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Date : 20140221

Dossiers : IMM-12685-12

IMM-12686-12

 

Référence : 2014 CF 172

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

HUSEYIN TALIPOGLU

KADRIYE TALIPOGLU

KADRIYE CANDAS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] et visant deux décisions rendues par Q. Liu , un agent principal d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agent]. L’agent a rendu une décision défavorable relativement à la demande d’examen des risques avant renvoi [la demande d’ERAR] présentée au titre du paragraphe 112(1) de la Loi, et il a rejeté la demande de dispense de l’observation des critères de sélection au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande CH], présentée en application du paragraphe 25(1).

 

I.          Les questions en litige

[2]               En l’espèce, les questions soulevées sont :

A. La demande d’examen des risques avant renvoi

      1. L’agent a-t-il appliqué le bon critère dans son appréciation des risques auxquels les demandeurs étaient exposés?

     2. L’agent a-t-il appliqué le critère de façon déraisonnable?

 

B. La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

1. L’issue de la demande d’ERAR détermine‑t‑elle le résultat de la demande CH?

2. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

 

II.        Le contexte

[3]               Les demandeurs sont : Huseyin Talipoglu, son épouse Kadriye Talipoglu [les demandeurs adultes], et leur petite‑fille Kadriye Candas [la demanderesse mineure]. Les demandeurs adultes sont mariés et citoyens de la Turquie. Ils ont deux filles. L’une des filles, Emine Ozen, s’est enfuie de la Turquie parce qu’elle craignait son ex-conjoint et, après avoir obtenu l’asile, elle vit depuis au Canada. L’autre fille vit en Turquie, et elle est la mère de la demanderesse mineure.

 

[4]               Le 20 juillet 2002, les demandeurs adultes et la demanderesse mineure sont arrivés au Canada; peu de temps après, ils ont présenté une demande d’asile, ils alléguaient craindre l’ex‑conjoint de Mme Ozen. Le 7 juillet 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile.

 

[5]               Le 31 décembre 2004, les demandeurs ont déposé leur demande CH et le 3 août 2011, ils ont déposé leur demande d’ERAR.

 

A.   La demande d’ERAR

[6]               Le 17 octobre 2012, l’agent a rendu une décision défavorable relativement à la demande d’ERAR des demandeurs. La décision de l’agent avait trait aux trois questions litigieuses soulevées par les demandeurs.

 

[7]               Premièrement, l’agent a apprécié une lettre non datée de la mère de la demanderesse mineure. La mère y déclarait que l’ex-conjoint de Mme Ozen était toujours à la recherche des demandeurs adultes et qu’il avait l’intention de leur faire du mal. L’agent a accordé peu de poids à cette lettre au motif qu’elle n’était pas datée, qu’elle était vague, et qu’elle était intéressée.

 

[8]               Deuxièmement, l’agent s’est penché sur une copie des relevés téléphoniques de M. Talipoglu, il en ressortait de nombreux appels en Turquie en août 2011. La fille canadienne des demandeurs adultes a déclaré dans un affidavit qu’elle a souscrit qu’il s’agissait d’appels de menace de l’ex-conjoint de Mme Ozen à l’égard des demandeurs adultes. L’agent a déclaré qu’il n’y avait pas de preuve que les demandeurs adultes étaient harcelés par l’ex-conjoint de Mme Ozen, et a accordé peu de poids à cet élément de preuve.

 

[9]               Troisièmement, l’agent a apprécié trois allégations concernant la demanderesse mineure : qu’elle subirait de la discrimination parce qu’elle s’était convertie au christianisme de l’Alevi (un groupe religieux chiite), que sa mère était dépressive et qu’elle ne pouvait pas prendre soin de la demanderesse mineure, et que son père la maltraiterait et l’obligerait à porter le hijab. L’agent a rejeté la première allégation, parce qu’il n’y avait ni de preuve que la demanderesse mineure s’était convertie au christianisme ni aucun élément de preuve qu’elle serait soumise à la [traduction] « persécution et au préjudice en raison de sa religion ou de son mode de vie », car les documents présentés par les demandeurs sur la situation dans le pays étaient généraux et non reliés à la demanderesse mineure. L’agent a rejeté les deuxième et troisième allégations étant donné qu’il n’y avait pas de preuve de l’état de santé mental de la mère de la demanderesse mineure, et que l’état actuel de la relation entre la demanderesse mineure et ses parents n’était pas évident.

