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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20131220

Dossier : T‑737‑11

Référence : 2013 CF 1282

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 [la Loi et la Loi sur la protection des renseignements personnels], visant la décision du 12 mars 2010 par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada a refusé la demande du demandeur touchant la divulgation et la communication des conversations téléphoniques interceptées après sa remise en liberté entre le 11 avril 2007 et le 12 mai 2008. Une plainte a été déposée à l’égard de cette décision du 12 mars 2010 et a été examinée par la commissaire à la protection de la vie privée. Cette dernière a conclu, dans une décision en date du 8 mars 2011, que les exceptions invoquées (au titre de l’alinéa 22(1)b) et de l’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels) étaient valides.

 

I.          Les faits et la décision sous contrôle

[2]               Le demandeur a obtenu la qualité de réfugié en 1996. Il a été détenu entre juin 2000 et février 2007 en vertu d’un certificat de sécurité qui a été annulé après que la Cour suprême du Canada eut déclaré invalide le régime des certificats de sécurité dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 140, [2007] 1 RCS 350. Après les modifications apportées en 2008 à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], un nouveau certificat a été délivré à l’égard du demandeur; celui‑ci a récemment été jugé raisonnable (voir les Motifs du jugement et jugement du juge Blanchard publiés sous la référence 2013 CF 1092 [Mahjoub, 2013 CF 1092]). Le 15 février 2007, le demandeur a été remis en liberté moyennant certaines conditions (voir Mahjoub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 171, 61 Imm LR (3d) 1 [Mahjoub, 2007 CF 171]). L’une d’entre elles était qu’il consente ainsi que les autres utilisateurs du téléphone résidentiel, à savoir son épouse et le fils de cette dernière (le beau‑fils du demandeur), à ce que toutes leurs communications téléphoniques et écrites soient interceptées. Le demandeur et les membres adultes du ménage y ont consenti.

 

[3]               Le ou vers le 12 mai 2008, un ancien avocat du demandeur a demandé à l’ASFC l’accès à trois catégories de documents : [traduction] « 1) toutes les conversations interceptées depuis le 11 avril 2007, 2) le courrier intercepté depuis le 11 avril 2007 (le 12 mai 2008), et 3) tous les enregistrements, y compris les dossiers médicaux, les rapports de surveillance, les rapports d’incidents, les notes de service de l’ASFC, effectués depuis le 11 avril 2007 (c.‑à‑d. jusqu’au 12 mai 2008). »

 

[4]               L’ASFC a accusé réception de la demande susmentionnée dans une lettre datée du 28 mai 2008 et a demandé, le ou vers le 10 juin suivant, une prorogation de délai afin de la traiter.

 

[5]               En décembre 2008, il a été révélé que l’ASFC interceptait par l’entremise de son mandataire, le Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS], les communications entre le demandeur et son avocat. Dans une ordonnance datée du 19 décembre 2008, la Cour a ordonné que ces interceptions cessent immédiatement. Les conditions de sa remise en liberté ont été modifiées pour corriger cette situation.

 

[6]               Dans une communication écrite datée du 30 septembre 2009, M. Pierre Tessier, directeur de la Division de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et des politiques de divulgation de l’ASFC, a indiqué que le traitement de la demande était achevé et que les documents des deux dernières catégories susmentionnées, à savoir les courriers interceptés et tous les enregistrements effectués depuis le 11 avril 2007, y compris les dossiers médicaux, les rapports de surveillance, les rapports d’incidents, etc. seraient divulgués, mais non les conversations interceptées. M. Tessier a précisé que certains des renseignements demandés avaient été soustraits à la divulgation en vertu des alinéas 191)a), 191)b), 221)a), 221)b), 701)a), 701)b), 701)c), 701)d), 701)e) et 701)f), ainsi que des articles 20, 21, 26 et 27 de la Loi.

 

[7]               Le 10 février 2010, l’ancien avocat du demandeur a écrit à M. Tessier pour l’informer que les documents divulgués étaient insuffisants, car ils ne contenaient aucune conversation interceptée, soit retranscrite soit enregistrée sur CD‑ROM […]. [traduction] « Les documents ne contiennent manifestement aucune des conversations entre l’avocat et son client ». L’avocat a donc demandé à l’ASFC de lui communiquer […] [traduction] « les conversations interceptées, sur CD ou tout autre format ».

 

[8]               Le 12 mars 2010, M. Tessier a répondu que toutes les conversations interceptées avaient été soustraites à la divulgation en vertu de l’alinéa 22(1)b) et de l’article 26 de la Loi. Le 7 avril suivant, le demandeur a déposé devant le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [CPVP] une plainte dans laquelle il contestait le refus du 12 mars 2010 de l’ASFC de lui communiquer les conversations interceptées. L’avocat précisait qu’il ne demandait pas la communication des conversations interceptées de l’épouse et du fils de celle‑ci, mais seulement celles du demandeur.

 

[9]               Dans un rapport rendu le 8 mars 2011 à la suite d’une enquête, l’auteur du document a confirmé le bien‑fondé des exceptions invoquées par l’ASFC (au titre de l’alinéa 22(1)b) et de l’article 26 de la Loi) et conclu que la plainte était sans fondement.

 

[10]           Le 28 avril 2011, le demandeur a signifié et déposé un avis de demande en application de l’article 41 de la Loi afin de soumettre le refus de l’ASFC du 12 mars 2010 à un contrôle judiciaire.

 

[11]           Le 28 juillet suivant, le défendeur a signifié et déposé un affidavit de M. Tessier, daté du 7 juillet 2011, confirmant que la décision reposait sur l’alinéa 22(1)b) et l’article 26 de la Loi.

 

[12]           Le 12 juin 2011, le demandeur a cherché à obtenir la communication des documents pertinents au regard de sa demande détenus par le tribunal dont la décision est visée par la présente demande. Le défendeur s’est opposé à cette demande le 26 août suivant.

 

[13]           Le 29 août 2011, le demandeur a signifié et déposé le contre‑interrogatoire écrit de M. Tessier; le 28 septembre 2011, le défendeur a signifié et déposé les réponses de l’interrogatoire écrit de M. Tessier.

 

[14]           Le 28 octobre 2011, le demandeur a déposé une requête en vue de faire trancher les objections de M. Tessier concernant son contre‑interrogatoire.

 

[15]           Le 23 novembre 2011, le défendeur a déposé une requête pour obtenir l’autorisation de la Cour de déposer l’affidavit confidentiel de M. Brett Bush, de l’ASFC. À l’appui de cette requête, le défendeur a produit un affidavit souscrit par M. Tessier dans lequel celui‑ci écrit, au paragraphe 4, [traduction] « [qu’]après avoir consulté l’affidavit de M. Bush, [il] confirme par ailleurs que la divulgation des renseignements qu’il contient serait préjudiciable à la sécurité nationale ». Le demandeur s’est opposé à la demande du défendeur concernant le dépôt de l’affidavit confidentiel de M. Bush.

