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Date : 20140227

Dossier : IMM-11987-12

Référence : 2014 CF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

RAMANAN PONNIAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision rendue par le commissaire Anthony P. da Silva de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, car elle a conclu que ce dernier n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes respectivement des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          La question en litige

[2]        La présente demande soulève la question suivante :

A.    La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

II.        Le contexte

[3]        Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule. Avant de venir au Canada, il avait résidé, jusqu’à 1990, à Sampaltivu, qui faisait partie du territoire sous le contrôle des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Cette année‑là, il a déménagé à Trincomalee, qui faisait partie du territoire contrôlé par l’armée du Sri Lanka (ASL).

 

[4]        Le demandeur allègue qu’en janvier 1998, il avait été détenu, interrogé, menacé et battu par les forces de sécurité de l’ASL, qui le soupçonnaient d’avoir des liens avec les TLET, parce qu’il était né dans une région contrôlée par les TLET. Il fut mis en liberté en avril 1998 après une intervention du directeur de son école et, en 2000, il a aménagé avec sa famille à Nithyapuri, une ville qui faisait partie d’une région contrôlée par l’ASL.

 

[5]        Le demandeur allègue qu’il a été harcelé de manière continue par des membres des TLET après son déménagement à Nithyapuri. Ce harcèlement l’a conduit à quitter l’école en 2003. En 2004, il a fondé une entreprise de taxi, mais il fut victime de harcèlement par les officiers des forces de sécurité de l’ASL.

 

[6]        En juin 2009, le demandeur avait été détenu, menacé et battu par les forces de sécurité de l’ASL, au motif qu’elles le soupçonnaient d’assister les TLET en tant que chauffeur de taxi. Son père avait été capable d’arranger le versement de pot‑de‑vin, et le demandeur fut remis en liberté le 15 octobre 2009. Il est difficile de savoir si les forces de sécurité avaient bel et bien reçu le pot‑de‑vin en question, et si celui‑ci avait joué un rôle dans la remise en liberté du demandeur. Après sa remise en liberté, des membres d’un groupe paramilitaire tamoul ont rendu visite au père du demandeur et l’ont menacé, s’il n’achetait pas leur silence, de fabriquer des éléments de preuve démontrant la participation de son fils aux activités des TLET et de donner ces éléments de preuve aux forces de sécurité de l’ASL.

 

[7]        Le 31 octobre 2009, le demandeur a fui vers le Mexique par la Thaïlande et il est entré illégalement aux États-Unis le 10 novembre 2009, où il a été détenu jusqu’en février 2010. Il a voyagé au Canada et il a présenté une demande d’asile le 9 février 2010.

 

[8]        La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas une crainte fondée de persécution.

 

[9]        La Commission a jugé que le demandeur n’avait pas personnellement été pris pour cible lors des deux occasions où il avait été détenu. Il correspondait plutôt au profil d’une personne que les forces de sécurité plaçaient en détention lors de ces époques‑là. Il avait été détenu en 1998 parce qu’il correspondait au profil d’un jeune homme d’origine ethnique tamoule. En 2009, il avait été détenu parce qu’il était un chauffeur d’origine ethnique tamoule. Bien que ses antécédents en matière de détention correspondent aux antécédents d’un grand nombre de jeunes hommes tamouls pendant et après le conflit entre l’ASL et les TLET, il y a peu de raison de croire qu’il serait pris pour cible dans l’éventualité où il devait retourner au Sri Lanka, parce qu’il n’est pas un combattant ou un agent des TLET, ni une personne ayant joué un rôle dans le réseau international d’approvisionnement de cette organisation. Le raffinement accru des registres gouvernementaux du Sri Lanka diminuerait de manière importante le risque qu’une personne n’ayant aucun lien avec les TLET soit prise pour cible. De plus, une grande période s’était écoulée entre les deux prétendus incidents de persécution.

 

[10]      La Commission a accordé très peu de poids au lieu de naissance du demandeur, soit une région contrôlée par les Tamouls dans l’Est du Sri Lanka, en tant que facteur de risque à l’égard de la persécution.

