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Date : 20140220


Dossier :

IMM‑13174‑12

 

Référence : 2014 CF 162

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MAYOORAN SIVARATHTHINAM

 

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et visant la décision par laquelle un commissaire (le commissaire) de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] a déterminé, le 11 décembre 2012, que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Le demandeur demande à la Cour d’annuler cette décision et de renvoyer l’affaire un tribunal de la SPR différemment constitué pour nouvelle décision.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

[3]               Le demandeur, Mayooran Sivaraththinam, est un Sri‑Lankais d’origine tamoule arrivé au Canada sur le M/V Sun Sea (le Sun Sea), l’un des deux navires transportant des demandeurs d’asile tamouls ayant débarqué au Canada à la fin de 2009 et au milieu de 2010.

 

[4]               Le demandeur est né à Atchevely, une province du Nord du Sri Lanka tombée sous le contrôle de l’Armée sri‑lankaise en 1995, alors qu’il avait environ sept ans.

 

[5]               En 2007, le demandeur a été interpelé à deux ou trois reprises par l’armée alors qu’il se rendait à l’école avec d’autres étudiants. On l’a laissé partir après l’avoir interrogé. La plus longue période pendant laquelle il a été retenu est deux heures. Si l’on en croit le demandeur, la police l’a interpelé parce que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET] essayaient de recruter les jeunes étudiants.

 

[6]               Le demandeur a déclaré durant son témoignage que ni sa famille ni lui n’avaient jamais eu de problèmes avec les TLET ou d’autres groupes. Il n’a jamais été accusé par le gouvernement ou par d’autres groupes non gouvernementaux d’être mêlé aux activités des TLET. Il n’a jamais été arrêté, ni accusé d’aucune infraction criminelle. Sa vie n’a été troublée par aucun incident majeur avec les autorités.

 

[7]               Il a commencé ensuite à travailler comme garde de sécurité dans une banque située entre un baraquement militaire et un camp de militants tamouls. La SPR a conclu qu’il aurait été improbable qu’il puisse occuper cet emploi s’il était soupçonné d’être un criminel ou un membre des TLET. Le demandeur affirme qu’il avait peur de travailler à la banque, car des vols à main armée y avaient déjà eu lieu.

 

[8]               Craignant pour sa sécurité, le demandeur a quitté le Nord du pays pour Colombo, où il s’est procuré un passeport et un visa de touriste pour la Thaïlande. Il a quitté Colombo le 24 avril 2010 et s’est rendu en Thaïlande où il a embarqué sur le Sun Sea le 16 mai suivant; il est arrivé au Canada le 13 août 2010 et a demandé l’asile.

 

[9]               Il a réclamé la protection de ce pays en invoquant trois motifs prévus par la Convention : la race, les opinions politiques et l’appartenance à un groupe social.

 

DÉCISION CONTRÔLÉE

[10]           Dans sa décision, le commissaire a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, et qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que son renvoi au Sri Lanka l’expose personnellement à un risque de persécution, à une menace à sa vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou de torture de la part des autorités du Sri Lanka.

 

[11]           Premièrement, le commissaire a déterminé que le demandeur n’était pas crédible. Cette évaluation reposait principalement sur une série de contradictions entre le compte rendu que celui‑ci avait livré dans sa demande d’asile, son formulaire de renseignements personnels [FRP] et son témoignage.

 

[12]           Le commissaire a d’ailleurs estimé que, même s’il avait jugé le demandeur crédible, la crainte subjective alléguée par celui‑ci ne reposait sur aucune preuve objective; le demandeur n’avait donc pas démontré l’existence d’une crainte fondée de persécution. Pour arriver à cette conclusion, le commissaire a examiné le profil personnel du demandeur ainsi que les conditions régnant actuellement au Sri Lanka.

 

[13]           Au sujet de son profil personnel, le commissaire a noté que le demandeur n’avait aucun problème particulier avec les TLET, et que rien n’indiquait qu’il ait jamais été accusé d’être mêlé aux activités de ce groupe.

 

[14]           Le commissaire a fait remarquer que, suivant les Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers from Sri Lanka [principes directeurs relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka] [principes directeurs du HCR], révisés en 2010, les jeunes Sri‑lankais originaires du Nord ne sont plus automatiquement admissibles à l’asile et que les demandes d’asile doivent être examinées sur le fond.

 

[15]           Le commissaire a également souligné que le demandeur ne relevait d’aucune des catégories de personnes à l’égard desquelles les principes directeurs du HCR recommandent le maintien d’une protection. La seule catégorie dont il pouvait sans doute se réclamer était celle des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET; le commissaire a déterminé, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités gouvernementales ne le soupçonnaient pas d’être mêlé aux activités des TLET.

