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Date : 20140220


Dossier :

T-3-10

 

Référence : 2014 CF 164

ACTION SIMPLIFIÉE

 

ENTRE :

SHEM WILLIAM TROTMAN

 

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]               Vers les 20 h 56 le 8 janvier 2007, alors qu’il se trouvait dans le gymnase du secteur 240 de l’établissement pénitentiaire à sécurité maximum de Donnacona (le pénitencier), le demandeur a essuyé en provenance d’un agent correctionnel un coup de feu qui l’a atteint à la main droite lui causant alors des blessures certaines.

 

[2]               En raison de cet événement, le demandeur a entrepris devant cette Cour une action simplifiée où il réclame à la défenderesse des dommages-intérêts à hauteur de 45 000,00$.

 

[3]               Dans sa déclaration d’action déposée en janvier 2010, le demandeur soutient essentiellement que la défenderesse est fautive en ce que « [a]u moment où le demandeur a été atteint par le tir délibéré de l’agent correctionnel, il n’y avait aucun danger de blessures corporelles graves, de mort ou d’évasion et des mesures moins rigoureuses étaient disponibles afin de mettre fin à la confrontation (paragraphe 10 de la déclaration d’action du demandeur).

 

[4]               Pour les motifs qui suivent j’en suis venu à la conclusion qu’une analyse de l’ensemble des faits pertinents entourant ledit coup de feu conduit à la conclusion en droit que les préposés de la défenderesse n’ont pas commis de fautes à l’égard du demandeur et qu’ainsi l’action de ce dernier doit être rejetée.

 

Les faits

[5]               Les faits essentiels propres à permettre une compréhension de la présente décision apparaissent à cette Cour être les suivants, et ce, de par une appréciation des affidavits et des témoignages présentés de part et d’autre lors de l’instruction de l’action.

 

[6]               Le coup de feu mentionné au premier paragraphe survient dans le cadre d’une altercation ultime prenant place près de la table de billard située dans le gymnase et impliquant, d’un côté, le demandeur et un dénommé Jason Andrew Kooger (Kooger) qui font équipe, et, de l’autre côté, un dénommé Jason Steven McGowan (McGowan) (l’Altercation principale).

 

[7]               McGowan se retrouve au pénitencier en raison d’une deuxième sentence fédérale d’emprisonnement de deux ans et onze mois pour une série de délits avec violence.

 

[8]               Quant au demandeur et Kooger, ils sont chacun au pénitencier sous le coup d’une sentence d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au second degré.

 

[9]               Il faut retenir au départ que l’Altercation principale, qui s’enclenche à proprement dit vers les 20 h 55 (et sur laquelle nous reviendrons plus tard), n’est pas le premier et seul incident de violence à s’être déroulé au gymnase dans la soirée du 8 janvier 2007 et impliquant, entre autres, le demandeur.

 

[10]           En effet, les divers témoignages d’officiers correctionnels en devoir de surveillance du gymnase lors de cette soirée du 8 janvier 2007 (soit les agents Stéphane Beaulé, Patrice Munger et Karine Maloney), le témoignage du demandeur ainsi que la preuve vidéo pour certains événements amènent la Cour à comprendre et à retenir que l’Altercation principale fut précédée, à tout le moins, de quatre agressions qui peuvent se résumer ainsi :

 

1.                  Vers les 19 h 28, le demandeur et Kooger se sont approchés du détenu Ronald Sparks, ils ont discuté brièvement avec lui et soudainement le demandeur l’a frappé violement avec un pic. L’agression a causé plusieurs blessures à Sparks (l’agression sur Sparks).

 

2.                  Vers les 19 h 35, le demandeur aurait porté assistance à un autre détenu qui, lui, aurait attaqué le détenu Woodley Coldros à coups de pic à la tête, alors que Coldros se trouvait dans une cabine téléphonique (l’agression sur Coldros).

 

3.                  Vers les 20 h 08, le demandeur a frappé le détenu Hébert-Plouffe au visage avec un pic (l’agression sur Hébert-Plouffe).

 

4.                  Vers les 20 h 22, le demandeur attaque McGowan près, possiblement, des machines d’entraînement dans le gymnase. McGowan est alors blessé à l’oreille mais il reste dans le gymnase. Le demandeur a reconnu sa participation à cette agression (l’agression sur McGowan).

 

[11]           Ainsi, à l’intérieur d’à peine un peu plus d’une demi-heure, trois agressions armées impliquant le demandeur prennent place. Au terme de ces trois premières agressions, les autorités carcérales doivent dépêcher trois agents correctionnels pour accompagner chaque victime vers un hôpital extérieur.

 

[12]           Une entrée générale des détenus est appelée vers les 20 h 40 (l’Entrée générale). Une telle entrée a pour but d’intimer aux détenus de quitter le gymnase, deux par deux, afin que chaque détenu réintègre sa cellule après avoir subi une fouille minutieuse.

 

[13]           L’Entrée générale aurait-elle pu être appelée avant et, si oui, peut-on considérer qu’elle aurait évité l’Altercation principale? Voilà des scénarios sur lesquels nous reviendrons en analyse.

