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Date : 20140226


Dossier :

IMM-11988-12

 

Référence : 2014 CF 176

[Traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 26 février 2014

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

PRABHJOT KAUR SIDHU

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision rendue par un agent d’immigration, datée du 16 octobre 2012, dans laquelle on a refusé de traiter la demande de résidence permanente (la demande de RP) de la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), au motif que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

 

II. Le contexte

[2]               La demanderesse, Mme Prabhjot Kaur Sidhu, est une citoyenne de l’Inde, née en 1984. Elle est mariée et a un fils en bas âge.

 

[3]               La demanderesse a obtenu une maîtrise en sciences (Informatique) de l’Université du Punjab en 2008.

 

[4]               La demanderesse affirme que, la même année, elle a commencé à travailler à titre de formatrice en informatique pour une entreprise de technologie s’appelant Data Soft Tech Software Solutions (Data Soft Tech). La demanderesse a présenté à cette époque une première demande de RP, qui a été rejetée en 2010, au motif qu’elle n’avait pas obtenu le nombre minimal de points requis pour être admissible à l’immigration au Canada.

 

[5]               En mai 2010, la demanderesse a présenté une seconde demande de RP au haut‑commissariat du Canada à Delhi.

 

[6]               Le 19 juin 2012, l’agent a envoyé à la demanderesse une lettre d’équité procédurale énonçant un certain nombre de réserves qu’il avait concernant son emploi, notamment :

 

a)               La demanderesse et sa collègue ont fourni des renseignements contradictoires concernant son titre, ses fonctions, les projets menés ensemble et sa présence au bureau le jour où l’agent a téléphoné à son lieu de travail;

 

b)                  La demanderesse consultait constamment ses documents et sa demande pour répondre aux questions pendant la vérification téléphonique de l’agent;

 

c)                  Le papier à en‑tête et l’adresse de Data Soft Tech sur la lettre d’emploi que la demanderesse a soumise à l’appui de sa seconde demande de RP présentaient des différences par rapport aux renseignements fournis sur la lettre d’emploi accompagnant sa première demande de RP, même si les deux lettres étaient datées du 1er mai 2008.

 

[7]               En réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse a présenté plusieurs documents, y compris une déclaration solennelle de sa collègue, Nitin Sharma, et du directeur/propriétaire de Data Soft Tech, Amritpal Singh, une lettre d’emploi mise à jour et des copies du registre des présences de l’entreprise.

 

[8]               Le 16 octobre 2012, l’agent a rejeté la demande de RP de la demanderesse, au motif que celle‑ci est interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, qui est la demande sous‑jacente dont est saisie la Cour.

 

III. La décision visée par le contrôle

[9]               Les notes du Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC) de l’agent énoncent les motifs de la décision :

[traduction]

Appréciation des fausses déclarations : J’ai examiné les documents et les renseignements se rapportant à l’emploi de Mme Prabhjot Kaur Sidhu, qui ont été présentés dans le cadre de sa demande de résidence permanente au Canada. En raison de réserves concernant l’authenticité de l’expérience d’emploi déclarée de la demanderesse, j’ai procédé à une vérification par téléphone le 19 mai 2012, vérification qui a soulevé des préoccupations importantes concernant l’emploi déclaré de la demanderesse. Une lettre d’équité procédurale datée du 19 juin 2012 a été envoyée à la demanderesse. Le HCC a reçu une réponse écrite signée par la demanderesse, accompagnée de documents justificatifs, le 11 juillet 2012. Tous les renseignements au dossier concernant l’emploi de Mme Sidhu ont été examinés pour rendre la présente décision. J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse a fait une présentation erronée quant à ses antécédents de travail en fournissant de faux renseignements sur son emploi à titre de formatrice en informatique chez Data Soft Tech. Après avoir examiné les renseignements, j’estime qu’il est raisonnable de conclure que Mme Sidhu n’a pas l’expérience qu’elle a déclarée dans sa demande. L’information fournie à l’appui de sa demande est importante et aurait pu mener à une erreur dans l’application de la Loi parce qu’elle pourrait avoir incité un agent à se dire convaincu que la demanderesse répondait aux exigences de la Loi en ce qui concerne [ses] antécédents et [son] expérience de travail ainsi que les points qu’elle aurait pu se voir accorder. J’estime, par conséquent, que la demanderesse est interdite de territoire au Canada aux termes de l’article 40 de la Loi. La demande est rejetée.

 

                        (Dossier de demande, à la page 9).

 

IV. Les questions en litige

[10]           (1) L’agent a-t-il omis de tenir compte d’éléments de preuve expliquant les incohérences dans la demande de la demanderesse?

(2) Les motifs de l’agent étaient‑ils insuffisants?

 

V. Les dispositions législatives applicables

[11]           Les dispositions législatives suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Fausses déclarations

 

40.      (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

[…]

Misrepresentation

 

40.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

VI. La position des parties

[12]           La demanderesse affirme que la décision de l’agent est déraisonnable, parce que celui‑ci n’a pas pris en compte ses explications concernant les incohérences relevées dans sa demande et n’a pas fourni d’analyse des éléments de preuve en question ni indiqué en quoi ceux‑ci ont ou n’ont pas dissipé ses préoccupations.

