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Date : 20140226


Dossier :

IMM-12625-12

 

Référence : 2014 CF 184

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

NIREKAN SIVANATHAN

 

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l’égard d’une décision datée du 20 novembre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rejetait la demande d’asile présentée par le demandeur.

 

Le contexte

[2]               Nirekan Sivanathan (le demandeur) est un citoyen du Sri Lanka âgé de 25 ans. Il est Tamoul et est originaire du district de Vavuniya, qui est situé dans la province la plus au nord de ce pays.

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 13 août 2010 à bord du navire Sun Sea. Il a présenté une demande d’asile le jour même. Le demandeur craint d’être arrêté, torturé et détenu indéfiniment s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[4]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96, car il n’avait pas une crainte fondée de persécution et qu’il n’était pas un réfugié sur place, et qu’il n’était pas une personne à protéger au sens des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la Loi.

 

Les questions en litige

[5]               La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

1.      La Commission a‑t‑elle appliqué le bon critère?

2.      La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas le profil d’un réfugié est-elle raisonnable?

3.      La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas un réfugié sur place est‑elle raisonnable?

4.      La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur était uniquement exposé à un risque général d’être victime de criminalité est‑elle raisonnable?

5.      Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité sont‑elles raisonnables?

 

La norme de contrôle applicable

[6]               Les conclusions de la Commission au sujet des questions en litige soulevées en l’espèce sont des questions mixtes de faits et de droit. Par conséquent, elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, [2012] ACF no1657 (QL), aux paragraphes 13 à 15; B231 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1218, [2013] ACF no 1316 (QL), aux paragraphes 27 à 29 (B231)). En ce qui concerne les conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité, celles-ci devraient faire l’objet d’une retenue appréciable (Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, [2009] ACF no 1143 (QL), au paragraphe 18; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 732, 160 NR 315, au paragraphe 4).

 

[7]               La cour de révision, lorsqu’elle applique la norme de la raisonnabilité, ne peut pondérer à nouveau la preuve dont le décideur était saisi. Son examen doit s’en tenir « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel […] » et statuer sur l’« appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Analyse

[8]               Le demandeur prétend que la Commission a appliqué des critères erronés dans son analyse de la demande d’asile fondée sur l’article 96. Le demandeur renvoie aux passages de la décision dans lesquels la Commission insiste sur l’évolution favorable de la situation des droits de l’homme au Sri Lanka (décision de la Commmission, aux paragraphes 29 et 30), sur le fait que le demandeur n’a jamais été directement pris pour cible en tant que partisan des TLET (décision de la Commission, au paragraphe 43), ou sur l’opinion de la Commmission selon laquelle le demandeur n’était pas exposé à un risque accru (décision de la Commmission, aux paragraphes 34 et 53). Selon le demandeur, [traduction] « il ne fait aucun doute que le commissaire da Silva a appliqué un ensemble de critères erronés » (exposé des arguments du demandeur, au paragraphe 15). La Cour n’est pas convaincue que les passages cités par le demandeur témoignent du fait que la Commission a appliqué un critère modifié et erroné. Lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, la Cour est plutôt d’avis que la Commmission a effectué une analyse de la preuve qui documentait l’évolution de la situation au Sri Lanka ainsi que la situation propre au demandeur en vue d’établir si ce dernier était exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté. La Commmission ne s’est pas livrée à un exercice de relativisme, comme l’a suggéré le demandeur (décision de la Commision, aux paragraphes 25, 34 et 43). Plus particulièrement, les termes employés par la Commission ne donnent pas à penser qu’elle a appliqué un critère plus restrictif, mais plutôt qu’elle a tout simplement tenté d’examiner la question de savoir si le demandeur, en tant que membre d’un groupe ethnique généralement exposé à des difficultés dans un pays en pleine évolution, était exposé à une sérieuse possibilité d’être persécuté. La conclusion de la Commission est pertinente : « […] que le demandeur d’asile ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il risquait sérieusement d’être persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention, ou qu’il serait personnellement exposé, selon la prépondérance des probabilités, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture […] » (décision de la Commission, au paragraphe 62).

 

[9]               Je ne peux accepter l’allégation du demandeur selon laquelle la Commission a fait fi de plusieurs éléments de preuve documentaire étayant la discrimination, la violence et le harcèlement commis par les autorités srilankaises et par les groupes paramilitaires à l’endroit des hommes d’origine ethnique tamoule. Le demandeur a produit un ensemble d’éléments de preuves documentaires étayant que sa crainte de persécution, que ce soit à titre de jeune homme d’origine tamoule ou de demandeur d’asile débouté, était bien fondée, mais que la Commission n’a pas directement fait mention de ces éléments de preuve. Cependant, et comme l’a fait remarquer la juge Snider dans une décision dans laquelle elle devait se pencher sur des faits similaires, la Cour est d’avis que « la Commission a traité du contenu général [des documents] » (SK c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 78, [2013] ACF no 137 (QL), au paragraphe 16).