 

[16]           Quant aux conditions régnant dans le pays, le commissaire a noté qu’il existait encore des problèmes au Sri Lanka, mais que la situation concernait tous les Sri‑lankais, et pas seulement les Tamouls. Par ailleurs, malgré les difficultés auxquelles ceux‑ci sont exposés, le commissaire a estimé, sur la foi des principes directeurs du HCR, que les conditions auxquelles les Tamouls étaient soumis dans le pays avaient connu des changements durables et importants. Il a cité en exemple le fait que même les membres des TLET en détention commençaient à être mis en liberté, ce qui signifie que quelqu’un comme le demandeur d’asile, qu’on pourrait soupçonner au pire de simples liens avec les TLET, n’aurait probablement pas de problèmes s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[17]           Le commissaire a examiné d’autres rapports soumis par le demandeur, mais a préféré aux autres pièces disponibles les documents et principes directeurs du HCR, qu’il a décrit comme une organisation de premier plan en ce qui concerne la protection des droits de la personne partout dans le monde.

 

[18]           Le commissaire a déclaré qu’il n’était pas lié par la décision de son collègue selon laquelle un demandeur d’asile débarqué du second navire, le M/V Ocean Lady (l’Ocean Lady), devait recevoir le statut de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social en sa qualité d’homme tamoul arrivé comme passager sur l’Ocean Lady.

 

[19]           Il a également estimé que malgré les stricts contrôles d’entrée et de sortie au Sri Lanka, rien n’indiquait que le demandeur serait soumis à son retour à autre chose qu’à un interrogatoire de la part des autorités. Comme le HCR aide des Tamouls à retourner au Sri Lanka, le commissaire a conclu que ceux‑ci ne s’exposent pas à une possibilité sérieuse de persécution en cas de retour.

 

[20]           Le commissaire a estimé en fin de compte que, suivant la prépondérance des probabilités, le gouvernement sri‑lankais ne considérerait par le demandeur comme étant lié aux TLET et ne le prendrait pas pour cible. Il a également conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à son retour, et que sa crainte n’était donc pas fondée.

 

[21]           Le commissaire s’est ensuite demandé si le demandeur était un réfugié sur place : il a conclu qu’il ne l’était pas. Après avoir examiné la preuve documentaire que celui‑ci avait présentée sur la couverture médiatique consacrée à l’Ocean Lady et au Sun Sea, il a conclu qu’il n’était nulle part personnellement identifié comme un passager.

 

[22]           Qui plus est, le commissaire a conclu rien n’indiquait que l’identité des passagers de ces deux navires ait été rapportée au gouvernement sri‑lankais, si bien que, selon la prépondérance des probabilités, celui‑ci ne considérerait pas le demandeur comme un membre ou un sympathisant des TLET parce qu’il était à bord du Sun Sea. Le commissaire a souligné que la jurisprudence exige clairement que les autorités du pays d’origine sachent que le demandeur était à bord du navire pour qu’il soit considéré comme un réfugié sur place; en l’espèce, le commissaire a conclu que la preuve était insuffisante pour conclure que les autorités sri‑lankaises savaient que le demandeur se trouvait sur le Sun Sea.

 

[23]           En définitive, le commissaire a conclu que le demandeur ne s’exposait pas à un risque accru, même si le gouvernement sri‑lankais apprenait qu’il était à bord du Sun Sea.

 

[24]           Le commissaire a ensuite analysé le risque d’extorsion auquel s’expose le demandeur au titre de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], et a conclu que le fait qu’il soit considéré comme nanti entraînait pour lui un risque personnalisé, mais puisqu’il s’agit d’un risque auquel les Sri‑lankais sont exposés en général, il devait être exclu aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, puisque « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent [y] sont généralement exposées ». Tous les Sri‑lankais en mesure de payer, ce qui comprend les Tamouls, les musulmans, les GLBT, les commerçants, etc., risquent de se faire extorquer. Le commissaire a finalement conclu que le risque continuerait d’être généralisé.

 

OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[25]           Le demandeur prétend que le commissaire a commis une erreur dans l’application du critère prévu à l’article 96 de la LIPR en déclarant qu’il s’agissait de déterminer si, à l’heure actuelle, son profil, celui d’homme tamoul, l’exposait personnellement à un risque accru au Sri Lanka. À son avis, le critère applicable consiste à se demander s’il existe ou non un risque raisonnable ou une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté en cas de retour au Sri Lanka (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACS no 78, [1995] 3 RCS 593 [Chan], au paragraphe 120). Il ajoute que le commissaire a commis une autre erreur dans l’application du critère établi dans Chan en indiquant que le demandeur devait être recherché par les autorités sri‑lankaises.

 

[26]           Le demandeur avance par ailleurs que le commissaire s’est trompé lorsqu’il a apprécié sa crédibilité et en se fondant sur des conjectures.

 

[27]           Le demandeur allègue que le commissaire n’avait pas lieu de s’attarder sur une contradiction mineure dans sa preuve (le nombre de mois durant lesquels il a travaillé à la banque) puisqu’il s’agit d’un enjeu sans importance.

