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Date : 20 février 2014


Dossier :

T-2279-12

Référence : 2014 CF 165

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

DEBORAH HAIRE, HARJINDER DHESY, FANNY JANG, RICHARD MALONE, RANDY ZURIN, NELLY NG, CHELLIAH VENUGOPAL, ANNA YU, ANNA MICHIELI, ANDY HENDERSON, PAMELA CHEUNG, HELEN YI, YULIA HIDAJAT

 

demandeurs

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               À la suite d’une décision concernant le recours en matière de dotation interne, les demandeurs ont été placés dans un bassin de candidats admissibles à une promotion. Tous ont finalement été promus à des postes supérieurs de vérificateurs à l’Agence du revenu du Canada (l’Agence). Normalement, cela ne donnerait pas lieu à une demande de contrôle judiciaire. Cependant, dans les circonstances inhabituelles de la présente espèce, les demandeurs affirment qu’ils auraient été nommés plus tôt n’eût été l’erreur commise par l’Agence lorsqu’elle les a disqualifiés, en un premier temps, du concours.

 

[2]               Je donne raison aux demandeurs. La décision statuant sur le recours devrait être renvoyée pour réexamen parce qu’elle est dépourvue de toute explication raisonnable au refus d’accorder une rémunération rétroactive en raison de la nomination tardive des demandeurs.

 

CONTEXTE

[3]               En 2007, les treize demandeurs dans la présente demande de contrôle judiciaire ont été éliminés d’un processus de sélection en plusieurs étapes menant au placement dans un bassin de candidats au niveau AU-04 (vérificateur). Le processus comportait plusieurs étapes parce que les candidats devaient franchir à chaque fois un processus de présélection en réussissant des examens de compétences afin de parvenir à la dernière étape, soit le placement dans le bassin des candidats admissibles à une nomination.

 

[4]               Les demandeurs ont introduit une demande de contrôle judiciaire pour faire annuler la décision, et, le 20 juin 2011, dans la décision Ahmad c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 954, le juge David Near (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) a statué que la procédure de recours interne ouverte aux candidats exclus avait violé les règles de l’équité procédurale à plusieurs égards, notamment en ce qui a trait à la possibilité d’être entendu et à l’obligation de fournir des motifs. La décision statuant sur le recours a été annulée et l’affaire a été renvoyée à l’Agence pour nouvel examen.

 

[5]               À la suite de cette décision, le 2 avril 2012, le chef des appels a avisé les demandeurs qu’ils seraient réévalués. Voici un exemple de la réponse à la demande d’examen d’une décision envoyée aux demandeurs :

[TRADUCTION]

Vu que la Cour a conclu à un traitement arbitraire, votre PdCT, dans sa présentation initiale, sera réévalué par un autre groupe d’évaluateurs de compétences techniques qui tiendront compte de la préoccupation signalée dans le cadre du processus d’examen de la décision.

 

 

[6]               Je constate que l’Agence s’engageait à examiner les demandes des candidats « dans leur présentation initiale ».

 

[7]               Le 15 avril 2012 (près de deux ans après la date à laquelle les demandeurs affirment qu’ils auraient dû être nommés à un poste), les demandeurs ont été placés dans un bassin de candidats qualifiés pour être nommés à un poste des groupe et niveau AU-04. La lettre d’offre énonçait notamment :

[TRADUCTION]

Puisque vous répondez maintenant à toutes les normes d’évaluation établies pour les postes AU-04 associés au processus de sélection 2007-6368-ONT-1213-3268, vous êtes maintenant jugé qualifié et vous êtes admissible à ce que votre candidature soit examinée en vue d’un placement éventuel. Vous serez avisé de toute décision de placement par lettre distincte, à une date ultérieure.