 

[14]           L’Entrée générale, pour revenir à la trame des événements, n’entraîne pas dans les faits le retrait du gymnase du demandeur, de Kooger et de McGowan.

 

[15]           Arrivent ensuite les faits qui culmineront essentiellement en l’Altercation principale.

 

[16]           Une description des faits centraux à cet égard nous est fournie par le témoignage en chef, par affidavit, de l’agent correctionnel Stéphane Beaulé (l’affidavit de l’agent Beaulé), soit l’agent qui a ultimement ouvert le feu sur le demandeur. Ce témoignage est corroboré dans ses grandes parties par les affidavits souscrits par les agents correctionnels Munger et Maloney qui ont vu de près également bien des événements pertinents.

 

[17]           Bien que l’on voudra revenir sur l’appréciation de certains aspects de cet affidavit à la lumière de la vidéo qui a saisi en partie les événements décrits ci-dessous (cette vidéo ayant saisi les événements décrits aux paragraphes 78 à 105 dudit affidavit), les paragraphes suivants de l’affidavit de l’agent Beaulé décrivent néanmoins ce que lui (et parfois ses collègues Patrice Munger et Karine Maloney si l’on se reporte à leurs affidavits) ont pu apprécier et soupeser au moment où l’Altercation principale s’amorçait, puis son dénouement même par la suite vers les 20 h 55 [reproduit tel quel] :

 

47.        Après que Dominik Hébert-Plouffe soit sorti du gymnase, j’ai vu Shem Trotman et Jason Kooger au niveau de la table de billard sur le coin du mur de la cantine.

 

48.        À ce moment, j’ai vu Shem Trotman donner un pic artisanal à Jason Kooger qui l’a mis dans sa poche gauche.

 

49.        Les deux étaient armés avec des pics artisanaux et présentaient une dangerosité très élevée.

 

50.        J’ai remarqué en dessous de moi, qu’il y avait le détenu Jason McGowan qui se promenait de long en large devant les appareils d’entrainement vers la cantine et qu’il était blessé en arrière de l’oreille gauche.

 

51.        Je ne savais pas que Jason McGowan avait été victime d’agression de la part de Shem Trotman et/ou Jason Kooger, mais il était clair pour moi que Shem Trotman et Jason Kooger voulaient s’en prendre à lui.

 

52.        Jason Kooger fixait constamment Jason McGowan tout en ayant sa main dans sa poche. On aurait dit qu’il attendait le bon moment pour foncer sur Jason McGowan et le piquer.

 

53.        Shem Trotman et Jason Kooger avaient l’air de deux prédateurs qui attendaient le moment propice pour attaquer leur proie.

 

54.        J’ai réellement senti que si Shem Trotman et Jason Kooger atteignaient Jason McGowan, ils le tueraient.

 

55.        Les derniers incidents de cette soirée impliquant Shem Trotman et Jason Kooger avaient été très rapides.

 

56.        Mais cette fois-ci, ils ne se cachaient pas, ils étaient déterminés à s’en prendre à Jason McGowan. Leurs intentions étaient évidentes pour moi.

 

57.        Selon le Modèle de gestion des situations, nous étions rendus à l’étape ultime qui justifie l’utilisation des armes, le tout tel qu’il appert du modèle de gestion des situations, pièce SB‑1.

 

58.        Alors j’ai ouvert ma fenêtre en préparant mon arme.

 

59.        Le petit jeu qui s’en est suivi entre eux a duré au moins 25 minutes.

 

60.        Durant ce temps, j’ai crié à Jason McGowan en français et en anglais de quitter le gymnase mais il n’a pas voulu obtempérer à ma demande.

 

61.        L’agent Patrice Munger a même ouvert la grille de sortie pour qu’il puisse sortir du gymnase mais il n’a pas voulu.

 

62.        J’ai demandé à Jason McGowan de quitter pour éviter que Shem Trotman et Jason Kooger l’attaque.

 

63.        Cela dit, la porte était grande ouverte, Shem Trotman et Jason Kooger pouvaient facilement et sans incident quitter le gymnase.

 

64.        À l’annonce de l’entrée générale par le MCCP, Shem Trotman et Jason Kooger se sont approchés de Jason McGowan à environ 25 pieds de lui et ont sorti chacun leurs pics artisanaux.

 

65.        Shem Trotman et Jason Kooger se sont finalement décidés de l’attaquer.

 

66.        Jason McGowan se situait devant le secteur des appareils d’entrainement près de la cantine, Shem Trotman et Jason Kooger avançaient du coin de la cantine près de la table de billard.

 

67.        Shem Trotman et Jason Kooger étaient vêtus avec des manteaux.

 

68.        J’ai tiré deux (2) coups de semonce, juste au dessus de leurs têtes pour les arrêter.

 

69.        Les coups de semonce ont fonctionné et Shem Trotman et Jason Kooger se sont reculés vers la cantine.

 

70.        Quelques instants après, ils sont revenus à la charge mais l’agent Patrice Munger (Alpha 22) a tiré un coup de carabine juste à côté d’eux et ils ont reculés vers la table de billard.