 

[28]           Le demandeur soutient que le commissaire a eu tort de s’appuyer sur certains passages des principes directeurs du HCR, et d’en écarter d’autres (sur lesquels l’avocat du demandeur a attiré son attention) qui montraient que les hommes tamouls du Nord du Sri Lanka sont en fait toujours exposés à une possibilité sérieuse de persécution à leur retour (Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CF 1133, au paragraphe 26).

 

[29]           Le demandeur prétend que le commissaire a écarté des éléments de preuve documentaires pertinents indiquant que les Tamouls du Nord du Sri Lanka s’exposent à une possibilité sérieuse de persécution à leur retour (Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] CFPI 346, au paragraphe 31; Goman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 643, au paragraphe 13).

 

[30]           Le demandeur soutient également que le commissaire a commis une erreur dans sa conclusion concernant sa qualité de réfugié sur place parce qu’il a indiqué que tous les passagers du Sun Sea devaient démontrer qu’ils avaient des liens avec les TLET. À son avis, il suffit de prouver qu’il existe plus qu’une possibilité minime qu’il soit persécuté à son retour au Sri Lanka. Il fait aussi remarquer qu’en plus d’un endroit, le commissaire a évalué la revendication du statut de réfugié sur place en fonction de la prépondérance des probabilités, plutôt que de la norme exigeant « plus qu’une possibilité minime ».

 

[31]           Le demandeur fait également valoir que le commissaire a eu tort de conclure que ses craintes correspondaient à un risque généralisé et non à un risque de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention. Le demandeur a été persécuté par un groupe doté d’un programme politique, le Parti démocratique populaire de l’Eelam [PDPE], et puisque ce groupe finance ses activités politiques par le biais de l’extorsion, tout refus ou toute réticence opposés à des tentatives en ce sens seraient considérés comme un signe d’opposition à ce programme politique. Le commissaire n’a pas considéré que cet aspect de la demande relevait des opinions politiques imputées, mais ne l’a examiné que sur le fondement de l’article 97, plutôt que de l’article 96.

 

NORME DE CONTRÔLE

[32]           Dans une décision récente, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A068, 2013 CF 1119 [A068], au paragraphe 28, la juge Gleason a déclaré :

[28]    Comme mon examen est axé sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur le risque auquel le demandeur d’asile serait exposé, compte tenu de sa situation et de la perception des autorités sri‑lankaises qui pourraient voir en lui un sympathisant des TLET (par opposition à un examen visant à savoir ce qu’englobe le motif de l’appartenance à « un groupe social » en tant que question de droit), la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, et non d’une question de droit seulement (voir, par exemple, Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190; B420, au paragraphe 13; A032, au paragraphe 14; B377, au paragraphe 8). En d’autres termes, ce qui est en cause, ce n’est pas le sens éventuel des motifs de la « nationalité », de la « race » ou des « opinions politiques » selon la Convention sur les réfugiés, mais plutôt l’opportunité d’infirmer la conclusion explicite ou implicite de la Commission voulant qu’il y ait un lien avec ces motifs au vu des faits de l’espèce. Cette question commande l’application de la norme déférente de la décision raisonnable.

 

[33]           Dans le cas qui nous occupe, le commissaire a évalué le risque auquel le demandeur serait exposé du fait de ses origines et de la possibilité que les autorités sri‑lankaises le prennent pour un sympathisant des TLET. La norme de contrôle est donc celle de la raisonnabilité (voir également B231 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1218, [B231], au paragraphe 28).

 

QUESTION EN LITIGE

L’évaluation du commissaire concernant le risque auquel se heurterait le demandeur à son retour était‑elle raisonnable?

 

ANALYSE

Faits essentiels et issue raisonnable

[34]           À mon avis, la démarche qu’il convient d’adopter à l’égard d’une décision de cette nature, où le commissaire a examiné en profondeur tous les aspects du dossier, devrait commencer par une analyse générale du caractère raisonnable de la décision fondée sur ce que j’appellerais les faits essentiels, c’est‑à‑dire les faits incontestés ou probants.

 

[35]           Il me semble qu’en énonçant un critère basé sur les issues raisonnables et acceptables, la Cour suprême a, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], prescrit aux tribunaux de révision de prendre du recul et d’évaluer le caractère raisonnable de la décision en adoptant une vue d’ensemble et en considérant toute la preuve. S’il appert de cette perspective générale que la décision est raisonnable, le demandeur aura du mal à démontrer qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables, à moins que le raisonnement ne présente de graves lacunes qui en sapent la légitimité.

 

[36]           Dans l’affaire qui nous occupe, qui concerne le risque de persécution auquel le demandeur serait exposé et/ou la nécessité de lui accorder le statut de personne à protéger, les faits essentiels et incontestés confirment que la décision de la Commission était plus que raisonnable.