 

[13]           De plus, la demanderesse soutient que l’agent a fourni des motifs insuffisants pour sa décision. Plus particulièrement, elle affirme que l’agent a omis d’indiquer les faits importants sur lesquels elle a fait une présentation erronée dans sa demande.

 

[14]           Le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve n’est pas corroboré. L’agent a pris en compte tous les documents présentés; cependant, les documents ne l’ont pas convaincu que la demanderesse avait l’expérience de travail déclarée. Il y avait trop d’incohérences qui étaient restées inexpliquées.

 

[15]           De plus, le défendeur soutient que les motifs de l’agent sont suffisants. L’agent a pris en compte tous les éléments de preuve présentés par la demanderesse, a énoncé des réserves à l’égard de la preuve et a donné à la demanderesse la possibilité de répondre aux préoccupations. Le défendeur soutient que la lettre de refus de l’agent et les notes du SMGC montrent les motifs pour lesquels la demande a été rejetée. La décision, par conséquent, appartient aux issues possibles et acceptables.

 

VII. La norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle qui s’applique pour établir si un agent d’immigration a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’un demandeur avait fait une fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est la raisonnabilité (Goburdhun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 971; Oloumi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 12).

 

[17]           Le caractère suffisant des motifs dans les affaires comme celle‑ci doit aussi être pris en compte dans le contexte de la raisonnabilité (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 22; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1083, aux paragraphes 19 à 24).

 

[18]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, la Cour suprême du Canada a maintenu que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Plutôt, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au paragraphe 14).

 

VIII. Analyse

[19]           Après avoir examiné minutieusement la décision, la Cour conclut que les motifs fournis par l’agent ne sont pas suffisants en ce qui concerne les conclusions tirées au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. (Pour cette raison, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la première question en litige.)

 

[20]           La Cour a énoncé de nombreuses fois le critère applicable au caractère suffisant des motifs, dont récemment dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, 386 FTR 1 :

[17]      Une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide : voir Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, paragraphe 46; Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n° 545 (C.A.F.); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), paragraphe 22; décision Arastu, précitée, paragraphes 35 et 36.

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           S’il est certain que les motifs d’un agent peuvent être brefs, ceux-ci n’en doivent pas moins remplir les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée – ils doivent informer le demandeur du raisonnement sous-jacent de la décision (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports, [2001] 2 CF 25, aux paragraphes 21 et 22 (CA)).

 

[22]           Même quand on l’examine de pair avec les notes du SMGC, la décision de l’agent en l’espèce ne fournit  pas suffisamment d’explications pour permettre à la demanderesse, ou à la Cour, de comprendre comment et pourquoi celui‑ci a établi qu’elle avait fait une présentation erronée au  sujet des faits importants. La lettre de refus de l’agent, pas plus que les notes du SMGC, ne reflète aucune analyse des fausses déclarations perçues. En fait, l’agent n’indique nulle part la nature ou la portée de quelque fausse déclaration que ce soit dans sa décision.

 

[23]           Pour conclure qu’une personne est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a), il faut réunir deux éléments : cette personne doit avoir donné de fausses déclarations et ces fausses déclarations doivent porter sur un fait important et entraîner ou risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452).

 

[24]           Quand on examine la lettre d’équité procédurale fournie à la demanderesse le 19 juin 2012, il semble que l’agent a eu des réserves au sujet de l’authenticité de la lettre d’emploi de la demanderesse, d’incohérences dans les renseignements fournis concernant son lieu de travail et de ce besoin qu’elle avait de consulter constamment ses documents pour répondre à des questions; cependant, on ne peut pas établir si pour l’agent ces réserves constituaient des fausses déclarations importantes et, le cas échéant, en quoi. La Cour ne peut pas formuler des hypothèses au sujet des motifs pour lesquels l’agent avait fait une présentation erronée sur un fait important quant à son emploi.

 

[25]           Dans ses motifs, l’agent s’est contenté d’indiquer que [traduction] « la demanderesse a fait une présentation erronée des faits quant à ses antécédents de travail en fournissant de faux renseignements sur son emploi de formatrice en informatique pour Data Soft Tech » [non souligné dans l’original] (dossier de demande, à la page 9). Cette conclusion, sans autre raisonnement, fait en sorte qu’il est impossible pour la Cour de procéder à une appréciation significative des conclusions de l’agent sur les fausses déclarations (VIA Rail, précité). Par conséquent, la Cour conclut que la décision est viciée et ne peut être maintenue.

 

[26]           Comme il est indiqué dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 RCF 425, si un tribunal de révision n’est pas en mesure d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision parce que la décision comporte trop peu de renseignements, les motifs sont insuffisants (au paragraphe 16).

 

[27]           Il se peut qu’un autre agent, après avoir examiné tous les éléments de preuve pertinents, arrive à la même conclusion que l’agent en l’espèce; il existe un certain nombre d’incohérences et d’ambiguïtés dans la demande de la demanderesse; cependant, il est de l’intérêt de la justice que la question soit renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue (de novo) d’une manière qui respecte les principes fondamentaux de l’équité procédurale.

 

IX. Conclusion

[28]           Pour tous les motifs énoncés plus haut, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sera accueillie.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision (de novo), sans question de portée générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-11988-12

 

INTITULÉ :

PRABHJOT KAUR SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 24 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 26 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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