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Date : 20140227


Dossier :

IMM-3701-13

 

Référence : 2014 CF 186

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MOHAMMED NABAL SALIFU

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile du demandeur.

 

[2]               La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible quant à la persécution qu'il pourrait subir s'il était renvoyé dans le pays de sa citoyenneté, le Ghana, en raison de son orientation sexuelle. Je suis arrivé à la conclusion que l'affaire devait être renvoyée à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision.

 

[3]               Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a menti aux autorités au sujet de sa situation. Toutefois, la décision que la Commission a rendue le 12 avril 2013 ne présente pas, selon moi, les caractéristiques qui en feraient une décision raisonnable au sens de l'arrêt de principe rendu par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ainsi que la Cour l'explique au paragraphe 47 de cet arrêt :

[47]     [...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[4]               Dans le cas qui nous occupe, la version des faits donnée par le demandeur et le caractère suffisant des motifs donnés par l'auteur de la décision suscitent une tension fondamentale. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], la Cour suprême précise bien, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Il n’en demeure pas moins qu’il faut quand même examiner les motifs et la preuve pour répondre au critère, lequel a été formulé comme suit :

[16]     [...] En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

[5]               À mon sens, la crédibilité du demandeur soulève de sérieuses réserves en l'espèce. Pour dire les choses sans détour, il a menti. D'ailleurs, la façon dont cette histoire a été racontée laisse beaucoup à désirer. De plus, la version des faits qu'il a finalement donnée aux autorités n'a jamais été corroborée.

 

[6]               Toutefois, les motifs qui ont été donnés pour rejeter entièrement la demande présentent aussi, selon moi, des lacunes. La Commission semble avoir accordé beaucoup d'importance à ce qu'elle a estimé être le délai de 14 mois écoulé entre le départ du demandeur de la Finlande, où il aurait été aux études, et la divulgation de son homosexualité au Ghana. Ce délai de 14 mois est retenu contre le demandeur parce qu'il n'illustre pas le type de crainte suggestive de persécution susceptible de rendre la demande d'asile crédible. On invoque de nouveau ce délai pour reprocher au demandeur de ne pas avoir effectué de recherches préliminaires afin de mieux comprendre la procédure à suivre pour régulariser sa situation de façon permanente au Canada. D'ailleurs, la Commission écrit ce qui suit : « Il ne faut pas oublier que monsieur SALIFU a bénéficié approximativement de 14 mois en Finlande pour réfléchir et trouver une solution à sa crainte de retour au Ghana ». Ainsi que le défendeur l'a reconnu, cette affirmation de la Commission est fausse. Ce ne sont pas 14 mois qui se sont écoulés entre la révélation de l'homosexualité du demandeur et son départ de la Finlande, mais bien deux mois.

 

[7]               Un examen plus attentif de la décision de la Commission révèle que la façon dont la « véritable » version des faits a été révélée a amené la Commission à conclure que la crédibilité du demandeur s'en était trouvée entamée. On peut certainement comprendre pourquoi la Commission est arrivée à cette conclusion. Et alors? La réticence à dire la vérité entame manifestement la crédibilité d’un témoin. Toutefois, on ne sait pas vraiment ce que fait la Commission des divergences en question et des difficultés à obtenir la version définitive des faits. Par exemple, la Commission se dit perplexe devant un mensonge qui ne profitait pas au demandeur. C'est une chose de conclure que la crédibilité de quelqu'un est compromise, c'en est une toute autre de décider des répercussions qu'un manque de crédibilité peut, le cas échéant, avoir sur l'issue de la cause. On ne devrait pas obliger la juridiction de révision à deviner.

 

[8]               La Commission s'attache plutôt à la période de 14 mois pendant laquelle le demandeur n'a pas demandé l'asile en Finlande alors qu'il affirmait craindre retourner dans le pays de sa nationalité. La Commission insiste à nouveau sur ce même délai et reproche au demandeur d'avoir bénéficié « approximativement de 14 mois en Finlande pour réfléchir et trouver une solution à sa crainte de retour au Ghana ».

 

[9]               Comme la Cour suprême l’explique dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, on ne s’attend pas à ce que les motifs soient parfaits. De fait, le rôle de la juridiction de révision consiste à se demander si, compte tenu de la preuve et de la nature de la tâche que la loi lui confie, les motifs du tribunal administratif permettent de comprendre suffisamment le fondement de sa décision (au paragraphe 18). Dans le cas qui nous occupe, il se peut fort bien que, lorsqu'on l'examine correctement, la preuve ne permette pas de présenter une demande fondée sur l'article 96 ou 97 de la Loi, compte tenu du manque de crédibilité dont le demandeur a pu faire preuve. Ce n'est pas cependant pas ce qui s'est produit en l'espèce et il n'appartient pas à la juridiction de révision de substituer son opinion personnelle à celle du tribunal administratif.

 

[10]           Il appartient à la Commission d'examiner la preuve, avec ses invraisemblances, et de tenir compte de la crédibilité à accorder à chacun des éléments de preuve pour justifier sa décision. La crédibilité du demandeur est l'un des éléments à considérer. Or, la Commission doit également tenir compte de l'ensemble de la preuve. Il appartient à la Commission de formuler ses conclusions de façon claire et de tirer des conclusions qui sont justifiées. Étant donné que la Commission a accordé beaucoup d’importance au délai que l'intéressé a laissé s'écouler avant de demander l'asile et que ce délai n’est pas vraiment celui qui était en cause, je suis d’avis que la décision de la Commission est suspecte et peu fiable. Il serait plus prudent de rendre une nouvelle décision en s'attardant davantage aux détails de manière à satisfaire au critère de la décision raisonnable défini dans l'arrêt Dunsmuir :

[47]     [...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[11]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire sera renvoyée à une formation différente de la Section de la protection des réfugiés pour qu'elle rende une nouvelle décision. Il n'y a aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 12 avril 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) est annulée et l'affaire est renvoyée à une formation différente de la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision. Il n'y a aucune question à certifier.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-3701-13

 

INTITULÉ :

MOHAMMED NABAL SALIFU et MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

                                                            MONTRÉAL (QUéBEC)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :

                                                            LE 10 FÉVRIER 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

                                                            le 27 février 2014

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

Charles Junior Jean

 

POUR LE DEMANDEUR

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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