 

[8]               Les demandeurs demandent l’annulation de cette décision. Ils affirment que, n’eut été le processus de sélection lacunaire, les demandeurs n’auraient pas seulement été qualifiés : ils auraient été nommés aux postes AU-04 plusieurs années auparavant. Maintenant, toutefois, ils doivent attendre jusqu’à ce qu’un poste AU-04 se libère, et ils devront alors se classer à un rang suffisamment élevé au sein du bassin des candidats qualifiés pour être nommés.

 

[9]               Dans le contexte du présent contrôle judiciaire, les demandeurs affirment que le défaut de les nommer à un poste, rétroactivement à la date à laquelle tous les autres candidats retenus ont été nommés, rend la décision déraisonnable parce que la mesure correctrice n’apporte pas de solution à l’objet de leur grief.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[10]           Pour déterminer quelle est la norme de contrôle applicable, en un premier temps, la Cour « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 62.

 

[11]           La nature et l’étendue de la mesure de réparation offerte aux demandeurs – la décision de les nommer rétroactivement – est une décision discrétionnaire susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a clairement énoncé dans l’arrêt Macklai c Agence du revenu du Canada, 2011 CAF 49, au paragraphe 7.

 

La décision est déraisonnable

Refuser une rémunération rétroactive sans explication est déraisonnable

[12]           Une rémunération rétroactive constitue un élément central de toute réparation valable parce que le principal préjudice subi est une nomination tardive. Par conséquent, le refus d’accorder une rémunération rétroactive sans explication adéquate pour le justifier est déraisonnable.

 

[13]           Il est déraisonnable que l’Agence accorde, sans justification, une réparation qui ne résout pas le problème dont les demandeurs se plaignent. Ainsi que la Cour suprême l’a statué dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » La juge Jocelyne Gagné, après avoir cité le même passage de l’arrêt Dunsmuir, a statué qu’une « décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs », lorsqu’« elle ne répond pas à la prétention du demandeur et qu’elle ne lui offre aucune mesure de réparation valable », est déraisonnable : Backx c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CF 139, au paragraphe 24. Pour les demandeurs en l’espèce, en l’absence d’une explication transparente et intelligible permettant de justifier le refus d’une nomination rétroactive, la décision est déraisonnable.

 

[14]           Il convient d’examiner les faits de l’affaire Backx afin de mieux comprendre en quoi consiste une mesure de réparation « valable » qui « répond » à la situation. Dans cette affaire, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA) avait tenu un concours afin de doter un poste de vétérinaire en chef responsable de l’hygiène des viandes. Le Dr Backx n’avait pas postulé pour cet emploi parce que ses antécédents professionnels et ses intérêts ne cadraient pas avec l’hygiène des viandes. Cependant, l’ACIA a par la suite employé la liste des candidats admissibles établie lors de ce concours pour doter un poste vacant de vétérinaire dans le domaine de la santé animale. Le Dr Backx a déposé un grief. L’ACIA a rejeté le grief du demandeur. Cette décision a été annulée par la Cour à l’issue d’un contrôle judiciaire et l’affaire a été renvoyée pour nouvelle décision : Backx c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2010 CF 480. Le juge O’Keefe de la Cour a statué que le décideur n’avait pas examiné l’absence de similitude entre les postes que le demandeur avait invoquée comme principal motif de grief, et le juge a statué que la décision de l’ACIA ne satisfaisait pas aux exigences de justification de la décision et de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel.

 

[15]           Un nouveau décideur au dernier palier a été nommé pour connaître du grief dans l’affaire Backx. Cette fois-ci, le grief du demandeur a été accueilli, mais l’ACIA a refusé d’accorder la mesure de réparation que sollicitait le Dr Backx, et a conclu que [traduction] « la nomination au poste lié à la santé des animaux au Bureau de district de London est valide et ne peut pas être révoquée ». L’ACIA a plutôt offert au demandeur la possibilité d’être évalué par rapport aux exigences dans le cadre d’un processus de sélection en cours qui avait pour objet de créer un bassin de candidats qualifiés qui seraient admissibles à des postes au fur et à mesure que ceux-ci deviendraient vacants.

