaient dans la réserve – une localité accessible par avion située à environ 350 kilomètres au nord-est de Thompson, au Manitoba.

 

[7]               La bande a pris le règlement électoral dans son libellé actuel en mai 2003. Le règlement électoral semble être une tentative de codification du processus électoral coutumier de la bande puisque le règlement semble avoir été interprété et appliqué en fonction de pratiques passées et de coutumes.

 

[8]               La bande avait pour pratique d’utiliser des pétitions soit pour forcer un conseiller à démissionner ou, en fait, pour amener le comité d’appel en matière d’élections à destituer un chef ou un conseiller. Entre 2007 et 2009, un conseiller a démissionné, un conseiller a été destitué et un chef a été destitué à la suite de pétitions.

 

[9]               La demanderesse a été élue chef le 12 avril 2012, ayant obtenu 109 des 216 voix exprimées lors de l’élection.

 

[10]           La crise de confiance envers la demanderesse au sein de la collectivité semble être née de sa tentative de contrôler l’attribution d’emplois temporaires. En mai 2012, elle s’est confié le portefeuille de la Logistique, qui lui conférait la responsabilité de la levée de fonds et de la création d’emplois temporaires. L’attribution de portefeuilles à des conseillers était controversée en soi puisque les défendeurs ont allégué que, selon la coutume, le portefeuille de l’Administration locale était attribué au conseiller ayant recueilli le plus de voix, tandis que les autres portefeuilles étaient attribués par consensus.

 

[11]           Les éléments de preuve confirment qu’en mars 2013, beaucoup se préoccupaient de ce que la demanderesse donnait des emplois à des partisans et à des membres de sa famille plutôt que de doter les postes par voie de concours. La question a été abordée lors d’au moins une réunion du personnel et lors d’une réunion régulière de la bande ce mois-là.

 

[12]           En mai 2012, la demanderesse a annoncé son intention de nommer un nouveau comité d’appel en matière d’élections – vraisemblablement plus sympathique à sa cause. Deux conseillers ont informé la demanderesse qu’une telle nomination était contraire au règlement. Selon la coutume, les nominations sont faites lors d’une réunion de la bande.

 

[13]           Le 27 mars 2013, des membres de la bande ont fait circuler une pétition demandant au comité d’appel en matière d’élections de destituer la demanderesse de son poste de chef. La pétition contenait des allégations selon lesquelles le chef attribuait des emplois au service de la bande sans tenir de concours et par favoritisme, des fonds étaient mal employés et le chef avait fait des fausses déclarations au sujet de la situation financière de la bande. Il était allégué dans la pétition que le chef n’avait plus la confiance de la bande.

 

[14]           Conformément au Règlement électoral, la pétition devait être signée par une majorité simple (50 p. 100 plus un) des personnes qui avaient voté lors de la dernière élection. Puisque 218 personnes avaient voté à l’élection de 2012, 109 signatures étaient requises.

 

[15]           L’agent électoral a confirmé que la pétition avait recueilli le nombre de signatures requis, et il l’a remise à la demanderesse. La pétition comportait 116 signatures, mais l’agent électoral a déclaré que seulement 112 d’entre elles étaient valides.

 

[16]           Après que la pétition eut été présentée au chef, le chef et ses partisans ont pris une série de mesures pour s’opposer à la pétition. La demanderesse a refusé d’accepter la pétition; une bagarre a éclaté au bureau de la bande entre la famille de la demanderesse, ses partisans et les signataires de la pétition.

 

[17]           La demanderesse a demandé une preuve de la constitution du comité d’appel en matière d’élections existant. À la même époque, une contre-pétition a circulé pour exprimer un appui à la demanderesse et demander une enquête et des preuves au sujet des différentes allégations.

 

[18]           Le 4 avril 2013, l’agent électoral a informé la demanderesse qu’une réunion du comité d’appel en matière d’élections serait convoquée pour discuter de la pétition. La demanderesse a riposté en disant qu’elle utiliserait son propre comité d’appel en matière d’élections. L’existence alléguée d’un autre comité d’appel en matière d’élections et la destitution de l’agent électoral alors en poste ont été une surprise pour celui-ci.

 

[19]           Le comité d’appel en matière d’élections existant a tenu sa réunion le 4 avril 2013. Au cours de cette réunion, le comité d’appel en matière d’élections a conclu que la pétition était valide et qu’il y avait motif de destituer le chef. Cinq membres du comité d’appel en matière d’élections ont signé la décision visée, et des tentatives ont été faites pour signifier la décision à la demanderesse, qui a refusé de l’accepter.