 

[16]           Le 28 novembre 2011, la Cour a instruit la requête du demandeur visant à faire trancher les objections ainsi que la requête du défendeur visant le dépôt de l’affidavit confidentiel. Le protonotaire Morneau a pris acte de la déclaration de M. Tessier dans son affidavit selon laquelle la divulgation des renseignements serait préjudiciable à la sécurité nationale, et a fait remarquer que cette exception n’était pas invoquée dans la lettre de refus du 12 mars 2010. La Cour a recommandé que la présentation des requêtes soit ajournée sine die et que les parties demandent qu’un juge soit désigné à titre de responsable de la gestion de l’instance. Le soussigné a été nommé par le juge en chef.

 

[17]           Le 10 avril 2012, le défendeur a déposé une requête afin d’ajouter de nouveaux motifs de refus, à savoir l’article 21 et le sous‑alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi. Le demandeur a réitéré son objection. Le 19 juillet 2012, la Cour a rendu une ordonnance accueillant la requête du défendeur et l’autorisant donc à ajouter de nouveaux motifs fondés sur la sécurité nationale. La Cour a indiqué dans l’ordonnance qu’elle examinerait d’abord la décision fondée sur les premiers motifs invoqués par le décideur, et qu’elle ne procéderait au contrôle de la décision au regard des nouveaux motifs que si elle estimait que les exceptions initiales avaient été invoquées à tort (voir l’ordonnance rendue le 19 juillet 2012 dans le présent dossier (T‑737‑11)).

 

[18]           Le 10 octobre 2012, la Cour a rendu deux ordonnances par lesquelles elle accueillait la requête du défendeur visant le dépôt de l’affidavit confidentiel de M. Bush aux fins de l’audience ex parte et à huis clos (voir l’ordonnance rendue en réponse à la requête du défendeur visant le dépôt d’un affidavit confidentiel et la prorogation du délai de dépôt), et rejetait celle du demandeur visant les objections à l’égard des réponses de M. Tessier lors du contre‑interrogatoire relatif à son affidavit (voir l’ordonnance rendue relativement aux objections à l’égard des réponses fournies conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106). L’affidavit de M. Bush a été déposé le 22 octobre 2012.

 

[19]           Une audience ex parte a eu lieu le 9 janvier 2013 pour examiner l’affidavit de M. Bush. Le même jour, la Cour a informé l’avocat du demandeur du déroulement de la séance ex parte dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance.

 

[20]           Le 25 janvier 2013, la Cour a ordonné au ministre de préparer une version caviardée de l’affidavit de M. Bush. Les modifications proposées ont satisfait la Cour. D’autre part, elle a enjoint aux parties de ne déposer qu’un dossier chacune et de traiter de toutes les exceptions. L’affidavit caviardé a été signifié le 30 janvier 2013.

 

[21]           Le 11 février suivant, le demandeur a déposé un dossier de requête afin que lui soit divulgué la version caviardée de la transcription de l’audience ex parte et à huis clos du témoin du défendeur, que la Cour a entendu le 9 janvier 2013, ou, subsidiairement, qu’il soit ordonné qu’un résumé public et détaillé de cette audience lui soit communiqué. Le 21 mars 2013, la Cour a rejeté cette requête (voir l’ordonnance rendue le 21 mars 29013 dans le présent dossier (T‑737‑11)).

 

[22]           L’audience publique relative à la demande fondée sur l’article 41 visant le contrôle de la décision du 12 mars 2010 a eu lieu le 27 juin 2013. La Cour a soulevé des préoccupations concernant la possible répétition des instances et la remise en litige de questions déjà tranchées par le juge désigné ayant présidé l’instance relative au certificat de sécurité du demandeur. Il était de connaissance publique que les communications interceptées durant la période en cause ont été divulguées dans le cadre de cette instance. L’avocat du demandeur a réfuté les préoccupations de la Cour, alors que celui du défendeur les partageait.

 

[23]           Au moyen d’une ordonnance en date du 17 juillet 2013, le demandeur a été sommé de déposer devant la Cour l’ensemble des demandes et requêtes présentées, des décisions rendues et des renseignements fournis dans le cadre de l’instance relative au certificat et se rapportant aux communications interceptées. Le défendeur devait ensuite examiner les documents, comparer ceux qui ont été divulgués lors de l’instance relative au certificat avec les communications interceptées conservées par l’ASFC, et indiquer à la Cour ce qui avait été divulgué ou non le ou vers le 12 septembre 2013. Une fois reçus ces renseignements et les observations supplémentaires des parties, la Cour prendrait toutes ces questions en délibéré. À l’issue de cet exercice, seulement cinq de ces conversations téléphoniques entre l’avocat et son client n’ont pas été divulguées au demandeur. La première avait duré une (1) minute et 21 secondes, la deuxième était inaudible d’après le registre et avait duré 37 secondes. La troisième conversation avait duré 56 secondes, la quatrième 0 (zéro) seconde et la dernière une (1) seconde. En tout, sur les 4 986 conversations interceptées, 695 ont été identifiées comme relevant de la relation avocat‑client et ont été divulguées au demandeur. Par conséquent, la présente instance ne concerne en grande partie que cinq (5) conversations non divulguées, dont deux (2) sont inaudibles et les trois (3) autres durent moins de deux (2) minutes chacune. Il est à noter que l’ancien avocat se souciait « particulièrement » de la divulgation de ces conversations avec son client (voir la lettre datée du 10 février 2010; dossier du demandeur, page 26) et non des autres échanges téléphoniques non dévoilés.

 

II.        Observations du demandeur

[24]           Le demandeur soutient qu’en vertu de la Loi, l’accessibilité aux renseignements personnels est la règle, et la confidentialité, l’exception. Les exclusions doivent donc être interprétées restrictivement et il incombe au défendeur, en vertu de l’article 47 de la Loi, d’en justifier l’application selon la prépondérance des probabilités.

 

[25]           Aux termes de l’article 21 et de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, le défendeur doit démontrer un lien clair et direct entre la divulgation et le préjudice allégué pour justifier le maintien de la confidentialité.

 

[26]           De plus, même s’il démontre qu’il s’est acquitté de ce fardeau, le défendeur n’est pas obligé de soustraire les renseignements à la divulgation en vertu des articles 21 et 26 et de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, puisque, comme le soutient le demandeur, la Cour peut vérifier s’il a dûment ou légalement exercé ce pouvoir discrétionnaire.

 

[27]           Le demandeur fait valoir que dans le cas présent, le ministre n’a pas réussi et ne peut réussir à établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’exclusion des communications interceptées était justifiée, et ajoute que même si cette nécessité était démontrée, le ministre n’a pas dûment ou légalement exercé sa compétence.

 

[28]           Le demandeur prétend que l’article 21, le sous‑alinéa 22(1)a)(iii) et l’alinéa 22(1)b) de la Loi ne s’appliquent pas. Ses communications téléphoniques ont été interceptées après sa remise en liberté en 2007 sous des conditions rigoureuses imposées par la Cour, de sorte que ces interceptions étaient connues.

 

[29]           De plus, les conversations téléphoniques du demandeur n’auraient pas dû être interceptées ou servir à autre chose qu’à veiller au respect des conditions de sa remise en liberté. Pour être compatibles avec l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R‑U) [la Charte], les interceptions doivent être effectuées conformément aux critères énoncés dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches de la direction des enquêtes sur les coalitions) c Southam Inc., [1984] 2 RCS 145, 11 DLR (4th) 641. Le demandeur avance que si elles ont été employées à toute autre fin, elles étaient illégales.