 

[16]           Dans son examen du caractère raisonnable de la décision, la juge Gagné a affirmé ce qui suit :

Les arguments qu’invoque le demandeur à cet égard sont bien fondés. Conformément à l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, pour déterminer la raisonnabilité d’une décision la cour de révision « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité », attributs qui comprennent « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ». Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’issue de la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est déraisonnable, notamment parce qu’elle ne répond pas à la prétention du demandeur et qu’elle ne lui offre aucune mesure de réparation valable.

 

Rien ne donne à penser que l’offre de l’ACIA remédierait de quelque façon à l’occasion que le demandeur a manquée, ni que l’ACIA a pris des mesures raisonnables pour offrir au demandeur une mesure de réparation convenable dans son cas en particulier. Il est loisible à l’ACIA de choisir comme bon lui semble de quelle manière remédier à la perte que le demandeur a subie, mais elle est tenue de le faire de manière raisonnable et valable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           La mesure de réparation accordée par l’Agence, tout comme dans l’affaire Backx, ne répond pas aux préoccupations des demandeurs. La décision statuant sur le recours et les lettres de nomination sont muettes sur la question de la rétroactivité, alors que les demandeurs auraient été nommés plus tôt. Il n’est pas toujours nécessaire qu’une mesure administrative ou une décision discrétionnaire soit motivée, et, lorsque des motifs sont requis, ceux-ci n’ont pas nécessairement besoin d’être rigoureux et élaborés. Cependant, ils doivent à tout le moins indiquer que le décideur a pris en compte des facteurs pertinents. Dans le présent contexte, le défaut de traiter de la question de la rétroactivité rend la décision déraisonnable. La décision est donc annulée, et il est ordonné au défendeur de revoir sa décision en tenant compte des présents motifs. La Cour n’impose aucune mesure de réparation précise, mais les motifs devront expliquer pourquoi les nominations ne sont pas rétroactives, et ils devront s’accorder avec les politiques de l’Agence en matière de ressources humaines qui prônent la transparence et l’équité.

 

Le refus d’accorder une rémunération rétroactive devait être expliqué parce que les demandeurs auraient été promus plus tôt

 

[18]           La conclusion que j’ai tirée ci-dessus concernant la raisonnabilité est liée au fait que les demandeurs auraient été nommés plus tôt s’ils n’avaient pas été disqualifiés à tort. Ce fait permet d’établir une distinction entre la présente affaire et les affaires antérieures dans lesquelles des nominations sans rémunération rétroactive ont été jugées raisonnables.

 

[19]           Par exemple, dans l’arrêt Macklai, le juge Nadon a statué qu’il était raisonnable que l’Agence nomme M. Macklai sans rémunération rétroactive parce qu’il n’aurait peut-être pas été nommé plus tôt. Cependant, l’affaire Macklai se distingue de la présente espèce à deux égards.

 

[20]           Premièrement, dans l’arrêt Macklai, la Cour d’appel réitère, à trois occasions dans un jugement succinct, l’absence totale d’éléments de preuve concernant la probabilité d’une nomination plus rapide. Le juge Nadon affirme, relativement à la probabilité de la nomination plus rapide de M. Macklai, qu’il n’y avait « aucune preuve » (mis à part la nomination ultérieure de l’appelant) à l’appui de cette hypothèse (au paragraphe 3), qu’« aucune preuve n’a été soumise » pour établir une comparaison suffisante entre M. Macklai et les autres candidats (au paragraphe 5) et qu’« au vu du dossier qui nous a été soumis, nous n’avons aucun moyen de […] déterminer [si M. Macklai aurait été promu plus tôt] » (au paragraphe 6). Ces affirmations portent à croire que la décision aurait peut-être été jugée déraisonnable s’il y avait eu des éléments de preuve établissant que M. Macklai aurait vraisemblablement été nommé plus tôt. 