 

[11]      La Commission a conclu que, malgré la preuve selon laquelle le Sri Lanka n’est pas un pays sécuritaire pour les demandeurs d’asile déboutés, et particulièrement pour ceux ayant des liens avec les TLET, le fait que le demandeur ne soit pas particulièrement en vue et qu’il n’ait pas suffisamment de lien avec les TLET donne à penser qu’on ne s’attardera pas à lui de manière suffisamment défavorable pour qu’il soit exposé à la persécution s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[12]      Le demandeur a aussi allégué que l’aile politique des TLET (anciennement connue sous le nom de groupe Karuna) tentera de l’extorquer s’il devait retourner au Sri Lanka. La Commission, bien qu’elle ait reconnu l’existence d’éléments de preuve selon lesquels les groupes paramilitaires se livrent à l’extorsion, a fait remarquer que la preuve qu’on lui avait soumise à cet égard datait de 2010, et non de 2012. Par conséquent, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi qui donnaient à penser que le groupe Karuna l’exposerait à davantage qu’un risque généralisé.

 

III.       La norme de contrôle applicable

[13]      La norme de contrôle applicable en l’espèce est la raisonnabilité (Caruth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 891, au paragraphe 45; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50).

 

IV.       Analyse

[14]      Le demandeur prétend, tout en reconnaissant que la Commission n’a pas l’obligation d’examiner tous les éléments de preuve, que cette dernière avait l’obligation de donner des motifs lorsqu’elle a rejeté des éléments de preuve importants qui sont en contradiction avec ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17 (Cepeda-Gutierrez); Packinathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 834, aux paragraphes 9 et 10 (Packinathan)). Le demandeur allègue que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve lorsqu’elle a conclu que son lieu de naissance n’était pas un facteur de risque important, étant donné qu’il était originaire de l’Est du Sri Lanka plutôt que du Nord.

 

[15]      La Commission n’avait fait mention que d’un seul extrait d’un rapport des services d’immigration danois intitulé Human Rights and Security Issues concerning Tamils in Sri Lanka, à la page 33, pour ne pas considérer que le fait que le demandeur soit né dans l’Est du Sri Lanka constituait un facteur de risque important.

 

 

[16]      Cependant, le demandeur a cité de nombreux extraits d’un rapport du Haut commissariat des Nations Unies sur les réfugiés, rapport intitulé Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka (aux pages 56 à 61) ainsi qu’un rapport de l’agence des services frontaliers du Royaume‑Uni intitulé Sri Lanka: Country of Origin Information (aux pages 93, 120 à 122, 126 à 127 et 158). Les extraits de ces rapports démontrent que les hommes d’origine ethnique tamoule originaires de l’Est et du Nord du Sri Lanka sont victimes d’enlèvements par la force, de détentions non documentées, d’extorsion, d’exécutions sommaires et de harcèlement fréquent, qu’ils font l’objet d’une surveillance très serrée par les forces policières ainsi que de mesures antiterrorisme, et qu’ils doivent composer avec des conditions de vie difficiles et avec la marginalisation économique.

 

[17]      Le défendeur prétend que le précédent établi dans la décision Cepeda-Gutierrez s’applique aux éléments de preuve portant précisément sur un demandeur, et non sur la preuve quant à la situation générale d’un pays. La décision Cepeda-Gutierrez n’appuie nulle part une interprétation aussi étroite ayant pour effet de limiter sa valeur de précédent aux éléments de preuve se rapportant à la situation personnelle du demandeur. Cette thèse est appuyée par la jurisprudence (Packinathan, précitée, au paragraphe 9; Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181; Gonzalo Vallenilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 433).

 

[18]      Il est déraisonnable de ne pas tenir compte des éléments de preuve clairs qui démontrent que les hommes d’origine ethnique tamoule originaires de l’Est et du Nord du Sri Lanka sont exposés aux mêmes risques importants en matière de persécution. Cela contredit la conclusion de la Commission quant à cette question importante, et aucun des énoncés en conclusion formulés par la Commission dans lesquels elle affirme qu’elle a tenu compte de tous les éléments de preuve n’est  suffisant pour appuyer une conclusion à l’effet contraire. (Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 17; Packinathan, précitée, au paragraphe 10).

 

[19]      Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est accueillie; l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

« Juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11987-12

 

INTITULÉ :                                      Ponniah c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 27 février 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sarah Boyd

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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