 

[30]           Le demandeur ajoute que si les interceptions sont illégales, l’ASFC ne peut invoquer, pour dissimuler un acte répréhensible, des motifs relatifs à la sécurité nationale ou le préjudice qui serait causé au regard d’une enquête en cours, comme l’a affirmé la Cour fédérale dans la décision Khadr c Canada (Procureur général), 2008 CF 549, 77 WCB (2d) 624. Il ajoute que l’instance relative à son certificat de sécurité a révélé que le défendeur avait illégalement intercepté, par l’entremise du SCRS, ses communications avec son avocat, violant ainsi son droit à ce que celles‑ci soient protégées par le secret professionnel de l’avocat.

 

[31]           Comme je l’ai déjà indiqué, certains enregistrements des communications interceptées ont déjà été communiqués au demandeur durant l’instance relative à son certificat de sécurité, ce qui démontre encore que les exceptions invoquées sont non fondées ou que le défendeur n’a pas légalement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a décidé s’il y avait lieu ou non de divulguer les interceptions, malgré le fait que ces exceptions étaient peut‑être applicables.

 

[32]           Comme les interceptions ont été autorisées par un organe judiciaire, que le demandeur et les membres adultes de son ménage y ont consenti et qu’elles visaient à vérifier qu’il respectait les conditions de sa remise en liberté, le demandeur soutient qu’on ne peut pas affirmer que la divulgation des interceptions risquait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense nationale ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités subversives ou, au regard de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, aux activités destinées à faire respecter les lois canadiennes ou au déroulement d’enquêtes licites.

 

[33]           Pour le demandeur, il est évident que le libellé de l’article 21, du sous‑alinéa 22(1)a)(iii) et de l’alinéa 22(1)b) de la Loi autorise le défendeur à user de son pouvoir discrétionnaire pour divulguer les renseignements demandés, même s’ils tombent sous le coup des exceptions prévues.

 

[34]           Le demandeur estime que, si l’on se reporte à l’affidavit de M. Tessier, rien n’indique que celui‑ci ait considéré, au moment de rendre sa décision, les facteurs et intérêts pertinents, les faits et les circonstances de cette affaire particulière, comme le fait que les interceptions procédaient d’une ordonnance de la Cour, que le demandeur y avait consenti et qu’elles visaient surtout à garantir le respect des conditions de sa remise en liberté. Le défendeur aurait dû tenir compte de ces facteurs lorsqu’il a refusé de divulguer les conversations interceptées.

 

[35]           Enfin, le demandeur soutient que le défendeur ne peut invoquer l’exception fondée sur l’article 26 de la Loi pour refuser de divulguer les conversations interceptées qu’il a eues avec des tiers étant donné que le demandeur y a pris part.

 

[36]           Quant aux appels de l’épouse ou du beau‑fils du demandeur, bien que la demande d’accès à l’information ne contienne aucun formulaire de consentement signé par ces deux personnes, elles ont accepté que les communications soient interceptées au titre de l’ordonnance de la Cour. Le demandeur soutient que ce consentement peut être considéré comme s’étendant à la demande de divulgation.

 

[37]           Le demandeur ajoute que si la Cour estime que les enregistrements des conversations ne peuvent être divulgués, les registres d’appels devraient à tout le moins l’être.

 

III.       Les observations du défendeur

[38]           Le défendeur soutient premièrement que la Cour ne peut pas réviser sa propre ordonnance concernant la possibilité de présenter des motifs additionnels, et que si le demandeur s’opposait à l’ordonnance de la Cour l’autorisant à invoquer d’autres exceptions, il aurait pu la porter en appel en vertu de l’alinéa 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [LCF]. Par conséquent, le refus du ministre peut être fondé sur l’article 21, le sous‑alinéa 22(1)a)(iii), l’alinéa 22(1)b) ou encore l’article 26 de la Loi.

 

[39]           Deuxièmement, le défendeur fait valoir que l’application des exceptions n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[40]           Le défendeur soutient que le refus fondé sur l’article 26 de la Loi est sans doute la réponse la plus simple à la demande de M. Mahjoub. Comme l’a établi la jurisprudence, l’objet de cette disposition est d’empêcher la divulgation de renseignements personnels concernant des tiers. Aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi, les gouvernements ne peuvent révéler des renseignements personnels sans le consentement de l’individu qu’ils concernent, à moins que ceux‑ci ne relèvent de l’une des exceptions énumérées au paragraphe 8(2). Seul l’alinéa 8(2)m) de la Loi, qui exige un exercice de mise en balance, s’applique en l’espèce. Une institution fédérale peut divulguer des renseignements personnels dans des circonstances exceptionnelles lorsque l’intérêt public l’emporte clairement sur la violation de la vie privée de tierces parties que la divulgation pourra entraîner. L’institution fédérale jouit donc d’un large pouvoir discrétionnaire. Comme l’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c Canada (Procureur général), 2006 CSC 13, 48 CPR (4th) 161 [Heinz], l’objet de la Loi est d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et le droit d’accès à l’information. Il ressort clairement de la Loi qu’elle accorde une plus grande importance à la protection des renseignements personnels.

 

[41]           Dans le cas du demandeur, aucune des personnes l’ayant appelé ou contacté, lui, son épouse ou son fils, n’a jamais consenti à la divulgation de son nom, numéro de téléphone ou de ses conversations. Personne en dehors des membres de son ménage n’a consenti à l’interception de ses conversations. Quand bien même le demandeur, son épouse et son fils ont pris part à ces conversations, cela ne leur donne pas le droit d’obtenir les noms de ceux avec qui ils se sont entretenus ni aucun autre détail. C’est particulièrement vrai en ce qui a trait aux conversations auxquelles le demandeur a participé.

 

[42]           Par ailleurs, le demandeur réclame l’accès aux renseignements personnels le concernant ainsi qu’à ceux concernant son épouse et son beau‑fils; ces deux derniers auraient pu consentir par écrit à la divulgation des conversations, mais ils ne l’ont pas fait. Le demandeur ne peut pas faire valoir le consentement que son épouse et son beau‑fils ont donné à l’interception dans l’instance relative au certificat. Il est absurde de déposer une demande distincte à l’encontre du refus de la divulgation tout en s’appuyant sur l’instance relative au certificat, durant laquelle le demandeur aurait pu déposer une requête similaire à celle(s) qu’il a présentée(s) antérieurement en vue d’obtenir les mêmes renseignements. Une demande d’accès à des renseignements personnels ne saurait être confondue avec une instance relative à un certificat.

 

[43]           Le défendeur soutient en outre que, selon le paragraphe 29 de l’arrêt Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 RCS 773 [Lavigne], lorsque l’article 26 de la Loi s’applique, comme en l’espèce, l’institution est légalement tenue de refuser de divulguer des renseignements personnels.

 

[44]           S’agissant du refus fondé sur l’article 21, le sous‑alinéa 22(1)a)(iii) et l’alinéa 22(1)b) de la Loi, le défendeur affirme qu’il est également justifié, car la preuve présentée ex parte fournit un fondement valide à ces exceptions. Dans le cas qui nous occupe, contrairement à l’arrêt Lavigne, précité, dans lequel toutes les enquêtes étaient terminées au moment où la demande de divulgation de renseignements personnels avait été soumise, des enquêtes sont encore en cours. Le terme « enquête », défini au paragraphe 22(3) de la Loi, a un sens large et peut se rapporter indifféremment à des enquêtes en cours, sur le point de débuter ou à venir (voir l’arrêt Lavigne, précité, aux paragraphes 52, 54 et 55).