 

[21]           Deuxièmement, et surtout, la Cour d’appel a rejeté l’appel de M. Macklai principalement au motif que celui-ci n’aurait peut-être pas été nommé plus tôt (voir les paragraphes 5 à 7). La décision litigieuse portant sur l’embauche concernait quatre candidats aspirant à accéder à trois postes. Par conséquent, il était certain qu’un candidat ne serait pas nommé, et la Cour d’appel ne disposait d’aucun élément de preuve à l’appui de la prétention selon laquelle M. Macklai aurait été ce candidat, ou le contraire. La rétroactivité n’était pas nécessaire pour que la mesure de réparation soit valable dans l’affaire Macklai parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui de la prétention selon laquelle M. Macklai aurait été nommé plus tôt.

 

[22]           Ni l’un ni l’autre de ces points tirés de l’arrêt Macklai ne s’applique dans l’affaire dont je suis maintenant saisi. Il y a en l’espèce une abondance d’éléments de preuve concernant la probabilité d’une nomination plus rapide des demandeurs. En fait, la majorité des arguments et des éléments de preuve de l’appelant sont centrés sur cette prétention. Comme je l’expliquerai plus loin, tous les candidats auraient été nommés plus tôt n’eût été les erreurs commises par l’Agence dans le cadre du processus de dotation.

 

Les demandeurs auraient été promus plus tôt

[23]           Je conclus que, selon la prépondérance de la preuve, les treize candidats auraient tous été promus le 26 janvier 2009 (la date de l’offre). De plus, il est certain que tous les demandeurs auraient été promus au plus tard le 1er avril 2010.

 

[24]           Au soutien de cette conclusion, je souligne que la lettre d’offre de l’Agence énonçait que [TRADUCTION] « tous les candidats dans le bassin de candidats qualifiés créé pour le présent processus de sélection reçoivent une lettre d’offre ». Le juge Near a statué, souvenons-nous, que les candidats avaient été exclus injustement du bassin. Le fait que « tous les candidats dans le bassin des candidats qualifiés » se sont vu offrir des postes démontre que, pour être nommé, il suffisait que le candidat possède les qualifications requises. Ce fait à lui seul porte à croire que, si les candidats avaient été évalués équitablement, eux aussi auraient reçu des offres de nomination.

 

[25]           Mis à part cette observation préliminaire, même en retenant les hypothèses les moins favorables aux demandeurs, leur nomination à la date de l’offre était, selon la prépondérance de la preuve, plus que probable. Le pire des scénarios serait celui où l’Agence aurait idéalement voulu nommer 79 vérificateurs et, lors du classement des candidats admissibles, les demandeurs auraient tous été classés tout au bas de la liste. Même en supposant avérées ces deux hypothèses très préjudiciables (dont ni l’une ni l’autre n’est étayée par la preuve), il est tout de même probable que les demandeurs auraient été nommés à la date de l’offre.

 

[26]           Premièrement, il ne fait aucun doute que sept des demandeurs auraient été nommés à la date de l’offre. L’Agence a envoyé son offre à 79 candidats, et seulement 72 d’entre eux l’ont acceptée. Par conséquent, au moins sept des treize demandeurs auraient été choisis pour pourvoir aux 79 postes que l’Agence avait initialement ouverts. J’ajoute, incidemment, que la restriction à sept du nombre de candidats qui auraient assurément été nommés est fonction des hypothèses préjudiciables selon lesquelles l’Agence souhaitait seulement embaucher exactement 79 vérificateurs, et pas un de plus, et les demandeurs étaient tous classés au bas de la liste.

