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Date : 20140224


Dossier :

T-1024-12

 

Citation : 2014 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

Entre :

DOREL INDUSTRIES INC.

 

demanderesse

et

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de décisions rendues par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) en date du 25 avril 2012 par lesquelles le défendeur, l’ASFC, a refusé les drawbacks que la demanderesse, Dorel Industries (Dorel), avait réclamés au motif que ses revêtements de futons étaient importés de la Chine pour être ultérieurement exportés aux États-Unis «dans le même état» qu’au moment de leur importation et qu’ils étaient donc visés par l’article 113 du Tarif des douanes, LC 1997, ch 36 (la Loi). Le défendeur a refusé les drawbacks au motif que le procédé de touffetage utilisé pour confectionner les revêtements de futons fait en sorte que lorsque lesdits revêtements sont exportés, ils ne sont plus « dans le même état » qu’au moment de leur importation. La demanderesse conteste cette décision en se fondant sur le fait que l’ASFC a rendu une décision le 14 septembre 2011 dans laquelle elle concluait que lesdits revêtements de futons étaient exportés « dans le même état » qu’au moment de leur importation, au sens du paragraphe 303(6) de l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA).

 

[2]                Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

Les faits

[3]                Les parties se sont entendues sur les faits, cette décision se fonde donc essentiellement sur leur exposé conjoint des faits.

 

[4]               La demanderesse est une corporation ouverte qui, entre autres choses, importe des revêtements de futons de la Chine. Trois des côtés du revêtement sont fermés tandis que le quatrième est muni d’une fermeture à glissière. Au Canada, un matelas y est inséré. La fermeture à glissière est ensuite fermée et une machine insère de part et d’autre du futon, qui se trouve alors dans le revêtement, des capitons de plastique qui sont visibles des deux côtés extérieurs (supérieur et inférieur) du futon. Ce procédé s’appelle « touffetage » et ne requiert aucune couture. Le futon ainsi recouvert est ensuite emballé avec un cadre métallique pour être exporté vers les États-Unis.

[5]               La demanderesse a versé les droits de douane applicables aux revêtements de futons importés. Le 11 mai 2010, le demandeur a demandé une décision anticipée en vertu de l’article 509 de l’ALENA en se fondant sur le fait que le procédé de touffetage (procédé de capitonnage) utilisé fait en sorte qu’au moment de leur exportation les revêtements de futons importés de la Chine sont dans le même état qu’au moment de leur importation. Cette demande, soutient la demanderesse, était accompagnée de cinq photos, ce que le défendeur conteste. Le défendeur ne prétend pas que la demanderesse n’a pas divulgué tous les renseignements lorsqu’elle a demandé une décision anticipée dans laquelle elle soutenait que les revêtements étaient exportés « dans le même état » qu’au moment de leur importation.

 

[6]               Dans deux demandes distinctes datées des 29 avril et 6 septembre 2011, la demanderesse a réclamé les drawbacks sur lesdits revêtements au motif qu’ils étaient exportés « dans le même état » qu’au moment de leur importation, au sens du paragraphe 303(6) de l’ALENA. Ces demandes portaient sur des drawbacks auxquels la défenderesse était admissible pour les droits de douane imposés sur des produits importés entre le 1er mai 2007 et le 22 mars 2011 et exportés entre le 1er juin 2007 et le 30 juin 2011. Le 14 septembre 2011, le défendeur a rendu une décision dans laquelle il concluait que les revêtements de futons pour lesquels la demande d’exonération de droits de douane avait été présentée étaient exportés « dans le même état » qu’au moment de leur importation. La décision faisait remarquer que l’ASFC [traduction] « considère que ce réemballage des produits est permis en ce qu’il ne modifie pas sensiblement leurs propriétés. À ce titre, les produits sont exportés dans le « même état » qu’au moment de leur importation et sont donc exonérés de droits de douane ». Suite à la décision du 14 septembre 2011, le défendeur a versé en partie les drawbacks réclamés par la demanderesse.