 

[45]           Aux fins de la présente instance, ces dispositions peuvent être regroupées sous [traduction] « l’exception touchant la sécurité nationale ». Le fait que la Cour ait entre autres ordonné l’interception des conversations comme condition de remise en liberté de M. Mahjoub montre qu’il représentait alors une menace pour la sécurité nationale. Cette évaluation est appuyée par la preuve ex parte selon laquelle il représente un risque potentiel permanent pour la sécurité nationale et par les enquêtes licites en cours prenant expressément la forme d’une surveillance continue des conversations téléphoniques du demandeur et de sa famille.

 

[46]           Le défendeur soutient enfin qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, compatible avec les objectifs de la Loi et conforme aux principes juridiques applicables. M. Tessier a refusé de divulguer les conversations au motif que leur communication risquait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois canadiennes ou au déroulement d’enquêtes licites, et que les renseignements non divulgués intéressent l’existence ou la nature d’une enquête donnée et qu’ils ont été obtenus ou préparés dans le cadre d’une enquête. Le fait que M. Tessier ait divulgué certains renseignements et pas d’autres est révélateur. En d’autres mots, ce préjudice a fait pencher la balance en faveur du refus de la divulgation des conversations interceptées, ce qui signifie qu’il estimait que leur communication pouvait être dommageable.

 

[47]           Le défendeur soutient que M. Tessier a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière compatible avec les principes juridiques pertinents et avec les objectifs de la Loi, qui sont notamment de protéger le droit à la vie privée des individus au regard de leurs renseignements personnels détenus par une institution fédérale, en leur accordant le droit d’y accéder, tout en défendant les intérêts du gouvernement par des exceptions au principe général qui milite en faveur de la divulgation.

 

[48]           La preuve, notamment les affidavits de MM. Tessier et Bush, montre que des préoccupations sérieuses touchant la sécurité nationale justifiaient le refus de la divulgation. Le défendeur fait valoir qu’aucun intérêt public n’est supérieur à la sécurité nationale, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Goguen c Gibson (1984), 40 CPC 295, 3 Admin LR 225 (CAF), et la Cour suprême plus récemment dans l’arrêt Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, aux paragraphes 24 à 29, [2002] 4 RCS 3.

 

[49]           Par ailleurs, le défendeur soutient que lorsque l’article 21 ou l’alinéa 22(1)b) s’applique, l’institution fédérale est soumise à la norme de preuve moins stricte du « refus fondé sur des motifs raisonnables ». Ce fait, ainsi que les exceptions discrétionnaires créées par l’article 21 et le sous‑alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi, démontre également clairement que l’importance de la sécurité nationale est telle que c’est l’institution fédérale, et non la Cour, qui jouit d’une plus grande latitude pour décider si la divulgation des renseignements personnels compromet la sécurité nationale.

 

IV.      Les points litigieux

1.    L’exception visée à l’article 26 invoquée par le défendeur constitue‑t‑elle un fondement valide au refus de divulguer les communications interceptées?

 

2.    L’exception visée à l’alinéa 22(1)b) invoquée par le défendeur constitue‑t‑elle un fondement valide au refus de divulguer les communications interceptées?

 

3.    Dans le cas où l’une des deux premières questions, ou les deux, recevraient une réponse affirmative, le pouvoir discrétionnaire a‑t‑il exercé conformément à la Loi?

 

4.    Dans le cas où l’une des trois (3) questions précédentes recevrait une réponse négative, les exceptions visées à l’article 21 et au sous‑alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi invoquées postérieurement par le défendeur constituent‑elles un fondement valide au refus de divulguer les conversations interceptées?

 

[50]           Comme nous le verrons, la plupart des conversations interceptées ont été validement soustraites à la divulgation en vertu de l’article 26 et de l’alinéa 22(1)b), et le pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière raisonnable. Quant aux cinq (5) conversations interceptées entre le demandeur et son avocat, elles ne relèvent d’aucune exception puisqu’elles sont protégées par le secret professionnel de l’avocat, et qu’aucune exception ne peut justifier leur non‑divulgation. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se pencher ici sur la quatrième question.

 

V.        La norme de contrôle

[51]           En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable à la présente affaire, la Cour doit d’abord décider si les renseignements demandés et non communiqués relèvent ou non de l’une des exceptions à la divulgation prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette décision constitue une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (voir Leahy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 227, au paragraphe 98 [Leahy]). Si l’exception invoquée pour justifier la non‑divulgation suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, celui‑ci sera assujetti à la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Leahy, précité, au paragraphe 99). Comme le notait la Cour d’appel fédérale, ce type de pouvoir discrétionnaire repose sur les faits et a une composante politique. La déférence est de mise.

 

VI.      Analyse

            A. Les exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels

[52]           En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, tout citoyen canadien ou résident permanent (défini dans la LIPR) a le droit de se faire communiquer sur demande des renseignements personnels le concernant (voir l’article 2 et le paragraphe 12(1) de la Loi). Dans le Décret d’extension no 2 (Loi sur la protection des renseignements personnels) DORS/89‑206, le droit d’accès prévu au paragraphe 12(1) de la Loi a été élargi à toutes les personnes présentes au Canada.

 

[53]           Lorsqu’un individu cherche à se faire communiquer des renseignements le concernant, la règle générale veut que la divulgation ait lieu sur demande, et l’exception, que le décideur invoque les exceptions prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[54]           Comme nous l’avons déjà noté, l’ASFC a initialement invoqué les exceptions suivantes pour justifier la non‑divulgation des conversations interceptées : la communication de ces renseignements risquait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois canadiennes ou au déroulement d’enquêtes licites (alinéa 22(1)b) de la Loi) et de révéler des informations sur des individus autres que le demandeur (article 26 de la Loi). D’autres exceptions liées à la sécurité nationale sont venues s’ajouter dans le cadre de la présente instance. Encore une fois, comme nous l’avons vu, la Cour a décidé le 19 juillet 2012 d’autoriser le défendeur à invoquer ces autres motifs : la divulgation des renseignements demandés risquait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités subversives (article 21 de la Loi), ou encore les renseignements concernés ont été recueillis dans le cadre d’enquêtes licites touchant des activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23, au paragraphe 2 (sous‑alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels).

 

[55]           La Cour a indiqué, dans l’ordonnance du 19 juillet 2012, qu’elle traiterait d’abord des exceptions initialement invoquées et qu’elle se pencherait ensuite sur les nouveaux motifs concernant la sécurité nationale si les premières s’avéraient inapplicables.

 

[56]           Le fardeau d’établir l’applicabilité des exceptions invoquées à l’appui de la non‑divulgation incombe à l’institution fédérale, en l’occurrence l’ASFC (voir l’arrêt Lavigne, précité, au paragraphe 31).