 

[37]           Le demandeur reconnaît que ni lui ni sa famille n’ont jamais eu le moindre problème avec les TLET ou avec aucun autre groupe. Il n’a jamais été accusé, par des groupes gouvernementaux ou non gouvernementaux, d’être mêlé aux activités des TLET. Il n’a jamais été arrêté ni accusé d’aucune infraction criminelle. Il n’a jamais eu le moindre incident majeur avec les autorités.

 

[38]           Il a quitté le Sri Lanka légalement et sans difficulté. Il ne correspond à aucun des profils de personnes reconnues par le HCR comme s’exposant à un risque en cas de retour au Sri Lanka.

 

[39]           Au Canada, il n’a rien fait qui soit susceptible d’attirer l’attention des autorités sri‑lankaises, comme de se joindre à un groupe d’action politique. Rien n’indique qu’il a été identifié comme un passager du Sun Sea ni qu’il a jamais été victime d’extorsion.

 

[40]           Par conséquent, compte tenu des faits essentiels et généralement incontestés que nous venons de rappeler, la décision du commissaire selon laquelle le demandeur n’a pas établi qu’il existait une probabilité raisonnable que sa crainte de persécution soit fondée, ou qu’il soit une personne à protéger, appartient aux issues raisonnables et acceptables.

 

Critère incorrect

[41]           Le demandeur soutient que le commissaire a formulé un critère incorrect lorsqu’il a déclaré que « le demandeur d’asile ne sera pas exposé à un risque accru à son retour au Sri Lanka ». Il fait valoir que la norme applicable est moins stricte que la norme de la prépondérance des probabilités, mais plus stricte que celle de la simple possibilité.

 

[42]           À mon avis, cette distinction ne changerait rien à l’issue de l’affaire compte tenu de la valeur probante des faits essentiels, mais j’estime néanmoins qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction aussi nette dans la formulation des normes.

 

[43]           L’Oxford Dictionary définit le risque, au singulier, comme s’entendant d’une possibilité, ce qui est à mon avis le sens couramment attaché à ce terme :

[traduction]

1.      une situation qui suppose l’exposition à un danger : [...] [nom indénombrable] : « toutes les activités de plein air comportent un élément de risque »

 

1.1    [au singulier] la possibilité qu’une chose déplaisante ou importune se produise : [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]           Le risque désigne la possibilité que quelque chose de déplaisant se produise, ce qui d’après moi veut dire la même chose qu’une possibilité ou qu’une éventualité pour ce qui est de la crainte de subir une persécution importune. Le demandeur soutient que parce que le mot « risque » est employé à l’article 97 de la LIPR, et que le fardeau de la preuve est ici la prépondérance des probabilités, son utilisation par le commissaire signifie qu’il applique le mauvais fardeau de preuve à l’article 96 de la LIPR. Je rejette cet argument parce qu’il appert clairement que le commissaire a effectué son analyse en fonction de l’article 96 et qu’il a cité le fardeau approprié ailleurs dans la décision.

 

[45]           L’observation du demandeur est d’ailleurs incompatible avec son argument voulant que le « risque accru » soit quelque chose de moins strict que la prépondérance des probabilités, mais de plus strict qu’une simple possibilité. D’où il appert que sa critique porte davantage sur le mot « accru » que sur le mot « risque ». Je reviendrai plus loin sur les différentes manières de qualifier la possibilité, le risque, etc. Cependant, j’aimerais d’abord expliquer en quoi le critère exigeant qu’il y ait « plus qu’une simple possibilité » me paraît une déformation de celui qui a été formulé à l’origine dans la décision Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, [1989] ACF no 67 [Adjei].

 

[46]           La Cour d’appel fédérale s’est penchée dans Adjei sur le sens de l’expression « craindre avec raison », et a conclu qu’à cet égard la norme appropriée est celle de la possibilité raisonnable, qui se situe quelque part entre « plus qu’une possibilité minime » et une probabilité :

Il n’est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu’à exiger qu’il y ait probabilité de persécution. En d’autres termes, bien que le requérant soit tenu d’établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n’a tout de même pas à prouver qu’il serait plus probable qu’il soit persécuté que le contraire. En effet, dans l’arrêt Arduengo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.), à la page 437, le juge Heald, de la Section d’appel, a dit ce qui suit :

 

Par conséquent, j’estime que la Commission a commis une erreur en exigeant que le requérant et son épouse démontrent [page 683] qu’ils seraient persécutés alors que la définition légale précitée exige seulement qu’ils établissent qu’ils « craignent avec raison d’être persécutés ». Le critère imposé par la Commission est plus rigoureux que celui qu’impose la loi.

 

Les parties ont convenu que l’on peut correctement décrire le critère applicable en parlant de [traduction] « possibilité raisonnable » : existe‑t‑il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s’il retournait dans son pays d’origine?

 

Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d’appel, dans Seifu c. Commission d’appel de l’immigration (A‑277‑82, en date du 12 janvier 1983, non publié) :

 

[...] que pour appuyer la conclusion qu’un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il « avait été ou serait l’objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d’être persécuté pour l’une des raisons énoncées dans la Loi ». [C’est moi qui souligne].