 

71.        L’agent Munger a tiré très proche d’eux, à environ deux pieds. Il a tiré dans une cannette de Pepsi.

 

72.        Les trois coups de semonce ont cessé l’avancement de Shem Trotman et Jason Kooger vers Jason McGowan. Même en se retirant, ils ont continués à fixé Jason McGowan. Ce n’était pas fini. C’était évident qu’ils étaient déterminés à l’attaquer.

 

73.        Durant ce temps, ma fenêtre était toujours ouverte et il n’y avait pas de détenu près de Jason McGowan.

 

74.        Je n’ai jamais vu McGowan armé et à aucun moment je n’ai cru qu’il l’était.

 

75.        Lorsque les détenus ont commencés à sortir, j’ai entendu le détenu Duguay dire « si tu veux pas sortir du gymnase, ben arrête de te cacher où les officiers armés et va te battre avec eux ».

 

76.        Il incitait Jason McGowan à confronter Shem Trotman et Jason Kooger.

 

77.        Suite à ce défi, Jason McGowan n’avait pas vraiment le choix de les confronter en raison de la « Loi du milieu ».

 

78.        Il a donc avancé vers Shem Trotman et Jason Kooger qui se situaient dans le coin de la table de billard.

 

79.        Shem Trotman et Jason Kooger ont aussitôt sorti leurs pics artisanaux.

 

80.        J’ai crié à plusieurs reprises à Jason McGowan de revenir, mais il ne voulait pas.

 

81.        Jason McGowan s’est rendu à la table de billard pour les confronter.

 

82.        Shem Trotman et Jason Kooger étaient situés derrière la table billard et Jason McGowan devant.

 

83.        La table de billard les séparait mais Shem Trotman et Jason Kooger avançaient chacun de leur côté vers Jason McGowan.

 

84.        J’ai vu Jason McGowan donner un coup de pied sur la boîte à récupération vers Jason Kooger.

 

85.        Par la suite j’ai vu que l’agente Karine Maloney (Alpha 21) « gazer » avec le fusil fédéral vers Shem Trotman et Jason Kooger pour qu’ils arrêtent.

 

86.        Patrice Munger a aussi tiré plusieurs coups de semonce pour arrête la confrontation mais ils n’ont pas arrêté.

 

87.        Toutes ces mesures ont été effectuées par l’équipe pour arrêter la confrontation mais sans succès.

 

88.        La confrontation a continuée.

 

89.        J’ai donc tiré deux (2) autres coups de semonce au dessus de Shem Trotman et Jason Kooger mais rien à faire, ils ne voulaient pas arrêter.

 

90.        Shem Trotman et Jason Kooger étaient déterminés à s’en prendre à Jason McGowan.

 

91.        Je voyais clairement que Shem Trotman et Jason Kooger étaient chacun armés avec des pics artisanaux et que Jason McGowan n’avait aucune arme.

 

92.        Nous avions tenté par plusieurs moyens de les arrêter, mais ils continuaient.

 

93.        Je croyais sincèrement qu’ils allaient tuer Jason McGowan ou le blesser gravement.

 

94.        Si Shem Trotman et Jason Kooger réussissaient à se rendre sur Jason McGowan et qu’un combat physique avec les armes s’en suivait, il aurait été très difficile sinon impossible pour moi de les arrêter.

 

95.        Le résultat aurait fort probablement été la mort de Jason McGowan.

 

96.        J’ai fait plusieurs tentatives pour les arrêter, si je n’agissais pas tout de suite nous aurions perdu le contrôle total. Shem Trotman et Jason Kooger étaient près de Jason McGowan et prêts à foncer et l’attaquer avec leurs pics artisanaux.

 

97.        À ce moment, Shem Trotman était proche de Jason McGowan, je ne voyais aucune autre alternative pour l’arrêter, j’avais déjà tiré quatre (4) coups semonce.

 

98.        Shem Trotman ne m’a laissé aucun autre choix que d’utiliser mon arme contre lui pour l’arrêter.

 

99.        Alors j’ai tiré sa main qui tenait le pic artisanal.

 

100.    J’ai pris cette décision parce que je devais arrêter Shem Trotman avant qu’il n’y ait un mort.

 

101.    Je n’ai jamais senti que Shem Trotman et Jason Kooger étaient à risque ou en danger par Jason McGowan.

 

102.    J’ai senti le devoir de protéger Jason McGowan qui était carrément la victime.

 

103.    Selon le modèle de gestion des situations, j’étais toujours au point ultime soit l’utilisation des armes.

 

104.    À aucun moment Shem Trotman et Jason Kooger ne m’ont donné la chance de réévaluer les options de gestion de la situation à la baisse.

 

105.    Patrice Munger et moi-même avons tiré plusieurs coups de semonce sans aucun effet sur Shem Trotman et Jason Kooger. Avec les coups de semonce ils auraient dû simplement arrêter.

 

Analyse

            Le droit applicable :

[18]           Bien que le demandeur aurait souhaité que la Cour adopte principalement un courant jurisprudentiel, qui, dans le cadre d’une analyse de l’article 25 du Code criminel, LRC, 1985, c C‑46 (le Code criminel), opère entre les parties un partage quant au fardeau de preuve à rencontrer, il appert à cette Cour qu’il y a lieu avant tout de suivre dans le présent dossier l’approche retenue par cette Cour en juin 2005 lorsqu’elle a eu à apprécier dans un contexte carcéral la responsabilité civile de la défenderesse par suite d’une action en dommages intentée par un détenu d’un pénitencier fédéral au Québec au motif central que les autorités carcérales auraient pu et dû prévenir l’agression que le demandeur d’alors avait subie aux mains d’un autre détenu.