 

[10]           Effectivement, la Commission a pris connaissance et fait mention à maintes reprises des nombreux éléments de preuve donnant à penser que la situation est toujours difficile au Sri Lanka, surtout pour les Tamouls originaires de la Province du Nord. Cependant, elle a choisi de se fonder sur d’autres éléments tirés de la preuve documentaire qui indiquaient que, depuis la fin de la guerre, la situation s’était constamment améliorée, au point où il n’est plus nécessaire d’appliquer les mesures de protection fondées sur des groupes et que chacune des demandes d’asile doit être appréciée selon les circonstances propres au demandeur. Le demandeur a suggéré une interprétation différente de la preuve, mais il n’a pas réussi à convaincre la Cour que la manière dont la Commission a pondéré la preuve était déraisonnable.

 

[11]           En ce qui a trait à la contestation des conclusions de la Commission en matière de crédibilité, les conclusions défavorables de la Commission reposent sur la preuve produite, sur des omissions et sur des incohérences, en plus d’être suffisamment motivées. Par exemple, il était loisible à la Commission de conclure que le fait que le demandeur avait convaincu les personnes qui le détenaient au camp que sa cicatrice remontait à son enfance faisait en sorte qu’il était probable que la cicatrice elle‑même ne soulève pas de doutes quant à la participation du demandeur aux activités des TLET. Il était aussi raisonnable pour la Commission de conclure que, parce que le demandeur avait été remis en liberté par la Division des enquêtes criminelles après avoir été interrogé relativement aux soupçons selon lesquels il participait aux activités des TLET et qu’il n’avait pas été envoyé au camp spécial pour les partisans des TLET, les autorités srilankaises ne le considéraient pas comme une personne ayant un lien avec l’organisation.

 

[12]           En ce qui a trait à la demande d’asile sur place, le demandeur prétend que la Commission a fait fi de documents qui démontraient clairement que des fonctionnaires srilankais croyaient que les pilotes et les passagers du navire Sun Sea avaient des liens avec les TLET et que l’effet cumulatif des conclusions de la Commission équivaut à une erreur. Cependant, la Cour remarque que la Commission a directement mentionné que certains documents donnaient à penser que les fonctionnaires canadiens et srilankais croyaient que les passagers du navire Sun Sea avaient des liens avec les TLET (décision de la Commission, aux paragraphes 46 et 50). Tout en reconnaissant cet élément de preuve, la Commission croyait que celui‑ci ne confirmait pas bel et bien que tous les passagers du navire Sun Sea étaient perçus comme étant des partisans des TLET (décision de la Commission, au paragraphe 53). La Commission a par la suite fait une analyse de la situation personnelle du demandeur et elle a conclu que le simple fait que le demandeur ait été à bord du navire Sun Sea n’était pas suffisant en soi pour établir le bien‑fondé de sa demande d’asile sur place. Cette conclusion est étayée par un certain nombre de décisions de la Cour (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B459, 2013 CF 740, [2013] ACF no 779 (QL), aux paragraphes 8 à 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B171, 2013 CF 741, [2013] ACF no 821 (QL), aux paragraphes 9 à 13; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B420, 2013 CF 321, [2013] ACF no 396 (QL), aux paragraphes 16 et 17; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A011, 2013 CF 580, [2013] ACF no 685 (QL), au paragraphe 40; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B472, 2013 CF 151, [2013] ACF no 192 (QL), aux paragraphes 24 à 28).  

 

[13]           En ce qui concerne la question du risque généralisé, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de conclure, en se fondant sur la preuve documentaire et sur les témoignages, que l’EPDP et le groupe Karuna ne constituaient pas une menace particulière pour le demandeur, lequel semble avoir été pris pour cible au Sri Lanka lors de vérifications de routine, et non en raison de son appartenance ethnique. La Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que les menaces d’extorsion décrites par le demandeur constituaient un risque généralisé. Il y a amplement de preuve à cet effet (dossier du tribunal, vol. 2, aux pages 319, 320, 322, 341 et 342; vol. 3, aux pages 430 et 559).

 

[14]           Pour l’ensemble de ces motifs, la décision de la Commission est raisonnable puisqu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir). Il s’ensuit que la Cour n’a pas à intervenir. La demande sera rejetée.

 

[15]           L’avocat du demandeur a proposé la question suivante à des fins de certification :

[traduction]

Le critère du « risque accru » est‑il approprié pour trancher la question de savoir si une personne a ou non une crainte fondée de persécution?

 

[16]           Compte tenu de la conclusion de la Cour en ce qui concerne le critère appliqué par la Commission ainsi que du fait que la question proposée par le demandeur se rapporte plutôt à l’appréciation de la preuve et non au fardeau de la preuve, la Cour ne certifiera pas la question, puisqu’il ne s’agit pas d’une question de portée générale et qu’elle ne permettra pas de trancher la présente affaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-12625-12

 

INTITULÉ :

NIREKAN SIVANATHAN

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 12 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 26 FÉVRIER 2014

 

COMPARUTIONS :

Jack Davis

 

pour le demandeur

 

Ildikó Erdei

 

pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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