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Date : 20140226


Dossier : IMM-3514-13

Référence : 2014 CF 183

Ottawa (Ontario) le 26 février 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

MARIA GENOVEVA ACUNA ENRIQUEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Combien de fois une personne doit-elle s’enfuir et se cacher – et être retrouvée avant qu’une possibilité de refuge intérieur ne représente plus une option viable? Doit-elle être tuée afin que le point soit prouvé?

[2]               Madame Acuna Enriquez a fui au Canada afin d’échapper à son époux violent. Ce n’était pas la première fois qu’elle quittait son époux. Il avait déjà été emprisonné au Mexique au motif de violence conjugale. Elle a fui vers plusieurs endroits au Mexique, mais son époux l’a toujours retrouvée, apparemment avec l’aide de la police.

[3]               La Section de la protection des réfugiés (SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, a conclu que la demanderesse était crédible et a déterminé que si elle retournait au Mexique, il est possible que son époux cherche à la trouver à nouveau. Cependant, la SPR a conclu que madame Acuna Enriquez n’avait pas besoin de la protection du Canada puisqu’elle dispose d’une possibilité de refuge intérieur dans son pays d’origine, le Mexique, plus particulièrement dans le district fédéral de Mexico (DF de Mexico) ou à Guadalajara. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

I.                   Les faits

[4]               Madame Acuna Enriquez est citoyenne du Mexique. Elle a rencontré son époux, Elias Hernandez Garcia, en 1980. Ils se sont mariés quatre ans plus tard. Ensemble, ils ont deux enfants, aujourd’hui âgés de 21 et 24 ans. Elle est victime de violence conjugale depuis janvier 1988.

[5]               Son époux est devenu alcoolique et de plus en plus agressif. La demanderesse a quitté le domicile familial pour s’installer chez sa mère pendant deux ans. Lorsque sa mère est décédée en 1993, il est venu la chercher pour qu’elle puisse vivre à nouveau avec lui. Il lui a alors promis de changer. Mais non, c’était une promesse non tenue. Chaque fois qu’il était ivre, il la frappait. Il la battait devant ses enfants.

[6]               Elle s’est rendue auprès du Ministre pour le dénoncer. Conséquemment, il a été détenu en prison pour une heure. Une fois retourné à la maison, il l’a battu – « se vantant d’avoir soudoyé les policiers et que maintenant ils sont de son côté… ».

[7]               En janvier 2009, la demanderesse a décidé de quitter son époux. Elle s’installe au village de sa mère à San Sébastian dans l’État d’Oaxaca. Ce dernier l’a retrouvé avec l’aide des policiers et l’a encore battu. Elle a fui alors chez son frère à  San Joaquin dans l’État de Mexico. Encore une fois son époux l’a retrouvé avec l’aide des policiers une semaine plus tard. Elle est retournée chez lui avec ses enfants.

[8]               Ses enfants lui ont conseillé de quitter le pays, car il menaçait de la mutiler ou la tuer. Il menaçait de tuer les enfants si elle ne se soumettait pas à lui. C’est alors que la demanderesse est arrivée à Montréal en mars 2009.

II.                La décision du tribunal

[9]               La SPR a conclu que madame Maria Genoveva Acuna Enriquez n’a pas établi qu’il y a une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu dans la Convention, ou que, selon la prépondérance des probabilités, elle sera personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à la vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, si elle retourne dans son pays.

[10]           À la base, la SPR a trouvé la demanderesse crédible – victime de violence conjugale. Par contre, la victime ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir l’absence de la possibilité de refuge intérieur (PRI).

[11]           Selon la SPR, la victime n’a pas démontré qu’elle ne peut pas se rendre et s’installer dans une autre ville au Mexique. Ayant prise en considération l’intérêt de son mari, sa capacité de la retrouver et le fait que le couple était ensemble pour plus de 20 ans et maintenant séparé pour plus de quatre ans, elle n’était pas satisfaite que le mari de la demanderesse a la capacité de la retrouver si elle déménage à l’endroit proposé, à Guadalajara ou au DF de Mexico– deux grandes villes avec une population de plus de huit millions au DF de Mexico et plus d’un million à Guadalajara.

[12]           La SPR a également noté que la demanderesse ne l’a pas convaincu qu’un refuge intérieur à Guadalajara ou au DF de Mexico serait déraisonnable. La PRI ne devient pas déraisonnable par le fait qu’un changement sera difficile ou qu’il y a des facteurs économiques incommodants. La SPR a noté qu’il existe plusieurs services d’aide et de prévention de la violence familiale, incluant de l‘assistance juridique, psychologique et médicale au DF de Mexico.

[13]           Cependant, au paragraphe 12 de sa décision, la SPR a ajouté :

Le tribunal note que la demandeur était avec son mari pendant plus de vingt ans; ils ont passé une période de temps importante ensemble. Donc, il est possible qu’il continue à avoir un intérêt à la retracer, même après presque quatre ans de séparation

 

De plus, dans son affidavit, la demanderesse a indiqué que son mari est ami avec la police. Il a été en mesure de la retrouver à différentes occasions avec la police.

III.             L’analyse

[14]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[15]           La possibilité de refuge intérieur reflète la possibilité que la demanderesse a une crainte raisonnable d’être persécutée à l’endroit du pays où elle habite, mais qu’elle ne soit pas en danger dans une autre région du pays. Il revient à la demanderesse de démontrer sur une prépondérance de probabilité qu’elle risque sérieusement d’être persécutée dans son pays, et ceci dans le pays entier. (Thirunavukkarasu c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF), [1993] FCJ No 1172 (QL).

[16]           En espèce, le Ministre allègue que les cachettes de madame Acuna Enriquez sont évidentes, telles que la ville natale de sa mère ou bien chez des membres de sa famille. Même si cela est vrai, elle est retrouvée rapidement puisque son mari, un camionneur transmexicain, a des contacts avec la police à travers le pays.

[17]           Ce fait a complètement été ignoré par la SPR. De plus, la preuve documentaire établie qu’il est facile pour une personne de retrouver une autre au Mexique, si elle le veut. Puisque la SPR reconnaît la probabilité de l’époux de vouloir encore poursuivre la demanderesse et considérant que madame Acuna Enriquez est crédible, à mon avis, l’analyse est insuffisante et déraisonnable.  Il y avait de la preuve documentaire dans le dossier qui supporte la proposition que madame Acuna Enriquez peut être retrouvée au Mexique. Il était donc du devoir de l’instance décisionnelle d’expliquer cette information (Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (QL)).

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 19 avril 2013, est annulée.

3.                  L’affaire est renvoyée à la SPR pour faire l’objet d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

4.                  Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3514-13

INTITULÉ :

MARIA GENOVEVA ACUNA ENRIQUEZ c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (qUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 février 2014

 

COMPARUTIONS :

Maria Cristina Marinelli

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

Isabelle Brochu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cristina Marinelli

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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