 

[57]           Quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, c’est à l’ASFC qu’il appartient de démontrer qu’il était raisonnable, pourvu que les exceptions aient été validement invoquées. Après tout, le demandeur, qui n’a pris part qu’à certaines des communications interceptées, ne connaît pas tous les renseignements soustraits à la divulgation, comme ceux qui concernent son épouse et son beau‑fils. Par ailleurs, son avocat n’a ni participé à l’audience ex parte ni eu accès à l’affidavit complet se rapportant aux motifs liés à la sécurité nationale ou aux pièces déposées (voir Attaran c Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2011 CAF 182, aux paragraphes 36 à 39). Telle était la situation en l’espèce. Par conséquent, il serait inéquitable d’imposer un fardeau de preuve à la partie qui ne dispose pas de tous les renseignements que l’autre détient. Il incombe donc au défendeur de démontrer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire était raisonnable. Je note qu’il l’a reconnu au paragraphe 40 de ses observations écrites.

 

[58]           Pour établir le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la preuve doit démontrer que l’objet de la Loi a été respecté, et donc que la divulgation a été envisagée malgré la ou les exceptions et, le cas échéant, que le préjudice susceptible d’en découler ainsi que les autres facteurs pertinents ont été pris en compte (voir Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 RCS 815, au paragraphe 48, et l’arrêt Attaran, précité, au paragraphe 17).

 

[59]           Avant de conclure cette partie, la Cour souligne qu’elle n’a pas l’intention de réviser son ordonnance susmentionnée en date du 19 juillet 2012. Les observations du demandeur sont à cet égard ambiguës. Par souci de clarté, l’ordonnance est maintenue : le demandeur ne l’a pas portée en appel comme il aurait pu le faire en vertu de l’alinéa 27(1)c) de la LCF, et il serait malvenu que la Cour fasse comme si elle n’existait pas. Par conséquent, la décision de l’ASFC de ne pas divulguer les conversations téléphoniques interceptées peut être fondée sur l’une des exceptions suivantes :

 

i)          les renseignements concernent des individus autres que le demandeur (article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels);

 

ii)        la divulgation nuit aux activités destinées à faire respecter les lois canadiennes ou au déroulement d’enquêtes licites (alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels);

 

iii)      la divulgation porte préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités subversives (article 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels);

 

iv)      les renseignements ont été recueillis dans le cadre d’enquêtes licites ayant trait à des activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada (sous‑alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels).

 

[60]           Comme nous l’avons déjà mentionné, il ne sera pas nécessaire d’examiner l’exception relative à la sécurité nationale, et l’analyse qui suit concernera les exceptions visées à l’article 26 et à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

            B. L’exception visée à l’article 26 constitue‑t‑elle un fondement valide au refus de divulguer les communications interceptées?

[61]           Malgré la non‑divulgation du contenu, les parties savent que les renseignements conservés peuvent être classés de la façon suivante :

i)     les conversations téléphoniques de l’épouse du demandeur et du fils de celle‑ci avec des inconnus. L’épouse et le fils n’ont pas consenti à la divulgation de ces renseignements;

 

ii)        les conversations téléphoniques du demandeur avec des inconnus n’ayant pas consenti à ce que ces conversations soient divulguées;

 

iii)      les conversations téléphoniques du demandeur avec ses avocats, dont le juge ayant délivré le certificat a établi qu’elles étaient protégées durant la période en question par le secret professionnel de l’avocat (voir les Motifs de l’ordonnance et ordonnance rendus par le juge Blanchard, publiés sous la référence 2013 CF 1095, aux paragraphes 207 et 221, [2013] ACF no 1216 [Mahjoub (Re), 2013 CF 1095]).

 

[62]           Comme nous l’avons déjà mentionné, et pour faciliter la compréhension du reste de l’analyse, rappelons que les deux premières catégories relèvent du droit à la vie privée protégé par l’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La troisième, comme l’a fait valoir l’avocat du demandeur, concerne le caractère inapproprié et illégal de la poursuite de ces interceptions, et soulève donc la question suivante : les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat peuvent‑ils être soustraits à la divulgation en vertu de l’une des deux exceptions (fondées sur l’article 26 et l’alinéa 22(1)b) de la Loi) invoquées par le défendeur?

 

[63]           Dans l’arrêt Heinz, précité, aux paragraphes 21 à 31, la Cour suprême du Canada a très clairement indiqué que « […] la protection de la vie privée des particuliers l’emporte sur le droit d’accès à l’information ». Le droit à la vie privée (c.‑à‑d. protection des renseignements personnels) mériterait également une plus grande protection que le droit d’accès.

 

[64]           L’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dispose :

 

Loi sur la protection des renseignements personnels,

LRC, 1985, c P‑21

 

Renseignements concernant un autre individu

 

26. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l’article 8.

Privacy Act, RSC, 1985,

c P‑21

 

 

Information about another individual

 

26. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) about an individual other than the individual who made the request, and shall refuse to disclose such information where the disclosure is prohibited under section 8.

 

Cette disposition vise à protéger les tierces parties contre la révélation de renseignements confidentiels les concernant, et le sous‑alinéa 8(2)m)(i) prescrit un exercice de mise en balance de l’intérêt public engagé par la divulgation et du droit à la vie privée (voir Ruby c Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589, au paragraphe 121).

 

[65]           Si la divulgation est interdite aux termes de l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’article 26 précise clairement que le décideur « est tenu » de la refuser (voir l’arrêt Lavigne, précité, au paragraphe 29).

 

[66]           D’après la preuve contenue dans le dossier public, M. Mahjoub, son épouse et son beau‑fils ont accepté, comme l’une des conditions de sa remise en liberté, que tous les appels téléphoniques effectués à partir de la ligne domiciliaire puissent être interceptés et enregistrés par l’ASFC. En réponse à une question écrite du demandeur, M. Tessier a indiqué que le seul consentement reçu par l’ASFC en ce qui concerne sa demande fondée sur la Loi sur la protection des renseignements personnels était le sien (voir également la demande d’accès du 12 mai 2008 dans laquelle son ancien avocat n’a inclus que le consentement du demandeur).

 

[67]           À la lecture des conditions de remise en liberté énoncées dans la décision Mahjoub, 2007 CF 171, précitée, rendue le 15 février 2007, il apparaît que l’interception des communications faisait partie d’un ensemble de conditions destinées à neutraliser le danger représenté par M. Mahjoub (voir la décision Mahjoub, 2007 CF 171, précitée, au paragraphe 158). Ces interceptions visaient à surveiller les activités du demandeur de manière à ne pas favoriser le « […] danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub. » Si son épouse et le fils de celle‑ci n’avaient pas consenti à l’interception des conversations téléphoniques, le demandeur n’aurait pas été remis en liberté.

 

[68]           Durant la présente instance, la Cour a demandé à l’avocat du demandeur si l’épouse et le fils de celle‑ci avaient consenti ou étaient prêts à consentir à sa demande pour que les communications interceptées les concernant soient divulguées. L’avocat a répondu après vérification qu’aucun consentement n’avait été ni ne serait fourni.

 

[69]           Les conversations entre l’épouse du demandeur ou son fils et des tiers constituent des renseignements personnels en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ils concernent leurs vies respectives, les personnes avec lesquelles ils communiquent et l’expression de leurs besoins personnels, de leurs désirs et sentiments, selon les interlocuteurs. Le demandeur n’a aucun droit d’accès aux renseignements personnels les concernant. L’article 26 est très clair sur ce point.

