Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20140225

Dossier : IMM-11649-12

 

Référence : 2014 CF 177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

CSABANE BABOS

CSABA BABOS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par Michele Pettinella, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi). La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs et conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          Question en litige

[2]               La question soulevée en l’espèce est la suivante :

A. La Commission a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en raison des conclusions qu’elle a tirées sur la crédibilité et sur la protection de l’État?

 

II.        Contexte

[3]               Les demandeurs sont Csabane Babos (la demanderesse principale ou DP) et son fils, Csaba Babos (le demandeur mineur ou DM). Ils sont des citoyens hongrois d’origine ethnique rom.

 

[4]               Dans l’exposé circonstancié d’une demi‑page du Formulaire de renseignements personnels initial (l’exposé circonstancié du FRP initial), présenté le 5 avril 2011, la DP allègue que le harcèlement et les agressions sont un problème quotidien en Hongrie en raison de sa race. Elle affirme que le DM a été agressé physiquement à plusieurs reprises à l’école du fait de son origine ethnique rom. La DP affirme que le DM a été agressé dans la rue en 2010, et que lorsqu’elle s’est tournée vers le système judiciaire pour obtenir de l’aide, l’homme soupçonné d’avoir battu le DM a menacé ce dernier pour le dissuader de signaler l’incident à la police. De plus, elle a déclaré avoir été chassée des transports en commun et insultée en raison de son origine ethnique. Le 12 septembre 2011, les demandeurs ont produit un premier exposé circonstancié modifié de leur Formulaire de renseignements personnels. Cet exposé circonstancié est identique à l’exposé circonstancié du FRP original sur le plan des faits; seules des erreurs typographiques ont été corrigées.

 

[5]               Le 11 février 2012, les demandeurs ont produit un deuxième exposé circonstancié modifié de leur Formulaire de renseignements personnels (l’exposé circonstancié du FRP modifié). Cet exposé circonstancié de dix pages contient de nombreuses allégations importantes qui ne figuraient pas dans l’exposé circonstancié du FRP initial. Parmi celles‑ci, mentionnons l’impossibilité de recevoir des soins médicaux, la difficulté à trouver un emploi, et de nombreux incidents de violence verbale et physique infligés aux demandeurs par des skinheads et des membres de la Garde hongroise, dès le début des années 1990.

 

[6]               Les demandeurs ont fui la Hongrie le 8 février 2011 et ils ont demandé l’asile au Canada.

 

[7]               La Commission a conclu que les allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

A.  Crédibilité

[8]               La Commission a tiré six grandes conclusions relativement à la crédibilité.

 

[9]               Premièrement, la Commission a conclu que l’explication de la DP quant aux différences entre les exposés circonstanciés du FRP initial et du FRP modifié n’était pas convaincante. L’exposé circonstancié du FRP modifié mentionnait un incident de persécution précis, tandis que l’exposé circonstancié du FRP modifié faisait état d’environ 36 incidents. Lorsque la Commission lui a demandé d’expliquer cette différence, la DP a déclaré que son précédent avocat lui avait conseillé de tenir l’exposé circonstancié de son FRP initial à une ou deux pages. La Commission n’a pas trouvé crédible, indépendamment des instructions du conseil, que la DP ne fournisse même pas une brève description de ces incidents additionnels dans l’exposé circonstancié de son FRP initial.

 

[10]           Deuxièmement, la DP affirme dans l’exposé circonstancié de son FRP modifié qu’elle avait communiqué avec la police [traduction] « plus de 5 ou 6 fois », mais décrit dans le même exposé circonstancié plus de 15 incidents à la suite desquels la police a été appelée. Lorsque la Commission lui a demandé combien de fois elle avait appelé la police, elle a déclaré qu’elle ne le savait pas et qu’elle n’avait donné qu’une estimation dans l’exposé circonstancié de son FRP modifié. La Commission a estimé qu’il n’était pas crédible qu’une personne ne donne pas une estimation plus fiable du nombre de fois où la police a été appelée.