C’est cette décision qui est l’objet du présent contrôle.

 

[20]           Le même jour, la demanderesse a affiché un avis de convocation d’une réunion de la bande pour procéder à la nomination d’aînés au sénat des aînés, pour renouveler la composition du comité d’appel en matière d’élections et pour choisir un nouvel agent électoral.

 

[21]           La réunion de la bande a eu lieu. Trente-cinq membres de la bande y ont assisté. À partir de ce moment, la demanderesse a tenté d’établir une structure parallèle, et elle a continué d’occuper le bureau de la bande. Il y a aussi eu une série d’allégations et de contre-allégations au sujet de l’utilisation de chèques de paye, de l’accès à des dossiers informatiques et du chaos général dans l’administration de la bande puisque la demanderesse refusait de reconnaître la légitimité de la décision du comité d’appel en matière d’élections.

 

[22]           Une réunion de nomination a finalement été tenue (après qu’un avis eut été donné). La demanderesse était à l’extérieur et n’a pu revenir pour assister à la réunion. Lors de cette réunion, Michael Sewap a été élu chef par acclamation pour le reste du mandat se terminant en avril 2014. La demanderesse n’a même pas été nommée comme candidate au poste de chef.

 

[23]           Le conseil a reconnu l’élection du nouveau chef, et Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a été avisé de la résolution du conseil de bande confirmant le nouveau chef.

 

[24]           À la suite de la réunion du 4 avril lors de laquelle le comité d’appel en matière d’élections avait décidé de destituer la demanderesse sur le fondement de la pétition, le comité d’appel en matière d’élections a tenu une autre réunion le 12 avril. Au cours de cette réunion, il a été question de la tentative de la demanderesse de constituer un nouveau comité d’appel en matière d’élections.

 

[25]           La demanderesse a reçu une lettre résumant les discussions qui avaient eu lieu au cours de la réunion du 12 avril. Dans la lettre, il était conclu que la demanderesse avait violé le règlement électoral et qu’elle était devenue inadmissible à occuper sa charge à cause de sa violation du règlement électoral. La lettre comportait également des allégations de méfait, de favoritisme, du fait que des prix de présence avaient été remis à certaines personnes pour qu’elles assistent à des réunions publiques, d’utilisation inappropriée du bureau de la bande et d’inconduite personnelle.

 

[26]           Au terme de cette tourmente au sein de la bande, la demanderesse a été destituée de son poste de chef à la suite d’une pétition demandant sa destitution, et un nouveau chef a été élu par acclamation.

 

[27]           Dans ce contexte, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire des mesures prises par le comité d’appel en matière d’élections.

 

III.       ANALYSE

[28]           Bien que les parties ne les aient pas formulées tout à fait de la même façon, voici les questions en litige :

a)         L’interprétation du règlement électoral faite par le comité d’appel en matière d’élections et la décision du comité d’appel en matière d’élections relevaient-elles de ses pouvoirs?

b)         Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

c)         Quelle réparation est appropriée, le cas échéant?

 

A.        Norme de contrôle

[29]           Dans l’arrêt Première nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221, 168 ACWS (3d) 224 [Martselos], au paragraphe 32, la Cour d’appel fédérale a statué que l’interprétation du règlement électoral par un comité d’appel en matière d’élections est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[30]           S’appuyant sur l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers’], de la Cour suprême du Canada, les défendeurs soutiennent que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. L’arrêt Martselos a été rendu avant l’arrêt Alberta Teachers’. La nature de la décision, le processus décisionnel et le décideur en l’espèce sont très différents de ceux dont il était question dans l’affaire Alberta Teachers’, de sorte que l’analyse relative à la norme de contrôle ne s’applique pas complètement au processus politico-légal d’administration de la bande.

 

[31]           À mon avis, la Cour est liée en principe par l’arrêt Martselos. Le comité d’appel en matière d’élections n’est peut-être pas un expert en interprétation des lois, mais il possède des compétences spécialisées en matière de coutumes, et il connaît les pratiques et la conduite reliées à son règlement électoral. Dans ce domaine, la Cour reconnaît un degré de souplesse ainsi que l’interprétation et les modalités de mise en œuvre communément admises de règlements électoraux et d’autres normes relatives à l’administration des bandes (voir Francis c Conseil mohawk de Kanesetake, 2003 CFPI 115, [2003] 4 CF 1133; Whitehead c Première nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270, 360 FTR 274, aux paragraphes 1, 2 et 55).