 

[70]           En ce qui concerne M. Mahjoub, le fait que l’interception des communications ait été ordonnée par une cour de justice et que des consentements aient été fournis au moment de la remise en liberté ne rend pas ces renseignements personnels publics. L’épouse et le fils de celle‑ci ont donné leur consentement non pas pour que M. Mahjoub puisse disposer des renseignements personnels les concernant, mais pour répondre à une demande de l’ASFC et afin de permettre sa remise en liberté.

 

[71]           Dans ses observations écrites, le demandeur soutient simplement que les consentements fournis par son épouse et son fils au titre des conditions de la remise en liberté doivent être considérés comme s’étendant à sa demande de divulgation. Pour les motifs qui précèdent, cet argument n’est pas recevable. Aucun autre argument n’a été soumis au regard de l’article 8 et du paragraphe 8(2) de la Loi.

 

[72]           Par conséquent, l’exception fondée sur l’article 26 a été invoquée à bon droit pour justifier la non‑divulgation des communications interceptées auxquelles l’épouse et le beau‑fils du demandeur ont pris part, sous réserve des sous‑alinéas 8(2)m)(i) et (ii) de la Loi, qui ont trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, que nous aborderons plus loin.

 

[73]           Quant à la seconde catégorie de communications interceptées entre M. Mahjoub et des tiers, le demandeur fait simplement valoir qu’elles devraient être divulguées même si ses interlocuteurs n’ont pas donné leur consentement.

 

[74]           Il soutient que l’accès à ces conversations interceptées devrait lui être accordé parce qu’il y a pris part. Le défendeur laisse entendre en réponse que l’absence de consentement de la part de ses interlocuteurs lui ôte tout droit d’accès aux communications en cause. Aucun autre argument ni aucune décision n’ont été présentés à l’appui de l’observation du demandeur.

 

[75]           Les communications interceptées auxquelles les interlocuteurs de M. Mahjoub ont pris part sont, en ce qui le concerne, des renseignements personnels au sens de l’article 12 de la Loi; si tel est le cas pour lui – et ça l’est –, il en est également de même pour ses interlocuteurs visés à l’article 26 de la Loi. M. Mahjoub ne peut pas bénéficier de cette protection en excluant ses interlocuteurs. Il est possible qu’il ait un droit d’accès à ces renseignements, mais ses interlocuteurs peuvent prétendre à la protection de leur vie privée puisqu’ils ont le droit de ne pas révéler publiquement qu’ils lui ont parlé ni quelle était la teneur de ces conversations. Par conséquent, l’exception fondée sur l’article 26 a été invoquée à bon droit par le défendeur. Conformément à l’article 48 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, j’ai envisagé de divulguer le contenu des conversations en supprimant toutefois les noms et numéros de téléphone des interlocuteurs, mais le faire soulèverait les difficultés suivantes : dépendamment de l’usage qu’en fera M. Mahjoub, les conversations peuvent indirectement révéler l’identité des interlocuteurs et, pour les motifs qui suivent, celles‑ci sont visées par l’exception prévue à l’alinéa alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Quoi qu’il en soit, le demandeur ne l’a pas proposé.

 

[76]           Aucun des interlocuteurs n’a donné son consentement. Par conséquent, les renseignements ne doivent pas être divulgués, sous réserve du pouvoir discrétionnaire prévu aux sous‑alinéas 8(2)m)(i) et (ii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels que nous examinerons plus loin.

 

[77]           Quant à la troisième catégorie d’interceptions, les conversations entre M. Mahjoub et son avocat soulèvent une autre série de questions.

 

[78]           Il est important de rappeler certains faits. La procédure d’interception des communications durant cette période a débuté après la remise en liberté du demandeur en 2007 lors de la première instance relative au certificat. Alors que M. Mahjoub était en détention, le juge Blanchard a conclu qu’aucune interception n’avait été effectuée (voir la décision Mahjoub (Re), 2013 CF 1095, précitée, au paragraphe 204). Au moment de sa remise en liberté, M. Mahjoub a été soumis à des conditions strictes. À l’automne 2008, lors de la seconde instance relative au certificat de sécurité, il a été révélé que toutes les conversations qu’il avait eues avec son avocat avaient été interceptées et, dans une certaine mesure, écoutées. En décembre 2008, l’affaire a été renvoyée à la juge désignée, feue Mme Layden‑Stevenson. Une audience ex parte a été tenue à huis clos, un témoin a été interrogé, des arguments ont été présentés devant les avocats publics, et sur la base du résumé publié de la preuve présentée durant l’audience à huis clos, une ordonnance a été rendue le 19 décembre 2008 (voir l’ordonnance de la juge Layden‑Stevenson rendue dans le dossier DES‑7‑08); cette ordonnance modifiait les conditions de la remise en liberté du 11 avril 2007 en précisant que lorsque le demandeur s’entretenait avec son avocat, la surveillance devait s’interrompre et l’enregistrement de ces conversations, s’il existait, devait être supprimé (voir aussi la communication du 18 décembre 2008 de la Cour à M. Mahjoub et son avocat avec l’annexe A)

 

[79]           Le résumé de la preuve du 18 décembre 2008 indiquait à cet égard :

 

[traduction] Toutes les communications interceptées, y compris la partie des conversations du sujet avec son avocat, le cas échéant, nécessaire pour savoir qu’elles n’impliquaient pas une possible violation des conditions ou une menace à la sécurité nationale, ont été écoutées (paragraphe 11).

 

[80]           Dans une ordonnance datée du 20 janvier 2001 rendue dans le cadre de l’instance relative au certificat, la juge Mactavish, tout en rejetant partiellement la demande d’accès de M. Mahjoub aux documents que les ministres présentaient comme relevant du secret professionnel de l’avocat et du privilège relatif au litige, a conclu que l’interception des conversations téléphoniques entre le sujet et son avocat démontrait [traduction] « […] à première vue une inconduite de la part des ministres donnant ouverture à un droit d’action dans la présente instance ». (Voir l’ordonnance de la juge Mactavish rendue le 20 janvier 2011 dans le dossier DES‑7‑08, à la page 10)

 

[81]           En ce qui concerne les deux requêtes de M. Mahjoub visant à obtenir une suspension permanente des procédures pour cause de violation de la Charte et d’abus des procédures de la Cour, le juge Blanchard s’est penché, dans la décision Mahjoub (Re), 2013 CF 1095, précitée, sur l’interception des conversations entre le demandeur et son avocat entre le 14 juin 2007 (date de la remise en liberté) et le 19 décembre 2008, ce qui correspond à la période visée par la demande d’accès (du 11 avril 2007 au 12 mai 2008). Comme nous l’avons déjà noté, le juge Blanchard a conclu qu’aucune communication n’avait été interceptée pendant que M. Mahjoub était détenu (du 11 avril au 14 juin 2007) (voir la décision Mahjoub (Re), 2013 CF 1095, précitée, au paragraphe 204).