 

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d’une part [1] qu’il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c’est‑à‑dire une probabilité), et [2] d’autre part, qu’il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons qu’on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

[Non souligné ni numéroté dans l’original.]

 

[47]           Tel que j’interprète l’arrêt Adjei, la Cour d’appel ne suggère pas que les expressions « il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % » ou « davantage qu’une possibilité minime » servent de critère pour déterminer s’il existe une crainte fondée au titre de l’article 96 de la LIPR. Les avocats spécialisés en droit de l’immigration préfèrent évidemment le critère selon lequel il doit exister « davantage qu’une possibilité minime », car presque tout est possible et que ce critère évoque un seuil voisin de la possibilité.

 

[48]           Cependant, ce n’est pas ce que la Cour d’appel proposait dans l’arrêt Adjei. La Cour s’est livrée à un exercice de déduction pour trouver un compromis entre les deux extrêmes, l’application de l’une ou l’autre étant exclue. À mon avis, se servir du critère suivant lequel il faut « davantage qu’une possibilité minime » pour déterminer si la crainte est fondée, équivaut à déformer celui qu’a énoncé la Cour d’appel dans l’arrêt Adjei. Il convient plutôt de formuler le critère permettant de déterminer si une crainte est fondée en renvoyant à un « risque raisonnable », à une « possibilité raisonnable », à une « possibilité sérieuse » ou au fait de craindre « avec raison ».

 

[49]           Pour revenir aux qualificatifs concernant les possibilités, les risques, etc., j’estime que tout critère n’incluant pas le terme « raisonnable » en guise de restriction devrait être écarté. Cela nous laisse donc soit un « risque raisonnable » ou une « possibilité raisonnable », puisqu’il n’y a aucune distinction entre un risque et une possibilité.

 

[50]           La portée des trois désignations prédictives de la peur, c’est‑à‑dire la possibilité, l’éventualité ou le risque, doit être définie, car le vaste éventail de circonstances qu’elles englobent n’en fait pas des critères utiles permettant d’imposer des mesures de réparation dans un système juridique toujours soucieux de prévenir l’effet d’avalanche. Malheureusement, la nécessité de fixer des limites a donné lieu à divers qualificatifs restrictifs, comme « possibilité raisonnable », « plus qu’une simple » possibilité, une possibilité « sérieuse » et, à présent, un risque « accru ».

 

[51]           Sous réserve de mes commentaires ci‑haut au sujet du critère exigeant « plus qu’une simple possibilité », je ne pense pas que, employées dans le contexte de l’article 96, ces expressions qui ont été formulées dans la jurisprudence soient tellement différentes. Il s’agit dans tous les cas de mesures imprécises basées sur une perception des circonstances et censées exprimer une moyenne entre quelque chose de moins que la prépondérance des probabilités et quelque chose de plus qu’une simple possibilité.

 

[52]           Cela étant dit, j’estime que le qualificatif qui convient le mieux à un éventail de possibilités est celui de « raisonnable ». La raisonnabilité est une mesure ou une norme omniprésente dans tout notre système juridique, qu’il s’agisse des faits ou du droit. Cette norme combine l’expérience humaine à la logique rationnelle. Elle est appliquée par le truchement pragmatique de la personne raisonnable afin d’évaluer objectivement le processus décisionnel là où les cas de figure sont innombrables. De plus, elle renvoie au caractère raisonnable, notion sur laquelle tout système juridique équitable doit être fondé.

 

[53]           Un critère qui comporte l’expression « plus qu’une simple » ne suppose pas des limites courantes, pas plus que les termes « sérieux » ou « accru » lorsqu’ils sont appliqués à une possibilité, à un risque ou à une éventualité dans le contexte de la peur. Pour être utiles, ces termes doivent tous se ramener à ce que serait une limite raisonnable dans les circonstances, même d’une manière qui reste implicite. Cela tient au fait que la raisonnabilité emprunte à l’expérience humaine et à la logique pour définir les limites applicables des possibilités, des éventualités ou des risques qui peuvent donner lieu à une crainte subjective fondée.

 

[54]           En ce qui concerne ma préférence pour le terme « raisonnable », je note que la Cour suprême paraît employer le mot « rationnel », auquel elle accorde le même sens que « raisonnable », en le préférant à « possible » pour décrire les issues acceptables au regard de l’application du critère Dunsmuir. Voir, par exemple, la description qu’a faite le juge Cromwell du critère dans Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 RCS 364, aux paragraphes 44, 46 et 47 :

[44]      La norme de contrôle de la décision raisonnable traduit la déférence qui s’impose envers le décideur administratif. Elle reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise et qu’« [i]l est loisible au [décideur] administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » : Dunsmuir, par. 47 (je souligne). Le caractère raisonnable s’apprécie en fonction du contexte particulier considéré. Les différentes solutions rationnelles acceptables varient selon le contexte du type particulier de décision et de tous les facteurs pertinents [...] [Non souligné dans l’original.]