 

[27]           Deuxièmement, même en supposant que le nombre idéal de nominations soit seulement 79, nommer moins de candidats que le nombre de candidats qualifiés aurait obligé l’Agence à se livrer à un exercice de classement fastidieux qu’elle pouvait éviter en nommant tous les candidats qualifiés. Le classement aurait été fastidieux parce que les examens de qualification étaient notés selon le critère « réussite ou échec », et ils n’auraient donc pas pu servir de critère objectif pour comparer les candidats. Selon la preuve par affidavit de l’Agence, celle-ci voulait éviter ce processus chronophage et non productif de classement d’un si grand nombre de candidats admissibles. Par conséquent, même si nommer six candidats additionnels dépassait légèrement les besoins, il aurait tout de même été considérablement plus facile pour la direction de nommer tout simplement six vérificateurs additionnels. Les défendeurs n’ont présenté aucun élément de preuve ni aucun argument contraires sur ce point.

 

[28]           J’ai traité du pire des scénarios simplement pour étayer la conclusion de fait selon laquelle tous les demandeurs auraient été nommés à la date de l’offre. Je tiens à préciser qu’aucun élément de preuve n’étaye l’hypothèse selon laquelle les demandeurs se seraient classés au bas de la liste des candidats. En outre, il est malavisé, pour les motifs exprimés par l’Agence elle-même, de tenir pour acquis que l’Agence souhaitait seulement nommer exactement 79 vérificateurs. La démarche consistant à classer 79 candidats, aux fins d’en exclure six, était très problématique. Comme je l’ai signalé au départ, les destinataires de l’offre (« tous les candidats dans le bassin des candidats qualifiés ») laissent entendre que l’agence voulait vider le bassin de candidats qualifiés.

 

[29]           Quoi qu’il en soit, afin d’éliminer tout doute à ce sujet, 18 postes AU-04 additionnels dans le secteur de l’impôt international devaient être dotés dans le cadre d’un processus parallèle. L’Agence s’était engagée à doter ces postes en « recourant aux bassins existants », et elle a affirmé que les nominations auraient pris effet le 1er avril 2010. Les éléments de preuve par affidavit établissent qu’il n’y avait aucun autre bassin existant dans aucune des régions concernées (l’administration centrale ou l’Ontario) à partir duquel des candidats auraient pu être nommés. Par conséquent, même dans le pire des scénarios (seulement 79 postes à doter et tous les candidats classés derniers) et en supposant de plus que l’Agence aurait été disposée à les livrer à un exercice de classement fastidieux, les six derniers candidats auraient certainement été nommés au plus tard le 1er avril 2010, compte tenu des 18 postes additionnels dans le secteur de l’impôt international.

 

[30]           En somme, la présente espèce n’étant pas du tout une affaire dans laquelle il y avait peu d’éléments de preuve, voire aucun, sur la question de savoir si les demandeurs auraient peut-être été promus, les demandeurs auraient été placés dans le bassin plus tôt n’eût été leur exclusion. Dans le pire des scénarios, au moins sept des demandeurs auraient été promus au plus tard à la date de l’offre, tandis que les autres demandeurs auraient été promus au plus tard le 1er avril 2010. Compte tenu des conséquences sur la situation financière et la carrière des intéressés, la question de la date de la nomination était une considération fort pertinente dans le cadre de la décision statuant sur le recours administratif.

 

Argumentation contraire

[31]           Il est nécessaire de statuer sur deux arguments soulevés par le défendeur. Le premier est que les demandeurs réclament des dommages-intérêts par voie de contrôle judiciaire et leur demande devrait en conséquence être rejetée. Ce n’est manifestement pas le cas. Dans leur avis de demande, les demandeurs sollicitent :

[TRADUCTION]

Une ordonnance renvoyant l’affaire à un autre représentant de l’Agence du revenu du Canada pour que celui-ci rende une nouvelle décision sur des mesures correctives […].