 

[11]           Troisièmement, la DP a négligé de présenter à la Commission des rapports de police ou des documents médicaux ayant trait à d’autres incidents que celui survenu en février 2010. La Commission n’a pas accepté l’explication donnée par la DP selon laquelle elle devait les demander en personne, car la preuve documentaire laisse croire le contraire. La Commission en a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la DP.

 

[12]           Quatrièmement, lors de l’entrevue au point d’entrée, la DP a fait part à l’agent d’immigration de l’incident de février 2010 en disant que le bracelet du DM avait été dérobé et que les policiers n’avaient rien fait. Cependant, rien n’indique dans les rapports de police que le bracelet du DM avait été dérobé. Lorsque la Commission l’a questionnée, la DP a déclaré que le bracelet était tombé au cours de l’incident ou bien qu’il avait été pris. La Commission a tiré une conclusion défavorable de cette incohérence.

 

[13]           Cinquièmement, la Commission a constaté que, à plusieurs reprises durant le témoignage, la DP et son conjoint de fait (le témoin) avaient du mal à se rappeler les événements décrits dans l’exposé circonstancié du FRP modifié. Cela ressortait clairement du fait que la DP et le témoin ne répondaient pas, que la DP disait qu’elle ne connaissait pas la réponse, ou se souvenait mal des détails importants des incidents au sujet desquels elle était interrogée. Tout en reconnaissant qu’il était normal de ne pas nécessairement se rappeler certains détails, la Commission a tiré une conclusion négative fondée sur le fait que le témoin et la DP avaient, à maintes reprises, eu beaucoup de mal à se souvenir de nombreux événements qui les auraient incités à fuir au Canada.

 

[14]           Enfin, la Commission a traité des observations du conseil des demandeurs selon lesquelles la DP souffre de dépression, de migraines et de tremblements et que le témoin était sous sédation au moment de l’audience, des facteurs qui auraient pu porter atteinte à leur crédibilité. La Commission a rejeté cette explication au motif qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve d’ordre médical dignes de foi montrant que le témoin était sous sédation le jour de l’audience ou que des troubles médicaux ou des médicaments prescrits auraient nui à la crédibilité de la DP.

 

[15]           Par conséquent, la Commission n’a pas cru que les demandeurs avaient été persécutés comme ils le décrivaient, exception faite de l’agression dont le DM avait été victime en février 2010.

 

B.  Protection de l’État

[16]           En ce qui concerne l’agression subie par le DM en février 2010, la Commission a conclu que la police avait réagi rapidement et adéquatement à la plainte du DM, car les policiers ont retrouvé les auteurs présumés de l’agression d’après la description du DM et un numéro de plaque d’immatriculation, ont emmené les auteurs présumés au poste de police, et qu’une date de procès a été fixée. Les policiers ont tenu le DM et la DP au courant de l’enquête tout au long du processus. Aucun élément de preuve n’a été produit qui laisserait penser que les policiers n’auraient pas donné suite au procès si le DM était resté en Hongrie.

 

[17]           La Commission a également passé en revu les renseignements sur la situation dans le pays qui soulignent que s’il existe un problème de discrimination contre la minorité rom en Hongrie, tout compte fait, la Hongrie est une démocratie qui dispose de services de police et d’organisations politiques et administratives adéquats qui prévoient des recours pour les personnes persécutées.

 

[18]           La Commission a examiné cette information à la lumière des circonstances particulières du cas des demandeurs, y compris l’incident de février 2010 et le suivi des policiers.

 

III.       Norme de contrôle

[19]           La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Tamas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1361, aux paragraphes 20 et 22).

 

IV.       Analyse

[20]           Les demandeurs contestent les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité pour plusieurs raisons. Premièrement, ils affirment que la Commission s’est montrée inflexible à l’égard des problèmes de santé de la DP, invoquant Wardi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1509, aux paragraphes 19 et 20.