 

[7]               Le défendeur a par la suite entrepris une vérification des drawbacks versés et a visité l’unité de production de la demanderesse. Le défendeur a conclu que le procédé de touffetage auquel les revêtements étaient soumis faisait en sorte qu’au moment de leur exportation ils n’étaient plus « dans le même état » qu’au moment de leur importation. En conséquence, le défendeur a rendu une nouvelle décision qui remplaçait celle du 14 septembre 2011.

 

[8]               Le 25 avril 2012, le défendeur a rendu deux décisions en vertu de l’article 114 de la Loi, dans lesquelles il demandait à la demanderesse la restitution des drawbacks qui lui avaient été accordés et dont les montants s’élevaient respectivement à 389 912,77 $ et à 79 536,40 $, ainsi que les intérêts. 

 

La décision contestée

[9]               Les deux décisions contestées ont été rendues par le défendeur le 25 avril 2012. Ces décisions sont avares de détails et ne sont en fait que des demandes de restitution présentées en vertu de la Loi suite à la décision du 23 février 2012 qui concluait que les revêtements exportés n’étaient pas « dans le même état » qu’au moment de leur importation.

 

[10]           Dans cette décision, l’ASFC a conclu que le procédé de touffetage modifiait l’état des marchandises importées et que les revêtements de futons exportés vers les États-Unis n’étaient donc pas exonérés de droits de douane étant donné qu’ils ne sont pas exportés « dans le même état » qu’au moment de leur importation au sens du paragraphe 89(1) de la Loi. Le motif sous-jacent de cette décision se trouve dans les paragraphes suivants de la lettre envoyée à la demanderesse le 23 février 2012 :

[traduction]

Les produits décrits dans cette demande sont des revêtements de futon importés qui sont par la suite touffetés à des couvre-matelas avant d’être fermés avec une fermeture à glissière pendant qu’ils sont au Canada pour être par la suite exportés vers les États-Unis. Le procédé de touffetage relie le revêtement de futon au couvre-matelas de façon permanente. Le procédé de touffetage appliqué au Canada modifie sensiblement les propriétés des revêtements de futon importés. Plus particulièrement, le touffetage en lui-même représente plus qu’une opération connexe puisqu’il modifie l’état du produit importé en le faisant passer de revêtement de futon à matelas prêt à utiliser.

 

En ce qui a trait aux cadres importés qui sont subséquemment réemballés avec les autres éléments du futon pendant qu’ils sont au Canada avant leur exportation vers les États-Unis, nous considérons que cette façon particulière de faire (réemballer les cadres) serait considérée comme un procédé dont on peut dire qu’il laisse les cadres «dans le même état» en ce qu’il ne modifie pas leurs propriétés .

 

Pages 53 et 54 du dossier modifié de la demanderesse.

 

[11]           Une autre lettre envoyée par le défendeur au procureur de la demanderesse le 13 avril 2012 est utile à la compréhension de la décision du 23 février 2012. En réponse aux observations du procureur de la demanderesse transmises en date du 15 mars 2012 et dans lesquelles il s’objectait à la nouvelle décision, un agent principal de programme de l’ASFC écrivait :

[traduction]

Dans sa demande de décision datée du 11 mai 2011, fondée sur le fait que le produit restait dans le même état qu’au moment de son importation, Dorel a déclaré que le procédé comprenait l’insertion dans un revêtement d’un matelas fibreux ferme qui était ensuite emballé avec un cadre de futon pour former un sofa prêt à assembler. Notre décision du 14 septembre 2011 a approuvé ce réemballage à titre de procédé admissible à la condition qu’il n’implique aucune couture.

 

Il fut par la suite porté à notre attention qu’un procédé additionnel de touffetage était utilisé. Par conséquent, nous avons rendu une deuxième décision le 23 février 2012, pour ajouter le touffetage au processus de production. Le touffetage n’est pas un procédé admissible étant donné qu’il constitue plus qu’une opération connexe. Le touffetage se définit comme suit :

 

« Unir un coussin (ou ce qui s’y apparente) en y enfilant un fil à intervalles réguliers, les dépressions ainsi formées étant habituellement ornées de capitons ou de boutons. »

 

Le procédé de touffetage transforme le revêtement de matelas en un matelas prêt à utiliser. La couture que cela implique en fait un procédé inadmissible suivant l’article 303 de l’ALENA.