 

[...]

 

[46]      [...] Le juge Evans a estimé qu’il ne pouvait faire cesser l’instruction que s’il était convaincu « que la Commission ne pouvait s’appuyer sur aucun motif rationnel en droit, ni sur aucune preuve pour décider qu’une instruction par un Tribunal est justifiée compte tenu de toutes les circonstances » (par. 49).

 

[47]      Même si je préfère le terme « raisonnable » à celui de « rationnel », je ne crois pas qu’il existe une différence véritable entre les deux. Comme le dit la Cour dans l’arrêt Dunsmuir, la décision du tribunal administratif est raisonnable dès lors qu’elle a « un fondement rationnel » (par. 41).

 

[55]           À mon sens, une issue possible acceptable n’est pas la même chose qu’une issue rationnelle et acceptable. Le fait que la Cour suprême, qui pèse soigneusement ses mots, paraît avoir remplacé la norme exprimée en termes de possibilités par la norme plus généralement comprise de la raisonnabilité, devrait être un indice éloquent de l’intention de la Cour. En effet, la Cour semble affirmer que les issues possibles acceptables doivent être raisonnables, ce qui fait de la raisonnabilité le critère véritable. Pour la même raison, il serait préférable de limiter le critère de l’article 96 à celui d’une possibilité ou d’une éventualité raisonnable, et d’éviter de parler de risque à cause de la confusion que ce terme peut créer par rapport à l’article 97. L’établissement d’une norme unique et cohérente aurait l’avantage d’empêcher l’apparition de nouveaux synonymes pour exprimer les degrés de crainte de persécution, tout en ramenant le langage employé dans ce contexte à celui qui est normalement utilisé dans le monde juridique.

 

[56]           En dehors de ces observations sur le critère du « risque accru », le demandeur prétend aussi que le commissaire s’est servi d’autres critères incorrects, et cite en exemple des phrases telles que : « [...] la qualité de vie du reste de la population tamoule s’est améliorée » et « [...] sur le plan international, [...] le Sri Lanka est considéré comme plus sûr depuis la fin de la guerre ». Je conviens avec le défendeur qu’il ne s’agit pas là de critères mais de simples conclusions de fait tirées selon la prépondérance des probabilités.

 

Conclusions touchant la crédibilité

[57]           Le demandeur a contesté certaines des conclusions tirées par le commissaire au sujet de sa crédibilité, mais il n’y a pas consacré que peu de temps dans sa plaidoirie. À mon avis, la question de la crédibilité n’était pas déterminante en ce sens que la preuve invoquée provenait du demandeur.

 

Objection à l’utilisation des principes directeurs du HCR comme document de principe pour déterminer les conditions du pays

 

[58]           Le demandeur critique le commissaire pour n’avoir pas cité certains passages des Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum‑Seekers from Sri Lanka du HCR, d’après lesquels les hommes tamouls du Nord s’exposent de ce seul fait à une possibilité sérieuse de persécution en cas de retour au Sri Lanka. À cet égard, il signale notamment que le document renvoie à d’autres rapports qui indiquent que [traduction] « les jeunes hommes tamouls, surtout ceux qui viennent du Nord et de l’Est du pays, peuvent être touchés de manière disproportionnée par la mise en œuvre des mesures antiterroristes et de sécurité du fait de leur affiliation soupçonnée aux TLET ».

 

[59]           Cet extrait particulier ne laisse pas entendre qu’il existe une possibilité sérieuse que les jeunes hommes soient persécutés à leur retour au Sri Lanka pour cette seule raison, et, pas plus que les autres références et rapports mentionnés par le demandeur, il ne remet pas en cause la fiabilité des principes directeurs du HCR, qui sont régulièrement invoqués, et sur lesquels le commissaire a appuyé une partie de son raisonnement pour conclure que le demandeur ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution du seul fait qu’il est un jeune homme originaire du Nord du Sri Lanka.

 

[60]           Le demandeur se plaint également de ce qu’une grande partie de la preuve documentaire n’ait pas été mentionnée, alors qu’à son avis elle contredit directement la conclusion du commissaire. J’estime en fait que le commissaire a examiné les rapports, notamment ceux d’Amnistie Internationale, et d’autres documents s’opposant à la conclusion que la situation s’améliorait généralement. Il a indiqué qu’il préférait les documents et principes directeurs préparés par le HCR. Cela relève certainement de ses pouvoirs discrétionnaires et, de toute façon, il semble que ce soit la documentation privilégiée pour évaluer le risque lié au retour des réfugiés.

 

[61]           Un argument équivalent a été avancé dans B231, précité, où la juge Kane a entériné le recours aux principes directeurs du HCR aux paragraphes 43 à 47 :

[43]    [...]  La Commission a examiné en détail la preuve documentaire portant sur la situation des Tamouls au Sri Lanka et elle a pris acte des préoccupations actuelles, notamment dans le cas des Tamouls correspondant à un certain profil. Elle a toutefois conclu de manière raisonnable que le profil particulier du demandeur ne lui ferait pas courir de risques s’il retournait au Sri Lanka.

