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Date : 20140227


Dossier :

IMM-5212-13

 

Référence : 2014 CF 193

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

AJJAB KHAN AFRIDI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle une agente des visas du Haut‑commissariat du Canada à Islamabad (au Pakistan) rejetait, le 23 juillet 2013, la demande de permis de résident temporaire (PRT) du demandeur.

 

 

Le contexte factuel

[2]               Ajjab Khan Afridi (le demandeur) est un garçon de trois (3) ans né à Peshawar, au Pakistan. Le père biologique du demandeur a perdu la vie avant la naissance du demandeur. La mère biologique du demandeur ne pouvait subvenir aux besoins du demandeur, de sorte que c’est la tante de ce dernier qui s’occupe de lui depuis sa naissance.

 

[3]               La tante du demandeur, Waheeda Afridi, est une citoyenne canadienne qui vit à Peshawar, au Pakistan. Son époux, Ashfaq Afridi, est un citoyen canadien qui vit et qui travaille à Saskatoon (Saskatchewan). Waheeda et Ashfaq Afridi sont les tuteurs légaux du demandeur, et tous les liens entre le demandeur et sa mère biologique ont été rompus. L’acte de naissance du demandeur ainsi que son passeport confirment que Mme et M. Afrifi sont ses parents.

 

[4]               Mme Afridi est malade et elle aimerait se faire soigner au Canada. Cependant, pour amener le demandeur avec elle, elle a besoin qu’il obtienne un visa pour qu’il puisse demeurer légalement au Canada.

 

[5]               Mme Afridi prétend que la situation est très difficile au Pakistan et que, en raison des violences continues, le demandeur et elle sont à risque s’ils restent à Peshawar.

 

[6]               Mme et M. Afridi ont échoué dans leur tentative de parrainer le demandeur, parce que la Saskatchewan avait refusé de leur accorder une [traduction] « lettre de non‑objection », puisque le concept pakistanais de tutelle légale n’équivaut pas à celui d’adoption officielle pour les besoins de l’adoption internationale.

 

[7]               En janvier 2013, le demandeur a présenté une demande de visa de résident temporaire, laquelle fut rejetée. En mars 2013, le demandeur a de nouveau présenté une demande de visa de résident temporaire, mais il fut une fois de plus débouté.

 

[8]               En juin 2013, le demandeur a présenté une demande au Haut‑commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, en vue qu’on lui octroie un permis de résident temporaire (PRT) au titre de l’article 24 de la Loi.

 

[9]               Dans une lettre datée du 23 juillet 2013, l’agent a rejeté la demande de PRT du demandeur.

 

La décision contestée

[10]           L’agente, dans les notes qu’elle a consignées au Système mondial de gestion des cas (SMGC), faisait état de la situation familiale du demandeur. Elle a fait remarquer que [traduction] « la tutelle n’est pas la même chose que l’adoption, et que le concept d’adoption n’existe pas au Pakistan ou dans la charia ». Elle a ajouté que, pour ce motif, la Saskatchewan ne pouvait pas délivrer la [traduction] « lettre de non‑objection » nécessaire pour permettre l’adoption internationale (dossier du tribunal, p. 122 et 123).

 

[11]           L’agente a conclu en mentionnant que le demandeur [traduction] « ne répond pas aux conditions de délivrance d’un visa de résident temporaire ». L’agente n’était pas convaincue que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée, surtout en raison du fait que le Canada avait suspendu toutes les adoptions en provenance du Pakistan. De plus, le demandeur et sa famille ne sont pas les seuls dans cette situation‑là, et rien ne démontre qu’ils ont déployé des efforts en vue de déménager dans une autre ville ou dans une autre région.

 

[12]           L’agente a conclu que la délivrance d’un PRT au demandeur ne serait pas dans son intérêt supérieur. L’agente a relevé que le demandeur vivait avec sa tante au Pakistan, mais aussi avec sa mère biologique et avec trois (3) frères et sœurs biologiques, et ce, depuis sa naissance. Par conséquent, il a de forts liens avec sa famille biologique. De plus, le fait que le Canada a suspendu toutes les adoptions en provenance du Pakistan et que le Pakistan ne reconnaît pas l’adoption exposerait le demandeur à un risque dans l’éventualité où il quitterait son pays natal. La délivrance d’un PRT pourrait même contrevenir aux règles établies par le Canada en vue de se conformer à la Convention de La Haye sur la protection des enfants (la Convention de La Haye).

 

Les questions en litige

[13]           La présente demande soulève trois (3) questions :

1.      L’agente a‑t‑elle omis de motiver convenablement sa décision défavorable?

2.      L’agente a‑t‑elle omis d’apprécier la preuve au regard de la politique et des guides opérationnels, comme l’exige le paragraphe 24(3) de la Loi?

3.      L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans son analyse fondée sur l’article 24 de la Loi et celle sur les motifs d’ordre humanitaire?