 

Par conséquent, l’ASFC n’a pas modifié sa position dans sa décision du 14 septembre 2011 en se fondant sur le fait que le procédé de touffetage n’était pas mentionné dans la demande initiale et que notre décision mentionnait spécifiquement qu’aucune couture n’était permise. Comme vous le savez, l’article 118 du Tarif des douanes prévoit que l’inobservation d’une condition de l’exonération entraine l’obligation de restituer le montant de l’exonération ou de la remise accordée.

 

Dossier modifié de la demanderesse, page 69.

 

Les questions en litige

 

[12]           Il est important de préciser dès le départ que la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur la légalité, ou sur le fond, de la décision du 23 février 2012 qui se prononçait sur la question de savoir si le revêtement était exporté « dans le même état » qu’au moment de son importation. En d’autres mots, la demande de contrôle judiciaire ne remet pas en question la décision dans laquelle l’ASFC a conclu que l’opération de touffetage à laquelle la demanderesse procède fait en sorte que les revêtements ne sont pas exportés « dans le même état » qu’au moment de leur importation, ce qui les prive de l’exonération prévue à l’alinéa 89(1)a) de la Loi.

 

[13]           En l’espèce, la seule question à trancher est celle soulevée par le défendeur dans son mémoire écrit des faits et du droit :

[traduction]

La décision rendue par le défendeur le 14 septembre 2011dans laquelle il concluait que la marchandise restait dans le même état, empêche-t-elle le défendeur de refuser, dans sa décision du 25 avril 2012, l’octroi de drawbacks aux revêtements de futons?

 

Analyse

 

[14]           Il ne fait aucun doute qu’une décision qui vise à déterminer si une marchandise est exportée « dans le même état » qu’au moment de son importation implique des questions mixtes de faits et de droit et doit donc être examinée selon la norme de contrôle de la raisonnabilité. Toutefois, tel que mentionné précédemment, il ne s’agit pas là de la question à trancher en l’espèce. La question à trancher consiste à savoir si le défendeur est empêché d’exiger la restitution, en vertu de l’article 114 de la Loi, et s’il est empêché de renverser une décision antérieure, dans laquelle il concluait que la marchandise était exportée « dans le même état » qu’au moment de son importation, pour refuser d’accorder à la demanderesse les drawbacks qu’elle avait réclamés en se fondant sur cette même décision.

 

[15]           Je partage l’opinion du défendeur suivant laquelle la question à trancher consiste à savoir si la décision rendue respecte l’équité procédurale, ce qui fait qu’elle doit être examinée selon la norme de la décision correcte. La Cour suprême du Canada indique clairement dans Dunsmuir c Nouveau- Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 329, 2009 CSC 12, que les questions relevant de l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

 

[16]           La demanderesse soumet que la doctrine de l’irrecevabilité fondée sur une promesse empêche le défendeur de demander la restitution des drawbacks. Elle soutient de plus que le défendeur ne pouvait refuser les demandes de drawbacks en raison de la décision du 14 septembre 2011dans laquelle il confirmait que les revêtements de futons soumis au procédé de touffetage étaient exportés dans « le même état » qu’au moment de leur importation, tel que décrit au paragraphe 303(6) de l’ALENA.

 

[17]           Je partage l’opinion du défendeur suivant laquelle l’affaire en l’espèce ne satisfait pas aux conditions d’application de l’irrecevabilité fondée sur une promesse, issue de la doctrine de la common law. Ces conditions sont clairement énoncées dans Maracle c Travellers Indemnnity Co of Canada, [1991] 2 RCS 50, une décision sur laquelle les parties se sont toutes les deux fondées. Dans cet arrêt, le juge Sopinka écrivait (au paragraphe 13):

Les principes de l'irrecevabilité fondée sur une promesse sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d'établir que l'autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l'accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles-ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position. […]

 