 

[19]           Du reste, je considère que la conclusion finale de la Cour dans la présente affaire aurait été la même advenant qu’elle aurait retenu l’analyse que l’on retrouve aux paragraphes 41 à 43 de l’arrêt Bevan v Ontario, 2010 ONSC 3812 quant à l’article 25 du Code criminel.

 

[20]           Ainsi dans l’arrêt Aubin c Canada, 2005 CF 812, le juge Lemieux de cette Cour a retenu aux paragraphes 117 à 121 et 126, les principes suivants :

 

[117]    Depuis longtemps, le droit et la jurisprudence reconnaissent la responsabilité de l’État envers les détenus des institutions carcérales. Cette responsabilité en est une du fait d’autrui puisque l’État répond des actes de ses préposés: les agents correctionnels.

 

[118]    Le juge Hall, au nom de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. MacLean, [1973] R.C.S. 2, a adopté l’énoncé du juge Cattanach de cette Cour dans l’affaire Timm c. la Reine, [1965] 1 Ex.C.R. 174, comme suit:

 

para. 9     Dans l'affaire Timm c. La Reine, [1965] 1 Ex.C.R. 174, p. 178, le Juge Cattanach a bien exposé quelle était la responsabilité de la Couronne envers les détenus des institutions pénales :

 

[TRADUCTION] L'article 3(1)(a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.C. 1952‑53, c. 30, édicte ce qui suit:

 

"3.(1)   La Couronne est responsable in tort des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier en état de majorité et capacité,

 

(a) à l'égard d'un acte préjudiciable commis par un préposé de la Couronne, ..."

 

et l'article 4(2) décrète :

 

"4.(2)   Il ne peut être ouvert de procédures contre la Couronne, en vertu de l'alinéa (a) du paragraphe (1) de l'article 3, relativement à quelque acte ou omission d'un préposé de la Couronne, à moins que l'acte ou omission, indépendamment des dispositions de la présente loi, n'eût entraîné une cause d'action in tort contre le préposé en question ou son représentant personnel."

 

La responsabilité que cette Loi impose à la Couronne est subsidiaire. Voir Le Roi c. Anthony et Thompson, [1946] R.C.S. 569. Pour que la Couronne soit responsable, le requérant doit établir qu'un fonctionnaire du pénitencier, agissant dans l'exercice de ses fonctions, comme je conclus que c'est le cas du gardien en l'espèce, a fait une chose qu'un homme raisonnable dans sa situation n'aurait pas faite, créant ainsi un risque prévisible de blessure pour un détenu, et que ce fonctionnaire est personnellement responsable envers le requérant.

 

Les autorités de la prison ont envers le requérant l'obligation de prendre des précautions raisonnables pour sa sécurité, à titre de personne dont elles ont la garde; c'est uniquement si les employés de la prison omettent de prendre ces précautions que la Couronne peut être tenue responsable, voir Ellis v. Home Office, [1953] 2 All E.R. 149. [je souligne]

 

[119]    En droit québécois, (voir Baudouin, La responsabilité civile, 6e édition, Éditions Yvon Blais) trois conditions essentielles doivent être rencontrées afin d’engager la responsabilité civile extracontractuelle: 1) la faute; 2) le préjudice; 3) le lien de causalité entre la faute et le préjudice.

 

[120]    Dans Baudouin, précité, les auteurs expliquent au paragraphe 88 qu’en droit québécois, la responsabilité est basée sur la faute, c’est-à-dire "un comportement non conforme aux standards généralement acceptés par la jurisprudence ou, comme l’énonce maintenant l’article 1457 C.c., à la norme de conduite qui, selon les circonstances, les usages ou la loi, s’impose à elle".

 

[121]    Plus particulièrement, ils décrivent la faute civile extracontractuelle comme étant "constituée par l’écart séparant le comportement de l’agent de celui du type abstrait et objectif de la personne raisonnable, prudente et diligente" placée dans les mêmes circonstances.

 

 

[126]    C’est le demandeur qui a le fardeau d’établir sur la balance des probabilités l’existence d’une faute génératrice de dommages et de responsabilité.

 

[Je souligne.]

 

[21]           Il s’agit donc, en résumé, d’analyser si les agents correctionnels, ce qui inclut leur superviseur, monsieur Laberge, ont agi le soir du 8 janvier 2007 comme des agents raisonnables, prudents et diligents qui auraient été placés dans les mêmes circonstances (la norme de conduite applicable).

 

[22]           Si la norme de conduite applicable est rencontrée, il n’y a pas faute de la défenderesse et l’action du demandeur devra être rejetée.

 

Application de la norme de conduite applicable aux faits

[23]           Suivant le demandeur, avant même de regarder si les agents Munger et Beaulé ont respecté la norme de conduite applicable lors de l’Altercation principale, il y a lieu de constater que les autorités du pénitencier auraient, somme toute, commis une ou plusieurs fautes dans ce que la Cour libelle comme la gestion du gymnase tout au cours de la soirée du 8 janvier 2007.