 

[32]           L’interprétation du règlement électoral doit être juste, mais les outils d’interprétation et l’application de la loi doivent reconnaître et accepter le droit coutumier et l’application des coutumes lorsque cela n’entre pas en contradiction avec le libellé du règlement électoral.

 

[33]           La structure et le libellé du règlement électoral de la bande sont loin d’être idéaux, et le règlement a besoin d’être révisé. Cependant, il est admis que la pratique des pétitions aux fins de destitution fait partie du règlement électoral, comme en font preuve les affidavits produits dans la présente instance.

 

[34]           Toute question liée à l’équité procédurale est habituellement susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Metansinine c Première nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17, 382 FTR 127).

 

B.        Interprétation et application du règlement électoral

[35]           La demanderesse soutient que le pouvoir du comité d’appel en matière d’élections prévu par le règlement électoral se limite à donner instruction à l’agent électoral de demander la démission d’un chef ou d’un conseiller. Ce pouvoir est conditionnel à la réception d’une pétition signée par une majorité simple (50 p. 100 plus un) des personnes qui ont voté à la dernière élection.

 

[36]           La demanderesse soutient également que, dans le cadre du processus de destitution, le comité d’appel en matière d’élections est tenu de mener une enquête au sujet des plaintes formulées dans la pétition – défaut de se conformer au règlement électoral; défaut d’agir en conformité avec la politique du conseil de bande ou la constitution de la bande; inefficience ou inefficacité et manque d’intérêt [les « motifs énumérés »].

 

[37]           La demanderesse soutient que le processus de destitution comprend toutes les étapes décrites dans le règlement électoral sous la rubrique « APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS ». Ces étapes sont les suivantes : le dépôt d’un appel ou d’une pétition; une enquête au sujet de toute irrégularité; une confirmation par le comité d’appel en matière d’élections du motif de destitution; si l’appel ou la pétition est jugé valide; destitution au moyen d’une pétition signée par une majorité simple (50 p. 100 + un); et instruction à l’agent électoral de demander la démission du chef ou du conseiller visé.

 

[38]           Il ressort clairement de la pratique passée et de la pratique visée dans la présente affaire que le comité d’appel en matière d’élections n’a pas lu le règlement électoral en l’espèce et a conclu à l’existence d’un droit ou d’un devoir de destituer si une pétition était présentée par le nombre requis d’électeurs; une telle pétition étant fondée sur les « motifs énumérés » de destitution.

 

[39]           À mon avis, l’interprétation et l’application du règlement électoral par le comité d’appel en matière d’élections doivent être confirmées. La première partie des dispositions énoncées sous la rubrique « APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS » traite des irrégularités dans le déroulement des élections. L’obligation de mener une enquête est conditionnelle à une allégation d’irrégularité dans l’élection du chef ou du conseiller visé. Le comité d’appel en matière d’élections a donc le pouvoir d’agir en conséquence en cas d’élection irrégulière – les mesures que le comité peut prendre ne sont pas énumérées, mais elles doivent comprendre le pouvoir de destituer.

 

[40]           Le pouvoir de destituer sur le fondement d’une pétition est un processus distinct qui suppose une pétition fondée sur les motifs énumérés, une déclaration de validité du motif invoqué et, le cas échéant, le comité d’appel en matière d’élections peut (sans toutefois y être tenu) destituer le chef ou le conseiller visé et déclencher des élections partielles.

 

[41]           Lorsque le comité d’appel en matière d’élections statue sur la validité du motif de destitution, le règlement ne précise pas que le comité doit mener une enquête ou tenir une audience ni prendre aucune autre mesure précise. Le processus pour statuer sur la validité est une question discrétionnaire. Dans une petite collectivité reculée, un vaste processus d’enquête ne semblerait pas nécessaire; le comité d’appel en matière d’élections doit être réputé être au fait de ce qui se passe dans sa collectivité.

 

[42]           Le fait que ce processus de destitution, qui s’apparente en quelque sorte à un processus de « rappel », se trouve dans la section intitulée « APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS » peut prêter à confusion, mais il est clair qu’il s’agit d’un processus passablement différent d’une contestation d’un processus électoral. Le titre qui coiffe cette section du règlement ne régit pas l’essence des processus distincts qui y sont prévus.

