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Date : 20140221


Dossier :

IMM-1263-13

 

Référence : 2014 CF 167

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 février 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

MAHNAZ GUL DURRANI

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               En dépit des observations du conseil, je ne suis toujours pas d’avis que l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [NL Nurses] autorise le tribunal à fouiller le dossier pour trouver des éléments de preuve, que n’aurait pas évoqués le commissaire, pour étayer la décision qui a été prise. Selon moi, cette façon de procéder ne convient pas si la décision est fondée sur des erreurs de fait et de droit graves et importantes. Le ministre demande ici à la Cour de maintenir la décision en reformulant les motifs de la Commission. Selon moi, cette démarche usurpe et combine les rôles de la Commission et du tribunal que leur ont attribués les législateurs. C’est d’ailleurs ce que la Cour suprême a clairement affirmé dans l’arrêt NL Nurses au paragraphe 15 :

La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat. (Non souligné dans l’original.)

 

[2]               Mme Mahnaz Gul Durrani est une citoyenne du Pakistan. Elle est instruite et occupe un emploi de consultant en TI. Lorsqu’elle était enfant, sa famille a convenu de la donner en mariage à un cousin éloigné, Sirdar Ali Khan. Lorsqu’elle est devenue adulte, elle a refusé de l’épouser parce qu’elle le trouvait vulgaire et ignare et qu’il avait déjà trois autres épouses; elle ne voulait pas non plus être confinée à la vie dans le petit village où il vivait sans pouvoir travailler. Lorsque le père et l’oncle de Mme Durrani sont décédés, M. Khan s’est mis à la menacer et a considéré son refus de l’épouser comme un affront personnel; il a refusé de la laisser épouser qui que ce soit d’autre.

 

[3]               Elle s’est installée dans une petite ville en périphérie d’Atlanta, en Géorgie, pour échapper à son harcèlement. Mais elle a dû y affronter des parents et des amis de la famille de M. Khan qui l’ont aussi harcelée et maltraitée. Elle est ensuite partie pour Stockton, en Californie, quoiqu’on ne sache pas très bien si c’était pour y travailler, pour fuir les parents de M. Khan ou pour une autre raison. Elle s’est enfuie à Calgary en mai 2011 à l’aide d’un visa de visiteur, où elle a habité chez son frère jusqu’à ce que la femme de ce dernier exerce des pressions pour qu’elle parte. Elle s’est finalement rendue à Mississauga. Son visa de travail aux États‑Unis arrivait à échéance en septembre 2011. Elle a présenté une demande d’asile le 15 novembre 2011. Son visa de visiteur au Canada prenait fin le 27 novembre 2011.

 

[4]               Le commissaire a déclaré que « [e]n l’espèce, les questions déterminantes sont celles de la crédibilité, y compris la crainte subjective de la demandeure d’asile, et de savoir si sa crainte de persécution a un fondement objectif au Pakistan » (non souligné dans l’original). J’insiste sur le terme « y compris » de ce passage parce qu’il est clair, à la lecture de la décision, que le commissaire a tiré la conclusion fondamentale que Mme Durrani manquait de crédibilité et que c’est de cette conclusion qu’ont découlé les autres.

 

[5]               La décision selon laquelle Mme Durrani manquait de crédibilité repose entièrement sur le fait que le commissaire doutait de l’existence de Sirdar Ali Khan, en dépit de ce que Mme Durrani a témoigné sous serment qu’il était l’agent de persécution. Le commissaire a déclaré qu’il « s’attendait à être saisi d’éléments de preuve documentaire au sujet de l’existence de Sirdar Ali Khan » sans quoi il « n’est pas convaincu qu’il peut croire qu’une personne appelée Sirdar Ali Khan existe au Pakistan et, en conséquence, il ne croit pas que la demandeure d’asile était fiancée à Sirdar Ali Khan, comme elle l’a avancé ».

 

[6]               En exigeant que la demanderesse produise une preuve documentaire pour appuyer sa déclaration assermentée en l’absence de toute conclusion selon laquelle les éléments de preuve de étaient contradictoires, incohérents ou invraisemblables, le commissaire a enfreint le principe bien établi voulant que tout témoignage rendu sous serment par un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter et que la Commission n’a pas à exiger que le témoignage soit corroboré. Voir, entre autres décisions, Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, Ahortar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 FTR 137, King c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1120, Miral c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 161 FTR 2013, Chekroun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 738.

 

[7]               Par ailleurs, le commissaire a fait abstraction des affidavits fournis par les membres de la famille au Pakistan parce qu’ils « ont un intérêt dans l’issue de sa demande d’asile au Canada ». Bien que le commissaire ait également fait remarquer qu’aucun de ces trois affidavits n’indiquait le nom du fiancé de la demanderesse, la Cour signale qu’ils concordaient parfaitement avec le témoignage de la demanderesse selon laquelle elle avait été fiancée et qu’elle avait refusé d’épouser le type en question pour les raisons qu’elle a exposées. Les affidavits corroboraient aussi son témoignage au sujet du traitement que l’homme qu’elle avait plaqué lui avait fait subir. En agissant ainsi, le commissaire a enfreint des principes bien établis voulant qu’on ne peut rejeter un élément de preuve sans autre motif que le fait qu’il provient d’un membre de la famille ou qu’il ne contient pas certains éléments. Voir entre autres les décisions Pantas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 64, Aslan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 252, Ndjizera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 601, Coitinho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037, Kosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 994.

 

[8]               Étant donné (1) que le témoignage de la demanderesse est présumé vrai, (2) que la demanderesse a fourni des documents qui corroboraient (et ne contredisaient pas) son propre témoignage et (3) que la preuve documentaire corroborante ne peut être rejetée simplement parce qu’elle provient des parties intéressées, le commissaire a fait erreur en concluant à la non‑crédibilité de la demanderesse parce qu’elle n’a pas produit de preuve documentaire où son fiancé était expressément nommé.

 

[9]               Pour ces motifs, la décision est annulée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la décision est annulée et que la demande d’asile est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par autre commissaire.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-1263-13

 

INTITULÉ :

MAHNAZ GUL DURRANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                        le 20 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN                                                                                             

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 21 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Belinda Bozinovski

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ada Mok

 

POUR DE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BELINDA BOZINOVSKI

Bozinovski, Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR DE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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