 

[24]           Sans en faire ici une fin de non-recevoir, il est intéressant de noter que les manquements décrits ci-dessous ont été soulevés par le demandeur non pas dans sa déclaration d’action mais lors de la confection de son mémoire de conférence préparatoire.

 

[25]           De plus, ces manquements sont inspirés de constatations notées soit par le directeur du pénitencier dans son rapport rédigé dans les jours suivants le 8 janvier 2007 (le rapport du Directeur) ou par un comité d’enquête formé dans les mois suivants ce même 8 janvier et qui fut chargé de se pencher, at large, sur les tenants et aboutissants des tumultes de cette soirée de janvier 2007 (le rapport du Comité d’enquête).

 

[26]           L’attaque centrale à cet égard porte, d’une part, sur le délai de près d’une heure et un quart qui s’est écoulée entre le premier incident et le début de l’Entrée générale et, d’autre part, sur le fait que les protagonistes n’aient pas été appelés à rentrer dans leurs cellules avant même l’Entrée générale des autres détenus.

 

[27]           Sur ces éléments et autres aspects, il est écrit ce qui suit en page 5 du rapport du Directeur (voir pièce T‑23 à la Liste de pièces) :

 

L’enquête à venir devra se pencher sur les raisons pour lesquelles près d’une heure et un quart s’est déroulée avant le début de l’entrée des détenus (par le fait même, avant l’interception et le placement en isolement préventif des agresseurs) et la première des agressions. Notre analyse nous amène à comprendre que la succession des événements a entraîné une approche réactionnelle de la part du SOC intérimaire en charge au moment des incidents. Si nous comprenons que les deux premiers blessés [Sparks et Coldros] aient pu être gérés en focussant sur le secours à prodiguer, nous comprenons mal que personne n’ait posé quelque geste que ce soit pour faire entrer les agresseurs. À la décharge du SOC, le fait de monopoliser 3 équipes d’escortes (9 agents) et les difficultés à rappeler au travail du personnel supplémentaire pour procéder aux interventions avec un déploiement optimal de personnel a créé des difficultés et des délais. Nous croyons toutefois que des efforts auraient pu être faits en s’inspirant de pratiques normalement connues (utilisation de membres du comité des détenus ou d’un agent négociateur, ou encore un simple appel sur les ondes). Si le SOC e/c aurait pu (peut-être dû) prendre le recul pour coordonner le tout, nous croyons qu’il s’agit du reflet d’une certaine inexpérience (il s’agit d’un SOC en développement) et que le personnel n’a pas nécessairement à attendre ce genre de consigne. Les AC‑01 et AC‑02 sont formés pour prendre les actions nécessaires de façon autonome, mais il semble qu’une culture d’attente de consignes se soit installée. Dans les circonstances, nous pouvons comprendre le délai de la première demi-heure, mais les quelques cinquante minutes suivantes sont difficiles à comprendre. Nous ne pouvons cependant déduire avec certitude que ceci aurait empêcher la dernière agression et le recours aux nombreux coups de feu, mais la question se doit d’être posée afin de tirer une leçon de la situation, ceci tant en ce qui concerne le rôle du SOC que des agents.

 

[Je souligne.]

 

[28]           Quant au délai pour appeler l’Entrée générale, la défenderesse a soumis en preuve l’affidavit de Sylvain Laberge, soit le SOC dont fait état le passage tout juste cité.

 

[29]           Dans son affidavit, monsieur Laberge décrit ses fonctions de surveillant opérationnel correctionnel (SOC) lors de son quart de travail du 8 janvier 2007. Ces fonctions diverses sont décrites comme suit aux paragraphes 10 à 13 de cet affidavit :

 

10.    Mon rôle consistait à assumer la responsabilité de l’établissement en l’absence de la direction (délégation de pouvoir).

 

11.    Je devais m’occuper du bon déroulement des activités et je devais préparer l’appel nominal pour le quart de travail suivant (m’assurer de la présence de tous les employés et m’assurer que tous les postes sont couverts).

 

12.    De plus, je supervisais tous les secteurs de l’établissement.

 

13.    Au cours de cette soirée, j’ai eu à superviser, à gérer et à prendre plusieurs mesures suite à une série d’agressions armées successives commis par Shem Trotman et/ou Jason Kooger dans le gymnase 240, le tout plus amplement décrit dans mon rapport, pièce « SL‑1 ».

 

[30]           Par après, avec force et détails, il décrit comment la vitesse des agressions sur Sparks, puis sur Coldros, ont diminué son personnel pertinent et les efforts qu’il a mis par suite de ces deux premières agressions pour se reconstituer une équipe valable.

 

[31]           Au moment où il aurait été prêt à appeler une entrée générale, l’agression sur Hébert-Plouffe survient, ce qui vient d’autant retarder les choses, soit l’Entrée générale qui arrive à 20 h 40.

 

[32]           Bien que les commentaires reproduits ci-haut du rapport du Directeur soient intéressants, tel qu’il est indiqué à l’extrait cité, la Cour considère que ces commentaires sont formulés à titre de leçons à tirer de la situation; donc à titre d’enseignements en vue du futur.