[18]           En l’espèce, la demanderesse ne peut soutenir sérieusement qu’elle s’est fondée sur la décision du 14 septembre 2011 pour décider d’importer des revêtements de futons ou de les réexporter subséquemment. Les revêtements de futons avaient tous été importés en date du 5 juillet 2011 et presque tous été réexportés en date du 14 septembre 2011. Par conséquent, la demanderesse n’ pas pris de mesure quelconque ou changé sa position sur la foi de représentations faites par le défendeur lorsqu’elle a importé ou exporté les marchandises sur lesquelles on lui demande maintenant de payer des droits de douane. Il en résulte donc que la demanderesse ne peut s’appuyer sur les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse pour contester la légalité des décisions du 25 avril 2012 dans lesquelles on lui demande de restituer les drawbacks qui lui ont été accordés.

 

[19]           Un certificat de décision anticipée écrite est habituellement délivré avant que toute transaction puisse s’effectuer. Si une partie procède à une transaction quelconque avant de demander une telle décision, il ne s’agit alors plus d’une décision « anticipée ». En effet, la lecture de l’article 509 de l’ALENA, en vertu duquel de telles décisions sont rendues, laisse clairement entendre qu’un certificat de décision anticipée écrite doit être fourni « avant l'importation d'un produit sur son territoire, à un importateur sur son territoire ou à un exportateur […] sur le territoire d’une autre Partie. » Ce n’est manifestement pas ce que la demanderesse a fait en l’espèce. Si elle avait un doute relativement au classement tarifaire des revêtements, elle aurait dû attendre de recevoir une décision anticipée écrite avant d’importer et d’exporter les produits en question.

 

[20]           La demanderesse soumet de plus que l’article 114 de la Loi revêt un caractère temporel et que pour être admissible au drawback celui qui en fait la demande doit, au moment où le drawback est octroyé, avoir obtenu une décision concluant que la marchandise pour laquelle la demande est faite est exportée « dans le même état » qu’au moment de son importation. L’article 114 se lit comme suit :

Restitution

 

 

114. (1) En cas d’octroi du remboursement ou du drawback prévu aux articles 110 ou 113 à une personne qui n’y est pas admissible, en tout ou en partie, cette personne est tenue, dès réception du remboursement ou du drawback, de payer à Sa Majesté du chef du Canada la somme à laquelle elle n’a pas droit et les intérêts reçus sur celle-ci en application de l’article 127.

 

 

 

 

 

 

Créance de Sa Majesté

 

(2) Toute somme visée au paragraphe (1) qui demeure impayée est réputée, pour l’application de la Loi sur les douanes, une créance de Sa Majesté du chef du Canada au titre de cette loi.

Overpayment of refund or drawback

 

114. (1) If a refund or drawback is granted under section 110 or 113 to a person who is not eligible for the refund or drawback or in an amount exceeding the amount for which the person is eligible, that person shall pay to Her Majesty in right of Canada, on the day that the refund or drawback is received,

 

(a) any amount for which the person is not eligible; and

 

(b) any interest granted under section 127 on the amount referred to in paragraph (a).

 

Debt to Her Majesty

 

(2) An amount referred to in subsection (1), while it remains unpaid, is deemed to be a debt owing to Her Majesty in right of Canada under the Customs Act.

 

[21]           Je partage l’opinion de la demanderesse suivant laquelle l’article 114 ne peut s’appliquer si, au moment où le remboursement ou le drawback a été accordé, la personne à laquelle il a été accordé y était admissible. L’objet de cette disposition vise essentiellement à permettre à Sa majesté du chef du Canada de recouvrer toute somme versée par erreur à une personne qui n’était pas admissible au remboursement ou au drawback. Cela est très différent de la situation dans laquelle la demanderesse se trouve en l’espèce. À l’époque où les drawbacks ont été accordés, la demanderesse y était admissible étant donné que ses deux demandes de drawbacks avaient été approuvées. Par conséquent, j’en viens à la conclusion que l’article 114 ne s’applique pas en l’espèce.