 

[10]           Par conséquent, l’agent a décidé qu’il ne pouvait ni conclure que les demandeurs seraient exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution ni qu’il était vraisemblable que les demandeurs seraient exposés à un risque de torture, à une menace à leurs vies, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, selon les termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

B. La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[11]           Le 29 octobre 2012, l’agent a rejeté la demande CH des demandeurs, aux motifs qu’ils n’avaient pas montré que leur établissement au Canada, leurs risques en cas de renvoi et l’intérêt supérieur de l’enfant constituaient des difficultés qui étaient soit inhabituelles et injustifiées soit excessives à tel point qu’elles justifiaient une exemption fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

            i. L’établissement

[12]           Lorsqu’il a apprécié l’établissement, l’agent a relevé que les demandeurs avaient de faibles revenus, qu’ils avaient antérieurement reçu de l’aide sociale, et qu’ils vivaient actuellement dans un logement subventionné. Ils n’étaient pas établis financièrement. En ce qui a trait à l’intégration dans la communauté, ils étaient soutenus par leur église, mais ils n’auraient dû avoir aucune attente raisonnable selon laquelle ils resteraient ici de façon permanente.

 

[13]           En ce qui a trait aux liens familiaux, l’agent a apprécié favorablement leurs relations avec leur fille au Canada, l’époux de celle‑ci, et leurs enfants. Toutefois, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas de preuve qu’ils ne pouvaient jamais être réunis, si les demandeurs quittaient le Canada.

 

[14]           Enfin, l’agent a admis que les demandeurs étaient en quelque sorte établis, étant donné qu’ils résident au Canada depuis 10 ans, mais il a estimé que leur degré d’établissement ne justifiait pas une exemption à l’application normale de la Loi.

 

            ii. Le risque

[15]           L’agent a résumé les allégations des demandeurs relatives à l’ex‑conjoint de Mme Ozen. Il a cité les motifs que la Commission a rendus, en 2004, lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile des demandeurs et il a accordé un poids important à ces motifs. L’agent a aussi résumé sa décision dans sa réponse à la demande d’ERAR des demandeurs, et il a relevé que les allégations de risque étaient les mêmes. Pour les mêmes motifs que ceux rendus dans la décision relative à l’ERAR, l’agent a accordé peu de poids à une lettre non datée de la mère de la demanderesse mineure.

 

[16]           L’agent a aussi effectué une recherche sur la situation en Turquie et il a relevé que, malgré le fait que les droits de la personne y sont compromis, les demandeurs ne seraient pas nécessairement exposés à un risque personnalisé.

 

[17]           L’agent a conclu que, cumulativement, il n’y avait pas de preuve convaincante que les demandeurs seraient exposés à quelque risque que ce soit qui entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

            iii. L’intérêt supérieur des enfants

[18]           L’agent a apprécié l’allégation des demandeurs adultes selon laquelle les parents de la demanderesse mineure n’étaient pas en mesure de prendre adéquatement soin d’elle, allégation qui était étayée par des lettres provenant des parents de la demanderesse mineure. Toutefois, vu l’absence de preuve médicale quant à l’état de santé mental de la mère de la demanderesse mineure, et le fait que les parents de celle‑ci ont toujours sa garde légale, l’agent n’était pas convaincu qu’il était dans l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure de rester au Canada. Lorsqu’il est arrivé à cette conclusion, l’agent a aussi relevé que si les demandeurs étaient renvoyés en Turquie, la demanderesse mineure serait toujours avec les personnes qui s’occupaient d’elle actuellement (les demandeurs adultes), et que le système d’éducation en Turquie était d’un niveau élevé.