 

[33]           Je ne considère toutefois pas en soupesant la preuve que l’Entrée générale pouvait être appelée plus tôt ou à tout le moins que monsieur Laberge ait commis une faute en manquant à la norme de conduite applicable.

 

[34]           La Cour estime que c’est avant tout le demandeur par ses assauts répétés tout au cours de la soirée du 8 janvier 2007 qui a avant tout diminué le personnel disponible et forcé les autorités carcérales, en la personne de monsieur Laberge, à ne pouvoir procéder à une entrée générale que vers les 20 h 40.

 

[35]           De plus, je crois qu’il y a lieu d’aller plus loin dans nos conclusions.

 

[36]           Tout comme le laissent entrevoir à la fin les propos ci-avant cités du rapport du Directeur, je ne considère pas, au terme de mon appréciation, que même si toute autre mesure avait été considérée pour, entre autres, faciliter l’appel plus tôt de l’Entrée générale que cela aurait évité ou empêché l’Altercation principale.

 

[37]           Il est clair en effet d’après les témoignages de tous les agents présents sur la passerelle et chargés de la surveillance du gymnase, et suivant mon appréciation de l’ensemble de la preuve, que tous les belligérants ayant participé ultimement à l’Altercation principale cherchaient et voulaient absolument en quelque sorte à en découdre les uns avec les autres.

 

[38]           À preuve, ils sont tous restés dans le gymnase après l’Entrée générale de 20 h 40 pour chercher à se confronter ultimement vers les 20 h 55.

 

[39]           Que l’Entrée générale eut été appelée plus tôt ou même qu’en plus l’on eut intimé aux belligérants de l’Altercation principale d’entrer, eux, avant même les autres détenus, suivant mon appréciation, rien de tout ceci n’aurait amené ces mêmes personnes à obéir et à ne pas s’affronter.

 

[40]           À cet égard, et tel que mentionné par la défenderesse en plaidoirie, si par suite de l’agression sur McGowan (vers les 20 h 22, voir paragraphe [10], supra) des coups de semonce à balles réelles à proximité des belligérants n’ont eu finalement aucun effet utile, toute mesure d’intervention moindre, telle l’intervention d’un comité de détenu, etc., aurait été, selon la balance des probabilités, vouée à l’échec.

 

[41]           Même si après coup et en rétrospective l’on peut se prêter à un exercice d’analyse minutieux afin de déceler des failles dans la gestion du gymnase le 8 janvier 2007, je ne considère pas en bout de compte, contrairement à l’appréciation du demandeur, que les autorités carcérales aient laissé pourrir la situation dans ledit gymnase.

 

[42]           Tel qu’il est rappelé comme suit par la Cour supérieure du Québec dans l’arrêt Gignac c Trois-Rivières (Ville de), 2010 QCCS 2999 (CanLII), à l’égard du travail des autorités policières, contexte très près de celui qui nous occupe, il faut éviter d’évaluer le travail de telles personnes en rétrospective, je dirais « hindsight » en anglais :

 

[73]      Le comportement des policiers vis-à-vis le refus du suspect de se rendre doit être évalué en regard de l’état d’esprit d’une personne raisonnable qui réagit non pas à ce qui a été découvert après l’incident, mais à ce que la conduite du suspect laisse croire au moment même des événements. [Note de bas de page omise.]

 

[43]           Enfin, les motifs qui précèdent m’empêchent de reprocher à monsieur Laberge d’avoir contrevenu à leur modèle de gestion des situations (le Modèle de gestion) qui, suivant la compréhension de la Cour, appelle tout agent correctionnel dans toute situation d’intervention à constamment réfléchir et à pondérer ses mesures en fonction de l’évolution à la hausse, comme à la baisse, d’un événement.

 

[44]           Par ailleurs, quant aux faits entourant l’Altercation principale même, le demandeur soutient dans son affidavit en chef, et a soutenu en témoignage devant la Cour, que McGowan doit être vu comme l’agresseur, et non comme une victime. Le demandeur a également soutenu que l’on doit retenir que McGowan était alors également armé d’un pic artisanal.

 

[45]           Une revue stricte de la vidéo de l’Altercation principale ne permet pas d’écarter complètement la vision du demandeur sur ces points.

 

[46]           En effet, quant au rôle de McGowan dans l’Altercation principale, la vidéo montre McGowan s’approcher à différentes reprises de la table de billard où sont situés le demandeur et Kooger et à chercher l’affrontement plutôt qu’à l’éviter.

 

[47]           De plus, McGowan auparavant avait refusé d’obtempérer à un ordre de quitter le gymnase et semblait en vue de l’Altercation principale se diriger vers le demandeur et Kooger en réponse à une invitation d’un tiers-détenu à son endroit à l’effet de soit quitter le gymnase, soit d’aller régler ses comptes avec le demandeur.

 

[48]           On ne peut par ailleurs éviter de conclure également de la même vidéo que le demandeur et Kooger peuvent tout aussi être vus comme des agresseurs puisqu’ils contournent chacun de leur bord la table de billard tout juste avant le coup de feu sur le demandeur. De plus, tout juste avant ce coup de feu, le demandeur fait un geste de la main envers McGowan que la Cour interprète comme une invitation à l’échauffourée.