 

[22]           Cela ne signifie pas que le défendeur ne peut modifier ses décisions. Il le peut très certainement, non pas en vertu de l’article 114 de la Loi, mais en vertu de l’article 90, qui est ainsi libellé :

Certificat

 

90. (1) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut, sous réserve des règlements visés à l’alinéa 99e), délivrer un certificat numéroté à une personne appartenant à l’une des catégories réglementaires énumérées à l’article 89.

 

Modification du certificat

 

 

(2) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut, sous réserve des règlements visés à l’alinéa 99e), modifier, suspendre, renouveler, annuler ou rétablir le certificat.

 

 

Dédouanement des marchandises

 

(3) Les marchandises faisant l’objet de l’exonération prévue à l’article 89 peuvent être dédouanées sans le paiement des droits visés par l’exonération, si le numéro indiqué sur le certificat est présenté au moment de la déclaration en détail exigée par l’article 32 de la Loi sur les douanes et si le certificat est valide à cette date.

Certificate

 

90. (1) Subject to regulations made under paragraph 99(e), the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness may issue a numbered certificate to a person of a prescribed class referred to in section 89.

 

 

Amendment, suspension, etc., of certificate

 

(2) The Minister of Public Safety and Emergency Preparedness may, subject to regulations made under paragraph 99(e), amend, suspend, renew, cancel or reinstate a certificate issued under subsection (1).

 

Release of goods

 

 

(3) Goods in respect of which relief is granted under section 89 may be released without payment of the duties relieved under that section if the number of the certificate issued under subsection (1) is disclosed when the goods are accounted for under section 32 of the Customs Act and the certificate is in force at that time.

 

[23]           Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut sans aucun doute modifier une décision et n’est pas lié par ses décisions précédentes. Toutefois en l’absence d’une indication claire à l’effet que le législateur avait l’intention de donner au ministre le pouvoir d’annuler rétroactivement un certificat valablement délivré accordant une exonération de droits de douane, je ne peux souscrire à la position du défendeur suivant laquelle il peut maintenant réclamer à la demanderesse la restitution des droits qu’il lui a remboursés en se fondant sur une deuxième décision dans laquelle il conclut que la marchandise n’est pas exportée « dans le même état » qu’au moment de son importation et qui vise à modifier la première décision.   

 

[24]           La situation aurait été différente si le demandeur avait fait de fausses déclarations ou avait caché des renseignements pertinents qui auraient pu sensiblement affecter la première décision. En dépit de certaines allusions contenues au dossier suivant lesquelles Dorel n’aurait pas divulgué le procédé du touffetage, ce n’est manifestement pas le cas. Un relevé détaillé de rajustement daté du 14 mars 2011 produit par le défendeur fait clairement référence à des revêtements de futons touffetés et a été transmis à l’agent principal de programme qui a rendu la première décision. Le défendeur a également produit une note de service datée du 27 mai 2010 qui reconnait clairement la présence du touffetage. À l’audience, le procureur du défendeur a admis qu’aucune déclaration inexacte n’avait été faite au nom de Dorel et que la deuxième décision ne peut être que le résultat d’une nouvelle interprétation, contrairement à ce que la lettre du 13 avril 2012 affirmait (voir paragraphe 11 ci-dessus).

 

[25]           On aurait pu faire valoir (bien que cela n’ait pas été le cas), que le mot « annuler » qui se trouve au paragraphe 90(2) de la Loi, permet au ministre d’annuler un certificat dès sa formation et de le remplacer par un nouveau certificat qui, à toutes fins pratiques, aurait pu s’appliquer comme s’il avait été délivré le 14 septembre 2011. Une telle interprétation serait toutefois contraire aux principes bien établis d’interprétation des lois suivant lesquels le législateur n’a pas l’intention de conférer aux autorités subordonnées le pouvoir d’adopter des règlements ou de rendre des ordonnances rétroactives : Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., (Ottawa: LexisNexis, 2002), à 546. Il faudrait que le libellé de la Loi soit beaucoup plus clair et explicite qu’il ne l’est à l’article 90 pour écarter cette règle d’interprétation législative. Traitant de cet article, le juge Blais (alors juge de la Cour fédérale) écrivait ce qui suit dans Dominion Sample Ltd c Canada (Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu), 2003 CF 1244 :

[62] Il n'est pas possible que le législateur fédéral ait voulu une telle interprétation. S'il avait voulu que l'annulation du certificat soit rétroactive, alors que son titulaire n'a rien fait pour la provoquer, le législateur aurait sans doute prévu expressément la rétroactivité.