 

[82]           Comme nous l’avons vu plus haut, dans la décision Mahjoub (Re), 2013 CF 1095, précitée, aux paragraphes 207 et 221, le juge Blanchard a conclu que les communications interceptées entre son avocat et le demandeur étaient protégées par le secret professionnel de l’avocat, et que les écouter, même partiellement, était une violation de ce privilège. La Cour n’a pas l’intention de tirer une conclusion différente étant donné que le juge ayant délivré le certificat disposait de toute la preuve nécessaire pour se prononcer là‑dessus. Dans la présente instance, l’avocat du défendeur n’a pas soutenu que les conversations n’étaient pas protégées par le secret professionnel de l’avocat et n’a pas invoqué les trois critères servant à l’établir, définis dans l’arrêt Solosky c Sa Majesté la Reine, [1980] 1 RCS 821, au paragraphe 837.

 

[83]           En fait, dans sa lettre du 3 octobre 2013 adressée à la Cour, l’avocat du défendeur a qualifié les cinq (5) communications interceptées et non divulguées comme [traduction] « […] cinq (5) conversations entre le sujet et son avocat ». Par conséquent, j’estime qu’il s’agit de cinq (5) conversations entre le demandeur et son avocat.

 

[84]           Comme nous l’avons déjà vu, dans le cadre de l’instance relative au certificat, M. Mahjoub a déjà obtenu communication de 695 conversations avec son avocat à la suite de diverses demandes. Même les registres de ces conversations interceptées lui ont été divulgués le 22 décembre 2010 (voir la décision Mahjoub (Re), 2013 CF 1095, précitée, aux paragraphes 423 à 426).

 

[85]           En conséquence, je dois prendre acte du fait qu’un juge de la Cour a conclu que les ministres avaient à première vue fait preuve d’une inconduite passible de poursuites relativement aux conversations téléphoniques interceptées entre le demandeur et son avocat, et que le juge ayant délivré le certificat a estimé que l’écoute de certaines de ces conversations était une violation du secret professionnel de l’avocat.

 

[86]           En pareil cas, comment les exceptions fondées sur l’alinéa 22(1)b) et l’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels peuvent‑elles servir à exclure de la divulgation les cinq (5) conversations restantes entre le demandeur et son avocat?

 

[87]           On reconnaît que les exceptions liées à la sécurité nationale ne peuvent servir à soustraire de la divulgation les renseignements qui, s’ils étaient communiqués, seraient compromettants ou révéleraient une faute (voir Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar – O’Connor Commission), 2007 CF 766, [2007] ACF no 1081 [Arar] au paragraphe 60, et Khadr c Canada (Procureur général), 2008 CF 549, aux paragraphes 86 à 89). Je considère qu’en l’espèce, le principe susmentionné concernant les exceptions liées à la sécurité nationale s’applique aussi aux exceptions fondées sur l’article 26 et l’alinéa 22(1)b) relativement aux conversations téléphoniques entre le demandeur et son avocat.

 

[88]           Par conséquent, j’estime qu’une telle violation du secret professionnel de l’avocat ne peut se justifier par les exceptions visées à l’article 26 ou à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[89]           Par conséquent, le défendeur doit divulguer les cinq (5) conversations enregistrées restantes entre le demandeur et son avocat.

 

            C. L’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels constitue‑t‑il un fondement valide pour justifier la non‑divulgation?

[90]           Le demandeur ne prétend pas que l’interception des conversations n’a pas été effectuée dans le cadre d’une enquête. Il fait valoir que celle‑ci a été autorisée par une cour de justice, que les membres de son ménage y ont consenti, que son objectif était de veiller au respect des conditions de sa remise en liberté, et donc qu’elle n’est pas censée porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense nationale ou à quoi que ce soit ayant à voir avec des activités subversives ou, dans le cas de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, avec des activités destinées à faire respecter les lois canadiennes ou le déroulement d’enquêtes licites.

 

[91]           Le mot « enquête », défini au paragraphe 22(3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, a reçu une interprétation libérale dans la jurisprudence. Il peut s’agir d’enquêtes passées, actuelles et futures et même d’un processus d’enquête en général (voir l’arrêt Lavigne, précité, au paragraphe 52). Ce terme a un sens large qui englobe le rôle que remplissent le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) et l’ASFC pour s’assurer que le demandeur respecte les conditions de sa remise en liberté de manière à neutraliser le danger auquel l’a associé le juge qui a délivré le certificat (voir la décision Mahjoub, 2013 CF 1092, précitée, au paragraphe 673).

 

[92]           Cette responsabilité attribuée aux agences d’application de la loi par le juge ayant délivré le certificat ne peut se limiter, comme le veut le demandeur, à la seule fonction de collecte de renseignements afin de garantir le respect des conditions de remise en liberté. Le savoir‑faire, l’expérience et les moyens d’enquête sont des éléments essentiels qui permettent aux organismes de s’acquitter de telles tâches.

 

[93]           Pour les organismes concernés, le contenu des enquêtes est aussi important que les outils d’investigation employés. La teneur des renseignements recueillis est aussi utile pour les enquêtes en cours qu’en vue d’un usage futur, suivant les nécessités des enquêtes qui pourront s’imposer pour assurer le respect des conditions de la remise en liberté et la neutralisation du danger auquel le demandeur est associé.

 

[94]           Comme nous l’avons déjà vu, le certificat délivré à l’encontre du demandeur a été jugé raisonnable, les conditions de sa remise en liberté sont encore en vigueur, quoique dans une moindre mesure, et le juge qui a délivré le certificat estime encore que le demandeur constitue un danger (voir les motifs de l’ordonnance du juge Blanchard rendus dans Mahjoub (Re), 2013 CF 10, au paragraphe 61, [2013] ACF no 77).

 

[95]           Le demandeur soutient que les interceptions visaient seulement à garantir le respect des conditions de sa remise en liberté. Comme je le mentionnais dans les paragraphes précédents, on ne tient pas compte du fait qu’il était et demeure un danger lorsqu’on se limite à cet objet restreint. Pour prendre la mesure de ce danger, une enquête suivie s’impose. L’interception des conversations téléphoniques a été autorisée par voie judiciaire afin de permettre la remise en liberté du demandeur. À cette fin, des communications téléphoniques ont été interceptées et conservées. Le demandeur a sommairement évoqué l’article 8 de la Charte, mais n’a pas approfondi cet argument. La Cour n’a pas l’intention de s’attarder sur ce point, sinon pour noter que l’interception des appels téléphoniques a été autorisée par voie judiciaire et que le demandeur, son épouse et son beau‑fils y ont consenti. Ces interceptions faisaient partie d’une enquête en cours le concernant parce qu’il était et continue d’être un danger et que les conditions de sa remise en liberté (y compris l’interception des communications) visaient à neutraliser ce danger. Le respect de ces conditions était essentiel pour garantir la neutralisation du danger qu’il représentait.

 

[96]           Par conséquent, les appels interceptés relèvent d’une enquête visée par l’exception concernant l’application de la loi et le déroulement des enquêtes prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La partie suivante traite du pouvoir discrétionnaire conféré au décideur de refuser d’évaluer le préjudice au regard des lois ou des enquêtes découlant de la divulgation.

 

            D. Si la réponse aux trois questions précédentes est que les deux exceptions ont été validement invoquées, le pouvoir discrétionnaire associé à chacune de ces questions a‑t‑il été exercé?