 

[19]           L’agent a aussi tenu compte des intérêts d’Elgin Ozen, le cousin de la demanderesse mineure, qui a un retard de développement. Il ressort des lettres de ses médecins que le soutien des membres de sa famille est important pour lui. Malgré cela, l’agent a conclu que les effets du départ ne seraient pas défavorables au point de nuire à Elgin Ozen. L’agent en a conclu ainsi parce qu’Elgin Ozen recevait des soins de sa famille, qu’il ne ressortait pas clairement de la preuve quel traitement il recevait, et qu’il n’y avait pas de preuve que le cousin ne pourrait pas demeurer en communication avec les demandeurs après leur départ.

 

[20]           Pour les motifs susmentionnés, l’agent a conclu que les effets défavorables sur les enfants ne justifiaient pas une exemption fondée sur des CH.

 

[21]           L’agent a conclu que tous les facteurs décrits ci-dessus qu’ils soient pris séparément ou cumulativement ne justifiaient pas une exemption fondée sur des CH.

 

III.       La norme de contrôle

[22]           La question de savoir si l’agent applique le bon critère juridique lorsqu’il effectue un ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Lorsque l’agent applique le critère aux faits en litige, il s’agit d’une question mixte de faits et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et à laquelle la Cour accorde généralement la déférence.

 

[23]           La question de savoir si le résultat de la demande d’ERAR détermine le résultat de la décision relative aux CH qui y est liée soulève des questions quant aux critères qu’un agent doit appliquer lorsqu’il apprécie des demandes CH. Une telle question commande la norme de la décision correcte (Guxholli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1267, au paragraphe 17), tandis qu’en soi, la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

IV.       Analyse

A.  L’agent a-t-il appliqué le bon critère dans son appréciation des risques auxquels les demandeurs étaient exposés?

[24]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a appliqué le mauvais critère lorsqu’il a apprécié la question de savoir s’ils seraient exposés au risque de persécution en cas de renvoi. Ils soulignent que l’agent a déclaré ceci : [traduction] « J’estime que la demanderesse mineure ne serait pas soumise à la persécution ou au préjudice de la part d’extrémistes religieux ». Selon les demandeurs, cela illustre que l’agent exigeait d’eux qu’ils établissent, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient persécutés, ce qui constitue une mauvaise interprétation du critère juridique pour l’appréciation d’un ERAR, comme cela ressortait de l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, cité dans l’arrêt Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120 [Chan].

 

[25]           Les demandeurs reconnaissent que bien que l’agent ait correctement énoncé le critère de l’arrêt Chan dans le dernier paragraphe de la décision, il s’agit simplement d’un paragraphe passe‑partout qui ne permet pas de pallier les importantes erreurs contenues dans la décision de l’agent : elle est entachée par l’application du mauvais critère juridique, ce qui est établi par l’analyse des faits effectuée par l’agent.

 

[26]           Le défendeur reconnaît que l’agent semble avoir mal énoncé le critère à certains endroits de la décision, mais il déclare que le fait que l’agent ait correctement énoncé le critère établit que ce dernier a appliqué le bon critère, et qu’une formulation inadéquate ou imprécise n’établit pas nécessairement que le mauvais critère a été appliqué (Paramanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 338, au paragraphe 24; Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59, aux paragraphes 26 et 27).

 

[27]           Le critère pour l’appréciation de la persécution a été décrit au paragraphe 120 de l’arrêt Chan de la façon suivante :

Dans l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, la Cour d’appel fédérale a statué que, dans le contexte spécifique de la détermination du statut de réfugié, le demandeur n’est pas tenu d’établir, pour satisfaire à l’élément objectif du critère, qu’il est plus probable qu’il sera persécuté que le contraire. Il doit cependant établir qu’il existe plus qu’une « simple possibilité » qu’il soit persécuté. On a décrit le critère applicable comme étant l’existence d’une « possibilité raisonnable  » ou, plus justement à mon avis, d’une « possibilité sérieuse ».

 

[28]           Le bon critère consiste à savoir si un demandeur a établi qu’il y avait plus qu’une simple possibilité de persécution, non pas de savoir si un demandeur a prouvé la persécution, selon la prépondérance des probabilités.