 

[43]           Je tiens à observer que la lettre du 12 avril du comité d’appel en matière d’élections semble élargir les motifs de destitution de manière à inclure une inconduite visée au sous-alinéa b.iii de la section intitulée [traduction] « VACANCE ». Cela aurait pour effet de rendre la demanderesse inhabile à exercer une charge pendant une période de trois (3) ans. Ainsi, la demanderesse serait inadmissible à se présenter aux prochaines élections de la bande. D’après les notes prises par le comité d’appel en matière d’élections lors de sa réunion du 4 avril, le comité a peut-être cru que la demanderesse était frappée d’une inhabilité pendant trois ans, mais le règlement électoral, interprété comme il se doit, ne justifie pas une telle croyance.

 

[44]           La lettre du 12 avril et toute tentative d’élargir les motifs de destitution sont nulles et sans effet. La décision du 4 avril a destitué le chef sur le fondement d’une pétition. Le comité d’appel en matière d’élections ne peut pas surenchérir en ajoutant de nouveaux motifs à une destitution qui avait déjà eu lieu.

 

[45]           Par conséquent, sous réserve de la question de l’équité procédurale examinée ci-dessous, la décision du comité d’appel en matière d’élections de destituer le chef de son poste était valide.

 

C.        Équité procédurale

[46]           La demanderesse allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison du défaut de mener une enquête et du défaut de lui donner la possibilité de réfuter les allégations formulées contre elle. La Cour a déjà statué sur la question de l’obligation de mener une enquête. Le comité d’appel en matière d’élections a le pouvoir discrétionnaire de choisir comment procéder pour statuer sur la validité des motifs énumérés, à l’intérieur des limites fixées par les exigences de l’équité procédurale.

 

[47]           Les motifs énumérés sont un mélange d’inconduite (défaut de se conformer aux règlements et à la constitution) et d’évaluation politique ou quasi politique (inefficacité, inefficience, manque d’intérêt).

 

[48]           La nature de l’équité procédurale variera en fonction des motifs invoqués. En cas d’allégation d’inconduite, le caractère équitable sera plus important. En cas d’allégation de nature politique, comme un manque d’intérêt pour le poste, le degré d’équité procédurale est moindre.

 

[49]           Normalement, une personne peut avoir le droit de répondre aux allégations ou de les réfuter; cependant, ces protections procédurales doivent être appréciées dans le contexte des faits de l’espèce.

 

[50]           La demanderesse ne s’est pas vu offrir la possibilité d’être entendue en bonne et due forme, mais elle ne l’a jamais demandée non plus. En fait, la demanderesse a réagi en refusant de reconnaître le pouvoir du comité d’appel en matière d’élections de répondre à la pétition, en contestant le pouvoir du comité, et en établissant une structure parallèle pour juger les mesures et la légitimité du comité existant.

 

[51]           La demanderesse a même refusé de recevoir signification de la pétition, pourtant elle en connaissait l’existence, et elle en connaissait ou aurait dû en connaître la teneur. L’agent électoral a rencontré la demanderesse deux fois avant la décision du 4 avril. Chaque fois, la demanderesse a refusé de parler de la pétition. Elle peut difficilement se plaindre d’un manque de connaissance ou d’avoir été privée de la possibilité de réfuter les motifs énumérés.

 

[52]           Ayant choisi de contester la légitimité et le pouvoir du comité d’appel en matière d’élections, la demanderesse ne peut pas dire qu’on ne lui a pas offert une audience en bonne et due forme – une invitation aurait été une formalité futile. La demanderesse en a eu l’occasion, et elle a choisi d’adopter une conduite par laquelle elle s’est privée d’une telle possibilité d’être entendue.

 

[53]           Par conséquent, je conclus que, dans la mesure où des questions d’équité procédurale pouvaient se poser, la demanderesse a choisi de se prévaloir (ou de ne pas se prévaloir) des droits procéduraux qui lui convenaient. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

IV.       CONCLUSION

[54]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-770-13

 

INTITULÉ :

DELAPHINE BIGHETTY c PREMIÈRE NATION DE BARREN LANDS, CONSEILLER ROY BIGHETTY, CONSEILLER BILLY LINKLATER, CONSEILLER ROBERT MERASTY et MICHAEL SEWAP

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 5 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 21 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

J.R. Norman Boudreau

Earl C. Stevenson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Robert A. Watchman

Karen R. Poetker

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Boudreau Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

pour la demanderesse

 

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

pour les défendeurs

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.