 

[…]

 

[66] En l'espèce, tout comme dans l'affaire précitée, un avantage financier a été obtenu avec la connaissance et le consentement de Sa Majesté. Le ministre peut, comme le prévoit le Tarif des douanes, annuler le certificat. Toutefois, en l'absence de pouvoir lui permettant clairement de le faire, il ne peut pas réclamer rétroactivement à l'importateur-exportateur des droits qui ont déjà fait l'objet d'une exonération en vertu d'un certificat valide alors que les deux parties se sont déclarées satisfaites que les conditions du certificat avaient été respectées.

 

 

[26]           Il se trouve toutefois d’autres dispositions de la Loi qui prévoient qu’un décret du gouverneur en conseil peut avoir un effet rétroactif. Le paragraphe 14(3) prévoit que le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier l’annexe pour réduire un taux applicable aux marchandises importées d’un pays. L’article 82 de la Loi est particulièrement révélateur de la connaissance que le législateur possède de ce principe fondamental d’interprétation des lois:

Modification des taux

 

 

 

82. (1) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier la liste des dispositions tarifaires et le tableau des échelonnements en ce qui concerne les marchandises utilisées pour la production d’autres marchandises ou la fourniture de services, sous réserve, le cas échéant, des conditions ou de la durée d’application précisées dans le décret.

 

Modification ou abrogation

 

(2) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier ou abroger, avant son expiration, un décret pris en application du paragraphe (1) et fixer les conditions ou la durée d’application de la modification ou de l’abrogation.

 

 

(…)

 

Rétroactivité des décrets

 

(4) Les décrets pris en application des paragraphes (1) ou (2) peuvent, s’ils comportent une disposition en ce sens, avoir un effet rétroactif et s’appliquer à une période antérieure à la date de leur prise, mais non antérieure à la date d’entrée en vigueur du présent article.

 

(…)

Amendment of List of Tariff Provisions and the “F” Staging List

 

82. (1) The Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, by order, amend the List of Tariff Provisions and the “F” Staging List in respect of goods used in the production of other goods or the provision of services, subject to any conditions and for any period that may be set out in the order.

 

 

 

 

Repeal or amendment

 

(2) At any time before the expiration of an order made under subsection (1), the Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, by subsequent order, repeal or amend the order subject to any conditions and for any period that may be set out in the subsequent order.

 

(…)

 

Retroactivity

 

(4) An order made under subsection (1) or (2) may, if it so provides, be retroactive and have effect in respect of a period before it is made, but no such order may have effect in respect of a period before this section comes into force.

 

 

 

(…)

 

[27]           Si le législateur avait voulu conférer au ministre le pouvoir d’annuler un certificat, non seulement pour l’avenir mais aussi pour le passé, il aurait pu le dire tout aussi explicitement dans ces autres articles de la Loi. En l’absence d’un tel langage clair, on doit présumer que le législateur n’avait pas l’intention de donner au ministre le pouvoir d’annuler rétroactivement un certificat. 

 

[28]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les décisions rendues par le défendeur le 25 avril 2012 et dans lesquelles il ordonnait à la demanderesse de restituer les drawbacks qui lui avaient été accordés sont non seulement déraisonnables, mais sont également dépourvues de fondement en droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens en faveur de la demanderesse.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens en faveur de la demanderesse.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-1024-12

 

INTITULÉ :

DOREL INDUSTRIES INC. C LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 28 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge de Montigny :                         

 

DATE :

                                                            LE 24 février 2014

COMPARUTIONS :

Michael Kaylor

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Lisa Morency

Jacques Savary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lapointe Rosenstein

Marchand Melançon LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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