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Date : 20140226

Dossier : IMM-11931-12

Référence : 2014 CF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

JING SHOU JIANG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande d’un contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision du commissaire Stephen E. Rudin de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, en concluant qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au sens respectivement des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          La question en litige

[2]               La demande en l’espèce soulève la question en litige suivante :

A.    La décision de la Commission était‑elle déraisonnable en raison de son appréciation du risque auquel était exposé le demandeur en raison de sa pratique du christianisme dans la province du Fujian?

 

II.        Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine. Il vivait dans la province du Fujian. Il allègue avoir été introduit au christianisme en mai 2009. En juin 2009, il a commencé à fréquenter une maison église illégale et à prêcher l’Évangile en Chine à ses amis proches et aux membres de sa famille. Malgré les mesures de sécurité prises par l’église, celle‑ci fût découverte par le bureau de la sécurité publique (BSP) de la Chine le 4 avril 2010.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’il était allé se cacher à la maison de sa tante après que son église avait été découverte. Selon l’épouse du demandeur, le BSP a fouillé son domicile, a confisqué sa carte d’identité de résident et a laissé une sommation. De plus, le demandeur allègue que son épouse lui a dit que trois membres de son église avaient été arrêtés et que le BSP était retourné à son domicile dans l’espoir de l’arrêter.

 

[5]               Le demandeur a quitté la Chine avec l’aide d’un passeur et il a présenté une demande d’asile au Canada le 26 mai 2010.

 

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas une crainte fondée d’être persécuté ou de subir un préjudice s’il devait retourner au Fujian en République populaire de Chine.

 

[7]               Bien qu’elle ait accepté l’identité du demandeur et le fait que celui-ci est chrétien, la Commission a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles.

 

[8]               La Commission renvoie à des éléments de preuve documentaire datant de 2005 et 2010 pour conclure qu’aucune arrestation de chrétiens dans la province du Fujian pour des activités liées à leur religion n’a été signalée dernièrement. Le rapport annuel 2010 de l’association d’aide à la Chine est le seul endroit où il est fait mention d’une intervention du gouvernement dans les activités religieuses des chrétiens dans la province du Fujian : ce rapport mentionne que dix personnes ont été persécutées, sans toutefois entrer dans les détails quant à la nature de la persécution. La Commission a affirmé que si trois membres de l’église du demandeur avaient été arrêtés et condamnés à une peine de prison, comme l’a allégué le demandeur, les observateurs internationaux, comme l’association d’aide à la Chine, en feraient vraisemblablement rapport, puisque de tels rapports avaient été faits à l’égard de régions beaucoup plus éloignées que le Fujian. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur pourrait observer les rites de sa religion dans n’importe quelle église de la province du Fujian, dans l’éventualité où il devrait y retourner.

 

[9]               La Commission a aussi conclu que le demandeur pouvait faire du prosélytisme comme il le voudrait. La Commission a conclu, en citant le secrétaire général du Conseil chrétien de Hong Kong, que le prosélytisme est toléré tant et aussi longtemps qu’il n’a pas lieu dans un endroit public. De plus, compte tenu du fait que le demandeur exerce ses activités au Fujian, la Commission a conclu qu’il serait capable de faire du prosélytisme sans être persécuté.

 

[10]           En dernier lieu, la Commission a attribué peu de poids à la sommation et à la carte de visite de prison produite par le demandeur pour étayer son arrestation, puisqu’il est facile d’obtenir des documents frauduleux en Chine et que le demandeur aurait eu connaissance du fait qu’il est possible d’obtenir de tels documents, car il a relaté dans son témoignage qu’il s’est rendu au Canada au moyen d’un passeport frauduleux de Singapour.

 

[11]           La Commission, sur foi de ces motifs, a jugé que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’il fasse l’objet de persécution ou qu’il soit personnellement exposé à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture lors de son retour en Chine.

 

III.       La norme de contrôle applicable

[12]           La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

 

IV.       Analyse

[13]           Le défendeur prétend qu’il était loisible à la Commission d’attribuer un faible poids à la sommation et à la carte de visite de prison en raison de la possibilité d’obtenir des documents frauduleux en Chine (Aleshkina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 589, aux paragraphes 13 et 14; Jing c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 609, au paragraphe 17).

 

[14]           Le défendeur prétend aussi qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que, si des actes de persécution comme ceux allégués par le demandeur s’étaient produits en Chine, ceux‑ci auraient été documentés (Nen Mei Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (4 février 2010), Toronto, IMM-5425-12 (CFPI)).

 

[15]           Je juge que la décision de la Commission était déraisonnable.

 

[16]           La Commission a attribué un faible poids à la carte de visite de prison et à la sommation que le demandeur a présentées, et ce, uniquement en raison de la facilité d’obtenir des documents frauduleux en Chine et de la présomption selon laquelle le demandeur avait connaissance de ce fait. Les résultats suggérés par ce raisonnement erroné sont absurdes : ainsi, un document produit par le demandeur, même s’il est valide, devrait être rejeté au motif qu’il n’est pas authentique; subsidiairement, ce même raisonnement donne à penser qu’il est loisible à la Commission de choisir, de manière arbitraire, quel élément de preuve elle peut accepter et quel élément de preuve elle peut rejeter.

 

[17]           En l’espèce, la Commission a accepté les documents d’identité du demandeur, mais elle a rejeté la sommation et la carte de visite de prison. Ce raisonnement arbitraire et incohérent ne peut être justifié, selon la norme de la raisonnabilité énoncée dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[18]           Le demandeur renvoie à Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, au paragraphe 55, laquelle portait aussi sur un cas de persécution religieuse dans la province du Fujian. Le juge James Russell y avait conclu :

Je crains que la SPR ne semble pas avoir accordé la moindre attention aux documents présentés par le demandeur. La SPR doit analyser tous les éléments de preuve dont elle dispose et peser les pour et les contre (voir la décision Liu, précitée, au paragraphe 13). Il se peut bien qu’il soit facile de se procurer des documents frauduleux en RPC. Cependant, il ne s’ensuit pas que tous les documents qui proviennent de la RPC sont nécessairement frauduleux. La SPR était tenue d’examiner et de soupeser les documents précis qui lui avaient été présentés plutôt que de les rejeter tout simplement d’entrée de jeu.

 

 

[19]           En revanche, les précédents cités par le défendeur peuvent être distingués du cas d’espèce ou sont inapplicables.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande est accueillie; l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen;

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11931-12

 

INTITULÉ :                                      Jiang c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 26 février 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Luu

 

POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BLANSHAY & LEWIS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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