 

[49]           Quant à savoir si McGowan était alors armé, les images de la même vidéo ne permettent pas à la Cour de conclure d’une façon certaine sur le sujet. En effet, d’une part, ces images ne permettent pas de voir si McGowan tient ou non un pic dans sa main droite. Cependant pour la majorité du temps pertinent de l’Altercation principale, McGowan bouge et se déplace en immobilisant pratiquement en quelque sorte sa main droite dans la poche de son pantalon. Tenait-il alors dans sa main droite un pic artisanal, inversé quant à sa tenue, de manière à ce que la lame ou pointe de cette arme soit dissimulée dans sa manche de chandail? Possiblement.

 

[50]           Pour appuyer sa thèse que McGowan était armé, le demandeur a soulevé à l’instruction que tel devait forcément être le cas puisque McGowan se devait de savoir que le demandeur était armé puisqu’il avait été attaqué plus tôt dans la soirée par ce dernier (voir l’agression sur McGowan, paragraphe [10], supra).

 

[51]           Suivant le demandeur, il aurait été alors suicidaire pour McGowan de s’avancer vers la table de billard en vue de l’Altercation principale s’il n’était pas armé.

 

[52]           Sans une connaissance du milieu carcéral, ce point de vue présente une certaine force. Toutefois, tant les agents Beaulé et Munger, à qui l’on a soumis essentiellement ce point de vue en contre-interrogatoire, ont estimé de façon assez catégorique qu’une fois que McGowan avait été clairement incité par le détenu Duguay à aller régler ses comptes avec le demandeur et Kooger, que McGowan, poussé par la « Loi du milieu », n’avait d’autre choix – sous peine d’être déconsidéré aux yeux des autres détenus – que de se diriger vers le demandeur et Kooger pour les affronter, qu’il soit alors, lui, McGowan, armé ou non.

 

[53]           D’autre part, certains autres éléments constatés après le coup de feu qui a atteint le demandeur tendent à démontrer que McGowan n’était pas armé. Premièrement, tout juste après le coup de feu, la vidéo montre que McGowan se penche près de la table de billard pour ramasser ce que les témoignages décrivent comme étant le pic artisanal qui venait de tomber de la main droite du demandeur. Pourquoi alors McGowan aurait-il pris la peine de ramasser ce pic artisanal s’il avait déjà lui-même un pic en sa possession?

 

[54]           D’autre part, le témoignage du SOC Laberge indique la provenance des trois pics artisanaux trouvés suite à la fouille des détenus et du gymnase. Aucun pic ne semble pouvoir être attribué originalement à McGowan. La présence additionnelle de tout autre pic artisanal, dans l’hypothèse sous-jacente qu’il aurait appartenu à McGowan, n’a pas aux yeux de la Cour été établie.

 

[55]           La Cour estime toutefois qu’une réponse définitive à toutes ces questions touchant McGowan n’est pas nécessaire puisqu’elle estime avant tout qu’elle doit apprécier tout ce qui entoure l’Altercation principale non pas en fonction d’une revue lente et posée de la vidéo de l’Altercation principale mais à la vitesse qu’elle s’est déroulée et comme cet incident a été perçu par les agents correctionnel Beaulé et Munger à qui le demandeur reproche des fautes.

 

[56]           À cet égard, l’ensemble des agressions discutées plus avant et qui ont précédé l’amorce de l’Altercation principale ont amené les agents Maloney, Munger et Beaulé, à des degrés divers, à avoir à l’œil le demandeur et Kooger et à retenir, par vue directe ou par estimation raisonnable, que le demandeur et Kooger étaient armés et cherchaient à tout prix à s’en prendre à McGowan.

 

[57]           D’autre part, quant à McGowan, les agents Munger et Beaulé, qui sont les agents plus principalement impliqués à l’égard de l’Altercation principale, ont estimé dans le feu de l’action qu’il n’était pas armé puisqu’ils n’avaient pas vu de pic dans ses mains à quelque moment dans la soirée du 8 janvier 2007. Du reste, la Cour note ici que lorsque le demandeur en Cour a avoué l’agression sur McGowan, qui s’est déroulée vers les 20 h 22, il n’a pas fait état du fait que McGowan aurait alors été armé.

 

[58]           Quant à l’attitude d’agresseur de McGowan que l’on voit sur la vidéo de l’Altercation principale, cet aspect dans le feu de l’action – et en autant qu’il ait été noté alors par ces agents, ce qui n’a pas ressorti véritablement en preuve – n’a pas changé leur perception que McGowan faisait face à la dynamique où, poussé par la Loi du milieu, il se devait d’offrir au demandeur et à Kooger l’occasion d’avoir avec lui une confrontation. Les agents ont considéré alors que McGowan était la victime dans les circonstances et que les agresseurs étaient le demandeur et Kooger.