[97]           Pour pouvoir être invoquées, toutes ces exceptions supposent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Dans le cas de celle visée à l’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (renseignements concernant un tiers), l’alinéa 8(2)m) de la Loi exige un exercice de mise en balance de l’intérêt public lié à la divulgation et du préjudice susceptible de découler de la violation de la vie privée, en précisant que l’individu concerné doit en tirer un avantage. Concernant les exceptions visées à l’alinéa 22b), la Loi précise qu’il doit exister un risque vraisemblable de violation d’une loi canadienne ou de préjudice causé à des enquêtes licites.

 

[98]           Dans ses observations écrites, le demandeur ne traite pas du pouvoir discrétionnaire lié à l’exception fondée sur l’article 26 de la Loi. Le dossier n’indique pas s’il a jamais soumis des arguments touchant la mise en balance de l’intérêt public lié à la divulgation et du préjudice découlant de la violation de la vie privée, ni d’ailleurs l’avantage qu’en tirerait la personne à laquelle les renseignements se rapportent.

 

[99]           Comme l’a indiqué le défendeur, M. Tessier a divulgué, à la satisfaction du demandeur, le courrier et les enregistrements interceptés, y compris les rapports médicaux, les rapports de surveillance, les rapports d’incidents, les notes de service de l’ASFC, etc. […] Le dossier montre par ailleurs que la divulgation était substantielle et volumineuse (voir la lettre de l’avocat du demandeur du 10 février 2010, dossier du demandeur, aux pages 26 et 27).

 

[100]       Ces actes de communication indiquent que M. Tessier s’est interrogé sur la portée de la divulgation qui devait être faite et qu’il a dû évaluer le préjudice ou les dommages liés à la révélation de certains documents et non pas d’autres. C’est le seul moyen d’expliquer que certains documents aient été divulgués, mais pas d’autres. Un pouvoir discrétionnaire a dû être exercé, et j’estime qu’il l’a été en l’espèce. Bien qu’il reprenne en partie le libellé des dispositions de la Loi ayant trait aux exceptions, l’affidavit de M. Tessier en date du 7 juillet 2011 étaye effectivement une telle conclusion au paragraphe 6. Comme l’indique l’arrêt Leahy, précité, au paragraphe 134, il faut établir à tout le moins que le décideur était conscient qu’il disposait de ce pouvoir pour démontrer que le pouvoir discrétionnaire a été exercé :

 

[134]     À tout le moins, les motifs ou le dossier doivent attester que le décideur était conscient de ce pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements protégés, et qu’il l’a exercé de quelque manière.

 

Je suis convaincu que M. Tessier avait à tout le moins conscience de ce pouvoir discrétionnaire.

 

[101]       Dans un tel cas, la cour de révision doit se demander si l’exercice du pouvoir discrétionnaire est compatible ou non avec les principes et l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et s’il est raisonnable (voir Halifax (Regional Municipality) c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, [2012] 2 RCS 108, au paragraphe 43). Les renseignements qui concernent son épouse, son beau‑fils et leurs interlocuteurs téléphoniques sont des renseignements que les principes et les objectifs de la Loi sur la protection des renseignements personnels visent à protéger, et l’exception fondée sur l’article 26 validement invoquée doit avoir en l’espèce toute sa portée. Je ne vois aucun intérêt public à divulguer des renseignements au détriment du respect de la vie privée, et je note que seul l’intérêt privé du demandeur est en cause et qu’il serait le seul à en tirer un avantage. Or, ce n’est pas ce que la Loi sur la protection des renseignements personnels cherchait uniquement à protéger. L’exercice du pouvoir discrétionnaire, quoique limité, est raisonnable, comme nous venons de le voir. Par conséquent, l’exception fondée sur l’article 26 a été invoquée à bon droit; par conséquent, les renseignements demandés ont été légitimement soustraits à la divulgation et le pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière raisonnable.

 

[102]       Quant au pouvoir discrétionnaire lié au risque vraisemblable de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois canadiennes ou au déroulement d’enquêtes licites aux termes de l’exception prévue au l’alinéa 22(1)b) de la Loi, les précédents motifs montrent encore une fois qu’une évaluation a eu lieu pour que certains renseignements soient divulgués et pas d’autres. Une telle conclusion indique qu’un pouvoir discrétionnaire a dû être exercé pour apprécier le préjudice. Autrement, pourquoi certains documents auraient‑ils été divulgués et pas d’autres? Pareille conclusion suppose une attente raisonnable de préjudice.

 

[103]       Comme nous le notions plus haut, M. Tessier affirme dans son affidavit de février 2012 qu’il n’a pas divulgué les renseignements donnés ni offert pour cela de raisons détaillées parce qu’il estimait que cela risquait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter la législation canadienne ou au déroulement d’enquêtes licites, ce qui renvoie à l’existence ou la nature d’une enquête particulière et à des documents obtenus ou préparés dans le cadre d’une enquête. Par conséquent, j’estime que M. Tessier avait à tout le moins conscience du pouvoir discrétionnaire dont il disposait, mais aussi, tout compte fait, que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière efficace et raisonnable dans les circonstances. Par conséquent, l’exception fondée sur l’alinéa 22(1)b) a été invoquée à bon droit; par conséquent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire était raisonnable et les renseignements demandés ne devraient pas être divulgués au demandeur.

 

[104]       En conclusion, j’estime que les exceptions fondées sur l’article 26 et l’alinéa 22(1)b) ont été validement invoquées. Par ailleurs, je conclus que le pouvoir discrétionnaire a été effectivement exercé au regard des deux exceptions et qu’il l’a été de manière raisonnable. Bien entendu, ces conclusions ne changent rien au fait que j’ai conclu que les cinq (5) autres communications entre le demandeur et son avocat devraient être divulguées pour les motifs susmentionnés.

 

[105]       Compte tenu de cette conclusion, il n’y a pas lieu d’examiner l’exception liée à la sécurité nationale (article 21 et sous‑alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels).

 

[106]       Quant aux dépens, je note que les deux parties les réclament. Bien qu’elle ne se rapporte pas à l’instance relative au certificat d’immigration, la présente procédure tire son origine des faits et des circonstances qui s’y rapportent. Comme le savent les avocats, l’adjudication des dépens dans les procédures en immigration est très exceptionnelle (voir les Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22).

 

[107]       Pour les motifs mentionnés au paragraphe précédent, mais aussi compte tenu de la décision partielle et mitigée à laquelle je suis parvenu et de l’article 400 des Règles sur les Cours fédérales, je n’adjugerai les dépens à aucune des parties.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire visant la décision du 12 mars 2010 est accueillie en partie.

 

2.                  Le défendeur ne divulguera au demandeur que les cinq (5) conversations téléphoniques qu’il a eues avec son avocat, tel qu’énoncé au paragraphe 22, sous la forme d’un CD‑ROM.

 

3.                  Les exceptions fondées sur l’article 26 et l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels invoquées par le défendeur au regard des autres communications téléphoniques non divulguées sont jugées valides.

 

4.                       Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

                                                                                                                   « Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑737‑11

 

INTITULÉ :                                      MOHAMED ZEKI MAHJOUB c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 décembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patil Tutunjian

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Demers

 

Normand Lemyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés

Montreal, Quebec

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Deputy Attorney General of Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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