 

[29]           Les deux parties admettent que l’agent a mal énoncé le critère dans le corps de la décision, et qu’il l’a correctement énoncé dans le dernier paragraphe de la décision :

            •     À la page 6 de la décision, l’agent déclare : [traduction] « aucun élément de preuve n’est présenté pour établir que la demanderesse mineure serait soumise à la persécution et au préjudice en raison de sa religion ou de son mode de vie »;

            •     Plus bas, dans le même paragraphe, l’agent déclare : [traduction] « en l’absence d’éléments de preuve suffisants, je conclus que la demanderesse mineure ne serait pas soumise à la persécution ou au préjudice de la part d’extrémistes religieux »;

            •     Encore une fois, deux paragraphes plus bas, l’agent déclare : [traduction] « il n’y a pas d’élément de preuve indiquant que la demanderesse mineure serait soumise au préjudice de la part de ses parents »;

            •     Dans le dernier paragraphe de la décision, l’agent énonce correctement le critère : [traduction] « J’estime que les demandeurs ne seraient pas exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution ».

 

[30]           Le défendeur a raison de dire que le fait que l’agent a utilisé le terme « serait » n’est pas nécessairement rédhibitoire, s’il ressort de l’ensemble de la décision que l’agent a compris et appliqué le bon critère (Sinnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, au paragraphe 30).

 

[31]           Toutefois, comme il ressort du paragraphe 88 de l’arrêt Optiz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [Optiz], la cour de révision doit être certaine que le décideur a appliqué le bon critère juridique lorsque cela était important. En l’espèce, les exemples cités ci‑dessus établissent que l’agent n’a explicitement pas utilisé le bon critère lorsqu’il a apprécié la preuve, et le dernier paragraphe passe‑partout qui énonce le bon critère ne change pas cet état des faits. Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas appliqué le bon critère et sur ce seul fondement la demande devrait être accueillie.

 

B.  L’agent a‑t‑il appliqué le critère de façon déraisonnable?

[32]           Étant donné ma conclusion ci-dessus, je n’ai pas besoin d’examiner la deuxième question en litige. Toutefois, je conclus que le traitement de la preuve fait par l’agent était aussi déraisonnable. En particulier, à la page 6 de la décision l’agent a déclaré que [traduction] « il n’y a pas de preuve que la demanderesse mineure s’est convertie au christianisme de la religion Alevi ». Toutefois, il y avait deux lettres du pasteur de la King’s Family Church (aux pages 295 et 378 du dossier certifié du tribunal) confirmant que la demanderesse mineure et sa grand‑mère assistaient fréquemment à ses offices. De façon incorrecte, le défendeur a fait référence à une lettre, et il a relevé que la durée de leur fréquentation de l’église ne ressortait pas de cette lettre. Cette conclusion a trait au poids, et elle ne justifie pas la déclaration de l’agent selon laquelle il n’y avait [traduction] « pas de preuve ».

 

[33]           De plus, la tante de la demanderesse mineure et les demandeurs adultes ont prêté serment que la demanderesse mineure était une convertie qui était très investie dans les activités de l’église. L’agent n’explique pas pourquoi un témoignage assermenté de membres de la famille et deux lettres du pasteur d’une église portant sur les pratiques spirituelles actuelles d’une personne ne sont pas des éléments de preuve acceptables relativement aux croyances religieuses de cette personne. Une absence d’analyse à cet égard rend cet aspect de la décision inintelligible.

 

[34]           Le défendeur avance aussi qu’il n’y a pas de preuve que la demanderesse mineure serait harcelée. Toutefois, l’agent n’a pas tenu compte de la documentation relative à la situation dans le pays, après qu’il eut conclu qu’il n’y avait pas de lien entre la situation personnelle de la demanderesse mineure, parce que l’agent avait décidé qu’elle n’était pas une convertie au christianisme. Il n’est pas évident de savoir si l’agent aurait agi de la même sorte s’il avait raisonnablement tenu compte de la preuve quant à savoir si la demanderesse mineure était chrétienne.

 

[35]           Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent portant sur l’ERAR était déraisonnable.

 

C.  L’issue de la demande d’ERAR détermine‑t‑elle le résultat de la demande CH?

[36]           Selon les demandeurs, une erreur dans l’appréciation du risque dans le cadre d’une demande d’ERAR déterminerait le résultat de la demande fondée sur des CH, lorsqu’elle est basée sur les mêmes faits (Divakaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 633, au paragraphe 28).