 

[59]           C’est cette perception qui importe et que la Cour considère pouvoir raisonnablement retenir. Dans cette foulée, la Cour ne considère pas que les agents Munger et Beaulé avaient adopté et refusaient de s’extirper d’une « tunnel vision » ou qu’ils agissaient alors en marge de leur Modèle de gestion. Pour les mêmes raisons, je ne considère pas que l’on puisse aussi reprocher à ces mêmes agents d’avoir eu une approche de « double standard » à l’égard de McGowan. Les agents ont raisonnablement vu McGowan comme une victime et le demandeur et Kooger comme les agresseurs; forcément, ils n’étaient pas vus sur le même pied.

 

[60]           En aucun temps a-t-il été démontré que ces deux agents avaient quelque raison d’avoir un parti pris en faveur de McGowan outre leur perception du moment que la vie de ce dernier était en danger.

 

[61]           Ainsi, les agents Munger et Beaulé estimaient devoir chercher à éviter que l’Altercation principale prenne réellement place, et ce, pour assurer la protection de McGowan.

 

[62]           Le témoignage reproduit plus avant de l’agent correctionnel Beaulé illustre l’étapisme que lui et ses collègues ont suivi dans les mesures prises pour chercher à amener les belligérants à se calmer et à s’éloigner les uns des autres.

 

[63]           On parle ici premièrement d’avertissements verbaux, puis de bruit de sirène, pour ensuite passer à l’utilisation de gaz et de poivre de Cayenne. De nombreux coups de semonce par armes à feu furent tirés tout près des belligérants. Rien du tout ni fit et les agents correctionnels ont estimé que l’Altercation principale était tout juste sur le point de prendre place.

 

[64]           Ils en sont venus à la conclusion qu’ils n’avaient d’autre alternative que d’utiliser leurs armes pour des tirs réels sur ceux qu’ils percevaient comme les agresseurs armés.

 

[65]           C’est donc là que le demandeur fut atteint à la main droite par un tir de l’agent Beaulé.

 

[66]           La Cour estime que cette mesure fut prise par l’agent Beaulé en dernier ressort alors que plusieurs mesures dissuasives avaient été prises auparavant sans résultat tangible. Les agents correctionnels, et plus spécialement l’agent Beaulé, ont agi progressivement suivant une approche pondérée. Leurs agissements respectent aux yeux de la Cour la norme de conduite applicable, et, au demeurant, le paragraphe 25(3) du Code criminel, le Modèle de gestion et la Directive du Commissaire 567-5 portant sur l’utilisation des armes à feu.

 

[67]           La Cour tire les conclusions ci-avant quant à la perception des agents Munger et Beaulé malgré les critiques formulées par le procureur du demandeur quant à leur attitude pendant leur contre-interrogatoire et malgré le fait que le libellé de leur affidavit soit, par temps, à toutes fins pratiques semblable.

 

[68]           Quant à leur tenue ou attitude en contre-interrogatoire, j’estime que malgré une certaine nervosité qui se traduisait parfois par une absence de plaisir à être contre-interrogé, leur attitude ne peut être davantage caractérisée aux fins d’attaquer leur crédibilité.

 

[69]           Quant à la similitude entre leur affidavit, chaque affidavit est fidèle néanmoins au rapport d’observation que chaque agent à rempli dans les toutes premières heures après la soirée du 8 janvier 2007. De plus, le procureur du demandeur a eu amplement le loisir de contre-interroger en Cour chaque agent (y compris madame Maloney et monsieur Laberge), et ce, après qu’il y ait eu l’exclusion des témoins en début d’instruction.

 

[70]           Ainsi, lors de chaque contre-interrogatoire, les témoins ont été amenés allègrement à se rappeler les différentes séquences des événements et leur perception d’alors. Compte tenu que les événements pertinents remontent à janvier 2007, leur promptitude à répondre et leur comportement général ne laissent pas dans l’esprit de la Cour un sentiment qu’ils ont mis au point leur témoignage de concert.

 

[71]           Ainsi, quant aux questions à trancher et identifiées comme suit à l’ordonnance du 9 novembre 2012 qui faisait suite à la conférence préparatoire dans le présent dossier :

 

2.      a)       Les agents de la défenderesse ont-ils commis une ou plusieurs fautes lors de leur intervention?

 

b)             Est-ce que la blessure subie par le demandeur est le résultat de la ou des fautes commises par les agents de la défenderesse lors de leur intervention?

 

c)             Le demandeur a-t-il commis une faute et contribué à son préjudice et, dans l’affirmative, comment départager la responsabilité de toutes les parties?

 

d)            Le quantum pour le préjudice subi par le demandeur est-il juste et approprié?

 

La Cour répond aux questions 2a) et b) par la négative. En conséquence, les questions 2c) et d) n’ont pas à être répondues pour les fins de disposer de la présente action.

 

[72]           Ainsi, pour les motifs qui précèdent, la Cour se doit de rejeter l’action du demandeur, le tout avec dépens.

 

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

Montréal (Québec)

Le 20 février 2014

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-3-10

 

INTITULÉ :

SHEM WILLIAM TROTMAN c SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            DU 5 au 7 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                            LE PROTONOTAIRE MORNEAU

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 février 2014

COMPARUTIONS :

Sébastien Chartrand

 

Pour le demandeur

 

Nicholas R. Banks

Michèle Lavergne

 

Pour la défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roy Larochelle Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

 

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