 

[44]           La Commission a traité des preuves contraires mais elle a conclu, pour plusieurs raisons, qu’elles n’étaient pas convaincantes et elle a décidé qu’elle préférait s’appuyer « sur les documents et les principes directeurs du HCR ».

 

[45]           Le demandeur a fait valoir avec force que la Commission s’est trompée en omettant de tenir compte du conseil du HCR selon lequel il y a lieu de prendre en considération les preuves les plus récentes sur la situation régnant dans le pays.

 

[46]           Je conviens avec le demandeur qu’en ce qui concerne les risques que l’on court dans le pays d’origine, c’est le HCR qui fait principalement autorité.

 

[47]           De ce fait, la Commission était justifiée de se fonder sur la version 2010 des Directives du HCR, qui, à la date de l’audience et de la décision, n’avait pas changé. La Commission a fait remarquer que la version antérieure de ces directives, celle de 2009, demandait que l’on protège les jeunes hommes tamouls de façon plus générale, mais que cette version a été remplacée par les Directives de 2010, où l’on fait état de risques pour des personnes particulières ou des catégories particulières de personnes et où l’on recommande de procéder à une évaluation individualisée.

 

[...]

 

[50]           Même si le demandeur conteste la manière dont la Commission a traité les éléments de preuve contraires, l’analyse que cette dernière en a faite est complète, équilibrée et inattaquable selon la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[51]           La Commission a suivi exactement le conseil du HCR : une évaluation individuelle fondée sur la preuve documentaire, tout en reconnaissant l’existence des preuves contradictoires et en indiquant qu’elle préférait se fonder sur les Directives du HCR. La Commission a conclu que le demandeur ne courrait pas de risques.

 

[62]           Dans la même veine, je conclus que le commissaire a traité la preuve documentaire sur les conditions régnant dans le pays de manière rigoureuse et certainement défendable au regard de la norme de la raisonnabilité. Par ailleurs, comme dans B231, le commissaire s’est conformé exactement aux recommandations des principes directeurs du HCR : une évaluation individuelle fondée sur le profil du demandeur. La Cour n’a pas à revenir sur cette évaluation.

 

Demande d’asile sur place en tant que passager du Sun Sea

[63]           Dans la décision A068, la juge Gleason a examiné minutieusement la jurisprudence ayant trait aux diverses demandes d’asile présentées par les passagers arrivés au Canada sur l’Ocean Lady et le Sun Sea.

 

[64]           La question soulevée dans cette série de décisions était de savoir si le simple fait de se trouver à bord de l’Ocean Lady ou du Sun Sea suffisait à faire des passagers des membres d’un « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR (A068, au paragraphe 18). Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c B380, 2012 CF 1334, aux paragraphes 23 à 27, le juge en chef Crampton a estimé que la SPR avait commis une erreur en déterminant que les passagers du Sun Sea constituaient un groupe social pour l’application de l’article 96. Au paragraphe 18 de la décision A068, la juge Gleason fait remarquer que les juges O’Reilly, Blanchard, Noël, Mosley et de Montigny sont parvenus à des conclusions analogues à celles du juge en chef dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B399, 2013 CF 260, aux paragraphes 16 à 18; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B420, 2013 CF 321, au paragraphe 17; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B451, 2013 CF 441, au paragraphe 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B171, 2013 CF 741, aux paragraphes 11 à 13; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B272, 2013 CF 870, au paragraphe 75.

 

[65]           Cependant, la juge Gleason observe, au paragraphe 22 :

[...] les juges ont confirmé dans plusieurs cas les conclusions de la SPR dans des situations semblables au cas présent, alors que la SPR avait fondé en grande partie sa décision sur le fait que les demandeurs d’asile étaient membres d’un « groupe social » constitué de Tamouls qui étaient exposés à un risque en raison de leur présence à bord de l’un des navires. Cependant, la SPR avait indiqué, dans un passage ou un autre de sa décision, que le risque était lié à l’origine ethnique des demandeurs d’asile et à la possibilité qu’ils soient perçus comme des sympathisants des TLET. Dans B399, B420, B377, B344 et B272, les juges O’Reilly, Blanchard, Noël et de Montigny ont confirmé les décisions rendues par la SPR parce qu’il y avait là une confluence de motifs touchant la race et les opinions politiques présumées, motifs qu’ils ont estimés suffisants pour établir un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention sur les réfugiés. Dans une mesure plus ou moins grande, dans chacune de ces décisions, mes collègues ont interprété les motifs de la Commission pour parvenir à leur conclusion. Par exemple, le juge O’Reilly écrit, au paragraphe 19 de la décision B399 :

 

[...] Malheureusement, les conclusions de la Commission ne sont pas des plus claires. Néanmoins, le passage suivant des motifs appuie l’argument de B399 selon lequel la Commission n’avait pas fondé sa décision sur le seul motif de l’appartenance de B399 au groupe social formé des passagers du Sun Sea :

 

[...] il est probable que le demandeur d’asile sera détenu et interrogé [...] au moment de son retour au Sri Lanka [...] Le tribunal estime que les autorités soupçonneront que le demandeur d’asile a des liens avec les TLET. Les documents sur le pays indiquent que les autorités du Sri Lanka continuent de soumettre à des actes de violence graves, y compris la torture, les Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET.