 

 

[32]            Deuxièmement, les arguments fondés sur l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585, sont des distractions non pertinentes. Les pertes dont parlent les demandeurs servent simplement à mieux cerner la nature et l’étendue des motifs nécessaires pour satisfaire aux critères de la transparence, de la justification et de l’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. Si les demandeurs sollicitent des dommages-intérêts, il leur est loisible d’introduire une action devant la Cour, qui peut connaître d’une telle demande.

 

[33]           Ce point nous amène au principal motif pour lequel le défendeur soutient que la décision satisfait aux critères de l’arrêt Dunsmuir. Le défendeur attire l’attention de la Cour sur la lettre du 15 août 2012, et en particulier sur le mot « maintenant » employé dans le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

Puisque vous répondez maintenant à toutes les normes d’évaluation établies pour les postes AU-04 associés au processus de sélection 2007-6368-ONT-1213-3268, vous êtes maintenant jugé qualifié et vous êtes admissible à ce que votre candidature soit examinée en vue d’un placement éventuel. Vous serez avisé de toute décision de placement par lettre distincte, à une date ultérieure. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Le défendeur soutient essentiellement que puisque les demandeurs ont seulement franchi la troisième et dernière étape de l’évaluation le 15 août 2012, ils ne peuvent être nommés qu’à compter de cette date. La décision trouverait son fondement dans le mot « maintenant ».

 

[35]           Ce raisonnement n’est pas convaincant. Il s’agit d’un énoncé d’un fait évident qui contredit le contexte dans lequel les demandeurs qualifient leur qualification de « tardive ». Si les demandeurs ont seulement pu démontrer qu’ils répondaient aux normes d’évaluation « maintenant », c’est parce qu’ils avaient été injustement empêchés de le faire plus tôt. Chacun des candidats passait les examens de compétences au fur et à mesure qu’il franchissait les différentes étapes du processus de sélection. Le fait pour un candidat de ne pas se qualifier pour être placé dans le bassin final parce qu’il n’a pas passé un examen qui correspond à une étape du processus de sélection auquel il a injustement été privé d’accès n’est pas un fondement rationnel à la décision de refuser d’accorder une rémunération rétroactive. Il est acquis au débat que les demandeurs ont seulement été placés dans le bassin AU-04 après avoir exercé un recours et avoir été réévalués conformément à la décision du juge Near. Ni la lettre ni la décision statuant sur le recours ne comportent quoi que ce soit qui tende à indiquer que le décideur a examiné la question de la rétroactivité, laquelle était essentielle pour les demandeurs.

 

[36]           Il y a une tension inhérente en droit public entre, d’une part, l’exigence que les réparations soient efficaces, et d’autre part, le pouvoir discrétionnaire des décideurs de choisir parmi une gamme de réparations raisonnables. La Cour n’imposera pas une réparation précise, mais toute réparation devrait tenir compte de trois choses : premièrement, les critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir exigent des explications et des justifications, et non des conclusions; deuxièmement, pour que le refus de l’Agence de procéder à une nomination rétroactive satisfasse aux critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir (si l’Agence prend effectivement cette décision), il faudrait que l’Agence justifie cette décision à la lumière des engagements pris l’Agence concernant la transparence et l’équité dans le cadre de ses politiques en matière de ressources humaines; et troisièmement, le décideur devrait examiner la question de savoir quelle mesure corrective serait appropriée en tenant pour acquis que les demandeurs et leurs demandes « dans leur présentation initiale » auraient dû bénéficier de l’équité procédurale à laquelle ils avaient droit.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision statuant sur le recours est renvoyée à un autre décideur, pour nouvel examen, qui devra tenir compte des présents motifs. Des dépens de 2500 $ sont adjugés en faveur des demandeurs.

 

 

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-2279-12

 

INTITULÉ :

HAIRE ET AUTRES c AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

[37]                                                           Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 13 JANVIER 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge rennie

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            le 20 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Steven Welchner

pour les demandeurs

 

Agnieszka Zagorska

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner Law Office
Société professionnelle

Ottawa (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

 

 

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