 

[21]           Deuxièmement, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée sur les changements importants apportés à l’exposé circonstancié du FRP modifié. Dans Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, aux paragraphes 18 et 19, la Cour déclare que la modification d’un FRP ne constitue pas à elle seule un motif minant la crédibilité d’un demandeur si elle ajoute des détails au récit du demandeur. De plus, les demandeurs font remarquer qu’ils ont déposé une plainte auprès du barreau au sujet de leur premier avocat qui avait conseillé à la DP de n’écrire qu’un court exposé circonstancié dans le FRP initial – un fait qui permet de mieux comprendre les différences entre les deux exposés circonstanciés.

 

[22]           Les demandeurs font en outre valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable du fait que le DP avait décrit à un endroit de l’exposé circonstancié de son FRP modifié qu’elle avait appelé la police [traduction] « plus de 5 ou 6 » fois et qu’elle avait plus tard fait état de 15 fois. Les demandeurs soulignent que « plus de cinq ou six » n’est pas incompatible avec 15, et que la Commission aurait dû examiner la crédibilité des incidents eux‑mêmes, mais qu’elle ne l’avait pas fait.

 

[23]           Les demandeurs font également valoir que la Commission a effectué une analyse microscopique des éléments de preuve et qu’elle a exigé à tort qu’ils soient corroborés avant de les juger crédibles. Les demandeurs attirent l’attention sur la conclusion que la Commission a tirée au sujet de l’incohérence entre l’entrevue de la DP au point d’entrée et son témoignage expliquant comment le bracelet du DM avait disparu durant l’agression survenue en février 2010. La divergence alléguée n’existe que dans la mesure où le rapport de police indique que le bracelet du DM [traduction] « [avait] dispar[u] », et non qu’il avait été « volé ». Les demandeurs estiment que cette incohérence est mineure et qu’il n’y a pas lieu d’en tirer une conclusion défavorable (Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, aux paragraphes 67 à 69).

 

[24]           L’analyse de la crédibilité effectuée par la Commission respectait tout à fait la norme de la décision raisonnable exposée dans Dunsmuir. La Commission a souligné les différences importantes décelées entre l’exposé circonstancié du FRP initial et celui du FRP modifié et elle n’a pas été convaincue par l’explication de la DP qui avait affirmé qu’elle avait agi selon les consignes de son avocat. La décision de la Commission était corroborée par plusieurs autres constatations, entre autres les divergences entre le nombre d’incidents décrits dans l’exposé circonstancié du FRP modifié, le fait que le témoin et la DP ne se rappelaient pas certains événements clés lors du témoignage et le manque d’éléments de preuve corroborants, sauf pour ce qui concernait l’incident survenu en février 2010. De plus, la Commission a examiné l’état de santé de la DP et conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’argument selon lequel la DP n’était pas en mesure de livrer un témoignage complet.

 

[25]           Dans l’ensemble, les conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité étaient justifiables, intelligibles et suffisantes.

 

[26]           En ce qui concerne la protection de l’État, comme j’accepte la conclusion de la Commission quant à la crédibilité, le seul incident qu’il convient d’examiner est celui survenu en février 2010. Il incombait aux demandeurs de montrer que la protection de l’État est inadéquate. Selon les faits qui sont connus, les policiers ont identifié les auteurs de l’agression à l’aide des renseignements fournis par le DM, une date de procès a été fixée et les témoins ont été convoqués. L’absence d’information sur le déroulement du procès après que les demandeurs ont quitté la Hongrie n’aide pas les demandeurs à s’acquitter de leur fardeau de montrer que la protection de l’État était inadéquate.

 

[27]           En l’espèce, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure, après examen des renseignements sur la situation dans le pays et de la situation personnelle des demandeurs, que la protection de l’État était adéquate.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11649-12

 

INTITULÉ :                                      Babos et al. c.
MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 février 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daisy McCabe-Lokos

 

POUR LES DEMANDEURS

Mahan Keramati

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROCHON GENOVA LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.