 

Les dispositions législatives applicables

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent en l’espèce :

PARTIE 1

 

IMMIGRATION

AU CANADA

 

SECTION 3

 

ENTRÉE ET SÉJOUR

AU CANADA

 

Statut et autorisation d’entrer

 

 

[…]

Permis de séjour temporaire

 

24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

 

 

 

[…]

 

Instructions

 

(3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1).

 

 

[…]

 

Droit du résident temporaire

 

29. (1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’autorisation d’entrer au Canada et d’y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d’un permis de séjour temporaire.

 

Obligation du résident temporaire

 

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

PART I

 

IMMIGRATION

TO CANADA

 

DIVISION 3

 

ENTERING AND REMAINING IN CANADA

 

Status and Authorization to Enter

 

Temporary resident permit

 

24. (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

 

 

Instructions of Minister

 

(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.

 

 

Right of temporary residents

 

29. (1) A temporary resident is, subject to the other provisions of this Act, authorized to enter and remain in Canada on a temporary basis as a visitor or as a holder of a temporary resident permit.

 

 

Obligation — temporary resident

 

(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

La norme de contrôle applicable

[15]           Les parties conviennent que, dans les cas où l’insuffisance des motifs a une incidence sur l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[16]           Cependant, la décision d’un agent de délivrer un PRT est hautement discrétionnaire; celle‑ci est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Vidakovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 605, [2011] ACF no 808 (QL), au paragraphe 15). Lorsqu’elle applique la norme de contrôle de la raisonnabilité, la Cour s’attarde « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Analyse

[17]           L’article 24 de la Loi donne à un agent le pouvoir de délivrer un visa permanent à un demandeur qui, par ailleurs, ne répond pas aux exigences de la Loi. La décision d’un agent de refuser de délivrer un PRT est hautement discrétionnaire.

 

[18]           Le guide opérationnel OP 20 prévoit que, pour délivrer un PRT, l’agent doit être convaincu de l’existence de « raisons impérieuses » ou de « circonstances exceptionnelles » (guide opérationnel OP 20, partie 2). Le demandeur invoque diverses dispositions de ces guides opérationnels qui donnent à penser que, compte tenu de sa situation, il était possible à l’agente de lui délivrer un PRT. La Cour rappelle que, bien que les directives puissent s’avérer utiles, elles n’ont pas force de loi, elles ne sont pas contraignantes, elles ne créent pas de droit et elles ne peuvent constituer une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent (Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1152, [2008] ACF no 1632 (QL)).

 

[19]           L’agente a fait remarquer qu’une demande de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial présentée par les parents adoptifs avait auparavant été rejetée et que cette décision fait en ce moment l’objet d’un appel. Elle a aussi fait remarquer que l’adoption n’existe pas dans le droit pakistanais, que la tutelle légale n’est pas assimilable au concept d’adoption et que la Saskatchewan était par conséquent dans l’impossibilité de délivrer une « lettre de non‑objection ». Elle a de plus fait remarquer que le Canada a maintenant suspendu toutes les adoptions en provenance du Pakistan et elle a souligné l’intention de la famille adoptive du demandeur de vivre en permanence avec lui au Canada ainsi que l’incidence défavorable que la délivrance d’un PRT aurait sur les relations familiales du demandeur avec sa famille biologique. Compte tenu de ces éléments, l’agente n’était pas convaincue que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour. Elle a aussi conclu que la délivrance d’un PRT pourrait contrevenir aux règles établies par le Canada en vue de se conformer à la Convention de La Haye. Il s’ensuit que l’agente était convaincue qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant de demeurer au Pakistan

 

[20]           Le demandeur prétend que l’agente n’a pas fourni de motifs. Cet argument n’est pas fondé. Les notes consignées au SMGC font partie de la décision (Daniel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1391, 422 FTR 69). Elles traitent des questions principales de l’affaire et elles permettent à la Cour de pleinement comprendre le raisonnement de l’agente. Par conséquent, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

[21]           De plus, le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour que l’agent a commis une erreur dans son application des lignes directrices OP 20, lesquelles ne sont pas contraignantes, ou dans son analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, analyse que l’agente n’était pas tenue d’entreprendre. Bien que l’agente ne soit pas contrainte de se pencher sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte d’une demande de PRT (Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275, 302 FTR 54, au paragraphe 36 (Farhat)), sa décision démontre qu’elle a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, plus précisément de la séparation de celui‑ci et de son père adoptif, de la situation au Pakistan en ce qui a trait à la sécurité ainsi que des liens du demandeur avec sa mère biologique ainsi que ses frères et soeurs.

 

[22]           Bien que la Cour éprouve de la compassion à l’égard de la situation du demandeur, elle conclut, au regard du dossier et de la preuve ayant été produite, que la décision de l’agente, lorsque lue conjointement avec les notes consignées au SMGC, appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[23]           Pour les motifs susmentionnés, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-5212-13

 

INTITULÉ :

AJJAB KHAN AFRIDI

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 20 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 27 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Haidah Amirzadeh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cailen Brust

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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