 

[37]           En outre, dans leur mémoire en réponse, les demandeurs déclarent que le défendeur s’est fondé à tort sur le paragraphe 25(1.3).

 

[38]           Le défendeur avance que selon le paragraphe 25(1.3) de la Loi, une demande CH prend en compte des facteurs différents de ceux d’une demande d’ERAR. Par conséquent, le fait que la demande d’ERAR du demandeur se voit accorder une réponse défavorable n’entraîne pas l’échec de sa demande CH. En outre, le défendeur oppose le but d’une analyse fondée sur des CH au mandat d’un agent d’ERAR dont la tâche est d’apprécier le risque avant le renvoi, conformément à l’alinéa 113a) de la Loi.

 

[39]           Le défendeur avance que l’agent s’est concentré sur les difficultés lorsqu’il a apprécié le risque, et qu’il n’a jamais effectué une analyse relative à l’article 96. Par conséquent, toute erreur dans l’ERAR n’entraîne pas une erreur dans l’analyse fondée sur des CH.

 

[40]           Les demandeurs déclarent à bon droit que le défendeur s’est fondé de façon inappropriée sur le paragraphe 25(1.3) de la Loi, étant donné que ce dernier a seulement été ajouté à la Loi en 2010 par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8, à l’article 4. Selon les dispositions de l’article 32 de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, il doit être statué sur toute demande CH pendante présentée au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dans sa version en vigueur à la date à laquelle la demande CH a été présentée. En l’espèce, vu que la demande CH a été présentée le 31 décembre 2004, les dispositions du paragraphe 25(1.3) ne s’appliquent pas.

 

[41]           En outre, bien que le défendeur déclare à bon droit que l’analyse des difficultés dans le cadre d’une demande CH est distincte d’une analyse dans le cadre d’un ERAR, plusieurs décisions ont confirmé que lorsqu’une analyse des CH se fonde sur une analyse d’ERAR erronée, la décision sera viciée (Divakaran, au paragraphe 28; Ogbebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1331, au paragraphe 24; Rana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 947, au paragraphe 1).

 

[42]           Il ressort clairement de l’ensemble du paragraphe 4 de la page 7 de la décision de l’agent que ce dernier s’est fondé sur l’analyse des risques effectuée dans le cadre de l’ERAR pour arriver à sa décision. En fait, l’agent formule à nouveau le même critère erroné tiré de son analyse des risques dans le cadre de l’ERAR : [traduction] « il n’y a pas de preuve que la demanderesse mineure s’est convertie au christianisme ou qu’elle serait soumise à la persécution ou au préjudice de la part d’extrémistes religieux, parce qu’elle était une convertie ou qu’elle a été élevée au Canada ».

 

[43]           Par conséquent, je conclus qu’en l’espèce la décision de la Cour portant sur l’appréciation des risques dans le cadre de la demande d’ERAR détermine le résultat de la demande CH en instance. L’agent a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a apprécié le risque dans le cadre de la demande d’ERAR et, de façon similaire, il a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a apprécié les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives dans la demande CH.

 

D.  La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

[44]           Vu ma décision susmentionnée, je n’ai pas à examiner cette question dans le contexte de la demande CH.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande des demandeurs est accueillie et est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen;

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

 

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Demande de protection

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

Examen de la demande

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

 

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,       

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Application for protection

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

Consideration of application

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

 

 

Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8, article 4

 

Demande de séjour pour motif humanitaire

32. Il est statué sur les demandes pendantes présentées au titre l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — dans sa version antérieure à la date de sanction de la présente loi — en conformité avec cette loi, dans cette version.

Humanitarian and compassionate considerations

32. Every request that is made under section 25 of the Immigration and Refugee Protection Act, as that Act read immediately before the day on which this Act receives royal assent, is to be determined in accordance with that Act as it read immediately before that day.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                             IMM-12685-12

                                                                    IMM-12686-12

 

INTITULÉ :                                             Talipoglu et autres

                                                                    c

                                                                    MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                    Le 20 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                             Le 21 février 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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