 

[23]           Dans les décisions B399, B420, A032, B377, B344 et B272, les juges O’Reilly, Blanchard, Noël et de Montigny ont jugé que les décisions, très semblables à celle visée en l’espèce, étaient raisonnables puisque des éléments de preuve corroboraient la conclusion selon laquelle les demandeurs d’asile s’exposeraient à un risque de torture s’ils devaient retourner au Sri Lanka en raison de la confluence de leur origine ethnique, de leur complicité présumée avec les TLET et de leur détention de renseignements sur les TLET, les deux premiers éléments évoquant des motifs fondés sur la race et les opinions politiques présumées.

 

[24]           À l’inverse, dans les décisions B472, au paragraphe 28, B323, A011, aux paragraphes 40 à 42, B459, au paragraphe 7, et B171, au paragraphe 10, les juges Harrington et Mosley se sont gardés de faire un semblable exercice d’interprétation et ont tranché les litiges en se fondant uniquement sur le caractère raisonnable ou correct de l’analyse par la Commission du motif du « groupe social » à l’appui de la demande d’asile. Dans les décisions B472 et A011, le juge Harrington a annulé les décisions de la SPR au motif qu’elles étaient incorrectes; la Commission avait jugé que les demandeurs d’asile faisaient partie d’un « groupe social » constitué de passagers exposés à un risque en raison de leur présence à bord de l’un des navires. Dans les décisions B459 et B171, le juge Mosley les a également annulées au motif qu’elles étaient déraisonnables. Dans les quatre décisions, les juges ont certifié une question concernant la norme de contrôle appropriée et confirmé qu’il était inapproprié de chercher à savoir si la décision de la SPR pouvait être maintenue pour des motifs de race ou d’opinions politiques présumées, étant donné qu’aucun de ces deux motifs n’avait été nommément examiné par la SPR comme raison pour l’octroi du statut de réfugié.

 

[66]           Dans la présente espèce, le commissaire a conclu que la preuve ne suffisait pas pour établir que les autorités sri‑lankaises sauront que le demandeur d’asile était un passager du Sun Sea, ou qu’il serait traité différemment que toute autre personne revenant au pays, étant donné qu’il n’a jamais été associé aux TLET.

 

[67]           Bien qu’il n’ait pas explicitement abordé la question de l’appartenance à un groupe social, le commissaire a évoqué la situation des jeunes hommes tamouls au Sri Lanka, ainsi que les risques auxquels le demandeur pourrait être exposé de ce fait à son retour. Ses conclusions reposaient sur une analyse exhaustive de la preuve documentaire touchant les conditions régnant au Sri Lanka, ainsi que sur le témoignage du demandeur devant la Commission. Sa conclusion, selon laquelle il n’existait pas, suivant la prépondérance des probabilités, de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté à son retour, est raisonnable et procède de l’application du critère adéquat énoncé dans Adjei; Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56, au paragraphe 98, [2010] 3 RCS 281; Mugadza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 122,au paragraphe 20, 164 ACWS (3d) 841; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c A068, 2013 CF 1119, au paragraphe 8.

 

Les allégations d’extorsion du demandeur

[68]           En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle il risque d’être extorqué par le PDPE, je me suis récemment penché, dans la décision Wan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 124, sur la nature de l’extorsion alors que je procédais à un examen du risque personnalisé en regard du risque généralisé au titre de l’article 97 de la LIPR. L’extorsion est par nature un crime personnalisé, ce qui crée une certaine confusion quant à l’analyse du risque qui doit suivre. Lorsqu’une crainte fondée sur l’extorsion est alléguée, la Commission doit déterminer si le demandeur d’asile a fourni les éléments de preuve nécessaires pour s’acquitter de son fardeau et démontrer que le crime général d’extorsion représente, dans son cas précis, une menace à sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités suffisants pour le distinguer du risque que connaissent les personnes placées dans la même situation dans le pays en question, dans notre cas, les Sri‑lankais qui sont considérés comme bien nantis. C’est l’analyse qu’a effectuée le commissaire, qui a fait remarquer que les allégations de risque soulevées par le demandeur ne le distinguaient en rien des autres Sri‑lankais considérés comme bien nantis.

 

[69]           En somme, la décision du commissaire était raisonnable compte tenu des faits et du droit.

 

CONCLUSION

[70]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-13174-12

 

INTITULÉ :

MAYOORAN SIVARATHTHINAM c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 28 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 20 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Jack Davis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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